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Introduction

La pleine conscience (ou mindfulness dans la littérature anglo-saxonne) est définie comme une qualité ou une manière d’être dans le moment présent, avec ouverture et sans jugement envers tout ce qui se présente dans le champ de la conscience (Kabat-Zinn, 2016). Deux processus sous-tendent la pleine conscience, à savoir une orientation de l’attention vers ce qui se déroule dans l’ici et maintenant, et une façon délibérée et positive de répondre à cette expérience (Bishop et al., 2004; Renshaw et Cook, 2017). Cette qualité d’être a été liée à une manière particulière de faire face aux situations imprévues du quotidien, permettant d’en réduire l’impact sur l’individu (Renshaw et Cook, 2017). Dans le contexte scolaire, une telle qualité de présence permettrait d’améliorer notamment le bien-être des enseignants et, de ce fait, la qualité de l’enseignement en classe. De plus, les pratiques de mindfulness (p. ex., porter l’attention sur ses sensations corporelles, ses émotions, ses pensées) peuvent renforcer des processus cognitifs (p. ex., attention) et émotionnels (p. ex., régulation émotionnelle) essentiels à l’apprentissage (Flook, Goldberg, Pinger et Davidson, 2015; Rempel, 2012).

Le programme Mindfulness-Based Stress Reduction (MBSR), ou Réduction du stress par la pleine conscience, a été développé en 1979 par Jon Kabat-Zinn dans un cadre médical. Ce programme permet de se recentrer et de cultiver un espace de calme et de bien-être. Il vise aussi à développer une certaine distanciation face aux difficultés et défis, donnant ainsi la possibilité de répondre avec discernement et calme aux circonstances, plutôt qu’en y réagissant de façon automatique. Depuis sa création, le programme MBSR a fait l’objet de nombreuses recherches scientifiques qui ont montré des bénéfices à pratiquer la pleine conscience selon cette approche. Plus particulièrement pour des adultes souffrant de douleurs chroniques, ce programme a permis d’améliorer leur perception de la douleur et la gestion de cette dernière (Chiesa et Serretti, 2011a) et dans le cas d’adultes souffrant de troubles psychiatriques, le MBSR s’est révélé efficace pour réduire les symptômes d’anxiété et de dépression (Hofmann, Sawyer, Witt et Oh, 2010). Enfin, pour des adultes ne souffrant d’aucune affection, ce programme a permis de diminuer le niveau de stress et d’anxiété (voir Chiesa et Serretti, 2009).

Sur la base de ces résultats, le programme MBSR s’est décliné en plusieurs types d’interventions basées sur la mindfulness, ou Mindfulness-Based Interventions (MBI), destinées à différents contextes d’application hors de son milieu hospitalier d’origine, comme notamment le monde du sport, de l’entreprise ou de l’éducation. Dans le contexte scolaire, ces interventions s’adressent aux enseignants, pour renforcer globalement leur résilience face aux contraintes professionnelles (Meiklejohn et al., 2012; Renshaw et Cook, 2017) et/ou aux élèves, généralement dans l’intention d’améliorer leur capacité à focaliser leur attention et à réguler leurs émotions (pour des revues de la question concernant les élèves, voir p. ex., Zenner, Herrnleben-Kurz et Walach, 2014; Zoogman, Goldberg, Hoyt et Miller, 2015).

Dans l’exercice de leur profession en particulier, les enseignants sont soumis à un niveau d’exigence de plus en plus élevé, ce qui a potentiellement un impact négatif sur leur santé et leur carrière (Gold, Smith, Hopper, Herne, Tansey et Hulland, 2010). Les exigences professionnelles des enseignants sont liées à divers facteurs, notamment les aspects socio-émotionnels inhérents au travail avec des groupes d’enfants ou d’adolescents (p. ex., gérer les conflits entre élèves, être un modèle d’auto-régulation de ses propres émotions en classe), les demandes attentionnelles de l’enseignement relatives aux multiples décisions à prendre dans l’urgence et l’incertitude, ainsi que les défis posés par certains comportements d’élèves (Crain, Schonert-Reichl et Roeser, 2017). De ce fait, la profession est caractérisée par un taux élevé d’épuisements professionnels, d’abandons dans les cinq premières années d’enseignement et de retraite anticipée, en raison notamment de troubles psychopathologiques et/ou psychosomatiques (Roeser, Skinner, Beers et Jennings, 2012).

Les interventions basées sur la pleine conscience apparaissent depuis peu comme une forme émergente de développement professionnel pour les enseignants, afin de renforcer leur capacité à gérer le stress et à répondre aux exigences socio-émotionnelles de l’enseignement (Boulware et al., 2019; Roeser et al., 2013; Todd et al., 2019). Des recherches montrent globalement des effets positifs sur la réduction du stress et des symptômes de burnout professionnel, mais également sur le développement de l’auto-compassion (Flook, Goldberg, Pinger, Bonus et Davidson, 2013; Roeser et al., 2013; Todd et al., 2019), la réduction de biais attentionnels et l’augmentation de comportements professionnels efficaces (Flook et al., 2013; Renshaw et Cook, 2017).

Une intervention basée sur la pleine conscience auprès des enseignants a plus particulièrement mis en évidence des effets significatifs sur le degré de mindfulness de ces professionnels, sur leur bien-être général et sur la qualité de leur gestion des relations en classe (Boulware et al., 2019; Jennings, Snowberg, Coccia et Greenberg, 2011; Luong et al., 2019). Ces enseignants ont également rapporté une très grande satisfaction vis-à-vis de la formation (souhaitant que tous les professionnels puissent en bénéficier), ont rapporté se sentir plus à l’aise pour gérer la classe ainsi qu’une amélioration de leurs relations avec les élèves. Une autre étude a montré des effets bénéfiques de ce type d’intervention sur les symptômes physiques du stress et la pression du temps, comparé à un groupe « témoin » (Jennings, Frank, Snowberg, Coccia et Greenberg, 2013). Enfin, une étude récente a attesté des effets bénéfiques de ce type d’intervention sur les symptômes de stress professionnel rapportés par les enseignants, ainsi que sur la réduction globale du stress, par rapport à un groupe « témoin » (Taylor et al., 2016). Ces résultats montrent un certain impact de la mindfulness sur la réduction du stress des enseignants de manière générale, ainsi que sur l’amélioration des aspects relationnels dans leur quotidien professionnel. Les effets constatés soulignent ainsi l’intérêt des interventions basées sur la pleine conscience pour promouvoir le bien-être des enseignants ainsi que leur efficacité professionnelle.

Dans une perspective de prévention, peu de ressources ou d’outils sont fournis aux enseignants en Suisse, bien que « les sollicitations psychiques dans le monde du travail représentent un problème croissant [dont] la gestion de la santé en entreprise doit tenir compte » (Mütsch, Schmid, Wettstein et Weil, 2014, p.3). À notre connaissance, aucune étude n’a encore examiné l’impact du programme MBSR sur des enseignants de Suisse romande. Un rapport récent portant sur la santé de ces enseignants et mené auprès de 5519 répondants (ce qui correspond à un taux de réponse de 54,9 % du total des enseignants syndiqués qui ont été consultés) montre que les deux tiers (66,6 %) estiment que leur activité professionnelle est stressante pour eux (Studer et Quarroz, 2017). Par ailleurs, plus de la moitié de cet échantillon (61,3 %) souligne une dégradation de la santé causée par le travail au cours des cinq dernières années. Dans ce contexte, il nous paraissait donc important de mener une première étude préliminaire permettant d’examiner la faisabilité et l’acceptabilité d’un programme MBSR auprès d’enseignants. Pour ce faire, nous avons évalué la satisfaction et les potentiels bénéfices subjectifs d’un groupe d’enseignants de Suisse romande ayant suivi le programme MBSR.

Méthode

Échantillon

Trois groupes d’enseignants en primaire (n = 37) de trois centres scolaires ont débuté le cours et un participant a dû arrêter après quatre sessions pour des raisons personnelles. L’échantillon ayant répondu au questionnaire à la fin du programme MBSR est donc composé de 36 participants, 7 hommes et 29 femmes, âgés de 26 à 51 ans (M = 36.57 ; ET = 8.33). Les enseignants étaient volontaires pour participer au programme en dehors de leur temps de travail (le soir pour les huit séances hebdomadaires et le samedi pour la journée de pratique « intensive »).

Programme MBSR

Ce programme MBSR était dispensé par le deuxième auteur (FD), un instructeur certifié ayant suivi la formation MBSR au Center for Mindfulness in Medicine, Health Care and Society de l’Université du Massachusetts Medical School avec les plus grands experts du domaine (Jon Kabat-Zinn et Saki Santorelli).

Le programme s’échelonnait sur huit semaines avec une séance hebdomadaire de 2 h 30 et des exercices à réaliser à domicile. Par ailleurs, une journée complète de pratique « intensive » (durant sept heures d’affilée) était également dispensée dans le but d’approfondir les différentes pratiques de la pleine conscience. Au total, le programme consistait donc en 26 heures de cours ainsi qu’en une pratique de 45 à 60 minutes par jour, six jours par semaine durant huit semaines.

Plus spécifiquement, la manière d’être dans l’instant présent s’apprivoise et s’entraîne durant huit semaines à travers une série de séances en groupe, au cours desquelles les participants découvrent des pratiques informelles (p. ex., manger en pleine conscience) et formelles (p. ex., scan corporel, marche en pleine conscience, mouvements lents, pleine conscience assise). Des moments de réflexion et de partage visent également à soutenir le cheminement de chacun. Certains thèmes sont abordés d’un point de vue théorique, comme le stress, les compétences émotionnelles et la communication. Les participants ont l’occasion de poursuivre l’entraînement à domicile grâce à une sélection de documents et de pistes audio fournis. Cette combinaison vise ainsi à amener les participants à intégrer progressivement la pleine conscience dans leur vie quotidienne et leur manière d’être au monde. À la fin des huit semaines du programme, les participants devaient être autonomes dans leur pratique personnelle de la pleine conscience.

Mesures

Les questionnaires complétés à la fin du programme ont évalué d’une part la satisfaction des participants, mais également les effets subjectifs ressentis par rapport à leur manière de gérer les défis du quotidien et leurs émotions ainsi que sur leurs relations avec leurs élèves et leurs collègues au sein de l’établissement.

Pour mesurer la satisfaction, les enseignants devaient indiquer à quel point ils recommanderaient à d’autres enseignants ce programme MBSR et se prononcer sur leur intention de continuer à pratiquer régulièrement la pleine conscience (sur une échelle de Likert en quatre points : « tout à fait », « plutôt oui », « plutôt non », « pas du tout »). De plus, trois questions ouvertes leur permettaient de partager une anecdote liée au programme MBSR, des commentaires et suggestions, et ce qu’ils retiraient du programme.

Afin de mieux connaître leurs ressentis, les enseignants ont évalué, sur une échelle de Likert en cinq points (1 = « presque jamais » ; 2 = « rarement » ; 3 = « parfois » ; 4 = « souvent » ; 5 = « très souvent »), leurs ressentis subjectifs ou impressions sur l’influence que le programme MBSR a eue sur leur rapport aux élèves, leur rapport aux collègues, leur rapport aux parents, leur rapport à la direction, sur l’atmosphère générale régnant dans l’école, et sur le comportement et la concentration des élèves. À l’aide de la même échelle, ils devaient également évaluer dans quelle mesure ils avaient l’impression que l’atmosphère régnant dans leur classe était plus favorable à l’apprentissage à la suite du cours MBSR; dans quelle mesure, après avoir suivi ce programme MBSR, ils avaient l’impression de mieux gérer leur stress, d’avoir une meilleure stabilité émotionnelle et psychologique dans leur rôle d’enseignant, d’observer une meilleure capacité de planification, d’être davantage capables de résoudre des challenges auxquels ils avaient à faire face en tant qu’enseignants, de mieux gérer leur colère et leur impulsivité dans leur rapport aux élèves, d’être davantage bienveillants envers leurs collègues et leurs élèves, d’être plus réceptifs aux besoins des élèves. Les dimensions mesurées (notamment gestion du stress, stabilité émotionnelle et psychologique, gestion des émotions et de l’impulsivité face aux élèves, bienveillance envers les élèves et les collègues) ont été choisies par rapport aux effets observés dans de précédentes études examinant les bénéfices du programme MBSR adapté pour les enseignants (Jennings et al., 2013; Jennings et al., 2011; Taylor et al., 2016). Les auteurs ont créé sur cette base ce questionnaire ad hoc spécifiquement pour cette étude afin d’évaluer rétrospectivement ces principales caractéristiques rapportées exclusivement sous la forme d’analyses descriptives.

Résultats

Satisfaction

La figure 1 reporte les données de satisfaction. Tous les participants recommanderaient le programme MBSR à des collègues. De plus, 97 % des participants (tous sauf un) songent à continuer de pratiquer régulièrement la pleine conscience. À la question ouverte « que retirez-vous du programme ? », seuls six participants n’ont rien répondu et les 30 autres ont rapporté au moins une chose positive (p. ex., amélioration importante dans la gestion du stress et la patience, augmentation de leur bienveillance et de leur niveau de bien-être, communication plus efficiente). Parmi les nombreux bénéfices rapportés, nous pouvons citer ceux-ci :

  • « L’importance de se poser de temps en temps, prendre du temps pour soi. La pratique de la peine conscience est bénéfique et a une influence positive dans ma manière d’être en classe ou dans les relations avec les autres. »

  • « L’échauffement avant un cours de gym ne se déroule plus du tout comme avant. J’ai appris aux enfants à le faire en conscience, en prêtant attention à leurs ressentis et en évitant ainsi de faire des mouvements forcés et brusques…. Vingt-six élèves s’échauffent dans un silence presque complet... »

  • « Changements radicaux pour améliorer le sommeil (surtout l’endormissement) et la gestion sans effort (relativiser) de situations stressantes. »

  • « Bien-être profond, envie d’en faire profiter les élèves. »

  • « Bienveillance pour moi-même pour être plus à l’écoute des autres et bienveillante. Réduction des tensions liées au stress, mieux-être et sérénité. Mes élèves le ressentent et sont eux-mêmes plus calmes et sereins. »

Figure 1

Taux de satisfaction des enseignants pour le programme MBSR et intention de continuer une pratique régulière de la pleine conscience après ce programme

Taux de satisfaction des enseignants pour le programme MBSR et intention de continuer une pratique régulière de la pleine conscience après ce programme

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Ressentis subjectifs des enseignants

La figure 2 décrit les bénéfices ressentis par les enseignants avec, par ordre d’importance, les résultats suivants : 92 % (n = 33 ; somme des réponses « très souvent » et « souvent ») rapportent une plus grande stabilité émotionnelle et psychologique spécifiquement liée au rôle d’enseignant, 83 % rapportent une impression de meilleure gestion du stress en général, 83 % indiquent une meilleure gestion de la colère et de l’impulsivité dans le rapport aux élèves, 54 % se sentent davantage capables de résoudre les challenges dans leur métier d’enseignant, et 44 % disent avoir amélioré leur capacité de planification.

Figure 2

Bénéfices subjectifs rapportés par les enseignants à la suite du programme MBSR

Bénéfices subjectifs rapportés par les enseignants à la suite du programme MBSR

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Ressentis subjectifs par rapport aux élèves, aux collègues et à l’établissement

Les participants ressentent également des bénéfices concernant leurs relations avec les différents partenaires scolaires et même quant au travail avec les élèves. En effet, 45 % ressentent une atmosphère plus positive dans l’école et 46 % rapportent une atmosphère plus favorable à l’apprentissage dans leur classe (figure 3).

Figure 3

Bénéfices subjectifs rapportés concernant l’atmosphère dans l’école et dans la classe

Bénéfices subjectifs rapportés concernant l’atmosphère dans l’école et dans la classe

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De manière plus claire encore, 86 % se considèrent comme étant davantage bienveillants envers les élèves et les collègues, 82 % s’estiment plus réceptifs aux besoins des élèves et 44 % ont l’impression que leur participation au programme MBSR a eu une influence positive sur le comportement et la concentration des élèves (figure 4).

Figure 4

Impressions des enseignants sur les bénéfices du programme MBSR pour leur entourage professionnel direct

Impressions des enseignants sur les bénéfices du programme MBSR pour leur entourage professionnel direct

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Enfin, comme indiqué dans la figure 5, une grande partie des enseignants ont l’impression d’avoir des relations de meilleure qualité avec leurs élèves (72 %), leurs collègues (56 %), les parents d’élèves (57 %) et leur direction (45 %).

Figure 5

Bénéfices subjectifs du programme sur les rapports avec leur entourage professionnel direct et indirect

Bénéfices subjectifs du programme sur les rapports avec leur entourage professionnel direct et indirect

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Discussion

Cette étude préliminaire avait pour but d’évaluer la satisfaction ainsi que les ressentis subjectifs d’enseignants du primaire ayant participé à un programme MBSR, dans le contexte de l’enseignement public en Suisse romande. En accord avec les résultats de précédentes études (p.ex., Jennings et al., 2011; Meiklejohn et al., 2012; Renshaw et Cook, 2017) et en les précisant au contexte scolaire de Suisse romande, notre étude semble indiquer un taux de satisfaction très élevé des participants malgré l’intensité et les efforts liés à cette pratique intensive de huit semaines.

Les bénéfices subjectifs ressentis les plus importants semblent concerner la gestion du stress en général ainsi que les capacités de régulation émotionnelle particulières au contexte scolaire (stabilité émotionnelle et psychologique dans le rôle d’enseignant, gestion de la colère et de l’impulsivité dans le rapport aux élèves, davantage de bienveillance envers les élèves et les collègues). Bien que moins marqués, des effets subjectifs positifs sont également rapportés dans l’atmosphère générale de l’école ainsi que sur le plan des capacités de planification et de résolution des défis liés à l’enseignement.

Satisfaction et bénéfices ressentis

Le taux de satisfaction très élevé des participants, au même titre que leur envie de continuer à pratiquer la mindfulness après le programme, nous apparaît prometteur dans le contexte de la Suisse romande au vu des résultats de l’enquête sur la santé au travail des enseignants primaires (Studer et Quarroz, 2017). Nos résultats suggèrent ainsi un accueil potentiellement favorable des enseignants primaires face à une telle proposition.

En considérant les bénéfices personnels subjectifs ressentis par les participants au terme du programme, les capacités de régulation émotionnelle et une plus grande efficacité dans la planification nous apparaissent comme des facteurs essentiels de préservation de la santé, du bien-être et de l’efficacité professionnels. En effet, ces éléments favorisent l’auto-régulation – en particulier en situation de travail avec des élèves – et peuvent potentiellement contribuer au processus de développement professionnel des enseignants. Nous pouvons émettre l’hypothèse que ces résultats soient liés aux mécanismes d’action de la pleine conscience, autant sur le plan émotionnel que cognitif. Sur le plan cognitif, la mindfulness semble plus précisément améliorer les capacités attentionnelles, le contrôle cognitif et les fonctions exécutives (Rempel, 2012; Zelazo et Lyons, 2012). La diminution du « vagabondage de l’esprit » (Killingsworth et Gilbert, 2010) représenterait d’ailleurs un des mécanismes d’action de la mindfulness (Zenner et al., 2014). Sur le plan émotionnel, la mindfulness pourrait amener une plus grande conscience de soi et améliorer le contrôle des impulsions (Rempel, 2012). Ciblant les processus top-down (p. ex., focaliser l’attention sur les émotions ou les sensations corporelles) tout en atténuant les influences bottom-up (p. ex., réaction émotionnelle excessive), la mindfulness favoriserait l’accroissement de la conscience de soi et de la faculté d’auto-régulation, permettant ainsi de moduler la réactivité face aux humeurs et aux ressentis (Flook et al., 2015).

L’impact subjectif ressenti par les participants sur leurs relations avec les élèves et sur une atmosphère de classe plus propice à l’apprentissage nous semble prometteur dans une perspective à plus long terme, en lien avec une hypothèse de transfert entre l’attitude de l’enseignant et celle des élèves. En effet, une certaine qualité de présence de l’enseignant (Rodgers et Raider-Roth, 2006) représente probablement un réel vecteur d’introduction d’attitudes de mindfulness dans la classe, en cohérence avec l’idée que la clé du développement de la mindfulness des élèves serait la mindfulness de l’enseignant (Kobusch, 2014).

Par ailleurs, les effets subjectifs ressentis à propos de l’amélioration de la qualité des relations au sein de l’établissement peuvent potentiellement être liés à une influence positive de la dynamique développée pendant le programme MBSR au sein du groupe de participants. Cette dynamique, empreinte d’attitudes de mindfulness, semble avoir persisté au terme du programme. Ainsi, les effets de cette intervention s’inscriraient non seulement dans le cadre de la classe, mais aussi plus largement dans celui de l’établissement scolaire. En ce sens, l’expansion de la mindfulness entre collègues s’effectuerait, comme au sein de la classe, à travers la diffusion des attitudes cultivées par les individus dans un collectif.

Implications pour l’éducation

De manière générale, bien que l’efficacité objective de l’intervention ne puisse être établie par cette étude, son apport principal réside dans le constat de faisabilité et d’acceptabilité d’un programme MBSR destiné à des enseignants primaires en Suisse romande, un contexte où la mindfulness n’a pas encore trouvé de place dans le cadre scolaire. L’ensemble des résultats ne peut donc qu’encourager les autorités scolaires cantonales romandes à envisager de proposer un programme MBSR parmi les offres de développement professionnel des enseignants. Il est toutefois important de rappeler ici que le programme MBSR de cette étude a été dispensé par un instructeur MBSR certifié, ce qui en soi représente une assurance sur le plan de l’intégrité de l’intervention (Crane et Hecht, 2018). En effet, la question de la formation des instructeurs est d’actualité en cette période de foisonnement d’une diversité de programmes et d’interventions basés sur la pleine conscience.

Limites

Très en vogue actuellement, la pleine conscience peut révéler des problèmes conceptuels, voire impliquer certains risques (voir p. ex., Van Dam et al., 2017). Ces soucis sont en partie inhérents au succès de différentes approches basées sur la pleine conscience, qui proposent notamment des exercices et outils clés en main de pleine conscience dans les écoles. Ceci rejoint les préoccupations légitimes et documentées (Crane et al., 2013; Crane et Hecht, 2018) quant à la nécessité d’une formation solide des personnes dispensant les approches basées sur la pleine conscience. La présente étude montre donc que le programme MBSR, qui a été mené par un instructeur certifié, semble globalement satisfaisant, amenant des ressentis subjectifs positifs. Il convient néanmoins de souligner que ces impacts particulièrement bénéfiques peuvent résulter en partie de la grande motivation des enseignants envers cette formation qu’ils ont choisie volontairement et qui leur a été en grande partie offerte par leur employeur, du point de vue financier. Cet intérêt marqué n’est évidemment pas partagé par l’ensemble du corps enseignant. Certains enseignants n’adhèrent pas à la démarche dès le début et d’autres n’arrivent pas à s’impliquer dans l’entier du programme intensif de huit semaines. Par ailleurs, cette approche doit bien préciser ses bases théoriques et scientifiques pour éviter des risques de stigmatiser les participants. Enfin, bien que mixte (quantitative et qualitative), la méthodologie implique une certaine prudence quant aux résultats en raison de l’échantillon de petite taille, du questionnaire ad hoc sans évaluation de ses qualités psychométriques et de l’évaluation rétrospective utilisant des questions uniquement à la fin du programme.

Perspectives futures

Les résultats de cette étude préliminaire semblent prometteurs et ouvrent une voie pour les recherches futures qui devront notamment s’intéresser à évaluer ces effets de manière prospective, à travers une méthodologie plus rigoureuse (p. ex., étude randomisée – contrôlée), des évaluations mixtes (p. ex., échelles subjectives, tâches cognitives, mesures physiologiques) et en tenant compte de plusieurs perspectives (p. ex., enseignants, directeurs et élèves) afin de pouvoir amener un degré de preuve plus élevé.

Plus spécifiquement, les recherches futures devraient adopter des plans expérimentaux plus rigoureux (évaluation avant-après, randomisation, participants et évaluateurs « aveugles », groupe « témoin »). Ainsi, il sera possible de mieux comprendre les bénéfices et les points d’amélioration de programmes MBSR proposés dans le cadre scolaire. Dans ce contexte, des recherches ultérieures pourraient évaluer la situation des enseignants avant et après le suivi du programme MBSR, notamment avec des instruments de mesure validés et standardisés (comprenant aussi bien des échelles subjectives que des tâches permettant de mesurer des processus cognitifs). De plus, il serait intéressant d’intégrer différentes perspectives à travers des observations plus objectives des bénéfices de ces interventions. Par exemple, les directeurs d’établissement ainsi que les élèves pourraient apporter leur point de vue (à travers des hétéro-évaluations) sur certaines compétences des enseignants. Des mesures comportementales (à l’aide de tâches cognitives, par exemple) pourraient également renseigner sur les effets du programme MBSR pour préciser, par exemple, les améliorations dans les capacités de planification et de gestion rapportées par les enseignants ou pour évaluer si les élèves ressentent également des bénéfices indirects pour leur apprentissage ou leur concentration. D’autre part, la prise en compte de marqueurs physiologiques (Pascoe, Thompson, Jenkins et Ski, 2017), tels que les taux de cortisol (Matousek, Dobkin et Pruessner, 2010), mesurés aussi bien chez l’enseignant que chez l’élève, permettrait aussi d’objectiver les effets psychophysiologiques du programme MBSR.

D’autres études futures pourraient s’intéresser à comparer les effets de différents programmes de gestion du stress et préciser ainsi dans quelle mesure certains programmes seraient plus adaptés que d’autres, en fonction des caractéristiques des étudiants ou des enseignants.

Conclusions

La présente étude visait à évaluer rétrospectivement, auprès d’enseignants de Suisse romande, dans quelle mesure cette forme d’entraînement attentionnel améliore le bien-être, les relations sociales, les capacités de concentration et de mémorisation. Les participants reportent des résultats prometteurs, en décrivant une grande satisfaction par rapport à cette pratique et de nombreux bénéfices perçus (p. ex., aptitude à réguler ses émotions, attitudes de bienveillance, capacités de coopération). Des études futures, utilisant une méthodologie plus rigoureuse, pourraient permettre d’affiner ces résultats et ainsi de mieux comprendre comment implémenter les programmes de réduction du stress (p. ex., MBSR) dans les pratiques pédagogiques.