« Da ist eine kriminelle Berührung in der Kunst »Perspectives critiques sur le paysage culturel et la modernité[Notice]

  • Dolorès P.-Rodriguez

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  • Dolorès P.-Rodriguez
    Université de Montréal

Du 1er février 2011 au 12 janvier 2012 eut lieu au Museum für Gegenwart Hamburger Bahnhof de Berlin (musée d’art contemporain Hamburger Bahnhof) la rétrospective « Live to Tape », dédiée essentiellement au collectionneur, artiste et propriétaire de galerie berlinois Mike Steiner. L’exposition, qui rassemblait des vidéos d’artistes émergents établis au cours des années 1972 à 1985, jetait la lumière sur cette galerie satellite ayant joué un rôle phare dans la diffusion d’oeuvres d’artistes allemands et internationaux. Parmi les oeuvres présentées, on découvrait notamment la spectaculaire performance du plasticien allemand Frank Uwe Laysiepen qui, le 12 décembre 1976, à l’ouest de Berlin, créa un émoi à la Neue Nationalgalerie en subtilisant, dans le cadre d’une performance artistique, une oeuvre centrale de la collection du musée d’art moderne : Der arme Poet de Carl Spitzweg. Sans autorisation du musée, Laysiepen réussit en effet à conserver le tableau durant plus de trente heures, pour finalement le restituer à l’institution. Alors que l’intervention était aussitôt commentée dans les médias, la performance demeure à ce jour plutôt obscure, et jouit de peu de reconnaissance dans des disciplines pourtant concernées comme l’histoire de l’art. Laysiepen aurait, par ce « coup fumant », transgressé certaines barrières du monde de l’art en mettant en question à la fois le rôle de l’artiste, de l’objet d’art et des institutions. Cette performance assume, voire revendique, son illégalité. Elle porte ce titre révélateur : Da ist eine kriminelle Berührung in der Kunst – Aktion in 14 bestimmten Sequenzen (There is a Criminal Touch to Art – Action in 14 predetermined Sequences). Il va sans dire que si la réception et la raison de l’oubli de l’oeuvre demeurent toujours des questions ouvertes, dans pareil contexte, l’intention de cet article n’est pas d’en mesurer la « pertinence » par son résultat, mais bien de la décortiquer afin de saisir certaines interrogations et critiques profondes qu’elle pose. L’objectif sera ici plutôt de préciser comment cette performance permet de poser un regard tout à fait singulier sur la culture allemande et berlinoise des années 1970 ; comment elle questionne également le projet moderne du musée, en tant que paysage culturel « concentré ». Ultimement, cet article tentera de discerner comment s’articule la critique de Laysiepen autour de l’identité de la ville de Berlin, perçue en tant que carrefour de la réflexion socio-culturelle, médiatique et esthétique, ici intimement enchevêtrées dans le projet de l’art contemporain d’après-guerre. Car très certainement, alors que l’artiste s’attaque à la Neue Nationalgalerie, fondée en pleine guerre froide en 1968, l’identité de la ville de Berlin, elle-même territoire disputé plus que simple théâtre ou « scène de crime », alimente et stimule la critique de Laysiepen face à la modernité européenne, mais aussi face à la circulation des discours, et au paysage des pratiques culturelles. Ce passage des pratiques est par ailleurs fortement stimulé par l’époque et le contexte qui les produisent : cette relation sera plus approfondie dans une analyse détaillée des concepts à l’oeuvre dans la performance grâce, notamment, à la pensée de Jean-Louis Déotte. En outre, c’est le travail vidéographique qui aura permis à la performance de devenir « art » et d’être considérée enfin comme discours (potentiellement) critique et crédible sur l’art et sur un système incluant certes l’oeuvre d’art elle-même, mais aussi le statut de l’artiste. Ultime enjeu de ce projet, et non le moindre : celui de confronter les Allemands à leur modernité inachevée. La performance transgressive réalisée en plein contexte d’ébullition politique met en effet en oeuvre, avec la délocalisation du tableau, un motif central de déplacement et de trajectoire, …

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