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J’ai goûté aussi d’écrire un livre tout avec mon humeur principale que j’ai masquée jusqu’ici. Dire son humeur, est-ce écrire un pamphlet[1] ?

Bien avant d’entreprendre la rédaction de Gilles, surtout à l’époque où il édite Lesderniers jours (1927) avec Emmanuel Berl, Pierre Drieu la Rochelle croit diagnostiquer la décadence politique et intellectuelle française sous la IIIe République. Évidemment, puisque la déliquescence d’une civilisation jadis florissante ne saurait s’expliquer que par d’habiles conjectures philosophiques, Drieu puise dans l’état d’esprit ambiant (la xénophobie n’est pas née avec l’Allemagne nazie) pour désigner un bouc émissaire, trouver des « coupables ». Et ceux-ci sont généralement regroupés sous le nom générique de juifs (dont le sens se confond le plus souvent avec « responsables de tout »), acception dont nombre d’écrivains antisémites français, principalement entre 1880 et 1944, ont maculé leurs textes haineux[2]. Alors même qu’on refuse de considérer Gilles comme un simple pamphlet réactionnaire déguisé et dépourvu de valeur littéraire, un irritant idéologique majeur en masque pourtant les qualités esthétiques. D’abord avancé discrètement, voire de façon insidieuse, ce parti pris antisémite se transforme rapidement en obsession à la limite du supportable, car les attaques de Drieu contre les juifs (tous, sans distinction) reprennent les clichés condensés notamment chez Drumont et Céline, l’extrême vulgarité en moins.

À première vue, donc, Gilles semble correspondre aux caractéristiques du roman à thèse[3], puisque son propos principal se résumerait assez grossièrement ainsi : « Nous sommes en décadence ; les coupables sont connus ; heureusement, voici le sauveur[4]. » Cependant, une approche aussi monolithique de ce roman complexe, « majeur et polyphone[5] » ne résiste pas à l’analyse, entre autres parce que son protagoniste recèle une multiplicité de facettes contradictoires, non exemplaires, qui l’empêchent d’être considéré comme un héraut de l’idéologie fasciste. Bien qu’il apparaisse clairement que Gilles, en raison des nombreux travers de son héros, ne constitue pas l’actualisation la plus réussie du roman à thèse, l’analyse proposée ici mettra en relief cet aspect qui, en conjonction avec l’élément collaborationniste, justifierait en partie l’attitude méfiante et rancunière de la critique d’après-guerre. Après une mise en perspective des enjeux et un détour par un roman à thèse de gauche (Le cheval de Troie de Paul Nizan), on verra de quelle manière Drieu instrumentalise deux personnages juifs (Myriam et Preuss)[6] afin de fournir à la thèse centrale de Gilles des arguments susceptibles de convaincre un lectorat de droite exaspéré par le climat de l’entre-deux-guerres.

Gilles : réception et contexte

Dans le numéro d’avril 1940 de la revue Esprit, Emmanuel Mounier rendait compte du plus récent roman de Drieu, nouveau démissionnaire du Parti populaire français et futur directeur de la NRF sous l’Occupation. Il parlait de Gilles en ces termes :

Drieu vient d’écrire sa somme romanesque. Jamais il ne s’est aussi totalement avoué, sur tous ses fronts de vie, le politique, l’amoureux, le métaphysique (et chacun y révèle sa secrète liaison aux autres). La sincérité a souvent été chez lui une manière de bousculer, une franche rudesse, plus qu’un retour sur soi. On ne digère jamais entièrement toutes ses dissonances (grâce au ciel) et le Drieu qui exaspère ne se prive pas de commencer sur un rythme grinçant, avec cette sorte de gaminerie dramatique qu’il apporte dans le cynisme, un livre qui s’épanouit ensuite comme le fruit superbe d’une maturité. D’un bout à l’autre, de cette sorte d’orgie-pochade d’un jeune bourgeois en permission à l’âpre grandeur de l’épilogue parmi les coups de feu de la guerre d’Espagne, le roman tourne lentement autour d’un axe que l’on hésite à fixer, et qui est peut-être multiple[7].

Si Mounier adopte ici un ton relativement neutre pour parler d’un auteur aujourd’hui catalogué en raison de son engagement pour le fascisme, c’est que ni lui ni aucun autre intellectuel ne pouvaient prévoir l’issue exacte de la guerre qui venait de se déclarer en Europe, ni à quelles atrocités aboutiraient les incarnations de l’idéologie embrassée par Drieu. Après tout, en 1940, l’Allemagne hitlérienne et la Russie stalinienne s’imposaient sur la carte géopolitique européenne comme autant d’ennemis de la France. Certes, étant donné le gouffre qui sépare la pensée des deux hommes, le ton de Mounier surprend quelque peu, mais sachons qu’il ne fut pas le seul à l’adopter.

En effet, cette neutralité apparente surgit également dans les écrits de Simone de Beauvoir et de Jean-Paul Sartre. Le 3 janvier 1940, Beauvoir consigne dans son Journal de guerre cette phrase étonnante de candeur : « au lit je lis un petit moment Gilles qui m’amuse[8] ». Fut-elle divertie par le roman de Drieu ? Le trouva-t-elle ridicule ? S’il est difficile d’interpréter ce passage avec certitude, on admettra du moins qu’il s’agit d’une lecture de chevet quelque peu inattendue pour la future théoricienne du féminisme… Pour sa part, celui-là même qui incarnera dans l’après-guerre la figure de l’intellectuel par excellence (forcément de gauche) commence vers 1941 par considérer « ce pauvre Drieu » comme un « imbécile[9] », avance plus tard que « [p]our ce pessimiste, l’avènement du fascisme correspondait au fond au suicide de l’humanité[10] », avant d’admettre en 1947 que « Gilles, ce roman de sa vie, crasseux et doré, marqu[ait] clairement qu’il était le frère ennemi des surréalistes ». Ainsi, selon Sartre, l’« appétit de conflagration universelle[11] », qui habitait tant Drieu que Breton, assure aux deux auteurs le privilège de s’inscrire côte à côte (ou dos à dos) dans la littérature de l’entre-deux-guerres, et ce, bien que leur commun désir de destruction se fût traduit par deux engagements politiques désormais perçus comme irréconciliables.

Or, nous qui connaissons plus précisément que Sartre, Mounier et les autres témoins directs de la guerre les horreurs perpétrées par le fascisme hitlérien, nous savons aussi que littérature et politique au XXe siècle ne font pas bon ménage. Par exemple, s’il est toléré d’admirer les opéras de Richard Wagner tout en occultant ses positions antisémites[12], il est en revanche pratiquement impossible de lire avec un abandon comparable les auteurs compromis dans le vertige fasciste et antisémite de l’entre-deux-guerres. Ainsi, malgré l’importance concédée à certains écrivains sur le plan littéraire, notre mémoire collective, sans doute guidée par la proximité des sombres événements de la Seconde Guerre mondiale, se refuse à leur pardonner cette erreur. Aussi serions-nous en droit de nous demander ce qui rendit, aux yeux des intellectuels marxistes d’après-guerre, les atrocités commises par Staline et ses successeurs plus amnistiables que celles commandées par Hitler. À cette interrogation, Louis Audibert propose la réponse suivante, à laquelle Sartre n’est sans doute pas étranger :

Telle est désormais la figure de l’intellectuel. Résolument à gauche, dans le camp de l’antifascisme triomphant, au terme de la tragédie, dont le souvenir est écrasant. La pensée de droite a vécu, l’Histoire l’a jugée et condamnée sous le poids de l’horreur, chaque jour révélée. Le prestige retrouvé de l’URSS, martyr et vainqueur, suscite la fascination et redonne au marxisme la valeur théorique d’un modèle, bientôt considéré comme indépassable[13].

Ainsi, puisque les juges de l’Histoire ont tranché dès 1945 le débat qui opposa fascisme et communisme, soit les deux principales utopies politiques de l’entre-deux-guerres, un esprit intransigeant pourrait proposer que l’institution littéraire s’efforce, aujourd’hui encore, de maintenir ces auteurs dans l’oubli.

D’ailleurs, cette volonté de censure systématique ne manqua pas d’adeptes à la Libération. Par exemple, Emmanuel Berl confiait à Patrick Modiano que Gide « ne voulait pas qu’on republie Drieu [après son suicide]. Il refusait qu’on réimprime les livres de Drieu[14]. » C’était en 1945, époque propice aux règlements de comptes dont les auteurs de droite, pour la plupart collaborateurs intellectuels sous Vichy, durent subir la sévérité : Brasillach fut condamné au peloton d’exécution, Céline dut s’exiler en Allemagne et au Danemark, Drieu se suicida. Ce jugement de l’Histoire suit leur nom comme une ombre et nul n’est vraiment parvenu à s’en affranchir. Pourtant résistant de la première heure, Jean Paulhan fut un des rares à adopter une position plus distanciée et compréhensive dès après l’armistice. Sans pour autant pardonner au régime de Vichy, ni approuver la décision des écrivains collaborationnistes, il fit preuve d’une plus grande tolérance à l’égard de certains. En dépit de ses nombreuses brouilles avec Drieu entre 1939 et 1943, notamment au sujet de la « mauvaise » mise en marché de Gilles et du contenu de la NRF, Paulhan écrivait le 22 août 1947 dans une lettre à Gide :

Ce qu’il faut tout de même dire aux Communistes, c’est qu’ils ont été des Résistants — admirables, il se peut, mais occasionnels ; et des Français de circonstance. C’est aussi qu’un léger hasard de l’histoire — la guerre déclarée par un gouvernement de réaction à l’URSS, plutôt qu’à son alliée l’Allemagne — eût suffi à faire d’Aragon et d’Éluard de sombres collaborateurs ; mais de Brasillach et de Drieu des héros de la Résistance[15].

Évidemment, si la production littéraire de cette droite intellectuelle se révélait après examen de médiocre qualité, nous pourrions sans doute oublier des oeuvres indignes d’une attention esthétique et les considérer essentiellement comme des documents nécessaires à l’élaboration d’un tableau complet de l’histoire des idées au XXe siècle[16]. Or, malheureusement pour les tenants de la tabula rasa, la réalité de l’entre-deux-guerres ne saurait se réduire à une lutte manichéenne entre la gauche et la droite, ni à une division aussi simple entre les textes à retenir ou à oublier. Au même titre que ceux de Nizan et de Sartre, les romans de Drieu s’inscrivent dans le siècle et en portent par le fait même les marques, les taches.

Au-delà de la dichotomie droite-gauche, la décadence française

Dans la préface ajoutée en 1942 à la nouvelle édition de Gilles, sorte de bilan explicatif de son oeuvre romanesque, Drieu met l’accent sur son exceptionnelle perception de la décadence et souligne son affiliation à Céline : « Tous [les écrivains] ont dû se défendre et réagir, chacun à sa manière, contre ce fait. Mais aucun comme moi — sauf Céline — n’en a eu la conscience claire[17]. » Ensuite, après avoir passé en revue ses oeuvres principales et celles de ses contemporains, Drieu insiste pour qu’on le « situe entre Céline et Montherlant et Malraux[18] ». Bien entendu, les liens qu’il cherche à tisser ne tiennent pas de la fantasmagorie, car en dépit des apparences, il existe véritablement un matériau commun à tous les auteurs qu’il cite : la mémoire de la guerre qui vient de s’achever et la menace de celle que tous redoutent.

Céline et Drieu ne furent évidemment pas les seuls à diagnostiquer la décadence française et à prescrire l’action et l’engagement politique pour l’endiguer. Aussi n’est-il pas incongru, par exemple, de rapprocher Gilles du Cheval de Troie (1935) de Paul Nizan. En effet, il semble impossible d’éluder le substrat critique de cet étrange roman, où la dissertation sur l’engagement politique occupe une place considérable, allant même jusqu’à occulter la trame fictionnelle déjà très fonctionnalisée. Une analyse sommaire révèle que le microcosme présenté par Nizan, un marxiste convaincu, s’articule sensiblement autour de constats obsédants partagés par Drieu. Ces ressemblances fondamentales sautent particulièrement aux yeux lorsque le narrateur s’attaque à la décrépitude de la société française, de sa classe politique et de l’humain en général, ou bien lorsque sont évoqués les moyens à employer pour que survienne en France un changement tangible.

Ainsi, on remarque dans Le cheval de Troie l’omniprésence de la mort, tantôt associée à la sexualité et à la femme, tantôt à la lutte armée. Ici, du moins sur le plan thématique, Nizan et Drieu se rejoignent. Le narrateur constate en effet que l’« idée de la mort était dans l’air du temps[19] » ; le personnage de Catherine meurt d’une hémorragie utérine à la suite d’un avortement négligemment pratiqué ; l’émeute qui oppose fascistes et communistes fait de nombreuses victimes dans les deux camps, dont un camarade des protagonistes, etc. Il s’agit là d’un échantillon représentatif, mais il semble que ce commentaire prononcé par Lange, avant d’être entraîné malgré lui par la masse des troupes fascistes, pourrait tout aussi bien résumer Gilles, tant son propos traduit bien le nihilisme de son protagoniste :

Le monde a marché tant qu’on a cru en Dieu, dans la raison, le progrès. Mais nous ne croyons plus qu’à une chose qui ne comporte aucune politique. Nous ne croyons plus qu’à la mort. Vous le savez, mais vous ne vous l’avouerez jamais…[20] 

Bien sûr, on peut relever ailleurs de nombreuses affinités (sans doute fortuites, mais bien réelles) entre Nizan et Drieu. Comme Gilles, les protagonistes du Cheval de Troie s’attendent à ce que l’ordre établi s’effondre et ils n’ont aucun doute sur la manière dont ils pousseront la France hors de son immobilisme, soit par l’action physique. Même Lange, l’intellectuel qui marchera sans le vouloir avec les fascistes, perçoit l’imminence d’un coup de force fomenté par la gauche ou la droite, comme Gilles après les émeutes de la place de la Concorde :

La seule chose qui me donne du plaisir [...], c’est de penser que je vis dans un temps où les pires bouleversements sont constamment possibles. Rien ne vaut cette drogue pour exciter l’esprit à s’oublier. L’idée par exemple que le sadisme, la violence, le sang dominent l’Allemagne... Quand je lis que des S. A. contraignent des prisonniers à se masturber devant eux, je songe que l’homme en est arrivé à un tel pouvoir de bassesse que nous verrons enfin l’espérance se détruire[21].

Lange et le groupe communiste pensent que le changement ne s’obtiendra que par l’action directe, physique et violente : ils ne font plus confiance aux mots vides des discours. Le narrateur participe également de ce constat en ridiculisant tour à tour la rhétorique poussive de la droite : « Ils élevaient les mots du fascisme comme de grands masques magiques[22] », puis celle de la gauche, devenue futile à cause de la fébrilité des partisans :

Il n’y avait donc pas eu un seul bavardage, un seul cri vain ; même les métaphores des socialistes qui ressemblaient à des pintades poussiéreuses trouvaient un contenu. Tous les mots s’étaient adressés à des hommes qui ne cherchaient dans les discours que des ordres exigeants, qui ne s’étaient rassemblés que pour combattre[23].

Entre le sang et l’encre, entre l’action et les mots, les militants ont choisi, à l’instar de Gilles, l’option la plus concrète : celle que le narrateur de ce roman à thèse appuie avec insistance sans guère se soucier d’estomper ses larges traits, ni ménager quelque place à l’implicite.

La décadence française « expliquée » ou la fonctionnalisation de poncifs antisémites

L’une des stratégies argumentatives du roman à thèse consiste notamment à mettre en scène des personnages-outils qui, logiquement, soutiennent le point de vue du narrateur en appuyant l’exemplum[24] ou alors en le contredisant d’une manière irrecevable. Dans Gilles, la fonction de ces personnages secondaires se révèle la plupart du temps d’une limpidité étonnante. En fait, la présence du protagoniste est à ce point envahissante que tous ceux qui gravitent autour de lui deviennent autant de faire-valoir. Point de convergence de son univers chaotique, il constitue le « foyer évaluatif [25] » par lequel est diffractée presque toute l’information du roman, réduisant ceux qui le fréquentent à l’état de satellites. Leur rôle se fonctionnalise d’ailleurs au fur et à mesure que les critiques sous-jacentes se métamorphosent en véritable cri pamphlétaire.

Parmi les personnages juifs qui sont présentés par le narrateur, c’est Myriam qui a le profil le plus fouillé, nuancé et achevé (d’un point de vue strictement esthétique). Il s’agit également du seul personnage juif dont l’existence persiste au-delà de sa fonction démonstrative, c’est-à-dire après la première partie[26]. Il est vrai que l’épisode relatant la brève éclosion du désir entre Gilles et Myriam ainsi que l’échec prévisible de leur mariage couvre toute la première partie. Cela rend très périlleuse la caricature continue et exige du narrateur une maîtrise aiguë du clair-obscur. Bref, « La Permission » offre une description dialectique de Myriam, sans jamais que le narrateur laisse transparaître clairement ses intentions. Dès sa première apparition, Myriam est décrite en focalisation interne du point de vue de Gilles, observateur passif. De cette évaluation se dégagent des éléments plutôt positifs :

Un visage s’avançait vers lui. Un visage lumineux. Tout y semblait vaste, parce que la lumière y régnait. Gros yeux, front découvert, prolongé par une chevelure d’un noir éclatant. Avec tout cela faisait contraste une bouche épaisse, sombre, qui était comme une allusion enfantine à la volupté. Ce ne fut qu’au bout d’un moment que Gilles perçut que sous ce visage il y avait un corps, un corps frêle. Le buste était délicat, les jambes fines[27].

Rappelons-nous que la seule chose qui attire Gilles chez les Falkenberg est le miroitement de l’argent qu’il pourrait leur soutirer : il en manque atrocement pour faire la noce au « pays des femmes[28] » et, puisqu’il a connu les deux fils Falkenberg avant qu’ils ne meurent au front, il doit tirer profit de la souffrance de la famille récemment endeuillée. Il ne s’attend donc pas de trouver, là où tout respire la richesse, un charmant visage et le désir, voire l’amour. L’apparition inattendue de Myriam dans l’environnement ordonné et austère de l’appartement agit à la manière d’une illumination sur Gilles, qui admire simplement la beauté d’une jeune fille sans jamais qu’intervienne le critère ethnoreligieux. Cependant, cette appréciation initiale d’une apparente neutralité couvre une critique féroce de la féminité [29] et de la judéité, expédiée en quelques caractéristiques archétypales. Voici comment, quelques pages à peine après avoir été « cloué par le désir[30] » à la seule vue de Myriam, il se laisse aller à un commentaire où commence à poindre la misogynie dont il fera étalage dans tout le roman :

Elle était attirée par la virilité ; par une fausse conséquence, elle s’attacha à l’une de ses maîtresses, esprit sec, qui lui prêcha le féminisme, la forme la plus fâcheuse de la prétention moderne. Cette demoiselle Dafre eut l’influence la plus pernicieuse sur Myriam. Laide à faire peur, elle lui offrait des maximes d’austérité et de solitude comme si Myriam devait être laide aussi. Alors que son visage commençait à être visité par la lumière, Myriam, par imitation, se tenait mal, s’habillait mal ; elle ignorait les grâces, les plaisirs, les élans de la coquetterie[31].

Dans ce passage, on remarque que la relative neutralité préconisée dans la première description de Myriam se voit sérieusement entamée par les jugements lancés par le narrateur, dont le ton camoufle plutôt mal sa position réactionnaire. En fait, le propos sous-entendu par cet extrait déborde sensiblement du cadre d’une critique primaire dirigée contre la volonté d’émancipation des femmes, car ici c’est surtout la perméabilité du fin esprit de Myriam aux choses de l’intellect et son intérêt pour les hautes sphères du savoir qui sont raillés. Or, ces deux caractéristiques s’inscrivent parmi les multiples doléances exprimées par la droite à l’égard des sorbonnards, des polytechniciens, des normaliens, des hommes d’affaires et, bien entendu, des juifs[32].

On devine déjà que, pour Drieu, la figure du cérébral pur, étranger aux besoins de son corps, syncrétise toutes les activités intellectuelles, et que le meilleur représentant de cette classe ne peut être autre qu’un juif. Bien que Gilles apparaisse au départ comme un personnage naïf, provincial et peu expérimenté — le narrateur écrit qu’il « n’avait jamais connu de Juifs avant les fils Falkenberg[33] » —, quelques chapitres suffisent à convaincre du contraire. L’éducation lacunaire et remplie de préjugés physiologistes dont l’a nourri Carentan, son tuteur, s’immisce subtilement dans les réflexions de Gilles ou alors affleure dans l’un des nombreux espaces du texte où le locuteur reste difficile à identifier. On remarque ce procédé d’insertion, par exemple, dans cette formule qui sert à « circonscrire » la personnalité de Myriam et des juifs en général : « Dans son milieu, on ignorait toute expérience physique : que ce fût le sport, l’amour ou la guerre[34]. » Donc, bien avant que Carentan n’apparaisse dans le récit autrement que par la médiation (c’est-à-dire seulement au chapitre 12), le narrateur insère çà et là divers poncifs physiques relatifs aux juifs.

Toutefois, malgré la culpabilité ressentie par Gilles à l’idée d’épouser Myriam pour sa fortune et la répulsion qui l’empêche d’avoir des relations sexuelles avec une intellectuelle bavarde, la pertinence du critère religieux dans l’échec programmé de leur mariage est évoquée relativement tard. En effet, Gilles aborde la question de front pour la première fois au cours d’une discussion avec Ruth, amie de sa fiancée et juive pratiquante, qui lui dit qu’on « doit se marier entre personnes de la même religion[35] ». Il s’agit ici d’une habile tentative de manipulation de la fonction évaluative du lecteur. C’est d’ailleurs à partir de cette remarque empreinte d’un conservatisme étroit que Gilles commence à considérer le « facteur juif », concept encore indéfini (et qui le restera évidemment), pour expliquer la distance physique qui le sépare de Myriam, comme si l’aspect ethnoreligieux ne lui avait jamais effleuré l’esprit auparavant :

Gilles se demanda soudain avec une violente curiosité ce qu’il pensait du fait que Myriam était juive, et quel rôle ça avait joué dans leurs rapports. Il sentit avec étonnement que ça avait joué un rôle [...]. Dire qu’il ne l’aimait pas était vague. Il regardait avidement Ruth comme si elle allait lui fournir cette raison. Elle lui en fournissait une. Myriam était juive. Qu’est-ce que c’était que d’être juif [36]  ?

Ici, en conjonction avec l’opinion que Ruth vient tout juste d’énoncer, plusieurs subtilités stylistiques visent à souligner que l’indifférence manifestée jusque-là par Gilles à l’égard de la judéité de Myriam s’est métamorphosée en un intérêt ambigu, en solution à sa désaffection. Les adverbes « soudain » et « avidement » marquent sa surprise et l’urgence d’obtenir une explication. Ces adverbes, le narrateur les appuie à l’aide d’une détermination préposée frappante, « violente curiosité », qui accentue l’intensité de la surprise, et une construction quasi passive (« Il sentit avec étonnement »), qui l’installe une fois de plus dans la position d’impuissant spectateur de ses propres réactions. Cette accumulation de procédés rhétoriques culmine au moment où Gilles, qui cherche désespérément à comprendre pourquoi il ne désire pas Myriam physiquement, décide d’adopter la position de Ruth, tout en laissant entendre par la question finale qu’il n’y adhère pas vraiment[37]. C’est donc a posteriori et, surtout, après divers louvoiements que l’incompatibilité physique entre Gilles et Myriam trouve son ersatz d’explication dans la judéité de la fiancée[38].

Il nous faut toutefois avouer que Drieu n’use pas toujours de méthodes aussi « nuancées » lorsque vient le temps de décrire les autres figures juives du roman. À côté d’un personnage complexe et fuyant comme Myriam, Drieu introduit Rébecca, Preuss et Cohen, dont l’importance se révélera bien davantage fonctionnelle que fictionnelle. En effet, ces personnages n’occupent dans leur partie respective qu’un espace textuel minime, strictement réduit à leur rôle instrumental. À la manière d’un leitmotiv lancinant, ils ponctuent, voire structurent la trame de Gilles. En tant qu’élément narratif participant à l’argumentation sous-jacente, l’instance du juif trouve dans chaque partie le support actanciel nécessaire à son actualisation, si bien que son image se construit et se codifie par touches successives : dès le moment qu’un personnage juif entre en scène, la mécanique évaluative du narrateur se met en marche, univoque et essentiellement pamphlétaire.

Que Preuss soit un personnage masculin ne modifie en rien le discours du narrateur sur les juifs. Son existence romanesque n’est assurée que par des portraits schématiques et lacunaires esquissés hic et nunc par un caricaturiste pressé, comme si toute description porteuse de la moindre nuance avait pu en altérer le potentiel persuasif. En fait, le narrateur le dote d’une personnalité encore plus mince et diffuse que celle qu’il attribue à Myriam et à Rébecca[39], ce qui accentue encore davantage leur fonctionnalité. Si on aborde le cas de Preuss, instrument dont l’utilité téléologique s’avère plutôt difficile à cerner, selon les clés sous-jacentes au roman, il servirait à régler des comptes avec l’ancien ami de Drieu, l’écrivain et journaliste Emmanuel Berl. Bien que le temps ait embrouillé la plupart des références autobiographiques de Gilles, il reste qu’un roman d’une telle ampleur devrait conserver une cohérence interne autonome[40]. Or, Preuss semble n’occuper aucune position actancielle importante dans l’économie de Gilles, hormis celle d’aide-mémoire juif. Journaliste sans passé surgi de nulle part, Preuss s’associe à Gilles et à Lorin, marxiste dogmatique et ridicule, pour tonner dans L’Apocalypse contre le régime décadent de la IIIe République. Le premier portrait que le narrateur tire de Preuss se révèle très éloquent, en ce qu’il signale implicitement où se situe Gilles dans son cheminement idéologique et jusqu’à quel degré d’hypocrisie il est prêt à s’abaisser pour mener à bien son attaque contre le parlementarisme républicain. Le physique de Preuss est, bien entendu, la première cible visée :

Preuss était le Juif le plus désarticulé, le plus disparate, le plus inconvenant qui se soit jamais produit en terre chrétienne. Partout où il apparaissait, le désordre insensé de ses membres, de ses vêtements et de ses propos produisait un petit tourbillon de plus en plus rapide et écoeurant qui fascinait tous les chrétiens ou aryens et les réduisait en peu de temps à une complète hébétude[41].

Dans ce passage, la technique descriptive de Drieu emprunte une nouvelle voie pour parvenir à ses fins. Au lieu de persister dans l’approche univoque du juif, méthode utilisée pour présenter Rébecca, la description s’oriente plutôt vers l’accumulation oppositionnelle de fausses nuances et de métaphores floues, en vue de produire un brouillage constant de l’image de Preuss. Il est né en terre chrétienne, mais son physique demeure « enchaîné » à son passé juif ; il est comparé à un fascinant « petit tourbillon » de gestes et de paroles, mais n’en cause pas moins un certain haut-le-coeur chez les gens qui le reçoivent, où il fait de toute façon figure d’invité qu’on tolère, voire d’intrus. Plus loin, bien que Preuss écrive toujours dans L’Apocalypse et qu’il fréquente les mêmes milieux politiques que Gilles et Lorin, on remarque que sa façon particulière d’écumer les salons dérange de plus en plus les collaborateurs de la revue :

Preuss, tirant derrière ses paroles son corps veule et désordonné, le veston mal accroché à ses épaules déclives, la cravate en déroute, éjaculant des postillons et des mégots, était à son affaire et trottait partout, jacassant, approuvant l’un, puis approuvant l’autre ; désapprouvait le second quand il retrouvait le premier[42].

Ici, le narrateur poursuit avec la même verve la caricature amorcée plus tôt et relie quasi explicitement les simagrées clownesques de Preuss à la judéité du personnage. De nouveau, on assiste à un étrange télescopage de concepts relativement éloignés l’un de l’autre : « corps veule et désordonné », « éjaculant des postillons et des mégots ». Bien sûr, la portée réelle de ces raccourcis stylistiques va bien au-delà de la métaphore ou de l’ellipse surprenante. Comment un corps peut-il être désordonné ? Quelle acception doit-on accorder au verbe « éjaculer », si ce n’est la sexuelle ? Étrangement, Gilles s’étonne de ce que Lorin, pourtant marxiste, haïsse Preuss. Alors qu’on serait en droit de lire un point de vue en harmonie avec cette surprise, Gilles ajoute toutefois ce commentaire d’un nihilisme cinglant, sans pour le moins du monde camoufler son antisémitisme de plus en plus saillant :

Pourtant, il est de la même espèce que ton Marx et ton Freud […]. Il doit y avoir, dans le rôle des juifs, une nécessité biologique pour qu’on retrouve ainsi toujours leurs mots dans la salive des décadences. Il pensait : « Bien sûr. La veine créatrice étant épuisée chez les Européens, la place est ouverte pour la camelote juive. »[43] 

L’acharnement ponctuel de Drieu sur la transmission génétique des caractéristiques juives nous autorise à inférer le troisième terme, élidé, de l’énumération citée plus tôt. Sous-entendu dans la description, ce terme devient manifeste à la lumière de la réflexion de Gilles au sujet de la « camelote juive » : Preuss ne fait pas qu’éjaculer des cigarettes moribondes et parler dans un indescriptible poudroiement d’écume, il porte en lui une semence perçue par Drieu et d’autres écrivains de droite comme corrompue et nuisible[44].

Après avoir attaqué le physique de Preuss et son attitude protéiforme dans les milieux mondains (bien qu’elle soit somme toute assez semblable à celle de Gilles), le narrateur se lance, dans le tableau final de son triptyque, à l’assaut de son intellectualisme de façade. Il déconstruit et condamne le caractère foncièrement brouillon et alambiqué de la pensée du personnage, laquelle ne constitue, en quelque sorte, qu’une transposition du domaine physique à l’intellectuel :

Quant à Preuss, clair, voire élégant dans chacune de ses phrases, il était inapte à mettre de la cohérence entre les moments de sa pensée. Il allait en tout sens, changeant de principes comme de tactique, se référant successivement à toutes les philosophies, condamnant et consacrant tour à tour tous les hommes et tous les systèmes politiques, tout cela d’ailleurs à travers les analyses extrêmement fines et brillantes de l’actualité, pour revenir toujours au conservatisme radical le plus étroit. Les Juifs restent stérilement fidèles à 89, qui les a sortis du ghetto. Il avait plus de talent que Lorin et encore moins de substance[45].

Ainsi, en trois portraits grinçants, le rôle de Preuss dans la symbolique de Gilles est fixé. Le narrateur cherche à le présenter comme un étrange bouffon débarqué « en terre chrétienne » par hasard, comme un juif sans autre opinion que celle des autres et, qui plus est, incapable d’articuler un discours cohérent. Les fausses nuances qui servent à décrire Preuss revêtent un caractère à ce point contradictoire qu’il devient impossible de considérer le personnage sérieusement. Il fait preuve d’une ouverture d’esprit considérable, mais reste incapable de profiter de sa brillante culture livresque et ne se risque jamais hors de la structure circulaire de sa pensée. Bref, Preuss n’est que poudre aux yeux, un ornement romanesque destiné à maintenir l’attention du lecteur concentrée sur le juif, afin d’ajouter du poids à l’argumentation de Gilles. Par conséquent, Drieu invite à conclure qu’un homme tel que Preuss s’avère inutile à la régénération physique et intellectuelle de la France, voire qu’il constitue l’une des sources de la décadence dont elle souffre ! Devant de telles tactiques narratives, le lecteur peut réagir de plusieurs façons. Soit il acquiesce (ce qui pouvait très bien être le cas en 1939), soit il interrompt sa lecture (si ce n’était déjà fait), ou alors il rejette l’argument de Preuss comme plus tôt il avait invalidé celui de Myriam.

Cette étude a clairement souligné l’importance de l’argument antisémite, soit l’élément idéologique le plus irrecevable de Gilles, pour soutenir la thèse de la décadence française. Nous avons bien sûr perçu çà et là les caractéristiques essentielles du roman à thèse, mais puisque Drieu expose davantage ses humeurs que d’abstraits dogmes politiques, son roman ne saurait constituer l’actualisation la plus pure du genre, qu’il transcende largement. En fait,

[c]ette intériorisation de l’aveu collectif et la reconnaissance de la responsabilité personnelle dans le scandale national sont beaucoup plus émouvants que la recherche manichéenne d’un bouc émissaire, et c’est par là que Gilles échappe à l’esthétique simpliste du roman à thèse ou du moins qu’il prend une autre dimension : celle de l’authenticité[46].

Évidemment, déjà en raison du cynisme intégral et des palinodies politiques du protagoniste, qui à elles seules l’écartent des voies de l’exemplarité, Gilles s’affranchit d’une des contraintes du roman à thèse. Autrement dit, un personnage tel que lui, jouisseur cynique obsédé par la mort, ne saurait défendre quelque thèse que ce soit de façon adéquate, à plus forte raison celle qui est avancée par Drieu. Néanmoins, malgré le rôle central qu’il occupe dans l’argumentation antisémite, Gilles n’est pas qu’un personnage-outil (comme Myriam et Preuss), pas plus qu’un simple vecteur de l’idéologie réactionnaire. Si désabusé qu’il soit, Gilles recherche tout de même sans relâche un principe structurant, un objectif à atteindre pour donner un style, voire un sens à sa vie. C’est d’ailleurs cette apparence de parcours initiatique qui nous laisse croire à une fusion de genres difficilement conciliables, soit le roman à thèse (du moins sa structure essentielle), le Bildungsroman (dans une version dévoyée) et la confession. Car si Gilles n’offrait au lecteur contemporain que l’unique facette du roman à thèse antisémite, son esthétique ne comporterait aucune ambiguïté et il deviendrait aussi insupportable à lire que n’importe quel pamphlet haineux. Or, nous l’avons mentionné à maintes reprises, Gilles est un roman de tiraillements, une oeuvre protéiforme qui résiste à toute tentative de systématisation.

N’allons cependant pas affirmer que les épisodes fonctionnalisés mettant en scène le groupe Révolte (double des surréalistes) ainsi que les attaques répétées contre l’« éternelle décadence », dont les boucs émissaires les plus caricaturaux se concentrent dans l’instancejuive constituée par Myriam, Rébecca, Preuss et Cohen, ne participent pas à l’élaboration d’un discours pamphlétaire redoutable. En fait, selon Michel Winock, la somme de tous ces éléments fait de Gilles l’« un des romans les plus antisémites du patrimoine français[47] ». À ce sujet, rappelons tout de même que la censure dont la première édition de Gilles fit l’objet (1939) n’était nullement liée aux remarques antisémites qui y sourdent, mais plutôt aux attaques dirigées contre Breton et Aragon (Caël et Galant) et les autres « clés » du roman (Clérences / Gaston Bergery, Rébecca / Elsa Triolet, Preuss / Emmanuel Berl, Berthe Santon / Christiane Renault). En outre, « [r]épétons-le : avant Hitler, rares sont ceux qui voient dans l’antisémitisme une doctrine de mort. Pour bien des gens de gauche, les antisémites étaient des imbéciles ; ils n’étaient pas des bourreaux en puissance[48]. » Sans doute l’argument de la judéité des personnages pouvait-il encore en 1939 servir « efficacement » la thèse défendue par Drieu sans trop créer de remous, et ce, même chez l’éclectique éditeur Gaston Gallimard[49]. D’ailleurs, le peu d’écho que rencontrèrent dans la presse les clichés antisémites utilisés par Drieu montre leur prégnance dans le discours social sous la IIIe Répuplique : quarante ans après l’affaire Dreyfus, la droite ressassait encore les mêmes vieilles plaisanteries...

D’après les projets de Drieu, Gilles se voulait le bilan spéculaire de toutes les oscillations idéologiques et artistiques de l’entre-deux-guerres, surtout des siennes. Et puisque Drieu a goûté aux -ismes les plus divers (dadaïsme, surréalisme, socialisme, fascisme, communisme et hindouisme), il est tout à fait normal que la narration dans Gilles passe sans transition du sublime au repoussant ou qu’elle greffe une esthétique morcelée, étrangement moderne, au genre suranné du roman à thèse, voire au Bildungsroman[50]. Il va de soi qu’en isolant toutes ces données incriminantes, la présente étude ne visait nullement la réhabilitation de Drieu, ni son absolution. Il ne s’agissait pas non plus de banaliser son engagement politique, si commun que fût cet aveuglement dans les années 1930, ni de le décharger de la responsabilité historique qui lui incombe : s’il n’a jamais appelé publiquement au meurtre, comme le fit son confrère Brasillach, le nihiliste que fut Drieu s’est tout de même « sali les pieds », ce qui lui refuse toute compassion. Mais contrairement à d’autres, il aura au moins eu la conséquence intellectuelle de céder à la pulsion de mort qu’il avait mise au service du fascisme. De toute façon, s’en fût-il sorti au procès qu’on lui préparait, Drieu eût sans doute connu une fin aussi sordide que Denoël, l’éditeur des trois pamphlets antisémites de Céline, assassiné en pleine rue après la Libération. Dandy jusqu’en sa dernière heure, Drieu a scénarisé son suicide, s’est réservé un « élégant » départ, car il savait la justice des boulevards infiniment moins noble que celle qu’on s’inflige à soi-même.