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Lorsque je parle de la création littéraire, j’essaie d’éviter certains mots et expressions qui me rendent mal à l’aise, parce qu’ils me semblent peu précis. « Créer un personnage », par exemple, ne décrit pas du tout ce que je fais en tant que romancier et nouvelliste. Créer un personnage suggère que je fabrique un personnage en choisissant certains traits physiques ou psychologiques que je veux lui donner – ce qui n’est pas du tout le cas. Un personnage fabriqué – je veux qu’il soit grand. Non, non, je vais le faire petit. Et quelle couleur de cheveux est-ce que je lui donne ? Et psychologiquement ? Ah oui – il a couché avec sa mère ! Non, avec sa soeur… ce serait plus… et pourquoi pas avec les deux ? – donne un personnage fabriqué, un être peu convaincant, aussi crédible qu’un chien de bois bricolé par un enfant : Maman et Papa vont l’adorer parce qu’ils adorent tout ce que fait leur petit, mais il faut avouer que chercher des compliments chez les voisins est un peu risqué…

L’écrivain que je suis ne crée donc pas de personnages. Il attend plutôt que les personnages se créent dans une région mystérieuse de son imagination et qu’ils décident à un moment donné, sans que l’auteur sache pourquoi, de se manifester. Lorsqu’ils arrivent, ils ont les traits physiques et psychologiques qu’ils ont et si l’auteur essaie de leur imposer des gestes et des actions qui lui semblent intéressants pour l’intrigue, mais qu’ils n’ont pas posés, ils vont se taire et se réfugier dans un endroit inaccessible. L’auteur que je suis doit, donc, savoir écouter ses voix intérieures, ces voix qui semblent venir de nulle part, mais qui émergent avec tout leur bagage du fond de son imagination comme un bébé émerge de sa mère – des êtres distincts qui exigent notre disponibilité et notre respect. Ils ont une histoire à raconter à l’auteur.

Dans cette nouvelle, c’est la voix d’un général qui a trahi son pays qui s’est manifestée. Voulant à tout prix éviter une guerre entre son pays guerrier et le pays voisin, il traverse la frontière et livre à l’ennemi les secrets militaires de son pays. Toutefois, en quittant son pays, il a abandonné sa famille – et ce sont ses parents, sa soeur et ses neveux et nièces qui deviennent des pions dans le jeu politique qui s’ensuit. Son pays exige son retour. Le général doit faire un choix : sa liberté à lui ou la liberté de sa famille ?

Ce texte, comme toute nouvelle, est une fiction mais l’intrigue a été inspirée par des faits vécus. D’où viennent-ils, le général et les autres personnes qui peuplent cette histoire ? De cette région intérieure mystérieuse où naissent les voix.