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Introduction

Dans certains médias québécois, des chroniques, des articles et des lettres d’opinion mettent en exergue un débat concernant l’évaluation des enseignants ayant obtenu leur statut de permanence (Béchard, 2017; Longpré, 2014; Proulx, 2018). La principale controverse concerne le fait que ces enseignants ne sont généralement pas évalués (Gouvernement du Québec, 2014), contrairement à d’autres juridictions canadiennes, comme l’Ontario et le Nouveau-Brunswick (Klinger, Shulha et DeLuca, 2008).

L’évaluation des enseignants est aussi un sujet largement discuté dans la littérature scientifique (Abernot, 2009). De nombreux travaux de recherche (Adams et al., 2015; Danielson, 2012; Hattie et Clinton, 2010; Kaufman, Engberg, Hamilton, Yuan et Hill, 2019; Koedel, Li, Springer et Tan, 2019; Papay, 2012; Robinson, 2019; Taut, Jiménez, Puente-Duran, Palacios, Godoy et Jorge Manzi; 2019; Yoo, 2018) se sont intéressés aux différents modèles d’évaluation existants afin de dégager les modalités les plus efficaces. D’autres études ont plutôt souhaité identifier les impacts sur les enseignants et leur enseignement (Derrington et Martinez, 2019; Ford, 2018; Holloway, 2019a; Holloway, 2019b; Kettler et Reddy, 2019; Paufler, 2018) ainsi que sur la réussite scolaire des élèves (OCDE, 2013). Il ressort de ces études que l’évaluation des enseignants, particulièrement lorsqu’elle est de nature formative et arrimée au développement professionnel, a des impacts positifs sur la réussite des élèves (Dudek, Reddy et Lekwa, 2019; Lekwa, Reddy, Dudek et Hua, 2018). Des modèles sont souvent cités en exemple, comme le Framework for Teaching de Danielson (2007) ou celui du National Board for Professional Teaching Standard (NBPTS).

Au Québec, il subsiste, tant dans la littérature que dans la pratique, une confusion entre le concept et la pratique de la supervision pédagogique et de l’évaluation des enseignants (Béchard, 2017; Bilodeau, 2016), ce qui complexifie les réflexions sur le sujet. Plusieurs questions demeurent sans réponse consensuelle, à commencer par le bien-fondé même et la fiabilité de cette évaluation (Abernot, 2009; Bell, Jones, Qi, Lewis, 2018; Campbell et Ronfeldt, 2018; Drake, Auletto, Cowen, 2019; OCDE, 2013). Toutefois, comme le souligne Paquay (2004, p. 7), « qu’elles soient officielles ou larvées, qu’elles soient instrumentées ou non, les pratiques d’évaluation des enseignants ne laissent personne indifférent dans le monde de l’éducation. » En d’autres mots, qu’on le veuille ou non, les enseignants sont évalués (de manière formelle ou informelle), cette évaluation suscite un certain intérêt et il est important d’en discuter. Au Québec, le sujet ferait polémique, notamment en raison du point de vue des syndicats représentant les enseignants (Gouvernement du Québec, 2014), et Carbonneau (2004) qualifie même la situation de « tabou ».

Le présent article présente les résultats d’une recherche[1] effectuée auprès d’enseignants ayant obtenu leur statut de permanence et de directions d’école du secondaire concernant la forme que pourrait prendre l’évaluation des enseignants du secondaire. Son intérêt réside dans le fait qu’aucune évaluation régulière de ces enseignants n’est réalisée à l’heure actuelle et que certains chercheurs proposent d’impliquer les personnes concernées le plus tôt possible dans le développement d’un modèle d’évaluation (Adams et al., 2015; Emery et Simonet, 2019; Hattie et Clinton, 2010). Un aperçu de la littérature scientifique sur le sujet ainsi que les définitions des concepts importants sont d’abord exposés. Par la suite, la méthodologie utilisée pour mener à bien cette étude est explicitée. Finalement, les résultats recueillis auprès des participants ainsi que leur interprétation dans la discussion sont présentés.

Le point de vue des enseignants et des directions d’école secondaire : qu’en savons-nous ?

Des écrits scientifiques rapportent l’opinion de ces deux groupes de parties prenantes au regard de l’évaluation des enseignants. Tant le personnel enseignant que les membres de la direction de l’école se montrent généralement favorables à une évaluation si celle-ci poursuit une visée formative favorisant l’amélioration des pratiques et une évaluation purement sommative divise davantage les opinions (Abu-Hussain et Essawi, 2014; Flores et Derrington, 2017; Heneman et Milanowski, 2003; Himmelein, 2009; Paufler et Clark, 2019; Pharis, Wu, Sullivan et Moore, 2019; Reddy, Dudek, Peters, Alperin, Kettler et Kurz, 2018; Tuytens et Devos, 2009; Warren et Ward, 2019). Il appert que la fréquence et les modalités de l’évaluation varient en fonction de l’expérience des enseignants (en début de carrière, en probation, en situation de permanence, etc.) (OCDE, 2013). Selon plusieurs études, l’observation formelle en classe demeure la modalité la plus répandue pour évaluer les enseignants, et ce, peu importe leur expérience (Abu-Hussain et Essawi, 2014; Dupree, 2009; Himmelein, 2009; Klinger et al., 2008). Ces deux groupes de répondants souhaitent que le processus ne soit pas trop lourd, qu’il soit représentatif des tâches quotidiennes de l’enseignant et qu’il favorise l’ouverture ainsi que la discussion (Abu-Hussain et Essawi, 2014; Dupree, 2009; Heneman et Milanowski, 2003; Himmelein, 2009; Kersten et Israel, 2005). Par ailleurs, les directions reconnaissent leur besoin d’être mieux outillées pour effectuer cette tâche et, dans certains cas, affirment n’avoir reçu aucune formation (Himmelein, 2009; Kersten et Israel, 2005). Selon certains enseignants, ce manque de formation (ou la perception que cela est le cas) constitue l’une des principales limites à la crédibilité du processus (Tuytens et Devos, 2013; Zimmerman et Deckert-Pelton, 2003). Finalement, les personnes consultées demandent la possibilité de personnaliser davantage les modalités d’évaluation afin de mieux répondre aux besoins de développement professionnel des enseignants (Kersten et Israel, 2005).

À notre connaissance, peu d’études québécoises récentes présentent l’opinion des enseignants et des directions d’école au sujet de l’évaluation des enseignants ayant obtenu leur statut de permanence, probablement en raison de l’absence d’évaluation formelle visant ces enseignants. De plus, comme mentionné précédemment, il existe un flou entre le concept d’évaluation et de supervision pédagogique. Ces deux éléments font en sorte qu’il est difficile de brosser le portrait avec précision. Selon les quelques études recensées, il semble que l’évaluation des enseignants soit moins pratiquée au Québec qu’ailleurs au Canada (Bilodeau, 2016; Carbonneau, 2004; Klinger et al, 2008) et que les enseignants de la région montréalaise la percevraient plus négativement que dans d’autres grands centres urbains canadiens (Bouchamma, 2007). Des travaux plus anciens arrivent à des conclusions similaires (Forgette-Giroux et Richard, 1989; Minguy, 1978; Richard et Michaud, 1982). Les directions se plaignent, pour leur part, que les tâches administratives quotidiennes sont lourdes et que l’évaluation du personnel enseignant est chronophage en plus de ne pas toujours permettre aux enseignants d’améliorer leurs pratiques (Bilodeau, 2016; Lavoie, 2011).

L’évaluation des enseignants : une pratique vaste

Les pratiques d’évaluation des enseignants représentent un vaste champ d’études. Deux composantes méritent particulièrement notre attention : 1) ce que l’on entend par « évaluation des enseignants » et 2) les composantes comprises dans toute démarche évaluative. En plus de ces deux composantes, une troisième s’ajoute afin de bien circonscrire notre objet de recherche : ce qui constitue, dans le contexte du Québec, le statut professionnel de permanence.

L’évaluation des enseignants: une définition qui s’impose

L’évaluation consiste à déterminer la valeur d’un objet – ici la pratique de l’enseignant – et à la comparer à des caractéristiques attendues. Autrement dit, on portera un jugement appuyé sur des critères d’évaluation précis et, éventuellement, sur des seuils de performance établis et reconnus de tous. Comme le rappelle Paquay,

évaluer, ce n’est pas seulement prendre des informations à propos d’un objet, d’une personne ou d’une action. Évaluer, c’est toujours porter un jugement quant à la valeur de cet objet, de cette personne ou de cette action. C’est en fait comparer ce qu’on perçoit (ce qu’on observe ou ce qu’on mesure) avec ce qu’on attend

Paquay, 2004, p. 14-15

Le référentiel des compétences en enseignement du ministère de l’Éducation du Québec (MEQ, 2001) représente le seul modèle largement reconnu au Québec de ce qui est attendu en enseignement primaire et secondaire. Ce document expose douze compétences professionnelles, divisées en quatre domaines, que le futur enseignant doit maîtriser : 1) les fondements de l’éducation; 2) l’acte d’enseigner; 3) le contexte scolaire et social; et 4) l’identité professionnelle. Il est aussi utilisé par les commissions scolaires pour guider l’évaluation des enseignants novices et, dans une certaine mesure, pour guider le développement professionnel des enseignants d’expérience. Bien qu’il constitue le profil d’entrée dans la profession enseignante au Québec, il n’existe cependant aucun standard similaire pour les enseignants en exercice. Puisqu’aucune évaluation officielle des enseignants ayant obtenu leur statut de permanence n’est réalisée, il n’y a pas non plus de représentation consensuelle de ce que devrait être cette évaluation.

D’après l’information dans le référentiel des compétences (MEQ, 2001),

la compétence professionnelle de l’enseignant se déploie en contexte professionnel réel […], se fonde sur un ensemble de ressources, s’inscrit dans l’ordre du savoir-mobiliser en contexte d’action professionnelle, se manifeste par un savoir-agir réussi, efficace, efficient et récurrent, est liée à une pratique intentionnelle.

MEQ, 2001, p. 45

Ainsi, l’évaluation d’un enseignant en exercice devrait porter sur la « pratique intentionnelle » de l’enseignant et la comparer, comme l’affirme Paquay (2004), à ce qui est attendu. Cette description, très vague il faut en convenir, donne néanmoins un cadre commun permettant de mieux définir le concept central de la recherche.

Composantes de la démarche évaluative : quelques incontournables !

La littérature scientifique décrit la démarche évaluative comme l’ensemble des composantes liées à la conception et la réalisation d’un système d’évaluation. Elles se regroupent en quatre thèmes : 1) Les fonctions de l’évaluation; 2) Les critères d’évaluation; 3) La personne responsable de l’évaluation et 4) Les modalités de l’évaluation.

Il existe deux fonctions principales à l’évaluation : une fonction formative et une fonction sommative (Danielson, 2012; OCDE, 2013; Papay, 2012), qui ne sont pas nécessairement opposées, mais dont la poursuite simultanée représente un défi (Abernot, 2009; Danielson, 2012; Emery et Simonet, 2019; Paquay, 2004; 2005). En effet, dans une perspective formative, l’évaluation est souvent qualitative et vise à fournir une rétroaction à l’enseignant concernant ses forces et ses faiblesses dans le but d’améliorer sa pratique (Danielson, 2012; Papuay, 2012; Paquay, 2004; 2005), alors que dans une perspective sommative l’évaluation est vue comme un bilan à la suite d’une période de probation ou d’une période de mise en examen (Paquay, 2005). Dans cette deuxième perspective, un résultat positif à l’évaluation mène souvent à l’obtention (ou au maintien) d’un statut professionnel, à une promotion ou à une augmentation salariale (Paquay, 2004).

Puisqu’il existe de nombreux critères et indicateurs sur lesquels baser l’évaluation (OCDE, 2013), les parties prenantes peuvent avoir des opinions divergentes au sujet de ceux devant être préconisés (Carbonneau, 2004; Paquay, 2004, 2005). Ces critères peuvent provenir d’un profil de compétences, comme le référentiel du ministère de l’Éducation du Québec (MEQ, 2001), d’une description de tâche (Emery et Simonet, 2019), d’un plan de développement, etc. (OCDE, 2013). Ils peuvent aussi être issus d’instances centralisatrices (comme un ministère ou une organisation professionnelle) ou être établis localement par un établissement ou un regroupement d’établissements (par exemple, par une commission ou un district scolaire). Dans plusieurs cas, les critères s’accompagnent de seuils de réussite ou d’une échelle de performance (OCDE, 2013).

Selon les différents modèles, la personne responsable de mener l’évaluation varie également (OCDE, 2013). Elle peut autant provenir de l’établissement scolaire que de l’extérieur de celui-ci. Dans la plupart des pays recensés par l’OCDE (2013), l’évaluation des enseignants incombe aux directions d’école ou au supérieur hiérarchique immédiat. Dans certaines juridictions, toutefois, celle-ci est effectuée, du moins partiellement, par des collègues d’expérience ou par d’autres professionnels, comme des mentors, des conseillers pédagogiques ou des évaluateurs officiels (Abernot, 2009; OCDE, 2013; Paquay, 2004; 2005).

Finalement, en ce qui a trait aux modalités privilégiées pour réaliser l’évaluation, l’ensemble des étapes, des processus, des mécanismes utilisés et des sources consultées peuvent varier. Dans presque tous les cas, des outils d’évaluation, comme des grilles ou des listes de critères observables, sont utilisés afin de rendre le processus plus objectif (OCDE, 2013; Papay, 2012; Paquay, 2004). Les modalités les plus fréquentes sont l’observation en classe (Danielson, 2007; OCDE, 2013), l’étude de documents (Paquay, 2004) ainsi que l’utilisation des résultats et de l’opinion des élèves (Braun, 2005; Peterson, Wahlquist et Bone, 2000).

Le statut professionnel de permanence : à quoi cela correspond-il ?

Le statut de permanence n’a pas exactement la même définition dans l’ensemble des commissions scolaires du Québec. Selon la convention collective de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE, 2014, p. 20), à la section 2 et à l’article 5-3.08, la permanence constitue…

… le statut acquis par l’enseignante ou l’enseignant qui a terminé au moins 2 années complètes de service continu à la commission soit à titre d’enseignante ou d’enseignant à temps plein, soit à titre d’employée ou d’employé régulier à temps plein dans une autre fonction à la commission, et ce, depuis son engagement à la commission.

La présente recherche tente, en partie, de documenter le point de vue d’enseignants du secondaire ayant obtenu leur statut de permanence à la suite d’au moins deux années complètes de service continu au sein de la même commission scolaire.

Méthodologie

Cette recherche s’inscrit dans la perspective d’une étude de cas (Yin, 2014), puisqu’elle s’intéresse à un « phénomène, un événement, une organisation ou un groupe d’individus bien délimité, afin d’en tirer une description précise et une interprétation qui dépasse ses bornes » (Roy, 2016, p. 199). Comme cette étude vise à décrire la forme que pourrait prendre une démarche d’évaluation des enseignants dans le contexte des écoles publiques et francophones québécoises à partir du point de vue d’enseignants et de directions d’écoles secondaires, l’étude de cas est tout indiquée. Elle a été réalisée dans le cadre d’un mémoire de maîtrise.

Sélection des participants

L’échantillon retenu est de type intentionnel et a été constitué grâce à la technique boule de neige (snowball sampling) telle que définie par Patton (2015). Huit participants (n=8) ont ainsi été sélectionnés. Ils sont divisés en deux groupes : les enseignants permanents (n=5) et les directions d’école qui incluent des directions générales et des directions adjointes d’établissement (n=3). En raison de différentes contraintes de temps et de ressources, l’objectif initial était de recruter 10 participants (cinq de chaque groupe). Cependant, le contexte particulier de négociations syndicales caractérisant la période où les entrevues ont été réalisées (automne 2015 et hiver 2016) a limité notre capacité de recrutement.

Les participants devaient correspondre aux critères d’inclusion suivants : (1) travailler ou avoir travaillé dans l’enseignement secondaire dans une commission scolaire francophone du Québec; (2) avoir le statut de permanence (pour les enseignants) ou avoir minimalement trois ans d’expérience comme membre de la direction d’un établissement scolaire; (3) avoir déjà participé à l’évaluation d’un enseignant (à titre de personne évaluée ou à titre d’évaluateur) et (4) être disposé à discuter d’évaluation. Ce dernier critère s’avérait particulièrement important puisqu’il était essentiel de ne pas seulement recueillir le point de vue de participants ayant une opinion favorable de l’évaluation. Sur le document expliquant les objectifs de la recherche et invitant les personnes potentielles à participer, il était très clair que tous les points de vue étaient bienvenus tant qu’elles se montraient disposées à discuter du sujet visé par la recherche.

Au moment des entrevues, les participants travaillaient dans cinq commissions scolaires différentes : la commission scolaire de Montréal (CSDM), la commission scolaire des Trois-Lacs (CSTL), la commission scolaire au Coeur-des-Vallées, (CSCV) la commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles (CSSMI) et la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB). La distribution des répondants reflète en partie la réalité du milieu scolaire, puisque le groupe des enseignants réunit majoritairement des femmes et le groupe des directeurs est composé exclusivement d’hommes. Les directeurs cumulent 6,67 années d’expérience en moyenne. La moyenne d’expérience des enseignants est estimée à 14 ans, puisqu’il est impossible de l’établir avec précision en raison de la période, en début de carrière, pendant laquelle les enseignants travaillent fréquemment à temps partiel.

Déroulement

La recherche a été menée à l’aide d’entrevues individuelles semi-dirigées dont la durée varie de 40 à 90 minutes. Elles ont toutes été réalisées par la même personne en suivant un questionnaire contenant 10 questions regroupées en cinq thèmes (deux questions par thème) : 1) Opinion générale, 2) Fonctions de l’évaluation, 3) Critères d’évaluation, 4) Personne responsable de l’évaluation et 5) Modalités de l’évaluation.

Le premier thème permet de documenter l’opinion générale des participants et les quatre autres correspondent à la division retenue dans la définition de la démarche évaluative. Les participants ont également été informés qu’ils demeuraient libres d’aborder toute autre thématique jugée pertinente à tout moment de l’entrevue et qu’ils pouvaient également y mettre fin sans conséquence ou pénalité. Spécifiquement pour les directions d’école, le quatrième thème – Personne responsable de l’évaluation – comprenait deux questions supplémentaires (douze en tout) en lien avec les tâches et les compétences de la personne responsable de l’évaluation.

Les entrevues ont majoritairement été réalisées en personne et enregistrées à l’aide d’un appareil numérique, dans un lieu choisi par les participants. Deux entrevues ont dû être réalisées par téléphone en raison de la distance, mais rien ne porte à croire que cela ait eu un impact sur la qualité des informations recueillies. Tous les enregistrements ont été retranscrits intégralement en verbatim en vue d’être analysés.

Analyse des données

La codification et l’analyse des données ont été effectuées par une seule personne à l’aide de la version 1.0.1 du logiciel Weft QDA. La démarche d’analyse utilisée comprend quatre étapes comme le suggèrent Blais et Martineau (2006) : 1) la préparation des données brutes; 2) la lecture attentive et approfondie des verbatim; 3) l’identification et la description des premières catégories et, finalement, 4) la révision et le raffinement des catégories. Une analyse thématique des données recueillies a été effectuée suivant les cinq thèmes du questionnaire d’entrevue.

En plus de la démarche de Blais et Martineau (2006), le référentiel des compétences professionnelles du ministère de l’Éducation du Québec (MEQ, 2001) a été utilisé pour codifier les données issues de la troisième thématique « Critères d’évaluation à considérer ». Ce modèle reconnu par le milieu éducatif québécois a permis de relier les idées des participants à un standard connu de tous. Chaque critère d’évaluation mentionné par les participants a ainsi été classé dans la compétence qui lui correspond, parmi les 12 compétences du référentiel.

Résultats

Les résultats[2] présentés dans cet article couvrent essentiellement les cinq thèmes du questionnaire, mais les résultats ont été regroupés en quatre sections pour des raisons de cohérence et pour éviter certaines répétitions : 1) Fonctions de l’évaluation; 2) Critères d’évaluation; 3) Modalités et sources d’information et 4) Personne responsable de l’évaluation. Conformément à la perspective d’une étude de cas (Roy, 2016; Yin, 2014), les résultats sont présentés de manière à faire ressortir les grandes tendances et à comparer les points de vue dans le but de décrire l’approche d’évaluation préconisée par les participants. Ces derniers sont identifiés à l’aide d’un code alphanumérique composé d’une lettre (« E » pour les enseignants et « D » pour les directeurs) ainsi que d’un chiffre allant de 1 à 5 (ex. : E3).

Fonctions de l’évaluation : privilégier une visée formative

D’entrée de jeu, tous les participants n’ont pas la même opinion au sujet de l’évaluation des enseignants : les directeurs d’école sont unanimement en faveur de celle-ci, mais les enseignants sont partagés. Les enseignants E3 et E4 ont explicitement affirmé être en désaccord avec une telle pratique, mais tous les enseignants ont exprimé des réserves. Dans l’éventualité où l’évaluation serait implantée, tous les participants préfèrent une évaluation formative favorisant le développement professionnel des enseignants. Pour le directeur D5, une visée sommative est moins indiquée pour des enseignants permanents, puisqu’ils sont déjà réputés compétents en raison de leur statut professionnel :

Ce que je recherche ce n’est pas de savoir si l’enseignant est compétent, puisqu’en théorie il est compétent; il a eu sa permanence. Ce que je recherche, c’est de développer chez lui une zone de vulnérabilité ou de développer davantage une zone de force.

D5

Les enseignants aimeraient aussi que l’évaluation serve principalement à les aiguiller vers des formations pertinentes. Les directeurs D2 et D4 ajoutent qu’il ne faut cependant pas perdre de vue que l’évaluation doit aussi mener à une amélioration de la réussite scolaire des élèves et qu’une mesure en ce sens s’impose. Aucun enseignant n’a cautionné explicitement cette idée.

Bien qu’une tendance claire se dessine au profit d’une visée formative de l’évaluation, certains participants aimeraient aussi une composante sommative. Les enseignants E1 et E5 ainsi que le directeur D4 disent être ouverts à une évaluation partiellement sommative, avec des mesures disciplinaires si la performance de l’enseignant n’est pas suffisante. L’enseignant E5 croit que l’évaluation devrait servir à éliminer « les pommes pourries ». Pour le directeur D4, il s’agit surtout « d’être capable d’intervenir ou d’avoir plus d’outils pour que le prof sente plus de pression quand il ne fait vraiment pas le travail ». Dans sa commission scolaire, affirme-t-il, les évaluations, même lorsqu’elles sont négatives, ne mènent que très rarement à des conséquences ou à des congédiements.

Critères d’évaluation : élaborer les critères à partir du référentiel des compétences

Des éléments appartenant aux quatre domaines de compétences professionnelles du référentiel (MEQ, 2001) ont été mentionnés. À titre de rappel, ces domaines sont : 1) Fondements; 2) Acte d’enseigner; 3) Contexte social et scolaire; et 4) Identité professionnelle.

Dans le domaine « Fondements », qui comprend les compétences liées à la maîtrise des savoirs, mais aussi aux habiletés de communication, quatre participants (deux enseignants et deux directeurs) considèrent important de valider la maîtrise des contenus enseignés. Pour les quatre autres participants, toutefois, les enseignants permanents devraient déjà maîtriser les connaissances et techniques propres à leur discipline. Ils préféreraient qu’on vienne s’assurer que les enseignants possèdent des habiletés efficaces à communiquer et à transmettre ces contenus.

Le domaine « Acte d’enseigner » est celui qui reçoit le plus d’attention de la part des participants. La majorité (quatre enseignants et deux directeurs) propose premièrement d’évaluer les habiletés de gestion de classe. Les propos de l’enseignant E3, quoiqu’assez figurés, sont représentatifs de ce point de vue : « Peu importe si tu as le meilleur enseignant, avec la matière la mieux enseignée, [il] n’arrivera à rien tant que c’est le bordel. Enseigner, c’est commencer par essayer d’avoir un troupeau assis qui t’écoute » (E3). Le directeur D4 modère en quelque sorte les propos de l’enseignant E3 et ajoute que la gestion de classe « ce n’est pas seulement [avoir] le contrôle sur le groupe, mais c’est également favoriser l’engagement des élèves » (D4).

La quasi-totalité des participants (quatre enseignants et trois directeurs) estime aussi que la qualité de l’intervention didactique est un critère primordial. Cet élément inclut l’ensemble des stratégies déployées par l’enseignant pour planifier, enseigner et évaluer la progression des apprentissages des élèves. L’enseignant E3 l’explique en mentionnant que ce sont toutes les manipulations apportées à un concept donné pour le rendre intelligible par les élèves : « C’est la capacité de voir comment faire apprendre et comment mesurer cet apprentissage. Dans quel ordre empiler les contenus pour obtenir un tout organisé » (E3). Pour le directeur D2, cela passe aussi par une adéquation entre le programme de formation et ce qui est réellement enseigné aux élèves :

On pourrait intégrer un autre aspect qui est l’application de son programme : l’enseignant est-il à jour dans ses compétences? Est-ce qu’il connaît son programme? Est-ce qu’il connaît sa progression des apprentissages? Est-ce qu’il enseigne la bonne chose au bon moment? Est-ce qu’il maîtrise son contenu? Toutefois, il y a une différence entre maîtriser le contenu et passer le bon contenu au bon moment.

D2

Le domaine « Contexte social et scolaire », très large, fait référence aux compétences d’adaptation et de coopération. Trois enseignants ont mentionné que la coopération avec l’équipe-école (les autres enseignants, les professionnels et les membres de la direction) est un élément important. Pour l’enseignant E5, la profession enseignante n’est pas « un métier individualiste […], ça ne marche pas si tu t’isoles et que tu travailles seul » (E5). L’enseignant E4 rappelle encore qu’avec le nombre grandissant d’élèves présentant des troubles particuliers (comme les troubles d’apprentissage, d’hyperactivité et ceux associés au spectre de l’autisme) qu’on intègre de plus en plus dans les classes, il devient essentiel pour les enseignants de développer et d’entretenir des liens avec les autres professionnels tels que les psychologues ou les éducateurs spécialisés. En lien avec cette réalité, ces enseignants pensent aussi qu’il est désormais essentiel de faire de la différenciation pédagogique efficace. Il faudrait donc également tenir compte de la capacité des enseignants à adapter leurs enseignements et les critères permettant d’évaluer l’apprentissage en fonction du profil des élèves composant leurs groupes.

Un seul enseignant (E1) a explicitement mentionné le dernier domaine du référentiel, soit « Identité professionnelle ». Il est important de noter, toutefois, que lorsque les six participants (trois enseignants et trois directeurs) mentionnent être d’accord avec l’idée d’implanter une évaluation, ils font d’emblée référence à la première compétence de ce domaine, puisqu’ils préconisent une évaluation qui soit arrimée au développement professionnel des enseignants permanents. La compétence 11 du référentiel du MEQ (2001), qui concerne la capacité de l’enseignant à s’engager dans un parcours de développement professionnel, n’est donc plus seulement un élément sur lequel devrait porter l’évaluation, mais son ancrage principal.

Finalement, un dernier élément, la relation maître-élève, a été mentionné par quatre enseignants et deux directeurs. Pour ces participants, il est important que l’enseignant soit en mesure de développer un lien fort avec ses élèves afin de favoriser l’écoute et le respect. Cet élément ne correspond à aucune compétence précise du référentiel du MEQ (2001), mais est plutôt partiellement compris dans plusieurs d’entre elles. Le directeur D4 précise qu’une grande flexibilité devrait être apportée à l’interprétation de ce critère. Pour lui, la relation maître-élève peut prendre plusieurs formes et il pourrait être difficile de bien l’apprécier. Il mentionne, par exemple, que certains enseignants de son école entretiennent de très bons rapports avec leurs groupes, sans pour autant avoir une relation individuelle forte avec chacun des élèves. Ces propos sont en adéquation avec ceux des cinq autres participants.

Modalités et sources d’information : évaluer plus souvent et mieux documenter les observations

Globalement, les participants souhaitent que l’évaluation soit plus régulière et systématique. L’enseignant E1 propose que le processus soit annuel puisque, selon lui, l’enseignement est un domaine en changement continuel et qu’il est important pour les enseignants de s’actualiser constamment. A contrario, d’autres participants (un enseignant et trois directeurs) considèrent plutôt que le processus serait trop lourd et qu’il serait impossible de bien le faire sur une base annuelle. C’est ce qui amène l’enseignant E5 et les directeurs D2 et D5 à proposer une évaluation triennale, voire quinquennale. Le directeur D4, quant à lui, n’évaluerait que les enseignants non permanents et ceux éprouvant des difficultés graves, mais les deux autres directeurs émettent des réserves quant à l’équité du processus et aux critères qui amèneraient le déclenchement de l’évaluation.

Si je cible seulement certains enseignants qui ont plus de difficulté, ou [avec lesquels] on a des choses à travailler, aux yeux des autres ils auront été traités différemment. Ça va créer des préjudices, ça va jouer sur le climat de travail.

D5

Les enseignants rencontrés suggèrent tous que l’évaluation soit le plus possible intégrée à leur quotidien ou que du temps soit dégagé afin d’accomplir les tâches liées à l’évaluation. En ce sens, ils penchent vers une évaluation flexible et personnalisée au contexte et aux besoins de chaque enseignant. L’enseignant E5 souhaite qu’il y ait un tronc commun, mais également qu’une place importante soit laissée à certaines modulations. Le directeur D4 croit, pour sa part, qu’une trop grande flexibilité de modalités entraînerait des levées de boucliers de la part des syndicats :

S’il y avait une évaluation, il faudrait que ce soit assez semblable d’une école à l’autre. Parce qu’il y a aussi toutes les questions de relation de travail. Par exemple, dans ma commission scolaire avec le syndicat qui est assez puissant, si c’est trop différent d’une école à l’autre, ce ne sera pas réaliste; ça ne pourrait pas se réaliser. Il faudrait aussi que ce soit enchâssé dans la loi.

D4

Par ailleurs, les participants considèrent l’observation en classe comme un moyen efficace pour évaluer les compétences en lien avec l’acte d’enseigner. Toutefois, quatre enseignants croient que lorsque les visites sont annoncées, la validité du jugement de l’évaluation est incertaine. L’enseignant E1, par exemple, explique que l’observation de sa direction, il y a quelques années, n’était pas du tout représentative de son travail habituel : « Par expérience les enseignants (…) sont trop préparés. Ils savent trop le moment où viendra la direction. (…) Personnellement, je me suis fait évaluer (…) et mon cours était absolument extraordinaire. C’est faux que je donne toujours des cours comme ça ! »

C’est ce qui amène trois autres enseignants (les enseignants E2, E3 et E5) à proposer que les séances d’observation se fassent à différents moments, tout au long de l’année scolaire. Cette observation n’aurait pas nécessairement à être effectuée pendant toute la période, « ce serait de voir l’enseignant cheminer tous les jours. Ce serait une évaluation qui se fait sur une longue période de temps et de voir, dans le fond, l’enseignant aller dans ses tâches de tous les jours » (E2). Les directeurs D2 et D5 abondent dans le même sens. Dans les cas où la présence de l’évaluateur modifie trop le comportement de l’enseignant ou des élèves, ce directeur recommande l’utilisation d’un enregistrement vidéo pour être en mesure d’observer l’enseignant dans son quotidien.

Finalement, en plus de l’observation, les entretiens entre l’évaluateur et la personne évaluée retiennent l’attention de plusieurs participants. Quatre enseignants et tous les directeurs croient que les entretiens sont essentiels, tant avant qu’après l’observation en salle de classe. Pour le directeur D5, l’entretien permet d’ouvrir le dialogue et de favoriser une bonne compréhension du contexte d’enseignement :

Si je prends juste le travail et que je le décontextualise, pour moi, ça n’a pas sa place. S’il n’y a pas de rétroaction et de discussion en lien avec ce qui sont observés ou évalués, alors on risque peut-être de perdre des éléments qui sont importants pour pouvoir avoir une évaluation bien représentative de ce qui se fait en classe.

D5

Personne responsable de mener l’évaluation : faire participer plusieurs évaluateurs issus de l’école

Dans le contexte actuel, les directions et directions adjointes semblent être les seuls évaluateurs désignés. Cette option semble même apparaître aux enseignants rencontrés comme la seule qui soit possible. L’enseignant E1 l’exprime bien lorsqu’il dit : « Je n’aime pas ma réponse, mais je pense que je suis obligé de dire [qu’il faudrait que ce soit] un membre de la direction » (E1). Son opinion est partagée par trois autres enseignants.

Cependant, en creusant un peu, certains participants précisent leur pensée et estiment voir la direction davantage comme un « coordonnateur » qui superviserait l’évaluation, mais qui n’aurait pas nécessairement le rôle d’évaluateur principal, voire aucun rôle d’évaluation.

Quand je dis que la direction doit s’occuper de l’évaluation, ce que je veux vraiment dire c’est qu’elle va chapeauter l’évaluation. Dans le sens qu’elle a la partie la moins intéressante, si ça ne va pas bien, il faut qu’elle rencontre la personne [évaluée].

E5

Conséquemment, ces participants proposent que plus d’un évaluateur soit impliqué. Les directeurs D2 et D5 estiment qu’il n’y a que des avantages à avoir plus d’un évaluateur.

Une évaluation formative devrait d’autant [être] plus diversifiée pour amener une expertise à différents niveaux, par différentes personnes et pour sentir que le développement ne se fait pas juste par la direction, mais vraiment pour l’enseignant qui développe des compétences qui sont ultimement utiles en classe pour aider les élèves.

D5

Pour le directeur D2, cela permet de pallier les lacunes de son expertise, puisqu’il affirme ne pas être expert en tout. Il mentionne notamment qu’il n’est pas habileté à commenter efficacement la maîtrise de contenus hors de son propre champ disciplinaire. À ce titre, un modèle d’évaluation qui rassemble le point de vue de plusieurs personnes en fonction de leur champ d’expertise respectif rejoint l’opinion de 4 enseignants et de tous les directeurs qui, eux, y voient aussi une manière de diminuer leur charge administrative. L’enseignant E3 dit à ce sujet :

Je pense que les conseillers pédagogiques seraient des personnes beaucoup moins menaçantes et beaucoup plus impartiales. Je pense que puisque les CP ont déjà été enseignants, ils ont quand même des compétences pédagogiques. Je pense que dans un contexte où la hiérarchie qui existe entre l’adjoint et l’enseignant vient biaiser [l’évaluation], c’est très stressant de recevoir ces commentaires-là de la part d’un supérieur.

E3

Pour terminer la présentation des résultats, les directions D2 et D4 estiment que la formation des directions au regard de l’évaluation n’est pas adéquate. Le directeur D2 affirme ne pas avoir reçu du tout de formation en ce sens et le directeur 4 croit que la formation offerte par sa commission scolaire est inadéquate :

Un autre problème qu’on a, je trouve que mes collègues à la direction d’autres écoles ne sont pas toujours assez exigeantes. C’est un manque de formation, je ne lance pas la pierre aux collègues. C’est très clair que les directions ne sont pas assez formées sur les façons d’évaluer [les enseignants]. Si je lis les objectifs de la grille, ce n’est pas compliqué, mais qu’est-ce qui est en deçà des attentes? Qu’est-ce qui est [supérieur aux attentes]?

D2

Plusieurs des enseignants rencontrés ont d’ailleurs l’impression que les directions ne sont pas suffisamment formées pour effectuer une évaluation pertinente, crédible et valide. Le problème de crédibilité ne tient cependant pas seulement à la formation des directions, mais également à leur expérience pédagogique en tant qu’enseignant selon l’enseignant E5 :

Moi, me faire évaluer par un directeur qui a enseigné pendant deux ou trois ans, je suis un peu mal à l’aise. Je ne vois pas ce qu’il va être capable de me dire. Comment il va me faire réfléchir sur ma pratique?

E5

Discussion

Les résultats permettent d’articuler une démarche d’évaluation à visée formative ciblant les enseignants ayant obtenu leur statut de permanence au Québec. La figure 1 en illustre les étapes sous forme de cycle. Pour respecter la tendance qui se dégage des résultats, ce cycle devrait se répéter de manière triennale ou quinquennale afin de ne pas être trop chronophage, mais également afin de permettre un suivi adéquat du développement professionnel des enseignants.

Figure 1

Démarche d’évaluation des enseignants permanents du secondaire telle que proposée par les participants

Démarche d’évaluation des enseignants permanents du secondaire telle que proposée par les participants

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La première étape – La rencontre préparatoire à l’évaluation – rejoint la demande des participants que l’évaluation favorise la discussion et la collaboration entre l’enseignant évalué et la personne qui coordonne le processus. Elle a pour but de définir les critères ainsi que les modalités grâce auxquelles l’évaluation s’opérationnalisera. L’enseignant et la personne responsable de l’évaluation se rencontrent et préparent un plan d’évaluation contenant aussi le nom de toutes les personnes devant être impliquées au processus (autres évaluateurs, conseillers pédagogiques, pairs, etc.). Certains auteurs (ACT, 2015; Adams et al., 2015; Carbonneau, 2004; OCDE, 2013; Emery et Simonet, 2019; Hattie et Clinton, 2010; Zimmerman et Deckert-Delton, 2003) mentionnent qu’une participation active des enseignants au choix des modalités est un élément clé qui favorise la crédibilité et l’acceptabilité du processus en plaçant les deux parties dans une relation de dialogue. L’enseignant, conformément à ce qui est souhaité par les participants de cette recherche, peut alors proposer une évaluation qui soit personnalisée à son contexte et qui représente réellement ses pratiques quotidiennes. Les critères d’évaluation peuvent ainsi répondre à la fois aux besoins de l’enseignant et aux demandes de la direction. Cette rencontre initiale permet d’établir un dialogue, de préciser les étapes à venir et de placer l’évaluateur et l’enseignant évalué dans une relation positive (Abu-Hussain et Essawi, 2014; Dupree, 2009; Heneman et Milanowski, 2003; Himmelein, 2009; Kersten et Israel, 2005).

À la deuxième étape – L’évaluation selon les modalités retenues –, l’évaluation se réalise selon les balises établies lors de la première étape. Selon les modalités retenues, l’évaluation peut comprendre des séances d’observation en classe, une autoévaluation, de l’analyse documentaire ou tout autre moyen jugé pertinent par les deux parties. Ces techniques, ainsi que d’autres comme l’analyse de travaux et de sondages d’élèves, sont fréquemment utilisées dans le cadre de l’évaluation d’enseignants (Braun, 2005; Danielson, 2007; Emery et Simonet, 2019; OCDE, 2013; Paquay, 2004; Peterson, K., Wahlquist, C. et Bone, K., 2000). Isoré (2009) précise cependant que la sophistication d’un système d’évaluation et la cohérence des moyens en fonction des éléments évalués importent davantage que la ou les modalités retenues en tant que telles. En ce sens, les enseignants rencontrés demandent que l’évaluation soit représentative de leur quotidien, qu’elle s’échelonne sur plusieurs mois, typiquement sur une année scolaire, et qu’elle permette de recueillir de l’information au sujet des critères d’évaluation ciblés. Tant les enseignants que les directeurs rencontrés souhaitent aussi que les moments d’évaluation formels soient plus fréquents, parfois annoncés et parfois non, pour mieux rendre compte des pratiques effectives.

Lors de la troisième étape – L’élaboration d’un plan de développement professionnel –, le plan de développement professionnel est développé conformément aux informations recueillies pendant l’évaluation. Ce plan permet à l’enseignant d’ancrer le développement de ses pratiques aux constats issus de l’évaluation et lui permet d’optimiser ses apprentissages professionnels. Son élaboration a lieu à la fin de l’année scolaire pendant laquelle se déroule l’évaluation et se rédige conjointement avec l’enseignant évalué et la personne responsable de l’évaluation. Il est possible que plusieurs rencontres soient nécessaires et que diverses modalités soient mises en place pour en assurer la réalisation. Cette manière de faire favorise à nouveau la discussion et la collégialité des personnes impliquées dans le processus. Cette étape rejoint aussi l’opinion des participants des études de nombreux chercheurs comme Flores et Derrington (2017), Paufler et Clark (2019) et Pharis, Wu, Sullivan et Moore (2019) ainsi que les nôtres, puisqu’elle assure que l’évaluation serve à orienter le développement professionnel.

La quatrième et dernière étape – Le suivi de la progression du plan de développement professionnel –, comprend les différents moments servant à effectuer le suivi avec l’enseignant pendant les trois ou cinq années du cycle où l’évaluation formelle n’est pas effectuée. Ces rencontres permettent d’examiner l’atteinte des objectifs, de prendre acte des changements de pratique de l’enseignant et de réévaluer la pertinence des modalités ciblées à l’étape trois. Ces rencontres sont également importantes à la fin du cycle afin d’établir un bilan des apprentissages et des réalisations accomplis dans les dernières années et de recommencer la démarche (Emery et Simonet, 2019). Cette étape permet d’atténuer certaines craintes des participants qui redoutent que le résultat de l’évaluation soit oublié, qu’il ne serve pas à grand-chose et qu’il ne produise aucun impact. Plus encore, elle appuie les recommandations d’autres chercheurs d’arrimer l’évaluation au développement professionnel des enseignants.

Pour terminer, en articulant les éléments tirés de la description de ces quatre étapes, il est possible de mieux définir ce à quoi devrait ressembler une évaluation des enseignants ayant obtenu leur statut de permanence au sein des écoles secondaires publiques québécoises. Ainsi, l’évaluation devrait être…

… une pratique évaluative participative, collégiale et coordonnée par un membre de la direction de l’établissement scolaire. De nature formative, elle vise à promouvoir le développement professionnel. Elle est récurrente, régulière et s’échelonne sur plusieurs mois. Le point de vue de plusieurs évaluateurs et le recours à de nombreuses sources d’informations sont à privilégier, puisque l’essence même de la profession est difficile à appréhender.

Perspectives pour la recherche

Trois nouvelles pistes de recherche se dégagent des résultats et de la littérature scientifique. Ainsi, d’autres groupes de personnes mériteraient l’attention des chercheurs. La grande majorité des écrits scientifiques documentent très bien l’opinion des enseignants et des directions d’école par rapport à l’évaluation des enseignants, mais laissent de côté l’opinion des élèves, des parents, des autres professionnels de l’éducation, comme les conseillers pédagogiques, ou encore de futurs enseignants en formation.

De plus, les différences de pratiques (si elles existent) entre le réseau franco-québécois et le milieu scolaire anglo-québécois mériteraient d’être mieux documentées. En effet, aucune étude québécoise ne semble s’être intéressée à la question de l’évaluation des enseignants permanents dans une telle perspective comparative. Les dernières études comparant les modèles d’évaluation des enseignants dans les différentes provinces du Canada datent aussi de plusieurs années (Klinger et al., 2008).

Finalement, des études comparatives entre les systèmes d’évaluation canadiens et ceux mis en place dans d’autres pays de la francophonie, comme la France, la Suisse ou la Belgique, pourraient apporter un éclairage intéressant quant aux modalités à implanter au Québec.

Forces et limites de l’étude

Au regard de la question de recherche, qui visait à déterminer les composantes d’une démarche d’évaluation des enseignants ayant obtenu leur statut de permanence, l’approche qualitative a permis d’approfondir le cas spécifique des enseignants des écoles secondaires du Québec pour générer une représentation détaillée de l’opinion des participants. L’une des principales contributions de cette recherche est son originalité, puisqu’elle pose la question de l’évaluation et de son acceptabilité, et ce, avant même qu’une évaluation des enseignants soit implantée.

Puisque l’objectif de cette recherche était de générer une compréhension du phénomène à l’étude au regard de l’opinion des parties prenantes, la petite taille de l’échantillon constitue cependant une limite. En effet, composé de seulement huit participants, cet échantillon limite la portée des résultats et la saturation des données n’a pas été atteinte. Également, dans ce contexte, la technique de recrutement préconisée pour constituer l’échantillon a pu biaiser les résultats. En utilisant les participants eux-mêmes comme recruteurs, une surreprésentation de certains points de vue est une possibilité. Finalement, il aurait été intéressant de poser cette même question à partir de perspectives tirées des sciences de la gestion.