Débats

« Le texte littéraire est-il par nature de mauvaise foi ? »Maxime Decout, En toute mauvaise foi. Sur un paradoxe littéraire, Paris, Les Éditions de Minuit (Paradoxe), 2015.[Notice]

  • Jean-Paul Sermain

Ce livre paraît dans la collection « Paradoxe » des Éditions de Minuit où il rejoint les nombreux livres de Pierre Bayard et de William Marx, et il se nourrit du premier. Il est subventionné par l’équipe de recherche Alithila de l’Université de Lille 3 : la provocation est donc mise sous l’égide de l’université, et la gratuité invoquée est relative ; l’auteur s’est en effet qualifié par ses recherches sur les écrivains juifs de langue française du XXe siècle. Le mot paradoxe figure aussi dans le sous-titre de l’ouvrage et le titre lui-même le résume : alors que la mauvaise foi a un sens négatif, désigne une attitude où la tromperie de l’autre passe par la tromperie de soi, une conscience donc obscure et nuisible, Maxime Decout a décidé d’en faire l’essence de la littérature, ce qui la distingue éminemment des autres types d’énoncés, et qui en ferait tout le prix. Le paradoxe qui s’oppose au sens commun entend éclairer ce que celui-ci cacherait par paresse, comme en proie aux fausses évidences, et il entend aussi, en ébranlant les certitudes, agir comme le levain des idées nouvelles célébré par Diderot. Après une introduction qui laisse s’épanouir la provocation, le livre définit dans les deux premiers chapitres le propos général, en retenant dans le premier ce qu’elle représente (« la littérature : une machine à fabriquer des mauvaises fois »), et dans le second ce qu’elle est elle-même (« de la littérature considérée comme un art de la mauvaise foi ») ; puis il dénonce la volonté de rechercher la vérité et de la dire (« la sincéromanie »). Le chapitre suivant montre la nécessité de l’insincérité ; le dernier chapitre utilise le paradoxe du menteur pour enchanter le mensonge (qui avait pourtant été soigneusement distingué de la mauvaise foi) ; un épilogue propose de lire l’histoire de la littérature française (XVIIe-XXe siècles) dans la perspective de la mauvaise foi. Maxime Decout s’appuie sur la définition que Sartre a élaborée de la mauvaise foi, pour la combattre dans une théorie de la liberté et de l’engagement, qui vaut dans le champ littéraire, dans le champ politique et pour chacun dans son existence. Maxime Decout en adopte parfois la teneur métaphysique dans ses analyses, mais s’en tient parfois à un sens plus simple et plus commun. La difficulté et l’intérêt d’une telle proposition tient à sa nature paradoxale, à la difficulté de saisir, donc, un fonctionnement contradictoire de l’esprit. L’auteur éprouve une grande difficulté à respecter sa distinction entre mauvaise foi et mensonge. Maxime Decout entend considérer les quatre siècles de la littérature française à l’aune de ce concept et en offre à son tour une défense contre les exigences de vérité propres aux sciences ou d’informations utiles propres à la vie courante. Le discours de la littérature n’est pas franc – car ce qu’elle dit est complexe –, n’est pas suspendu à une vérification ou une décision (c’est le domaine de l’éloquence) et vaut par les réflexions qu’il fait naître en incitant à des démarches herméneutiques : le texte littéraire vaut par cette démarche. Toujours en porte-à-faux, toujours indirect, toujours dérivant. Le propos de Maxime Decout est général, mais il est assez attentif à la singularité des textes et des expériences littéraires pour ne pas considérer spécifiquement des moments, des auteurs, des genres : la mauvaise foi universelle de la littérature se monnaie en cas particuliers, appréhendés par des lectures et des exemples. Ils dépendent de la bibliothèque particulière de l’auteur et donc certains titres rapidement évoqués peuvent ne rien dire à un autre lecteur, mais …