Présentation[Notice]

  • Monique Moser-Verrey

La perception du monde indigène au temps des Lumières européennes se révèle autant au travers des images qu’au travers des textes. Par quelques exemples qui interrogent la dynamique réciproque mettant en jeu image et textualité, ce recueil propose un parcours d’un siècle en convoquant des documents visuels et textuels allant des années 1710 jusqu’aux années 1810. Les indigènes présentés sont issus de tous les continents et l’on verra que le public européen en a d’abord perçu l’image grâce à des relations de voyage qui les décrivent et en proposent aussi des portraits et des tableaux gravés. Leur popularité augmente ensuite grâce à des fictions d’auteurs éclairés qui leur attribuent le premier rôle. Mais l’honneur du portrait peint ne sera conféré à des indigènes qu’après la Révolution. Les travaux sur les relations de voyage sont actuellement en plein essor. Le portail Internet VIATICA donne généreusement accès aux projets d’équipes canadienne, française et suisse, de même qu’à une banque de chercheurs travaillant sur la littérature des voyages. Il va sans dire que, dans ce contexte, la rencontre des navigateurs avec les indigènes est régulièrement abordée et que « la rencontre de l’Autre » trouve même sa place dans une poétique de ce genre littéraire en formation aux XVIe et XVIIe siècles. Par ailleurs, l’interaction entre les mots et les images qui figurent cette rencontre a déjà donné lieu à un dossier de revue visant à réunir par l’analyse culturelle différenciée des représentations de soi et de l’Autre les approches anthropologique et historienne, les systèmes symboliques à l’oeuvre et les contraintes techniques et sociales de la production des livres à gravures. Malgré l’intérêt épistémologique des réflexions de Claude Reichler et malgré la qualité des études réunies dans l’ouvrage collectif cité où le parti pris interdisciplinaire rend justice aux textes et aux images, les gravures du siècle des Lumières qui nous intéressent au premier chef continuent à être dépréciées par la critique. Ainsi, faisant le point sur l’image viatique, François Moureau déplore-t-il « la médiocrité des artistes convoqués  », l’absence d’expérience directe des dessinateurs, des graveurs et des « tâcherons » chargés de colorier les gravures. Concédant les réussites techniques indéniables de la gravure à cette époque, il insiste pourtant sur de soi-disant carences poétiques et esthétiques et affirme que Les oeuvres des artistes voyageurs de l’époque romantique charment davantage le critique par la fusion d’un ego et d’un lieu, par la magie de la lumière et des couleurs. Mais est-ce là le point d’aboutissement d’où il convient de juger l’extraordinaire succès des histoires de voyages et des récits illustrés de gravures dans l’Europe des Lumières ? Le clivage entre le héros d’une expérience esthétique personnelle, recherchée dans un pays lointain, et le bourgeois qui jouit tous les jours de vues exotiques figurées sur les papiers peints dont il décore son intérieur, est propre à la France du XIXe siècle. Cet écart entre l’émotion vécue in situ et la possession d’un produit de luxe dérivé du succès des voyages ne peut pas éclairer tous les enjeux des compilations, « histoires générales », « bibliothèques », cartes et illustrations qu’ils ont générées et qui furent largement diffusées à travers toute l’Europe dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. La gravure y occupe une place intéressante qui mérite d’être mieux étudiée. La circulation européenne des savoirs, des images et des textes grâce aux estampes et aux imprimés est un acquis des Lumières dont la modernité se trouve entre autres soulignée dès les années 1760 dans des contes moraux critiquant le pouvoir de l’aristocratie. Aussi l’héroïne de Belle de Zuylen qui jette par …

Parties annexes