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Introduction

Alors que les approches (socio)constructivistes sont presque toujours présentées comme étant les seules pouvant favoriser le développement de compétences, l’enseignement explicite (Rosenshine et Stevens, 1986), quant à lui, fait l’objet de plusieurs critiques. Parmi celles-ci, nous avons choisi de nous concentrer dans ce texte sur la critique selon laquelle « l’enseignement explicite ne permettrait pas le développement de compétences »[2]. Qu’en est-il réellement? Le développement des compétences est-il l’apanage des approches (socio)constructivistes; d’autres approches pédagogiques peuvent-elles y contribuer?

Cet article est divisé en trois parties. Tout d’abord, il présente brièvement l’enseignement explicite et les recherches empiriques ayant permis de l’élaborer et de confirmer son efficacité dans une multitude de disciplines (lecture, mathématiques, grammaire, langue maternelle, sciences, histoire, etc.), et ce, tant auprès des élèves du niveau primaire qu’auprès de ceux du secondaire et tant auprès des élèves en difficulté qu’auprès de ceux plus avancés (p. ex., Bissonnette, Richard, Gauthier et Bouchard, 2010; Rosenshine, 2008). Ensuite, il examine sous forme de questions quatre présupposés associés à la critique infondée selon laquelle un enseignement explicite ne permet pas de développer des compétences. Enfin, il présente des éléments issus d’un second type de recherches empiriques, à savoir les recherches en psychologie cognitive, qui montrent comment s’effectue le développement d’une compétence et en quoi un enseignement explicite y est contributif. Ainsi, les recherches en psychologie cognitive permettent de comprendre, via la notion de charge cognitive, prouvée empiriquement auprès d’apprenants de tous les âges – des plus jeunes aux adultes – et dans de nombreuses disciplines, de l’enseignement de la médecine à celui de la littérature (Sweller, van Merrienboer et Paas, 2019), pourquoi l’enseignement explicite est efficace.

L’enseignement explicite : un modèle élaboré à partir des recherches sur l’enseignement efficace

Le modèle de l’enseignement explicite a été élaboré par Rosenshine et Stevens (1986) à partir de recherches portant sur l’efficacité de l’enseignement; modèle dont l’efficacité a été reconfirmée à maintes reprises (Bissonnette et al., 2010). L’enseignement efficace au sens de Bloom (1979, cité par Demeuse, Crahay et Monseur, 2005, p. 393-394) : « […] se caractérise par trois effets conjoints : une élévation de la moyenne de l’ensemble des résultats; une réduction de la variance de l’ensemble des résultats; une diminution de la corrélation entre l’origine sociale de chaque élève (et plus généralement ses caractéristiques initiales) et ses résultats ».

Les recherches sur l’enseignement efficace ont été menées en deux temps. Comme le montre la synthèse de Rosenshine (2008, 2009), le premier temps a consisté, pour les chercheurs, à mener des observations dans de nombreuses classes afin de mettre en évidence les pratiques d’enseignement les plus efficaces et les moins efficaces. Pour ce faire, ils ont étudié les corrélations entre les différentes pratiques des enseignants et les mesures du gain d’apprentissage des élèves (via des pré-tests et des post-tests). L’article de Rosenshine et Stevens (1986) constitue une des premières études de ce type. Il énumère à ce titre plusieurs stratégies efficaces mises en évidence par ces recherches : fournir des démonstrations, donner des exemples, vérifier la compréhension des élèves régulièrement, etc.

Toujours selon la synthèse de Rosenshine (2008, 2009), le second temps a consisté à compléter ces recherches corrélationnelles par des recherches expérimentales comparant des enseignants entraînés aux pratiques efficaces (repérées lors des études corrélationnelles) et des enseignants poursuivant leurs pratiques dites usuelles. Ces recherches expérimentales ont été menées dans des classes de l’enseignement primaire et secondaire et ont montré que les élèves des enseignants entraînés aux pratiques efficaces obtenaient de meilleurs résultats que ceux des classes témoins (Rosenshine et Stevens, 1986). À titre d’exemple, l’étude de Good et Grouws (1979, cités dans Rosenshine et Stevens, 1986) a été menée auprès de 40 enseignants et de leurs élèves de 4e année (9-10 ans). Ces 40 enseignants ont été séparés en deux groupes : un groupe formé aux pratiques d’enseignement efficace en mathématiques (via un manuel et 2 sessions de 90 minutes de formation) et un groupe témoin devant poursuivre leurs pratiques d’enseignement habituelles. Les deux groupes ont été observés six fois en 4 mois. Les résultats indiquent que les enseignants du groupe expérimental mettaient en oeuvre significativement plus souvent des pratiques d’enseignement efficaces telles que le fait d’engager activement les élèves dans la tâche. Les résultats indiquent également que les résultats en mathématiques des élèves du groupe expérimental avaient augmenté significativement comparativement à ceux des élèves du groupe contrôle.

Plusieurs approches pédagogiques ont donc été élaborées à partir des recherches corrélationnelles et expérimentales brièvement évoquées ci-dessus. Bien qu’il existe des différences entre ces approches, elles font partie d’une même famille dite « instructionniste ». Celle-ci rassemble des modèles tels que l’enseignement explicite de Rosenshine, le Direct Instruction d’Engelmann, le Success for All de Slavin et ses collègues, qui ont en commun la caractéristique que l’enseignant fait apprendre les élèves en suivant une démarche systématique, structurée et explicite.

Par ailleurs, il est important de mentionner que les études sur l’enseignement efficace ont été synthétisées dans des méta-analyses et des méga-analyses mettant en évidence l’efficacité de l’enseignement explicite. À titre d’exemple, afin de répondre à la question « quelles sont les stratégies d’enseignement favorisant l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et des mathématiques auprès des élèves en difficulté et à risque d’échec? », Bissonnette et al. (2010) ont synthétisé 11 méta-analyses, soit 362 recherches menées auprès de 30 000 élèves entre 1999 et 2007. En se référant au seuil d’efficacité utilisé dans la plupart des méta-analyses, à savoir une taille d’effet supérieure ou égale à 0,40, les résultats indiquent que l’enseignement explicite et le tutorat par les pairs sont les approches les plus efficaces pour permettre aux élèves en difficulté et à risque d’échec d’apprendre à lire, écrire et compter. En effet, la taille d’effet de l’enseignement explicite sur l’apprentissage des élèves est de 0,81 en ce qui concerne l’apprentissage de l’écriture; varie entre 0,41 et 1,18 en ce qui concerne l’apprentissage de la lecture, et entre 0,58 et 1,45 en ce qui concerne l’apprentissage des mathématiques. La taille d’effet de l’enseignement réciproque[3], de son côté, varie entre 0,4 et 0,41 en ce qui concerne l’apprentissage de la lecture et entre 0,57 et 0,66 en ce qui concerne l’apprentissage des mathématiques. Par contre, la pédagogie constructiviste n’atteint pas le seuil d’efficacité visé ou une taille d’effet de 0,40 et plus. En effet, la taille d’effet de l’approche constructiviste sur l’apprentissage des élèves est de -0,65 en ce qui concerne l’apprentissage de la lecture et elle varie entre 0,01 et 0,34 en ce qui concerne l’apprentissage des mathématiques. Des synthèses de recherches plus récentes confirment à nouveau l’efficacité de l’enseignement explicite. À ce sujet, Hughes, Morris, Therrien et Benson (2017) indiquent que :

au cours de la dernière décennie, plusieurs publications ont montré l’efficacité de l’enseignement explicite et elles ont été publiées dans les guides de pratiques de l’Institute of Education Sciences (IES)[4] […] Les guides de pratiques de l’IES identifient, évaluent et recommandent des interventions à utiliser auprès des élèves réguliers ainsi qu’auprès des élèves en difficulté. Les rapports énumérés ci-dessous recommandent tous le recours à l’enseignement explicite pour l’enseignement d’une variété d’habiletés en littéracie (Baker et al., 2014; Herrera, Truckenmiller et Foorman, 2016; Kamil et al., 2008), ainsi que pour la compréhension de la lecture au primaire (Shanahan et al., 2010) et de l’écriture (Graham et al., 2012). De plus, il existe un certain nombre de guides pratiques qui appuient l’utilisation d’un enseignement explicite en mathématiques, particulièrement auprès des jeunes enfants (Frye et al., 2013), en résolution de problèmes de la 4e à la 8e année (Woodward et al., 2012), pour l’utilisation du modèle de réponse à l’intervention auprès des élèves ayant des difficultés en mathématiques dans les écoles primaires et intermédiaires (Gersten et al., 2009), pour l’enseignement des fractions (Siegler et al., 2010), et pour l’enseignement de l’algèbre auprès des élèves des écoles secondaires (Star et al., 2015).

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Dans leur revue systématique de recherches parue en 2017, McLeskey et al. (2017) recommandent également d’utiliser l’enseignement explicite pour l’enseignement de la lecture, de l’écriture et des mathématiques auprès des élèves en difficulté. De plus, l’efficacité de l’enseignement explicite a été montrée par Guilmois (2015) dans le contexte de l’enseignement des mathématiques au niveau primaire dans des zones d’éducation prioritaire en Martinique. Guilmois (2015) a comparé les résultats des élèves en ce qui concerne l’apprentissage de la technique opératoire de la soustraction, selon qu’ils avaient reçu un enseignement explicite ou un enseignement de type socioconstructiviste. Les résultats indiquent que les élèves ayant bénéficié d’un enseignement explicite ont des résultats à l’épreuve finale plus élevés que ceux qui ont bénéficié d’une pédagogie de type socioconstructiviste. La taille d’effet obtenue par l’enseignement explicite tourne autour de 0,45. Plus récemment, Guilmois (2019) a comparé les résultats des élèves en ce qui concerne l’apprentissage de la technique opératoire de la division, selon qu’ils avaient reçu un enseignement explicite ou un enseignement de type socioconstructiviste. Les élèves ayant reçu un enseignement explicite obtiennent des résultats supérieurs à ceux ayant reçu un enseignement socioconstructiviste. La taille moyenne d’effet obtenue est de 0,44.

Ainsi, en utilisant la démarche de l’enseignement explicite, l’enseignant rend l’ensemble des dimensions de son enseignement plus explicites (les démarches, le curriculum, les étapes, les objectifs…). Ceci permet d’éviter le plus possible l’implicite, source de confusion pouvant être néfaste aux apprentissages. À titre d’exemple, le fait de ne pas expliciter les procédures pour réaliser une tâche constitue une pratique implicite néfaste pour les élèves novices, comme nous le verrons dans la suite du texte.

L’enseignement explicite comprend différentes stratégies à mettre en oeuvre à chacun des trois temps de l’enseignement : préparation, interaction avec les élèves, consolidation des apprentissages. Ces stratégies sont décrites dans l’ouvrage de Gauthier, Bissonnette et Richard (2013). La démarche d’enseignement explicite à proprement parler comporte trois étapes :

  • le modelage, durant lequel l’enseignant démontre les apprentissages à réaliser en « mettant un haut-parleur sur sa pensée »;

  • la pratique guidée, durant laquelle les élèves pratiquent en petits groupes et avec l’enseignant qui vérifie la compréhension de tous les élèves, fournit des rétroactions et donne de l’étayage jusqu’à l’obtention d’un taux de succès élevé;

  • la pratique autonome, durant laquelle les élèves pratiquent individuellement jusqu’au sur-apprentissage sous la supervision de l’enseignant, qui diminue le degré de guidance au fur et à mesure, et ce, dans différents contextes afin d’assurer le transfert des compétences acquises.

Quatre présupposés discutables pouvant expliquer les critiques selon lesquelles l’enseignement explicite ne permet pas le développement de compétences

L’approche (socio)constructiviste est-elle l’unique moyen de développer des compétences?

Depuis une trentaine d’années, de nombreux pays ont mis en oeuvre une réforme du curriculum de l’enseignement obligatoire, notamment le Québec et la Belgique.

Au Québec, la réforme du curriculum visant à instaurer l’approche par compétences a prôné à de nombreuses reprises le « passage du paradigme de l’enseignement au paradigme de l’apprentissage ». Les approches pédagogiques issues du paradigme de l’apprentissage sont basées sur le constructivisme et le socioconstructivisme où l’élève est considéré comme étant le premier responsable de ses apprentissages; ces derniers sont présentés du complexe vers le simple à partir de tâches complètes, contextualisées et signifiantes. De leur côté, les approches associées au paradigme de l’enseignement prennent appui sur la psychologie cognitive et le béhaviorisme. Les apprentissages sont présentés du simple vers le complexe et exigent au départ la maîtrise de notions jugées essentielles (Gauthier, Bissonnette et Richard, 2009).

Ce changement de paradigme favorise certaines approches pédagogiques au détriment d’autres. Ainsi, pour Trottier (2005), pédagogies du projet et apprentissage coopératif sont présentés comme les seules pédagogies favorisant le développement des compétences et donc la réussite de la réforme.

En analysant le contenu de la revue Virage ayant pour but d’informer les enseignants québécois au sujet de la réforme du curriculum, Cerqua et Gauthier (2010) sont arrivés au même constat. Ainsi, bien que la revue annonçait une certaine ouverture à différentes approches pédagogiques (« [i]l s’agit de se demander, en tant que professionnel : Quel moyen vais-je utiliser pour favoriser l’apprentissage de l’enfant : le projet, la situation problème, la situation complexe, l’enseignement systématique? », automne 2000), l’analyse détaillée de la revue réalisée par Cerqua et Gauthier (2010) montre que les préconisations pédagogiques ne sont pas toujours placées sur un pied d’égalité. La référence à l’enseignement systématique ou explicite dans la phrase précédente est la seule sur l’ensemble des revues analysées par les auteurs. En revanche, les auteurs dénombrent 39 extraits renvoyant aux situations complexes, 59 aux situations problèmes, et plus de 350 aux situations en projet, ce qui confirme l’influence de la perspective socioconstructiviste de l’enseignement largement mise de l’avant dans la revue. Nous sommes donc face à une « fausse ouverture », les approches (socio)constructivistes étant beaucoup plus (pour ne pas dire exclusivement) recommandées dans le cadre de la réforme québécoise.

Du côté de la Belgique francophone, la situation est loin d’être simple et pendant de nombreuses années (avant 1997), le système éducatif belge, de par sa structuration, n’était doté d’aucun document commun précisant les attendus de la scolarité à quelque niveau que ce soit. Il a fallu attendre la fin des années 1990, pour voir apparaître deux productions majeures : en 1997, le Décret dit « Missions » et les Socles de compétences présentant pour trois niveaux de la scolarité les compétences attendues pour chaque élève, et ce, quelle que soit l’école (et donc le réseau d’enseignement[5]) dans laquelle il est scolarisé.

Le décret de 1997 (dit Décret « Missions ») définit les objectifs généraux de l’enseignement et précise que ces objectifs doivent être atteints via l’approche par compétences : « les savoirs et les savoir-faire, qu’ils soient construits par les élèves eux-mêmes ou qu’ils soient transmis, sont placés dans la perspective de l’acquisition de compétences » (Communauté française de Belgique, 1997, p. 5). Cet extrait du décret montre une certaine ouverture à différentes approches pédagogiques car, en vertu du principe de liberté des méthodes inscrit dans la constitution belge, les enseignants sont libres d’utiliser une approche d’enseignement davantage constructiviste ou une approche d’enseignement davantage explicite, pour autant que l’approche choisie permette de développer les compétences attendues. Du point de vue des méthodes, ces deux référentiels communs doivent d’ailleurs veiller à ne véhiculer aucune approche pédagogique précise, cette prérogative étant celle des réseaux d’enseignement (lesquels rédigent les programmes d’enseignement). Bien que ces deux publications[6] constituent une avancée majeure, elles ne sont pas absentes de critiques. En effet, si les Socles de compétences constituent la base commune devant être maîtrisée par tous les élèves, ils sont également le résultat d’une discussion entre chacun des réseaux et la logique poursuivie a été de parvenir à un plus petit dénominateur commun, relativement flou au niveau des compétences attendues. Ce degré d’imprécision a ensuite pu permettre aux réseaux de décliner ces compétences selon une structuration propre et selon une approche pédagogique particulière.

Les travaux de recherche ont montré que les croyances pédagogiques des cadres intermédiaires (inspecteurs, conseillers pédagogiques…) des différents réseaux, chargés de l’accompagnement et de la formation continue les enseignants de terrain, pouvaient se situer sur un « continuum de rapport à la doxa pédagogique constructiviste » (Dumay et Maroy, 2014, p. 56). Si cette adhésion forte à une approche pédagogique a plus que probablement eu un effet sur le contenu des programmes d’enseignement, elle en a également eu auprès de générations d’enseignants via les pratiques d’accompagnement mises en oeuvre par ces cadres (Dumay et Maroy, 2014; Mangez, 2004).

En somme, dans les deux pays, nous pouvons donc constater un glissement entre l’objectif de développer des compétences et les moyens (approches pédagogiques) proposés pour y parvenir, les approches (socio)constructivistes étant présentées comme celles à privilégier.

Démarche d’apprentissage et démarche d’enseignement sont-elles les mêmes?

Une lecture attentive de la littérature sur l’opposition entre enseignement explicite et approche socioconstructiviste révèle que les deux approches ont en commun la définition de la manière dont l’élève apprend. De manière synthétique, on peut dire que les tenants des deux types d’approches d’enseignement s’accordent sur le fait que l’élève apprend en construisant activement ses connaissances et en étant confronté à son environnement. Les recherches en psychologie cognitive valident l’idée selon laquelle l’élève construit activement ses connaissances. Selon Crahay (1996), « d’une manière générale, pour les constructivistes comme pour les cognitivistes, pour qu’il y ait construction de connaissances, un stimulus doit pouvoir être interprété par le sujet en fonction de ses connaissances antérieures, sinon il reste sans signification » (p. 82).

Toutefois, les approches instructionnistes et les approches (socio)constructivistes ne s’accordent pas sur les moyens pour favoriser cet apprentissage. Le (socio)constructivisme comme démarche d’enseignement n’est donc pas partagé par les différents acteurs du débat.

Cette différence entre (socio)constructivisme comme démarche d’apprentissage et (socio)constructivisme comme démarche d’enseignement (dont l’efficacité est remise en doute par des recherches basées sur des données probantes décrites dans les sections 1 et 3) a également été relevée par Kirschner, Sweller et Clark (2006) : « La description constructiviste de l’apprentissage est exacte, mais les conséquences pédagogiques suggérées par les constructivistes ne suivent pas nécessairement » (p. 78).

Mayer (2009) met d’ailleurs en garde contre le fait de transformer cette définition de l’apprentissage en prescription concernant la démarche d’enseignement : « Tout en acceptant le constructivisme en tant que théorie de l’apprentissage, ce chapitre examine ce qui est incorrect dans cette conception du constructivisme en tant que prescription pour l’enseignement » (p. 184). Dans le présent article, le terme « (socio)constructivisme » est donc utilisé pour désigner la manière dont l’élève apprend (démarche d’apprentissage). Le terme « approche [d’enseignement] (socio)constructiviste » désigne les approches pédagogiques telles que la pédagogie du projet, l’approche par la découverte, le travail sur les tâches authentiques généralement caractérisées par une entrée dans les apprentissages par la complexité (Cerqua et Gauthier, 2010; Kirschner et al., 2006). Le terme « approche [d’enseignement] explicite » désigne, de son côté, une approche pédagogique davantage structurée et progressant du simple vers le complexe.

En résumé, il est possible que la confusion entre (socio)constructivisme comme démarche d’apprentissage (à laquelle la plupart des pédagogues adhèrent) et (socio)constructivisme comme seule démarche d’enseignement susceptible de mener à cet apprentissage (vivement questionnée par la littérature scientifique) concourt à la perception erronée selon laquelle seule l’approche (socio)constructiviste (et non l’enseignement explicite) permet le développement de compétences.

En ce qui concerne les moyens pour favoriser l’apprentissage, une des grandes différences entre les deux approches est liée au moment au cours duquel les élèves sont confrontés à la complexité. Cette différence sera discutée plus loin (section 2.4), après qu’un point fondamental aura été établi, à savoir la différence entre les apprentissages scolaires et les apprentissages naturels, qui permet de comprendre que certaines approches pédagogiques sont plus adéquates que d’autres pour développer des compétences.

Les apprentissages scolaires se développent-ils de la même manière que les apprentissages naturels?

Déjà, au début du XXe siècle, les partisans de la pédagogie nouvelle entendaient réduire l’écart entre l’école et la vie et, pour ce faire, ils soutenaient, à l’instar de Dewey que l’enfant pouvait « apprendre à lire, écrire, dessiner quand le besoin s’en fait sentir, tout naturellement, comme il a appris à parler quand il avait quelque chose à demander ou à dire » (Snyders, 1971, p. 72). Autrement dit, il n’y aurait pas d’écart selon eux entre les apprentissages de la vie et ceux de l’école. Cette idée selon laquelle seules les approches (socio)constructivistes permettent le développement de compétences est en partie basée sur une reprise plus contemporaine de cette confusion entre les apprentissages naturels et les apprentissages scolaires.

Pour Sweller, Kirschner et Clark (2007), la psychologie de l’éducation est dominée depuis des décennies par la conviction selon laquelle un enseignement structuré et systématique donnerait des résultats inférieurs aux différentes formes d’apprentissage par la découverte. Selon ces auteurs, cette idée est à la fois attirante et plausible au regard du fait que la plupart des apprentissages réalisés en dehors de l’école se réalisent naturellement, au gré des hasards, par la découverte. Par exemple, aucun enfant n’a le besoin d’aller à l’école pour apprendre à parler ou à reconnaître les visages.

Les apprentissages des habiletés cognitives primaires se réalisent de manière naturelle lors du développement de l’enfant et via des situations de jeux et de découvertes, en interaction avec l’environnement. Ces apprentissages primaires s’effectuent naturellement, de manière semblable d’une société à l’autre, grâce au développement de l’appareil cognitif et aux interactions avec l’environnement (Geary, 2001, 2002).

Les approches (socio)constructivistes, par les situations de découverte à travers des tâches authentiques et complexes, s’inscrivent dans la conception du développement des apprentissages naturels. Or, les apprentissages scolaires ou secondaires tels que la lecture, l’écriture et les mathématiques ne s’acquièrent pas de la même façon (Geary, 2002). En effet, ceux-ci ne se réalisent pas de manière naturelle via la maturation du système cognitif et la confrontation à l’environnement. Ils nécessitent plutôt de décomposer et de décontextualiser plusieurs apprentissages dans le cadre d’un enseignement systématique et structuré (Geary, 2002). Ces apprentissages ne s’observent d’ailleurs pas dans toutes les sociétés, mais uniquement dans celles disposant d’un système d’éducation formel (Geary, 2001).

Comme nous le verrons dans la section 3, les habiletés cognitives secondaires telles que l’écriture, la lecture et le calcul sont des compétences complexes qui nécessitent la maîtrise de connaissances et de procédures (Anderson, 1983, 1997; Geary, 2001) et un enseignement formel et explicite. En effet, contrairement aux habiletés cognitives primaires qui s’acquièrent naturellement au cours des expériences de la vie quotidienne, les habiletés cognitives secondaires nécessitent un traitement cognitif en profondeur pour se développer, à savoir une phase de compréhension des apprentissages, suivie d’une mise en pratique répétée (Gauthier et al., 2009).

Sweller et al. (2007) émettent par ailleurs l’hypothèse selon laquelle il est possible que les limites de la mémoire de travail ne s’appliquent pas lors de l’acquisition des apprentissages primaires. De grandes quantités de connaissances primaires pourraient donc être stockées directement dans la mémoire à long terme. Par contre, ces auteurs précisent qu’on ne peut pas présumer que les situations de découvertes non guidées, qui fonctionnent pour les apprentissages primaires, vont fonctionner également pour les apprentissages secondaires. Pour ces auteurs, « il n’existe aucune raison théorique, ni aucune preuve empirique pour supporter la notion selon laquelle les procédures d’enseignement constructivistes basées sur la manière selon laquelle les humains acquièrent des connaissances primaires seront efficaces pour acquérir des connaissances secondaires » (p. 121).

Le développement des connaissances secondaires nécessite plutôt un enseignement direct et explicite (Sweller et al., 2007), et ce, notamment en raison des limites de la mémoire de travail et du phénomène de surcharge cognitive qui feront l’objet de la section 3.

Débuter ou terminer par la complexité?

Plusieurs promoteurs de l’approche par les compétences ont proposé un critère favorisant l’acquisition d’une compétence : « si la compétence est une aptitude à accomplir des tâches, […], elle doit nécessairement s’acquérir par la confrontation de l’élève à des tâches et non par la transmission de savoirs ou l’automatisation de procédures » (Denyer, 2004, p. 57). C’est précisément à des tâches-problèmes auxquelles font référence ces auteurs, tâches qui présentent des attributs comme la complexité. L’entrée par la complexité est en effet un élément récurrent dans les méthodes suggérées pour l’appropriation des compétences. Perrenoud (2000) affirme que « les compétences se construisent en s’exerçant face à des situations d’emblée complexes » (p. 71). De même, Rey, Carette, Defrance et Kahn (2006) conseillent par exemple « de débuter l’apprentissage d’une compétence, non pas par l’entraînement répétitif à des opérations partielles, mais par l’affrontement des élèves à une tâche globale » (p. 141). Ainsi, dans le prolongement de la complexité, tâches-problèmes et pédagogie par projets fusionnent pour ne faire qu’un. Nous pourrons alors lire qu’« on ne construit des compétences qu’en affrontant de vrais obstacles, dans une démarche de projet ou de résolution de problèmes » (Perrenoud, 1995, p. 8) et, par conséquent que « l’approche par compétences amène le personnel enseignant à travailler sur des situations-problèmes, dans le cadre d’une pédagogie du projet » (Perrenoud, 1995, p. 6).

L’entrée par la complexité n’est cependant pas la seule voie possible pour le développement des compétences. En fait, elle est sans doute sinon la plus périlleuse, du moins la moins fondée sur le plan de la recherche empirique (Péladeau, Forget et Gagné, 2005).

Dans l’enseignement explicite, les élèves peuvent être également confrontés à des tâches complexes et le moment auquel l’élève est soumis à la complexité est l’un des éléments qui distinguent fondamentalement les approches (socio)constructivistes de l’enseignement explicite. Alors que dans les approches (socio)constructivistes, on propose aux élèves des tâches complexes dès le début d’un apprentissage, dans l’enseignement explicite, on s’assure d’abord que l’élève maîtrise toutes les habiletés simples nécessaires à la réussite de la tâche complexe avant de la lui soumettre. Lorsque ces habiletés spécifiques sont maîtrisées, l’enseignement explicite cherche à favoriser le transfert en invitant les élèves à les utiliser dans des situations complexes (Gauthier et al., 2013).

Déjà durant les années 1960, Gagné (1962) émettait l’hypothèse d’une hiérarchie des apprentissages impliquant que la maîtrise de certaines connaissances de base et de certaines habiletés dites « préalables » rendrait possible l’apprentissage d’habiletés de plus haut niveau. Ce phénomène, qu’il identifiait à la notion de transfert vertical, renvoyait à l’idée selon laquelle un individu ne pourrait maîtriser une habileté complexe sans d’abord en maîtriser les éléments constitutifs.

Cela ne signifie pas pour autant faire l’économie de l’apprentissage de tâches complexes. Au contraire, le processus d’« unitization »[7] rend compte de cette phase d’unification des composantes en jeu dans une compétence en vue de souder les composantes de la tâche complète. Par exemple, l’apprentissage de la lecture repose d’abord sur l’établissement d’automatismes sur le plan des habiletés de décodage grapho-phonétique suivi d’habiletés de fusion des sons en syllabes. En l’absence d’un apprentissage explicite de sous-habiletés liées au décodage, les élèves ne sont pas en mesure d’apprendre à lire. Les élèves doivent non seulement apprendre à faire ces correspondances lettres-sons avec un haut taux d’exactitude, mais ils doivent également automatiser ces habiletés par des pratiques répétées pour être en mesure d’accomplir les habiletés de fusion de sons nécessaires à l’énonciation des syllabes (Péladeau et al., 2005). En ce sens, il est donc inexact de penser comme on l’entend parfois que dans l’enseignement explicite, toutes les tâches sont découpées et que jamais la tâche complexe n’est recomposée à la fin. Qui plus est, « dans une recension des études empiriques sur le transfert, Baldwin et Ford (1988) concluent qu’une méthode d’enseignement globale à partir de mises en situations complexes peut s’avérer avantageuse uniquement si le niveau d’aptitude de l’ensemble des apprenants est élevé et si le niveau de complexité de la tâche est faible[8] » (Péladeau et al., 2005, p. 197). Il convient de souligner que les conclusions de Baldwin et Ford évoquées en 1988 ont été reconfirmées dans une publication plus récente (Blume, Ford, Baldwin et Huang, 2010).

Enseignement explicite, développement de compétences et psychologie cognitive

Trois éléments, issus des recherches en psychologie cognitive, permettent de comprendre les raisons de l’efficacité de l’enseignement explicite et sa cohérence avec une approche visant le développement de compétences. Il s’agit de (1) la façon dont une compétence se développe selon la psychologie cognitive; (2) l’importance de la pratique; (3) la théorie de la charge cognitive. Ces éléments sont décrits dans les trois sections suivantes.

La façon dont une compétence se développe selon la psychologie cognitive

Pour Gauthier et al. (2009, 2013) et Rosenshine (1986), le paradigme de l’enseignement, fondé sur le béhaviorisme et le cognitivisme, est le plus efficace pour développer une compétence. Selon les travaux réalisés en psychologie cognitive, la compétence se développe en trois phases : (1) la phase cognitive durant laquelle l’élève apprend et maîtrise un ensemble de connaissances liées à un domaine particulier, (2) la phase associative au cours de laquelle ces connaissances sont mobilisées et pratiquées dans divers contextes et (3) la phase autonome qui prend appui sur les savoirs élémentaires propres au domaine qui sont automatisés. Cette automatisation permet la libération de la mémoire de travail, qui peut alors se consacrer aux aspects plus complexes de la tâche (Anderson, 1983, 1997).

Le modèle du développement des compétences proposé par Anderson semble davantage favorisé par un enseignement explicite que par un enseignement socioconstructiviste. En effet, alors qu’elle est basée sur un modelage et une pratique guidée dans le cas de l’enseignement explicite, la dimension d’autonomie dans l’apprentissage est plutôt précoce dans une approche constructiviste. Qui plus est, dans un enseignement explicite, modelage, pratique guidée et pratique autonome favorisent la compréhension, le transfert et l’automatisation.

En s’appuyant sur des études empiriques, Rosenshine (2009) affirme également que l’enseignement explicite est efficace pour l’apprentissage de tâches complexes, d’un niveau d’abstraction supérieur telles que la compréhension en lecture, l’écriture et la résolution de problèmes mathématiques et scientifiques.

L’importance de la pratique

Bissonnette et Richard (2001) mettent en évidence le fait que la nécessaire entrée par des tâches complexes pour développer des compétences proposées par les approches socioconstructivistes est basée sur une généralisation erronée de la façon dont les experts apprennent. En effet, les tenants des approches socioconstructivistes sont arrivés à cette proposition en observant que les experts ayant développé un haut niveau de compétence dans leur domaine résolvent des tâches complexes. Or, cette résolution de tâches complexes n’est possible que parce que les experts (de tous les domaines) ont justement pratiqué pendant trois à quatre heures par jour durant une dizaine d’années.

En effet, les chercheurs en sciences cognitives s’accordent sur le fait qu’il faut des années de pratique pour devenir expert dans un domaine (Mayer, 2009). Quand les concepts et les habiletés sont pratiqués jusqu’au sur-apprentissage, ils peuvent être rappelés automatiquement de la mémoire à long terme. L’automaticité signifie « sans effort conscient » et « sans prendre d’espace dans la mémoire de travail ». Cet espace peut alors être libéré et utilisé pour la compréhension (Rosenshine, 2008). C’est ce que nous apprend la théorie de la charge cognitive.

La théorie de la charge cognitive

La théorie de la charge cognitive (Sweller, 1988) décrit la manière dont le cerveau humain apprend et stocke les connaissances. Elle est construite à partir de deux principes : (1) il y a une limite quant à la quantité d’informations que le cerveau humain peut traiter à la fois; (2) il n’y a pas de limites connues en ce qui concerne le nombre d’informations déjà stockées qui peuvent être traitées à la fois (Centre for Education Statistics and Evaluation [CESE], 2017).

Pour comprendre la théorie de la charge cognitive, il est nécessaire de comprendre comment fonctionnent la mémoire de travail et la mémoire à long terme (CESE, 2017; Kirschner et al., 2006).

La mémoire de travail est la structure cognitive dans laquelle les processus conscients ont lieu. Elle est très limitée à la fois en durée et en quantité. Ainsi, presque toutes les informations stockées en mémoire de travail qui ne sont pas répétées sont perdues après 30 secondes (Kirschner et al., 2006); de même, la capacité de la mémoire de travail est limitée à un petit nombre d’éléments (environ 7, plus ou moins 2) (Rosenshine, 2008).

La mémoire à long terme est le système de mémoire dans lequel de larges quantités d’informations sont stockées de manière semi-permanente (CESE, 2017). Les limitations de la mémoire de travail ne s’appliquent que pour les nouvelles informations. Quand on travaille avec des informations déjà stockées en mémoire à long terme, ces restrictions disparaissent. Ainsi, les informations sont disponibles en mémoire à long terme pendant une période de temps indéfinie, ce qui permet d’éviter la limite temporelle de la mémoire de travail; de même, il n’y a pas de limite concernant la quantité d’informations qui peuvent être emmagasinées dans la mémoire à long terme.

Selon la théorie de la charge cognitive, les connaissances sont stockées dans la mémoire à long terme sous la forme de schémas. Un schéma est « une structure cognitive ou un concept qui contribue à mettre en forme et à interpréter les nombreuses informations issues de l’environnement. Les schémas nous aident donc à organiser le monde et à agir en son sein. Il s’agit de représentations génériques de personnes, d’objets, d’événements, de situations et de comportements » (Tardif, Richard, Bissonnette et Robichaud, 2017, p. 236). Selon la théorie des schémas, la compétence se développe par la construction d’un grand nombre de schémas de complexité croissante. Un processus important pour la construction de schémas est l’automatisation. Grâce à cette dernière, l’information peut être traitée rapidement avec un minimum d’effort conscient (CESE, 2017), comme nous l’avons montré avec le modèle de développement de compétence d’Anderson (Anderson, 1983, 1997). L’automatisation apparaît après la pratique intensive (Sweller, van Merrienboer et Paas, 1998). Les schémas réduisent la charge cognitive. En effet, même s’il n’y a qu’un nombre limité d’éléments qui peuvent être retenus en mémoire de travail à un moment donné, le schéma ne constitue qu’un seul élément en mémoire de travail (CESE, 2017).

Le stockage et l’automatisation de schémas sont donc importants, car face à la présentation d’une trop grande quantité d’informations nouvelles, la mémoire de travail est submergée. C’est ce qu’on appelle la surcharge cognitive (Rosenshine, 2008). Si la mémoire de travail est surchargée, il y a un risque que le contenu ne soit pas compris par l’apprenant (Martin, 2016). La construction et l’automatisation des schémas réduit la charge cognitive, car l’apprenant peut accéder aux informations connues automatiquement, ce qui libère sa mémoire de travail qui peut alors se concentrer sur les nouvelles informations (CESE, 2017).

On comprend donc les résultats des recherches sur l’expertise qui ont montré que les « experts en résolution de problèmes » développent leurs compétences en s’appuyant sur leur grande expérience qui leur a permis de stocker nombre de schémas dans leur mémoire à long terme; ces derniers leur permettant de résoudre plus facilement les problèmes (Kirschner et al., 2006). Selon ces mêmes auteurs, le but de toute instruction est donc de modifier la mémoire à long terme. De leur côté, les novices (élèves débutants un apprentissage et/ou en difficulté) n’ont pas encore construit les schémas permettant de résoudre des problèmes complexes. Ils ont donc besoin d’un enseignement structuré du simple vers le complexe, servant de substitut aux schémas qu’ils n’ont pas encore élaborés (Clark, Nguyen et Sweller, 2006).

Ainsi, selon Kirscher et al. (2006), il est nécessaire de tenir compte des limitations de la mémoire de travail, chose que ne font pas toujours les approches minimalement guidées : « Les recommandations préconisant un guidage minimal durant l’enseignement agissent comme si la mémoire de travail n’existait pas ou comme si elle n’avait pas de limitations lorsqu’elle traite de nouvelles informations » (p. 77).

Le processus de découverte entre donc en conflit avec ce que nous connaissons de la cognition humaine « qui considère que la mémoire de travail est sérieusement limitée en capacité lorsqu’elle traite de nouvelles informations provenant de l’environnement extérieur, mais quasiment illimitée lorsqu’elle traite des informations connues et organisées provenant de la mémoire à long terme » (Sweller et al., 2007, p. 116).

Étant donné les limites de la mémoire de travail qui viennent d’être explicitées, il importe de réaliser que les activités d’apprentissage commençant par la résolution de problèmes créent une surcharge cognitive chez l’individu. Cette surcharge cognitive ne permet pas le stockage d’informations en mémoire à long terme. De plus, la théorie de la charge cognitive indique que l’exploration libre d’un environnement complexe peut générer une forte charge cognitive qui est néfaste à l’apprentissage. Ceci est particulièrement vrai pour les apprenants novices (Kirschner et al., 2006). Tuovinen et Sweller (1999) ont montré que la « pratique d’exploration » (une approche par la découverte) causait une bien plus grande charge cognitive et menait à un apprentissage plus pauvre que les problèmes déjà résolus (« worked examples ») (Kirschner et al., 2006). L’effet du problème résolu a été testé à de nombreuses reprises via des essais contrôlés randomisés (CESE, 2017). Il a été démontré pour la première fois par Cooper et Sweller (1987), qui avaient élaboré des expérimentations au cours desquelles des étudiants en mathématiques de l’enseignement secondaire devaient apprendre différents problèmes algébriques simples. Ils ont trouvé que les étudiants à qui l’on avait fourni de nombreux exemples de problèmes résolus ont appris plus rapidement que ceux qui devaient apprendre à résoudre les problèmes par eux-mêmes (CESE, 2017). Plus encore, Cooper et Sweller (1987) ont montré que les étudiants qui avaient appris à partir d’exemples de problèmes résolus parvenaient mieux à résoudre des problèmes similaires lors de tests subséquents et arrivaient mieux à solutionner des « problèmes de transfert » dans lesquels les règles algébriques qu’ils avaient apprises devaient être appliquées dans différents contextes (CESE, 2017). L’effet du problème résolu a été répliqué depuis dans un grand nombre d’essais contrôlés randomisés (p. ex., Bokosmaty, Sweller et Kalyuga, 2015; Carroll, 1994; Kyun, Kalyuga et Sweller, 2013; Paas, 1992; Paas et van Merrienboer, 1994; Pillay, 1994; Quilici et Mayer, 1996; Tuovinen et Sweller, 1999, cités dans CESE, 2017). Qui plus est, selon la méta-analyse de Crissman (2006, cité dans CESE, 2017), la taille d’effet des problèmes résolu est de 0,52, ce qui en fait une pratique efficace (taille de l’effet supérieure à 0,4).

L’effet du problème résolu s’explique par la théorie de la charge cognitive (CESE, 2017). En effet, la situation de résolution de problèmes non guidée place la mémoire de travail dans une situation de surcharge cognitive, rendant impossible le transfert d’informations dans la mémoire à long terme (Kirschner et al., 2006). Un apprenant peut donc être engagé dans des activités de résolution de problèmes pendant un temps important et ne presque rien apprendre en fin de compte (Kirschner et al., 2006). Il convient de souligner que l’effet du problème résolu disparaît et s’inverse lorsque l’expertise de l’apprenant augmente. Ceci montre bien qu’il est nécessaire de guider pendant un temps les novices, mais aussi de retirer cette guidance à mesure que l’apprenant devient compétent (CESE, 2017). Il s’agit là du processus d’étayage-désétayage préconisé par l’enseignement explicite (Gauthier et al., 2013).

Conclusion

Si le recours à l’enseignement explicite est nécessaire pour développer des compétences, cela n’implique pas qu’il doit être utilisé en tout temps et que les approches (socio)constructivistes ne peuvent, quant à elles, jamais être utilisées. Il convient plutôt de les placer sur un continuum et de choisir l’approche pédagogique la plus appropriée en fonction de quatre critères pédagogiques : le niveau de complexité / nouveauté de la tâche, le niveau de compétence des élèves, le temps disponible, le type d’idées à enseigner (maîtresses[9] ou secondaires). Ces critères sont décrits par Bocquillon, Bissonnette et Gauthier (2019).

Cette idée de choisir l’approche pédagogique la plus appropriée à chaque situation en fonction notamment du continuum novice/expert a également été mise en évidence par le CESE (2017) :

« Il est important de noter que les théoriciens de la charge cognitive ne préconisent pas l’utilisation constante de tous les aspects de l’enseignement explicite. En effet, ils reconnaissent la nécessité de donner aux apprenants la possibilité de travailler en groupe et de résoudre des problèmes de manière autonome – mais affirment que cela devrait être utilisé comme un moyen de mettre en pratique le contenu et les compétences nouvellement appris, et non de découvrir des informations eux-mêmes (Clark, Kirschner et Sweller, 2012, p. 6) […] Andrew Martin (2016), par exemple, préconise un modèle d’enseignement qui est explicitement conçu autour de la théorie de la charge cognitive et des contraintes de la mémoire de travail. Toutefois, il suggère que des approches moins structurées peuvent également constituer une méthode pédagogique efficace pour les étudiants qui se situent plus loin sur le continuum novice / expert si cet enseignement est conçu en tenant compte des contraintes de la mémoire de travail. »

CESE, 2017, p. 6, traduction libre

Il ne s’agit donc pas de « saupoudrer un peu de tout », mais bien de choisir l’approche pédagogique la plus appropriée en fonction de critères pédagogiques clairs (et non de préférences idéologiques), tels que le niveau de compétence des élèves et le degré de nouveauté / complexité de la tâche.

Les recherches en sciences cognitives indiquent que les apprentissages scolaires sont des habiletés cognitives secondaires et que celles-ci sont apprises par la mise en place d’un enseignement explicite, car ce type d’enseignement respecte les limites inhérentes à la mémoire de travail. Par conséquent, l’enseignement explicite est une nécessité pour assurer le développement de compétences et non une antinomie.