Présentation[Notice]

  • Yen-Maï Tran-Gervat

Cette mise en garde méthodologique de Gérard Genette dans l’article de Figures V qu’il consacre au comique lié à la question de la mort semble parfaitement adaptée à la démarche d’un ouvrage collectif qui se donne pour objet, comme le fait ce dossier d’Études littéraires, de cerner un phénomène comique aussi protéiforme que ce qu’on appelle couramment « le comique de répétition ». L’expression elle-même a presque valeur de diagnostic universel lorsqu’on l’utilise généralement. En parodiant maladroitement Le malade imaginaire, on se représente le ridicule et la vanité d’une entreprise qui reviendrait à instaurer un dialogue de comédie entre un Argan rieur et une Toinette critique : Depuis un siècle et la parution du Rire de Bergson, la formule du philosophe français, « du mécanique plaqué sur du vivant  », qui rend compte de ce qui se joue dans la répétition et dans le rire qu’elle suscite, semble avoir gagné le même statut de diagnostic universel : l’effet de vanité serait similaire, dans notre parodie de Molière, si l’on remplaçait « la répétition » par « Du mécanique plaqué sur du vivant » dans les répliques de « notre » Toinette. Il va de soi qu’il ne s’agit pas ici de définir une cause absolue (et uniforme) du comique, qui serait la répétition ou son analyse par Bergson (ou par tout autre théoricien), mais de mettre en évidence, dans un certain nombre de cas particuliers, le lien complexe et singulier entre un effet à chaque fois subjectif, le « comique », et une cause qui semble répondre à des critères formels objectifs, la « répétition ». C’est cette tension fondamentale entre le « prédicat esthétique  », subjectif et polysémique de « comique » d’une part, et sa cause apparemment objective qu’est la « répétition » d’autre part, qui nous intéresse ici. Nous avons voulu que le terme de « répétition » comme celui de « comique » soient pris dans leur sens le plus large, afin de permettre un vaste panorama des différents cas de figure possibles. C’est ainsi que les études ici réunies permettent d’aborder des formes répétitives allant de la répétition lexicale à l’intertextualité, de la reprise à la spécularité, du retour du même à l’art de la variation, ou encore « de l’ostinato au pastiche », pour reprendre le titre de Marik Froidefond ; les effets comiques qui leur sont associés sont tout aussi variés, à l’image des diverses manifestations physiques évoquées par « notre » Argan, du léger sourire au rire franc pouvant aller jusqu’à la crampe, et les enjeux liés à ce comique sont de tous ordres, tant littéraires et artistiques que philosophiques ou moraux. On pourrait croire, en lisant ces lignes, qu’on a troqué un diagnostic universel et uniforme, « la répétition », contre une diversité de causes et d’effets tout aussi imprécise… C’est bien sûr entre ces deux extrêmes que veut se situer ce dossier, chaque article contribuant par sa cohérence interne et son corpus précis à dessiner d’une ligne claire les contours de cet ensemble foisonnant de phénomènes, essentiellement littéraires ici, qui relèvent du « comique de répétition ». Un tel va-et-vient entre unicité et diversité recoupe la tension propre à la démarche critique, entre théorie et étude de cas. La théorie éclaire l’approche des textes, l’analyse précise de corpus définis permet de nuancer et d’assouplir la théorie. Ainsi, si la notion même de « comique de répétition » semble convoquer automatiquement la théorie de Bergson, elle est loin de l’imposer comme explication universelle de toutes les formes de comique liées à la répétition : chaque auteur est amené …

Parties annexes