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Introduction

La notion de service écosystémique a été définie en 2005 dans le cadre du Millenium Ecosystem Assessment (MEA) comme « les bénéfices que les hommes tirent des écosystèmes ». Depuis lors, l’évaluation, la spatialisation et la cartographie des services écosystémiques se sont répandues, sous l’impulsion de politiques scientifiques internationales, telles que la plateforme « Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services » (IPBES, 2017) ou européennes, tel que le programme « Mapping and Assessment of Ecosystems and their Services » (MAES) (BISE, 2017). La spatialisation et la cartographie participent d’un processus de transcription de la notion dans le champ des politiques environnementales. Cette logique a été précisément exposée par Arnaud de Sartre et al. (2014) dans l’ouvrage collectif « Politcal ecology des services écosystémiques » : les services écosystémiques ont vocation à produire des normes pour gouverner. En France, ils sont au programme du Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer qui a engagé à partir de 2012 une « évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques » (Efese). L’un de ses objectifs « vise à construire des outils robustes et cohérents pour que les enjeux de protection et de conservation des écosystèmes et de la biodiversité soient perçus par l’ensemble des acteurs » (MEEM, 2017). Dans le même temps, les services écosystémiques continuent d’être un objet d’étude important dans des programmes de recherche à l’échelle internationale. Il y a désormais une vocation affirmée d’aide à la décision publique. C'est le cas par exemple du programme soutenu par l’Union européenne « Operational Potential of Ecosystem Research Applications » OPERAs (2017) : « the project seeks to help stakeholders to apply the ecosystem services and natural capital concept into practice ». Nous avons eu l’occasion d’expérimenter ce cadre de recherche lors d’un séjour scientifique de trois mois au sein du laboratoire de géographie de l’environnement de l’Université Vrije Amsterdam aux Pays-Bas, impliqué dans le projet OPERAs. Les chercheurs en géographie y développent notamment des modèles visant à spatialiser les services écosystémiques. L’occasion nous a été donnée de tester l’application de ces modèles de spatialisation des services écosystémiques dans le contexte périurbain de la ceinture verte de la Région Île-de-France. Les services écosystémiques ne fondent pas encore de politiques à l’échelle de cette institution régionale, mais ils constituent l’un des enjeux de la préservation de la trame verte et bleue au sein du Schéma Régional de Cohérence écologique (SRCE) en lien avec la notion de multifonctionnalité. En ce sens, l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Île-de-France (IAU) a publié en 2011 une synthèse à l’attention des décideurs portant sur la multifonctionnalité de la trame verte et bleu en secteurs urbains et périurbains dans laquelle la notion de service écologique est mobilisée pour appuyer la préservation de la biodiversité, notamment végétale (David. 2011). Sans préjuger des développements qui seront proposés à l’avenir par les acteurs régionaux, il nous a semblé pertinent d’évaluer le niveau de concordance des cartes issues de la modélisation de services écosystémiques avec des observations floristiques et paysagères de terrain. Malinga et al. (2015) ont en effet montré que la plupart des évaluations de services écosystémiques concernent des échelles municipales, assez fines donc (1 hectare), et qu’elles ont en outre recours à des données et des modèles généralistes pour ce faire. L’hypothèse est donc posée que ces méthodes classiques de spatialisation de services écosystémiques sont à même de produire des erreurs assez importantes dans le contexte paysager hétérogène de la ceinture verte (Roussel, 2016). Il s’agit ici de mieux comprendre les décalages encourus en prenant appui sur la végétation sur le terrain et les communautés végétales qui la constituent. L’espace périurbain et la végétation qui le caractérise sont un champ encore peu exploré de mise en application des modèles existants

Nous avons tout d’abord recours à une méthode de cartographie fondée sur des indicateurs indirects (en anglais « proxy-based »), à savoir la matrice d’évaluation des services écosystémiques développée par Burkhard et al. (2012) qui repose sur les connaissances scientifiques appliquées aux catégories d’occupation du sol de la base de données CORINE Land Cover (CLC). Ensuite, nous faisons appel à des indicateurs directs (qualifiés de « phénoménologiques » par certaines études (Lavorel et al., 2017)), relatifs à des mécanismes biophysiques modélisés, sous-jacents aux services écosystémiques considérés. Sept ont été retenus : cinq correspondent à des services de régulation (climat, qualité de l’air, érosion, inondations, pollinisation), un correspond à un service d’approvisionnement (l’accès à la nourriture sauvage pour les populations humaines), un dernier s’inscrit dans le champ des services culturels (les activités récréatives). Ces services sont choisis pour leur pertinence dans un contexte périurbain, mais aussi en raison de leur mise à disposition lors de notre séjour scientifique au sein de la Vrije Universiteit d’Amsterdam. Pour chacun de ces services et pour les deux méthodes, des valeurs ont été extraites via un SIG à partir de 252 sites où nous avons par ailleurs réalisé des relevés botaniques. De manière à faciliter la comparaison des observations, nous procédons à trois classifications ascendantes hiérarchiques (CAH) de ces sites, selon les trois types de données : indicateurs directs, indicateurs indirects, données botaniques. Cette notion d’assemblage de services nous permet de nous concentrer sur des typologies. Nous apprécions ensuite la concordance des typologies en observant la présence d’un même site dans des types différents, similaires ou non quant à leur signification spatiale et floristique. Avec cette classification, nous observons des communautés végétales d’une part, et des assemblages de services écosystémiques d’autre part, contrairement à d’autres études comparatives qui se sont focalisées sur des services écosystémiques séparément (Eigenbrod et al., 2010 ; Schulp et al., 2014a). Cela nous paraît davantage pertinent dans un contexte où les politiques locales tendent à considérer des espaces fournissant une diversité de services et non des services séparément.

Une première partie sera l’occasion de présenter les terrains d’étude retenus, les méthodes propres à la cartographie des services écosystémiques ainsi que nos choix méthodologiques pour évaluer la concordance entre les cartes de services écosystémiques et la végétation sur le terrain. Une deuxième partie nous conduira à présenter les résultats de ce travail en exposant tout d’abord les typologies, avant de les mettre en regard les unes des autres. Enfin, dans une troisième partie nous discuterons des limites soulevées par la spatialisation des services écosystémiques qui se heurte en pareil contexte à la diversité spatiale, paysagère et floristique des territoires.

1. La spatialisation des services écosystémiques face à la végétation : enjeux méthodologiques

1.1 Des terrains d’études représentatifs de la diversité spatiale de la ceinture verte

Notre zone d’étude concerne la ceinture verte autour de l’agglomération parisienne telle qu’elle a été définie par la Région Île-de-France (figure 1). La ceinture prend la forme d’un anneau d’une vingtaine de kilomètres d’épaisseur qui couvre 2662 km2 soit 22 % du territoire francilien. Contrairement à d’autres ceintures vertes en Europe comme à Londres ou Berlin (Alexandre et Génin, 2014 ; Amati, 2008), le projet de ceinture verte ne s’est jamais vraiment matérialisé en Île-de-France. S’il continue d’être présent dans les documents d’aménagement régionaux, l’espace qu’il désigne est marqué par une fragmentation spatiale et paysagère importante, entre ville et campagne. Pour en rendre compte, nous avons développé une méthode fondée sur l’emboitement des échelles du paysage telle que proposée par Michel Godron (Godron et Joly, 2008 ; Godron, 2012). Les principes de cette méthode ont été exposés par ailleurs (Roussel, 2016). Elle nous a conduits à identifier quatre catégories de contextes : des zones d’agriculture intensive directement au contact de la ville (i), des zones de massifs forestiers (ii), des zones de vallées le long desquels la ville s’est développée (iii), des zones où l’occupation du sol est marquée par une forte hétérogénéité (iv). Pour des raisons de temps, nous n’avons pas exploré quatre terrains d’étude, mais trois (Figure 1), tous situés à la limite immédiate de l’agglomération parisienne. Chacun de ces terrains couvre une superficie de 100 km2, en écho à l’échelle des types de paysages proposée par Godron. Un premier est centré sur la plaine de Pierrelaye au nord-ouest de l’agglomération parisienne et fait écho aux zones hétérogènes (iv) tout en incluant un massif forestier d’envergure régionale avec la forêt de Montmorency (ii). Un second terrain est situé en Plaine de France autour de la ville de Goussainville, au nord-est de l’agglomération non loin de l’aéroport Charles de Gaulle ; il se veut représentatif de la catégorie où domine l’agriculture (i). Un dernier terrain est situé en Vallée de Chevreuse ; il se veut représentatif des zones de vallées (iii).

Fig. 1

Figure 1 : situation des terrains d’étude en ceinture verte de la Région Île-de-France (F.Roussel, d’après la carte IGN TOP 100 Tourisme et découverte no 190 « Paris, Chantilly, Fontainebleau » de juillet 2011 et l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la Région Île-de-France)

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Ces trois terrains ont donné lieu à une cartographie à partir des données CLC de 2012 (Figure 2). Cette base de données cartographique à l’échelle européenne est au cœur des propositions de Burkhard et al. (2012) mais a aussi servi à l’élaboration de plusieurs indicateurs directs de services écosystémiques retenus ici (voir 1.3.3.). Les trois cartes de la figure 2 indiquent l’emplacement des relevés botaniques effectués et le type d’occupation du sol auquel ils correspondent dans la classification CLC.

Fig. 2

Figure 2 : Occupation du sol des trois terrains d’étude retenu d’après la nomenclature CLC de 2012 (niveau 2 – les couleurs ont été modifiées le cas échéant pour faciliter la lecture) ; les croix représentent l’emplacement des relevés botaniques réalisés en 2014 et 2015.

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1.2 Des données botaniques représentatives des arrangements paysagers

101 relevés ont été réalisés sur le secteur de Pierrelaye et ses environs (Figure 2, A), 51 en Plaine de France (Figure 2, B), 100 en Vallée de Chevreuse (Figure 2, C). Le nombre moindre de relevés en Plaine de France s’explique par la plus faible proportion d’espaces végétalisés dans un secteur dominé par l’agriculture intensive. La sélection des parcelles suit la logique de l’échantillonnage stratifié (Roussel 2016). Elle s’appuie sur l’emboitement des échelles du paysage. Au sein de grands types de paysages (10x10km) existent des paysages (1x1km) eux-mêmes composés d’éléments du paysage. Ces deux derniers échelons ont été identifiés par un travail croisé de photo-interprétation et de modelé numérique de terrain. Les relevés botaniques ont pris place dans des éléments du paysage représentatifs des paysages eux-mêmes constitutifs de grands types de paysages.

La méthode des relevés est dite de l’aire minimale (Daget et Godron, 1982 ; Kent, 2012) : nous prenons place au centre des parcelles puis nous relevons les espèces végétales en nous éloignant par cercles concentriques jusqu’à ne plus rencontrer de nouvelles espèces ou à atteindre les lisières de la parcelle, pour lesquelles la composition floristique change. Tous les types biologiques végétaux ont été collectés : ligneux ou herbacés, vivaces ou annuels. Les campagnes de relevés ont eu lieu entre mai et juillet 2014 et 2015 de façon à conserver le plus possible une homogénéité saisonnière de la flore.

Au total, 520 espèces ont été identifiées. Pour des raisons de représentativité statistique, nous avons considéré uniquement les espèces rencontrées au moins sur cinq sites (c’est à dire dans plus de 2 % des cas) soit 288 espèces. Espèces et sites ont été réunis au sein d’un tableau de contingence indiquant le chiffre 1 lorsqu’une espèce est présente en un site, 0 lorsqu’elle est absente.

1.3 La spatialisation des services écosystémiques : enjeux et méthodes

1.3.1 Services écosystémiques, modes d’occupation du sol et végétation, quelles relations ?

La plupart des évaluations de services écosystémiques s’appuient sur les données d’occupation du sol (Andrew et al., 2015 ; Martínez-Harms et Balvanera, 2012 ; Crossman et al., 2013 ; Egoh et al., 2012 ; Malinga et al., 2015). Cette donnée spatiale répond le plus souvent à une nomenclature générale : forêts, terres agricoles, prairies, espaces verts urbains etc. (Neumann et al., 2007). La composition végétale sur le terrain n’est alors jamais prise en compte pas plus que les modes de gestion dont cette végétation fait précisément l’objet. Le risque est réel de conclure in extenso à la présence de services écosystémiques alors que la végétation sur le terrain est assez éloignée au final des catégories généralistes employées au départ. Pareilles variabilités et incertitudes ont été démontrées à l’échelle européenne (Schulp et al., 2014a) et nationale (Eigenbrod et al., 2010, pour la Grande-Bretagne). Une autre marge d’erreur provient de la faible résolution des cartes employées (100 m dans le cas de la classification CLC), mal adaptée à des contextes spatiaux hétérogènes (Van der Biest et al., 2015), tels que les espaces périurbains.

Le lien entre services écosystémiques et végétation a été démontré par ailleurs, à l’échelle des plantes, mais aussi à l’échelle des communautés végétales (Díaz et al., 2007), donnant lieu, contrairement aux approches par l’occupation du sol, à des quantifications extrêmement précises et très localisées. Quelques études ont certes cherché à connecter ces études écologiques aux échelles paysagères (Homolová et al., 2014 ; Crouzat et al., 2015) mais la complexité et la quantité des données à prendre en compte, de même que la spécificité des espaces auxquelles elles se sont cantonnées – les pelouses d’alpage par exemple – rend, pour le moment, impossible la transposition à des échelles plus larges (Lavorel et al., 2011 ; Lavorel et al., 2017).

Les limites cartographiques inhérentes à ces deux approches sont particulièrement prégnantes dans le contexte de la ceinture verte, entre ville et campagne. Si ce type de contextes très anthropisés est moins mis en lumière d’un point de vue de la conservation de la biodiversité, il est constitué cependant de premiers espaces végétalisés au contact des villes, là où résident près de quatre millions d’habitants dans le cas de l’agglomération parisienne (Barbieri, 2002). Les espaces périurbains proches des villes ont été peu étudiés hormis quelques intrusions sur la question des services culturels récréatifs (Casado-Arzuaga et al., 2013). En revanche, de nombreuses recherches se sont focalisées sur la ville en elle-même (voir par exemple, Haase et al., 2014 ; La Rosa, Spyra, et Inostroza 2016 ; Alam, Dupras, et Messier, 2016). Les cartes de services écosystémiques produites dans ces contextes urbains ont recours à des types de couvertures végétales assez généraux (Tratalos et al., 2007 ; Larondelle et Haase, 2013) avec parfois des propositions plus affinées (Derkzen, van Teeffelen et Verburg, 2015 ; Lehmann et al., 2014 ; Holt et al., 2015).

1.3.2 La matrice de Burkhard : un modèle par évaluation indirecte

L’évaluation des services écosystémiques y est ici directement fondée sur les modes d’occupation du sol de la base de données européenne CLC à une résolution de 100 m, et sur les connaissances scientifiques accumulées pour chacun. Chaque mode se voit ainsi conférer un nombre de points de 0, aucune pertinence, à 5, pertinence très élevée. Cette méthode a été largement employée, car elle est facile à utiliser (Baral et al., 2013 ; Sohel, Ahmed Mukul, et Burkhard, 2015 ; Burkhard et al., 2015). Sa simplicité en limite cependant la portée au moment d’étudier des espaces particuliers (Van der Biest et al., 2015 ; Eigenbrod et al., 2010). Nous la considérons ici comme une première étape dans la spatialisation des services écosystémiques dans un contexte périurbain. La figure 2 permet de visualiser la position des sites de relevés botaniques dans le niveau 2 de la nomenclature CLC de 2012.

1.3.3 Des indicateurs directs fondés sur des paramètres biophysiques

Ces modèles directs ont été mis à notre disposition par le groupe de recherche en géographie de l’environnement de l’Université Vrije Uninersiteit d’Amsterdam qu’il a pour partie lui-même contribué à développer. Ils constituent un second niveau d’évaluation des services écosystémiques qui intègre des données spécifiques à chaque service. Tous ces modèles ont été développés à l’échelle de l’Union européenne. Nous en avons directement extrait les valeurs pour nos 252 sites sauf s’il nous était possible d’en affiner la résolution. Cela a été le cas pour le modèle relatif au stockage du carbone pour lequel nous avons fait passer la résolution de 1 km à 100 m, en intégrant les modes d’occupation du sol de la base de données CLC. Les résolutions sont donc variables, mais l’objectif est d’utiliser les valeurs les plus précises possibles.

  1. La régulation du climat renvoie au stockage du carbone. Ce service a été modélisé par Catharina J. E. Schulp, Nabuurs, et Verburg (2008). Les résultats sont exprimés en tonnes par hectare. Au départ réalisé à une résolution de 1 km, nous en avons décliné les résultats pour une résolution de 100m en utilisant les données CLC de 2012.

  2. La régulation de la qualité de l’air est évaluée par la quantité de dioxyde d’azote (NO2) absorbée par la végétation urbaine, en tonnes par hectare et par an (Lavalle et al., 2015). Le dioxyde d’azote est l’un des polluants principaux émis par les transports, les industries et les foyers.

  3. La régulation des inondations se réfère aux recherches de Stürck, Poortinga, et Verburg (2014). Ces auteurs ont défini un indice entre 0 et 1 à l’échelle du kilomètre pour l’Union européenne. L’indice intègre des variables environnementales telles que les types de bassins hydrographiques, les types de précipitation, l’usage des sols, la capacité du sol à retenir l’eau. L’indice prend aussi en compte une modélisation spatiale des ruissellements pluvieux.

  4. La régulation de l’érosion correspond à un facteur lié à la couverture des sols « C » (« cover management factor »), proposée par Panagos et al. (2015). Ce facteur est le ratio moyen de perte de sol par type d’occupation du sol, toujours selon CLC. Il est exprimé entre 0 et 1, 1 étant considéré comme l’état de base : une terre agricole nue, en pente.

  5. L’enjeu de la pollinisation a lui aussi fait l’objet d’une modélisation pour lequel nous retiendrons ici la probabilité de visite des insectes pollinisateurs, en pourcentage, tel qu’elle a été proposée par C. J. E. Schulp, Lautenbach, et Verburg (2014 b) en considérant la proximité des habitats favorables aux abeilles.

  6. Pour l’accès à la nourriture sauvage par les êtres humains, nous nous appuyons sur les propositions de C. J. E. Schulp, Thuiller, et Verburg (2014c). Les auteurs ont évalué le nombre de plantes comestibles et de baies à une résolution de 1 km. 81 espèces ont été identifiées comme étant utilisées par plus de quatre pays européens. Au total, 592 plantes ont été qualifiées de comestibles. Il faudrait certes confronter ces plantes à des pratiques avérées sur le terrain. À défaut, il s’agit donc d’évaluer des potentialités, nombre de ces espèces étant bien présentes en ceinture verte d’Île-de-France

  7. L’évaluation des activités récréatives est fondée sur les travaux de Verhagen et al. (2016) qui considère les opportunités de loisirs urbains en relation avec les modes d’occupation du sol, la distance au littoral, les caractéristiques forestières et la structure des paysages agricoles.

1.4 Comparer un degré de concordance à l’aide de typologies

Comparer les valeurs de chacun des sept services écosystémiques avec chacune des valeurs obtenues avec la matrice de Burkhard et enfin avec chacun des 252 relevés botaniques constitue une tâche d’une ampleur bien trop conséquente. Pour faciliter l’analyse, nous proposons des typologies pour chacune des trois approches. Ces typologies ont été obtenues grâce à la classification ascendante hiérarchique (CAH) à l’aide du logiciel SPSS (IBM® SPSS® Statistics 22). La CAH groupe progressivement les individus puis les groupements intermédiaires selon leurs similarités. Le premier niveau est constitué de 252 individus, le dernier niveau d’un seul et même ensemble. Entre les deux, la CAH livre à l’analyse une série de regroupements les plus homogènes possibles et de moins en moins nombreuse, sous la forme d’un dendrogramme ou arbre hiérarchique (Sanders 1989). Pour classer les sites, nous avons eu recours à la méthode de Ward qui minimise l’inertie au sein d’un même groupe et minimise ainsi la perte d’information pour chaque groupement. Elle permet d’obtenir une répartition la plus homogène possible des individus dans les types ainsi mis en évidence. Il nous est revenu d’arrêter la typologie la plus pertinente pour chacune des trois méthodes en nous appuyant sur les distances entre groupes telles qu’observées dans dendrogrammes produits par la CAH (Sanders, 1989).

Chacun de ces services étant exprimé dans une unité de mesure spécifique – pourcentages, indices entre 0 et 1, certaines avec des valeurs négatives, etc. – il a été nécessaire de procéder au préalable à une normalisation des valeurs. Pour ce faire nous avons eu recours à la fonction « Z score » du logiciel SPSS (« statistiques descriptives » dans le menu « analyse ») pour laquelle Z = (valeur – moyenne)/écart type. Les valeurs obtenues s’échelonnent de part et d’autre du 0, selon qu’elles sont au-dessus ou en dessous de la moyenne pour le modèle concerné. Ces valeurs normalisées sont plus simples à comparer et permettent de voir aisément quel service contribue à chaque type[1].

La classification des relevés selon le mode d’occupation du sol auquel ils renvoient dans la base de données CLC et le score que chaque mode obtient dans la matrice de Burkhard a donné lieu à une première typologie. Elle fait ressortir 2 types. La classification en fonction des résultats obtenus pour les sept services écosystémiques a donné lieu à une seconde typologie. Quatre types ont ici été retenus. Enfin, nous avons classé les 252 relevés selon les espèces végétales qui les composent (présence =1 ou absence = 0). Six types de communautés végétales ont été mis en évidence.

Pour effectuer le travail de comparaison entre les typologies, nous avons eu recours à l’indice de similarité de Jaccard qui mesure le nombre d’individus partagés par deux groupes dans deux classifications différentes sous la forme d’un indice compris entre 0, aucun point commun, et 1, similarité complète. Nous avons en outre comparé les valeurs moyennes obtenues par chacun des 12 groupes (2+4+6) dans les deux évaluations – indirectes et directes (Figures 3, 4, 5)

2. Des services écosystémiques en ceinture verte : tendances et contradictions

2.1. Propositions de typologies

2.1.1. Selon la matrice de Burkhard

Cette « matrice » est directement fondée sur la nomenclature établie par CLC (Burkhard et al. 2012). Il nous suffit ici de considérer le mode d’occupation du sol auquel chaque relevé appartient et de lui appliquer le « score » que Burkhard et al. lui confèrent. Deux types ont ici été mis en évidence (Tableau 1). Le premier type réunit 169 relevés soit toutes les modes d’occupation du sol à l’exception des forêts de feuillus. Ce type montre une capacité faible pour l’ensemble des services écosystémiques hormis pour les activités récréatives qui gardent une capacité moyenne (Tableau 1). Le deuxième type est uniquement constitué de relevés cartographiés comme étant des « forêts de feuillus ». Ce groupe concerne 83 relevés et présente une capacité moyenne à très élevée pour l’ensemble des services écosystémiques (Tableau 1, Figure 3).

Fig. 3

Tableau 1 : Services écosystémiques délivrés sur les parcelles étudiées selon la matrice de Burkhard (valeurs comprises entre 0 (aucune capacité) et 5 (capacité maximale)).

Tableau 1 : Services écosystémiques délivrés sur les parcelles étudiées selon la matrice de Burkhard (valeurs comprises entre 0 (aucune capacité) et 5 (capacité maximale)).

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La typologie met ici en évidence le rôle de la couverture forestière dans l’évaluation de services. La classe « forêts de feuillus » a en effet la capacité en services écosystémiques la plus élevée (score total de 32). Le mode « Surfaces essentiellement agricoles, interrompues par des espaces naturels importants » est loin derrière avec un score de 12. Le service « Activités récréatives » a de loin le plus de potentiel (score de 828) en ceinture verte de la Région Île-de-France. Il est suivi à bonne distance par « régulation des érosions » (568).

Fig. 4

Figure 3 : Valeurs moyennes des services écosystémiques au sein des deux types obtenus par classification des valeurs issues de la matrice de Burkhard et al. (2012)

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2.1.2. Selon les indicateurs directs

D’après la CAH appliquée aux valeurs extraites à partir des indicateurs directs, nos 252 sites se répartissent en quatre types. Pour mieux en évaluer la signification spatiale, nous les avons mis en regard des modes d’occupation du sol issus de la nomenclature CLC (Tableau 2).

Tableau 2 : occupations du sol (CLC) au sein de la typologie des services écosystémiques selon les indicateurs directs

Tableau 2 : occupations du sol (CLC) au sein de la typologie des services écosystémiques selon les indicateurs directs

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Le premier type rassemble 66 relevés mêlant divers modes d’occupations agricoles. Ces relevés obtiennent une réponse faible pour la plupart des services, excepté les activités récréatives et la régulation des inondations (voir figure 4). Les relevés qui le composent sont en majorité situés en Plaine de France (B) dans un contexte d’agriculture intensive. Ceux issus du secteur de Pierrelaye (A) et de la vallée de Chevreuse (C) relèvent également d’un contexte agricole. Le second type réunit 88 relevés. Il est un mélange d’espaces bâtis et de forêts et donne à voir un profil assez moyen en terme de services, hormis pour la régulation des érosions, assez élevée, et les activités récréatives assez basses (figure 4). Le troisième type concerne 51 relevés majoritairement situés dans des contextes de terres arables, hors de La Plaine de France (B). Ce type se démarque du premier par un meilleur potentiel en service, en particulier pour les plantes comestibles, la pollinisation et la régulation de la qualité de l’air. Ce sont des relevés de secteurs plus hétérogènes sur le plan de l’occupation du sol. Le dernier type, constitué de 47 relevés, est composé à une large majorité de forêts de feuillus et réagit donc positivement à la plupart des services écosystémiques (Figure 4). La typologie met une nouvelle fois en évidence le potentiel de la couverture forestière (Type 4) tout en révélant à l’inverse les moindres potentialités des contextes urbains (Type 2). Les zones dominées par l’agriculture constituent un troisième ensemble que la CAH nuance en différenciant des relevés situés dans des contextes d’agriculture intensive (Type 1) et d’autres situés dans des secteurs agricoles davantage mêlés à d’autres modes d’occupation du sol (Type 3).

Fig. 5

Figure 4 : Valeurs moyennes des services écosystémiques au sein de la typologie obtenue par classification des valeurs des indicateurs directs.

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2.1.3. Selon la donnée botanique

Cette troisième typologie a pour ambition de mettre en évidence des communautés végétales.

La classification ascendante hiérarchique (CAH) de ces données binaires livre différents niveaux de typologie possibles. Nous nous sommes appuyés sur la moyenne obtenue par chaque espèce (entre 0 et 1 donc) pour définir les types. Nous avons considéré les espèces présentes dans plus de deux tiers des cas (avec une moyenne de 0,67), de même que celles présentes entre un et deux tiers (moyenne > 0,33) ainsi que celles que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Nous avons pu ainsi identifier 6 types ; en deçà (n =4), les groupements sont trop vagues, au-delà (n =9), ils ne sont plus interprétables. Le tableau 3 désigne les espèces qui contribuent le plus à chacun de ces six types ainsi que celles spécifiques à chacun.

Tableau 3 : Typologie des communautés végétales

Tableau 3 : Typologie des communautés végétales

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Pour mieux cerner chaque type de communauté sur le plan des paysages qu’ils produisent, nous nous sommes appuyés sur les photographies de terrains des relevés concernés (voir Figure 6). Le paysage végétal par l’intermédiaire de la notion de formation se prête à des qualifications plus souples, pour lesquelles les espèces dominantes sont plus significatives.

Le type 1 rassemble une flore de milieux boisés dominée par le châtaignier et, en sous-bois, par la ronce bleuâtre et le chèvrefeuille. Sur les 57 relevés qui composent ce type, seuls quatre diffèrent d’un point de vue paysager et sont des clairières en contexte forestier. De jeunes individus de châtaigniers en peuplent la strate herbacée de même que des ronces bleuâtres. Ce type présente les valeurs les plus élevées en matière de services écosystémiques, quelle que soit la méthode (Figure 5).

Le type 2 réunit 39 relevés autour de deux espèces nitrophiles, anthropophiles, l’ortie dioïque et la benoîte commune, qui s’insèrent dans des petits boisements rudéraux à la strate arborée peu couvrante, des lisières boisées à la strate herbacée dominante, ou encore des zones ouvertes en voie d’enfrichement. À noter deux exceptions parmi ces relevés qui ne doivent leur présence dans le type qu’à l’ortie dioïque, le reste relevant purement de la prairie humide. Le niveau de service projeté à partir des deux méthodes de spatialisation y est moyen (Figure 5).

Le type 3 est également composé de 39 relevés. Les espèces que l’on retrouve dans plus des deux tiers des cas sont des herbacées, dont deux graminées, le dactyle aggloméré et le fromental, classiques des formations purement herbacées de type prairial, parfois pâturées. Là encore, nous retrouvons l’ortie dioïque comme marqueur, ainsi que le cirse des champs, également présent dans le type 5. Six relevés échappent à cet aspect prairial, prenant l’allure d’une haie entre parcelle herbacée et route ou chemin, ou bien de friches buissonnantes plus ou moins denses. La spatialisation par indicateurs directs présente un plus fort potentiel pour ce type de communauté végétale que les indicateurs indirects (Figure 5).

Le type 4 rassemble 54 relevés. Les espèces qui le caractérisent, érables sycomores, frênes pour la strate arborée, noisetiers et aubépines pour la strate arbustive, lierre, ronces bleuâtres, ortie dioïque et benoite commune pour la strate herbacée ainsi que la présence spécifique au groupe du fraisier à fleurs jaunes, désignent des formations arborées denses en contexte anthropisé (agricole ou urbain), le plus souvent des parcelles boisées privées, difficiles d’accès. Les deux méthodes de spatialisation donnent à voir un résultat moyen, une nouvelle fois (figure 5).

Le type 5 se compose de 50 relevés. Ce type présente le plus grand nombre d’espèces qui lui sont propres : la moutarde noire, la laitue sauvage, la matricaire odorante, la sabline à feuilles de serpolet, le réséda des teinturiers et dans une moindre mesure l’agrostide épi-du-vent, s’associent aux plus répandus bromes stériles, cirses des champs et armoises. Elles sont toutes adventices et donnent à voir des formations herbacées caractéristiques de situations de reconquête végétale en secteur agricole : parcelles en jachère, bas-côtés de chemins, friches. Les deux méthodes de spatialisation des services écosystémiques s’accordent sur le faible potentiel de ce type de communautés, excepté pour la régulation des inondations où l’indicateur direct se montre plus positif.

Le type 6 enfin réunit 13 relevés uniquement situés en Vallée de Chevreuse. Ils ont la particularité de réunir à côté d’espèces herbacées mésophiles telles le fromental, la houlque laineuse, l’ortie dioïque et le gaillet gratteron, des espèces hygrophiles telles que la salicaire, la reine des prés, l’épilobe hérissé ou encore la scrofulaire à oreillettes. Les formations qui en découlent sont celles de prairies humides parfois colonisées par les saules cendrés ou de bandes herbacées de bords de l’eau. Les deux méthodes de spatialisation sont ici en désaccord tant sur le potentiel que sur les services. Seule la valeur concernant le stockage du carbone coïncide ; pour le reste, les indicateurs directs donnent à voir des valeurs au-dessus de la moyenne, ou en dessous pour ce qui concerne la régulation des inondations (Figure 5).

Fig. 6

Figure 5 : Niveaux moyens de services écosystémiques pour les types de communautés végétales en fonction des deux méthodes de spatialisation (en rouge, par indicateurs indirects, en bleu par indicateurs directs)

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Fig. 7

Figure 6 : Planche photographique présentant les six types de communautés végétales identifiés et les paysages associés

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2.2. Résultats de l’évaluation de la concordance entre les trois typologies

2.2.1. L’évaluation par indicateurs indirects ou directs, quelles différences ?

Le niveau de concordance est faible entre les deux approches comme en attestent les deux colonnes les plus à droite du tableau 4 et les indices de Jaccard associés. La taille inégale des types explique pour partie ce différentiel : le type direct 1 est ainsi complètement inclus dans le type indirect 1 (66 sites), de même que le type direct 3 (48 sites sur 51). Il existe tout de même une logique : le type indirect 4 (forêt) est ainsi presque entièrement inclus dans le type indirect 2 (46 sites sur 47). De même, le type direct 2 qui mêlent occupations urbaines et forestières se sépare dans les deux types indirects.

Tableau 4 : table de contingence des 252 relevés répartis selon la typologie des SE fondée sur la matrice de Burkhard et la typologie des SE fondée sur les 7 indicateurs directs

Tableau 4 : table de contingence des 252 relevés répartis selon la typologie des SE fondée sur la matrice de Burkhard et la typologie des SE fondée sur les 7 indicateurs directs

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2.2.2. La matrice de Burkhard face aux types végétaux sur le terrain

En terme d’occupation du sol, le type indirect 2 a beau être homogène (forêt de feuillus), ces individus sont malgré tout dispersés dans la typologie végétale (Tableau 5). En outre, 49 sites catégorisés comme étant des forêts (13 issus du type végétal 1, 36 issus du type végétal 4) ne sont pas associés à ce type indirect forestier. Cette méthode reflète donc assez mal la végétation sur le terrain. La généralisation ou à l’inverse la perte d’information à laquelle conduit la cartographie des services d’après les modes d’occupation du sol issus de CLC est ici évidente.

Tableau 5 : Table de contingence des 252 relevés selon la typologie des SE fondée sur la matrice de Burkhard et la typologie fondée sur la composition floristique des relevés

Tableau 5 : Table de contingence des 252 relevés selon la typologie des SE fondée sur la matrice de Burkhard et la typologie fondée sur la composition floristique des relevés

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2.2.3. La typologie par indicateurs directs face aux types végétaux

Si l’on s’en tient aux valeurs de l’indice de Jaccard, le niveau de correspondance de la typologie des services écosystémiques par indicateurs directs et la typologie végétale est lui aussi assez faible. La dispersion des individus est cependant plus cohérente que précédemment. Par exemple, les types forestiers se croisent assez bien (le type direct 1 est surtout composé d’élément du type végétal 1). Il en est de même pour certaines occupations agricoles : le type indirect 3 est composé d’éléments des types végétaux 3 et 5. Ce niveau de concordance reste néanmoins général indiquant une prise en compte approximative de l’hétérogénéité paysagère.

Tableau 6 : Table de contingence des 252 relevés selon la typologie des SE basés fondée sur les indicateurs directs et la typologie fondée sur la composition floristique des relevés

Tableau 6 : Table de contingence des 252 relevés selon la typologie des SE basés fondée sur les indicateurs directs et la typologie fondée sur la composition floristique des relevés

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3. Des approches éloignées des arrangements paysagers et des pratiques

3.1. L’obstacle de la fragmentation paysagère

En fondant notre échantillonnage botanique sur les arrangements paysagers à différentes échelles, nous avons voulu rendre compte le plus justement possible de la complexité des paysages végétaux en ceinture verte de la Région Île-de-France.

Six types de végétation ont ainsi été retenus, s’apparentant à des communautés végétales. La typologie des services écosystémiques via les indicateurs indirects n’a fait nettement ressortir que la catégorie spatiale des forêts de feuillus comme source de services (Tableau 1 et Figure 3), en étant du reste approximative à ce propos (Tableau 5). La typologie des services écosystémiques selon des indicateurs directs s’est montrée plus détaillée sans que la concordance avec les types végétaux ne soit non plus très élevée.

Il existe plusieurs explications aux décalages de projections des sites d’étude entre les typologies. Premièrement, il faut rappeler une limite inhérente au traitement statistique par CAH : la séparation des groupes/types est figée et empêche de voir les proximités qui pourraient exister entre certains individus (ici des relevés) de types différents. Deuxièmement, si le lien a été démontré entre fonctionnement des écosystèmes, composition floristique et production de services, ces relations sont complexes et ne s’appuient pas uniquement sur le végétal (la topographie, l’hydrologie, la pédologie, les modes de gestion ont aussi un rôle à jouer (de Groot, Wilson, et Boumans 2002)). Les modèles par indicateurs directs intègrent pour partie ces données supplémentaires et sont, par conséquent plus nuancés. L’évaluation du service de régulation des inondations illustre ce point : à côté de l’occupation des sols, cet indicateur intègre aussi les types de sols et leur capacité à absorber l’eau de même que les types de bassins hydrographiques (Stürck et al., 2014). Malgré tout, la résolution très grossière de l’indicateur est à l’origine de certaines contradictions : les surfaces boisées semblent ainsi présenter un plus faible potentiel que les espaces d’agriculture intensive… Cela nous conduit vers une troisième explication : la résolution des données d’occupation du sol utilisées est mal adaptée aux types de végétation observés sur le terrain. C’est pour cette raison que le type indirect relatif aux forêts de feuillus inclut des sites qui ne sont pas boisés et en oublie d’autres qui le sont pourtant. À une échelle nationale, Eigenbrod et al (2010) avaient eu l’occasion de montrer ce décalage. Les données CLC sont peu adaptées à des contextes paysagers aussi hétérogènes. De nombreux éléments des paysages ne sont pas pris en compte avec une résolution de 1ha. Cette dernière génère en outre des anomalies dans l’emplacement de nos sites d’études : nous n’avons pas fait de relevés en zones commerciales et industrielles, pas plus que sur des terrains de sport (Tab. 1). C’est la grossièreté des limites qui entraine ces bizarreries. La concordance avec les types végétaux est meilleure pour des modes d’occupation du sol étendue tels que la forêt ou les cultures. De leur côté, chemins enherbés, jachères, haies, ilots boisés sont mal pris en compte et les deux méthodes donnent ainsi à voir des contextes agricoles qui fournissent peu de services. Plus le contexte est hétérogène, fragmenté, plus il est nécessaire de recourir à des données spatiales fines.

Des données floristiques plus précises existent telles que la cartographie des groupements végétaux d’Île-de-France réalisée par le Conservatoire Botanique National du Bassin Parisien (CBNBP) (Fernez et Causse, 2015). Des méthodes d’évaluation des services écosystémiques fondées sur les traits fonctionnels des communautés végétales ont certes été élaborées, mais elles sont extrêmement consommatrices de données (Lavorel, 2011). Entre les deux, les voies d’amélioration n’ont pas encore été trouvées comme en attestent les résultats d’une étude menée à l’échelle de petits territoires pour les massifs forestiers (Cordonnier et al., 2017) : 

En effet, à ces échelles, la plupart des systèmes d’information, bases de données nationales ou régionales ne peuvent être mobilisés en raison d’un manque de données ou d’une puissance statistique insuffisante. La spatialisation des niveaux de services au sein du territoire devient alors une véritable gageure.

Les propositions d’amélioration qui sont avancées dans cette étude témoignent de la complexité des démarches à entreprendre :

La construction d’une chaîne de traitement qui articule l’acquisition de données de télédétection (couplées à des données de calibration terrain), l’initialisation de modèles de dynamique forestière et l’évaluation de la production de services écosystémiques par des fonctions de lien utilisant au mieux les sorties des modèles de dynamique forestière applicables à l’échelle du peuplement ou du massif.

3.2. La spatialisation des services écosystémiques et le fonctionnement des espaces localement

Si nos observations de terrain ne nous permettent pas de définir des services écosystémiques, elles donnent cependant à voir des modes de gestions et des pratiques. Puisque les méthodes de spatialisation font essentiellement ressortir les contextes forestiers et les agricoles, nous avons voulu préciser le fonctionnement de ces espaces sur nos terrains.

3.2.1. Des territoires agricoles plus complexes qu’il n’y paraît

Les types de végétation que nous avons mis en évidence dans les contextes agricoles sont noyés dans les deux propositions de spatialisation des services écosystémiques, les deux méthodes s’accordant sur le faible potentiel de ce type de territoires. Alors que la superficie des parcelles sur lesquelles elles se déploient n’est pas perçue par les modes d’occupation des sols à petite échelle, et donc par les modélisations de services écosystémiques, leur rôle écologique et paysager n’est pas anodin (Björklund, Limburg, et Rydberg, 1999 ; Swift, Izac, et van Noordwijk, 2004). La diversité végétale qu’elles présentent dans des contextes d’agriculture intensive leur confère des fonctions écologiques et paysagères non négligeables. Elles offrent par exemple un potentiel pour la pollinisation par les insectes (cirses, matricaires, laitues, réséda sont entomogames). La dynamique de l’enfrichement est aussi un moyen de régulation de l’érosion à des micros échelles. Si l’on ne tient pas compte de l’usage intensif des produits phytosanitaires sur les cultures qu’elles côtoient, non plus du fait que les espaces concernés ne sont pas fréquentés et que leur collecte s’est perdue – autant de critères en défaveur même de l’évaluation de ce service en pareil contexte ! – certaines espèces remplissent parfaitement les critères de comestibilité, telles l’armoise, la moutarde, la laitue. Encore faudrait-il confirmer l’usage avéré de ces plantes. Selon le degré de complexité paysager de ces zones agricoles, il peut néanmoins s’y développer des pratiques récréatives, telle la randonnée.

3.2.1. Les espaces boisés, un potentiel à nuancer

Les deux méthodes s’accordent à faire des espaces boisés des contextes végétaux à fort potentiel en services (Figure 5). Un type végétal correspond à des forêts de châtaigniers. Ce sont des forêts domaniales gérées par les pouvoirs publics, État, avec ici la Forêt de Montmorency, ou collectivités avec la forêt de Gif-sur-Yvette par exemple. Sur le terrain, la gestion portée par l’Office national des forêts (ONF) est guidée par un principe de multifonctionnalité mêlant usages économiques, avec l’exploitation du bois sous forme de futaie, usages récréatifs, avec la fréquentation des promeneurs et randonneurs, usages écologiques enfin, avec la mise en valeur de la biodiversité (Moigneu 2005). On y retrouve donc bien de fait la notion de service récréatif. La présence des châtaigniers rend possible la collecte des châtaignes évoquant par la même un autre service évoqué ici. La position topographique – buttes, pentes – rend par contre caduques les attentes en matière de régulation des inondations. Les relevés botaniques menés en forêt de Montmorency ont par ailleurs montré une certaine pauvreté floristique. Partout dominent les châtaigniers et dans une moindre mesure, les chênes sessiles, le chèvrefeuille et les ronces en sous-bois. Ces espèces ne sont par exemple pas dépendantes de la pollinisation par les insectes, hormis pour partie le chèvrefeuille. Le substrat acide sur lequel repose ici le massif forestier explique pour partie cette moindre richesse.

La CAH appliquée aux données botaniques donne à voir d’autres types de boisements, qui, pour des raisons de résolution, ne sont pas pris en compte par les méthodes de spatialisation des services écosystémiques ou mal interprétés (espaces verts urbains). La flore de ces boisements révèle une tendance rudérale ou à large amplitude écologique, tels l’érable sycomore, le lierre ou l’aubépine. La présence des orties et des benoites confirme le contexte rudéral. Ce sont souvent des parcelles peu accessibles : boisements privés ou délaissés, car isolés ou enclavés. Très ombragés, à la stratification verticale dense, ils ne font généralement l’objet d’aucune mise en valeur. Pourtant, la diversité végétale y est plus grande que dans les forêts publiques que nous avons explorées, qui sont, quant à elles, installées sur des substrats acides. Ces communautés végétales répondent davantage aux attentes en matière de biodiversité, de pollinisation, voire de régulation de la qualité de l’air, de l’érosion et des inondations, à une échelle très locale et participent d’un fonctionnement écologique des paysages parfois sur de vastes étendues, comme en plaine de Pierrelaye, sur notre premier terrain d’étude (Roussel et al., 2016).

Conclusion

La spatialisation des services écosystémiques dans le contexte périurbain parisien de la ceinture verte se heurte à plusieurs difficultés. Nous avons, tout d’abord, montré que les méthodes ayant recours aux modes d’occupation du sol ont tendance à ne refléter que les modes dominants – forêts, terres arables – et peinent à capter les nuances végétales sur le terrain, tant du point de vue biologique que paysager. En écho, là où les modélisations se veulent les plus pertinentes, c’est en référence à ces contextes spatiaux et végétaux facilement identifiables et d’ailleurs bien identifiés par les pouvoirs publics et les citadins, en premier lieu la forêt. Face à une cartographie des services écosystémiques qui pose comme diagnostic que les forêts aient un potentiel récréatif, régulateur de chaleur, de l’érosion ou des émissions de carbone, on est en droit de se demander, perplexe, tout ça pour ça ? Quand par ailleurs l’analyse de terrain montre que pour de multiples raisons écologiques, sociales, économiques, historiques, cadastrales, etc., telle ou telle forêt ne répond en fait pas du tout aux services que l’on pouvait attendre, c’est bien un travail de fourmis qui se présente au chercheur pour concrétiser la spatialisation des services écosystémiques. De l’autre côté du spectre scalaire, l’extrême précision des analyses biologiques fait de chaque parcelle étudiée un cas à part, rendant la généralisation impossible.

Il faut alors s’interroger plus globalement sur la notion de service écosystémique comme le font X. Arnaud de Sartre et al. (2014) :

Il est difficile de proposer des indicateurs d’un service à l’échelle d’un milieu, plus difficile encore de parler de compromis de services à cette échelle. La compréhension des liens entre processus physiques, indicateurs de services écosystémiques et utilisation de ces services par l’homme est un défi pour la recherche, d’autant plus que chaque service écosystémique a son propre fonctionnement. Or la géographie comme l’écologie nous rappellent que cela n’a pas de sens de parler d’un service indépendamment des processus fonctionnant sur un territoire. De ce fait, regrouper des services dans des indicateurs de compromis de services est un défi plus grand encore. Alors parler de services à une échelle plus large, à l’échelle d’une région ou d’une écorégion, est extrêmement hasardeux. (p.249)

Pourquoi dès lors persévérer dans cette voie ?

La spatialisation des services écosystémiques est un objectif qui mobilise de nombreux chercheurs et programmes de recherche. La notion de services écosystémiques s’y déploie dans une logique de recherche appliquée, voire d’aide à la décision publique. Le travail des scientifiques à ce sujet est une réponse à une offre de financement des institutions européennes qui de ce point de vue ont un levier sur les enjeux à traiter. Pour comprendre cette dynamique, il faut en revenir à l’idée avancée par Arnaud de Sartre et al (2014) selon laquelle les services écosystémiques sont un dispositif de ce que les auteurs nomment la modernité environnementale où « savoirs et pouvoirs s’allient pour construire un outil de gouvernementalité ». Les organismes de recherche deviennent les partenaires des pouvoirs publics qui s’assurent ainsi une légitimité scientifique à promouvoir tel ou tel projet d’aménagement ou de valorisation des territoires. De ce point de vue, les services écosystémiques sont une notion fédératrice que les scientifiques s’efforcent d’appliquer au réel. Que nous dit ici le réel, en l’occurrence ici la végétation sur le terrain ? Que la spatialisation des services écosystémiques est une tâche infinie dont l’issue est pour le moment de révéler des fonctions et des usages génériques en référence à des modes d’occupation du sol généraux, peu représentatifs des arrangements paysagers et des pratiques locales.