Présentation[Notice]

  • Guillaume Pinson et
  • Maxime Prévost

Ce numéro d’Études Littéraires se propose de réfléchir aux relations entre la presse et la littérature, de la fin du XVIIIe au XXe siècle. Si naguère la recherche distinguait soigneusement les territoires médiatiques et littéraires, le renouveau de l’histoire culturelle et de l’histoire littéraire, ainsi que la vague de fond sociocritique nous ont appris à revisiter ces frontières trop communément acceptées. Certes, nulle discipline scientifique ne peut penser et se penser sans frontières : ici, le territoire de la littérature, les rapports d’un texte avec son « co-texte », l’établissement des limites d’un corpus, ou encore toute la question des effets du texte sur le social, qui supposent à la fois des passages et des blocages entre le texte et le monde. Pour les historiens comme pour les littéraires, il n’y a sans doute pas de pensée possible sans frontière, sans limites et sans articulation fines de ces frontières et limites. Or, les études actuelles de la presse, qu’elles soient celles de l’histoire culturelle, de l’histoire littéraire, de la sociocritique ou de la sociologie de la littérature et de l’imprimé, sont emportées dans un grand mouvement de redéploiement. La raison essentielle en est sans doute la prise de conscience de l’immense valeur qui gît dans ce continent englouti — émergeant lentement mais sûrement grâce à la recherche récente — qu’est la presse et les phénomènes médiatiques de la modernité. En revisitant les hiérarchisations des corpus et les collaborations d’à peu près tous les écrivains à la presse ; en explorant et en analysant les genres médiatiques qui constituent le corpus journalistique ; en mettant en relation directe les poétiques médiatiques et les poétiques littéraires pour voir comment elles interagissent ; en réévaluant à la hausse la qualité sémiotique accordée aux diverses représentations issues du journal, susceptibles, peut-être aussi bien que le roman, de dire le monde qui les a vues naître : en tout cela les études littéraires confèrent une valeur irremplaçable à l’objet journal et y trouvent une source de leur renouvellement. La presse a donc définitivement franchi la frontière qui lui permet d’intégrer les études littéraires de plein droit, et ce n’est que justice. Pour autant la chose n’est pas aisée à manipuler, ne serait-ce que lorsqu’on se replonge dans un imaginaire qui remonte au moins jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Car si la recherche actuelle vise à redonner toute sa valeur à la presse d’alors, elle doit aussi composer avec un imaginaire anti-médiatique très prégnant : dès l’origine les écrivains-journalistes ne cessent en effet de ruminer un discours de la condamnation, de la déploration, de la dépréciation, lorsqu’ils évoquent leur propre participation à la presse et toutes les compromissions de la littérature avec le journal. À les entendre, la presse serait un lieu où l’esprit et l’intelligence se prostituent ; précisément, la frontière qu’ils imaginent idéalement très étanche entre la Littérature et le journal leur paraît en voie d’effritement. Double corollaire de ce discours crépusculaire : en amont l’invention rétrospectif d’un âge d’or de la littérature, moment idéal mais évidemment perdu, souvent associé aux réseaux lettrés de l’Ancien Régime et toujours évoqué avec nostalgie ; en aval une forme d’institutionnalisation de cette coupure fantasmée entre journalisme et littérature, menant à un cloisonnement disciplinaire largement artificiel (aux historiens l’histoire de la presse, aux littéraires celle de la littérature). En fait, la conscience même d’une frontière qui délimiterait clairement ce qui est littéraire et ce qui ne l’est pas est sans doute la conséquence d’une présence de plus en plus forte du texte imprimé dans la société et dans l’histoire. Dès lors, cette conscience …

Parties annexes