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Des stratégies pédagogiques pour développer la compétence scripturale des élèves du secondaire

D’abord prescriptives, les recherches sur l’enseignement sont devenues davantage descriptives (Tardif et Lessard, 1999). De plus en plus de recherches en didactique du français se centrent maintenant sur le travail de l’enseignante[1] et sur la connaissance des pratiques effectives en classe de français (Wirthner, 2011), au Québec (p. ex. : Chartrand et Lord, 2013) et ailleurs (p. ex. : Schneuwly et Dolz, 2009). Pour soutenir le développement de la compétence scripturale des élèves du secondaire québécois, compétence composée des connaissances, des processus et des représentations que les élèves mettent en oeuvre et développent par et pour l’écriture de textes (Dabène, 1991; DIEPE, 1995; Reuter, 1996), nous souhaitons identifier des stratégies pédagogiques qui sont déjà utilisées par des enseignantes en classe de français au secondaire québécois et qui participent particulièrement au développement de cette compétence.

Une stratégie pédagogique, d’après Messier (2014), est élaborée ou choisie puis utilisée dans le cadre de la démarche didactique d’une enseignante, après qu’elle a analysé la situation pédagogique et défini l’objectif pédagogique à atteindre (dans notre cas, développer la compétence scripturale des élèves). Il s’agit d’un « ensemble d’opérations qui, tenant compte des caractéristiques inhérentes aux composantes d’une situation pédagogique, vise l’atteinte d’objectifs pédagogiques » (p. 211). Ce concept, « à l’intersection de la didactique et de la pédagogie » (p. 230), permet de rassembler sous un même terme générique tout moyen que met en place l’enseignante pour que ses élèves apprennent (Messier et Lafontaine, 2016) : une stratégie pédagogique peut être utilisée en recourant à des démarches pédagogiques, à des techniques pédagogiques et à des procédés pédagogiques divers (Messier, 2014). Le concept de stratégie pédagogique est analogue à celui de méthode pédagogique, qui est plus spécifique : la méthode pédagogique a été « validée empiriquement ou scientifiquement » et elle est « connue et partagée sous une appellation distincte dans le cadre de la profession enseignante » (Messier, 2014, p. 215). Une méthode pédagogique peut aussi être utilisée en recourant à des démarches, à des techniques et à des procédés pédagogiques divers. L’enseignement explicite est un exemple de méthode pédagogique, qui inclut des techniques pédagogiques comme le modelage, la pratique guidée et la pratique autonome (Messier, 2014).

Les stratégies pédagogiques dont l’objectif pédagogique est de développer la compétence scripturale des élèves du secondaire québécois sont nombreuses : il y aurait plus de 120 stratégies, méthodes, démarches, techniques ou procédés pédagogiques qui peuvent être utilisés en classe et qui vont de l’enseignement magistral à l’écriture collaborative (Marcotte, 2020).

Les savoirs issus de la recherche

Quelles stratégies pédagogiques participent particulièrement au développement de la compétence scripturale ? Nous présentons d’abord les recherches menées en classe de français au secondaire québécois : les recherches corrélationnelles, qui portent sur des stratégies pédagogiques qui sont déjà utilisées par des enseignantes, et les recherches quasi expérimentales, qui portent sur des stratégies pédagogiques qui ont été implantées en classe. Nous présentons ensuite des recherches menées au secondaire en classe de langues autres que le français.

À notre connaissance, seulement deux recherches corrélationnelles (non quasi expérimentales) mettent en relation des stratégies pédagogiques utilisées en classe de français au secondaire québécois et les performances des élèves en écriture pour rendre compte de leur compétence scripturale. Marcotte et Lefrançois (2021) font une analyse secondaire de données collectées à grande échelle auprès de 1815 élèves québécois de troisième secondaire et de leur enseignante de français (n = 300) en 1993, tandis que Lefrançois, Laurier, Lazure et Claing (2008) décrivent les liens entre les pratiques déclarées par questionnaire de quatre enseignantes de français du secondaire québécois en 2003-2004 et la diminution du nombre d’erreurs faites par les élèves dans leurs textes. Ces deux recherches, dont les échantillons diffèrent par leur nombre et leur récence, ont porté sur des stratégies pédagogiques différentes et mènent à des résultats différents. Les stratégies pédagogiques qui pourraient être liées à de meilleures performances sont faire écrire beaucoup les élèves et, de façon moins certaine, aider individuellement pendant la rédaction de leur texte et faire de la grammaire (Marcotte et Lefrançois, 2021). De plus, utilisées en grand nombre, les pratiques d’enseignement explicite et les situations d’apprentissage ludiques seraient liées à une diminution du nombre d’erreurs des élèves (Lefrançois et al., 2008). Enfin, la stratégie pédagogique faire réécrire leur texte serait liée à de moindres performances en écriture (Marcotte et Lefrançois, 2021).

Du côté des recherches quasi expérimentales qui mettent en relation les performances des élèves en écriture et des stratégies pédagogiques qui ont été implantées en classe de français au secondaire, une recherche dans les bases de données informatiques nous a permis d’en recenser six entre 1995 et 2015 (Bélanger, 2007; Blain, 2010; Désilets, 2000; Gauthier, 2002; Grégoire, 2012; Marcoux, 1999), auxquelles nous ajoutons deux recherches quasi expérimentales (Boivin et Pinsonneault, 2014; Nadeau et Fisher, 2014) incluses dans les synthèses de connaissances disponibles sur l’enseignement de la grammaire (Boivin, 2018; Vincent, Émery-Bruneau, Dezutter, Lefrançois et Larose, 2016). Ces huit recherches ont été menées à différentes échelles et elles agglomèrent souvent au sein d’un même traitement quasi expérimental plusieurs stratégies pédagogiques, ce qui ne permet pas d’isoler les effets respectifs de chaque stratégie pédagogique. Elles portent toutes sur des stratégies pédagogiques différentes, ce qui rend leur comparaison difficile. Selon leurs résultats, trois stratégies pédagogiques seraient liées à de meilleures performances des élèves en écriture : 1) utiliser le traitement de texte dans le cadre du cours de français (faire écrire au traitement de texte et faire réviser en utilisant des outils informatiques), qui serait lié à une diminution des erreurs d’orthographe lexicale (Grégoire, 2012); 2) conduire des dictées innovantes (Dictée 0 faute et Phrase dictée du jour), qui participerait à ce que les élèves produisent moins d’erreurs d’accord du verbe et d’homophones grammaticaux dans leurs textes (Nadeau et Fisher, 2014); 3) mener des séquences didactiques qui articulent grammaire et écriture (faire découvrir une règle de grammaire, puis faire écrire un court texte pour que les élèves utilisent cette nouvelle connaissance), qui participerait à ce que le nombre d’erreurs d’homophones grammaticaux et de coordination diminue dans les textes des élèves (Boivin et Pinsonneault, 2014).

Enfin, du côté des recherches quasi expérimentales menées au secondaire en classe de langues autres que le français, elles sont très nombreuses. La méta-analyse de Graham et Perin (2007) sur les stratégies pédagogiques qui améliorent la qualité de l’écriture des élèves adolescents (123 recherches quasi expérimentales, devis quasi expérimentaux, élèves de la 4e à la 12e année) montre que les stratégies pédagogiques suivantes sont celles dont la taille d’effet moyenne est la plus grande (nous retenons d ≥ 0,50) : ex aequo, l’enseignement explicite de stratégies d’écriture (0,82) et l’enseignement explicite de la production d’un résumé (0,82); l’aide des pairs lors de l’écriture (0,75); l’assignation d’objectifs pour le texte à produire (0,70); l’utilisation du traitement de texte (0,55); l’enseignement explicite de la combinaison de phrases (0,50). Transposer les résultats de cette analyse à la classe de français du secondaire québécois poserait toutefois problème, notamment parce que les erreurs linguistiques sont peu ou pas considérées dans l’évaluation, contrairement au secondaire québécois.

En somme, il est difficile de nous prononcer sur les stratégies pédagogiques déjà utilisées en classe de français au secondaire québécois qui participent particulièrement au développement de la compétence scripturale des élèves : les savoirs issus de la recherche sont soit lacunaires, soit difficilement comparables, soit difficilement transposables. Nous proposons d’apporter des éléments de réponse à notre question en puisant dans les savoirs d’expérience des enseignantes.

Les savoirs issus de l’expérience des enseignantes

Le rôle de l’enseignante est de plus en plus conçu comme celui d’une professionnelle de l’intervention pédagogique (Gauthier et Tardif, 2005). Pour fonder son action au quotidien, elle exerce son jugement en puisant à plusieurs sources de savoir réunies : les disciplines, le curriculum, l’expérience, la tradition pédagogique, l’action pédagogique, les sciences de l’éducation (Gauthier, Desbiens, Malo, Martineau et Simard, 1997). Parce que ces savoirs sont multiples se pose « le problème de leur unification et de leur recomposition par et dans le travail » (Tardif et Lessard, 1999, p. 370), d’autant plus qu’il peut y avoir des contradictions et des tensions entre ceux-ci. D’après Tardif et Lessard (1999), l’expérience du travail joue un rôle fondamental dans l’« édification de la connaissance » des enseignantes : leur travail leur fournit des principes pour hiérarchiser des savoirs utilisables pour affronter les situations du quotidien et y trouver des solutions. Les enseignantes ne font pas qu’utiliser ou appliquer des savoirs dans leur travail; elles les transforment et les adaptent par et pour le travail et elles en produisent alors de nouveaux. Le savoir d’expérience sert d’assise aux autres savoirs parce que « c’est à partir de l’expérience que ces [savoirs] sont évalué[s] et utilisé[s] dans le travail » (p. 372).

Puisque le savoir d’expérience des enseignantes repose sur une hiérarchisation des savoirs issus de plusieurs sources, et puisque nous ne pouvons hiérarchiser les savoirs issus de la recherche quant aux stratégies pédagogiques qui participent au développement de la compétence scripturale en classe de français au secondaire québécois, cet article[2] vise à identifier des stratégies pédagogiques que des enseignantes déclarent utiliser en classe de français au secondaire québécois et qui participent particulièrement, selon leur savoir d’expérience, au développement de la compétence scripturale de leurs élèves.

Méthodologie

L’atelier délibératif

L’atelier délibératif est un outil de transfert des connaissances utilisé principalement en santé publique qui s’inscrit dans le cadre plus large des processus délibératifs. D’après Lomas, Culyer, McCutcheon, McAuley et Law (2005), les processus délibératifs offrent un moyen de combiner différents types de données, ce qui est pertinent et nécessaire parce que les données probantes (lorsqu’elles existent) sont essentiellement incertaines, dynamiques, complexes, contestables et rarement complètes. Il est alors pertinent qu’elles soient interprétées et complétées par des données issues de l’expérience locale, qui est contextualisée. Lors d’un atelier délibératif, les participantes et participants discutent des résultats de la recherche disponibles et les contextualisent pour déterminer ce qu’ils signifient à la lumière de leurs connaissances tacites et de leur expérience du terrain (Boyko, Lavis, Abelson, Dobbins et Carter, 2012). Ainsi, il y a délibération (et non débat), c’est-à-dire qu’elles et ils discutent, collaborent, apprennent des autres et font des choix ensemble, ce qui peut notamment être fait pour « définir des priorités de recherche » (Dogba et al., 2017).

Les participantes

Pour mener un atelier délibératif avec des enseignantes, nous avons obtenu un certificat d’approbation éthique de l’Université de Montréal (numéro CPER-17-064-D). Pour constituer notre échantillon (de convenance), nous avons demandé aux conseillères pédagogiques de 4 commissions scolaires francophones d’une région urbaine du Québec et aux directions pédagogiques de 18 écoles privées francophones de la même région de nous recommander des enseignantes et enseignants de cinq années d’expérience ou plus (Martineau, 2006). Elles et ils devaient être reconnus (par leurs pairs, par leur direction ou par leur conseillère pédagogique) comme ayant un intérêt marqué pour l’écriture ou développant particulièrement la compétence scripturale de leurs élèves. Pour faciliter les échanges, elles et ils devaient aussi avoir de l’expérience au deuxième cycle du secondaire. Se sont montrés intéressés 12 enseignants et enseignantes; ont participé 6 enseignantes de 5 ans et demi à 22 ans d’expérience (moy = 11,08). Elles sont toutes enseignantes de français langue première au secondaire québécois, 2 dans une école publique, 4 dans une école privée.

Avant l’atelier délibératif

Pour préparer l’atelier délibératif, nous avons suivi les étapes de Dogba et collaborateurs (2017) : rédiger un résumé des recherches; développer un questionnaire préparatoire; préparer un aperçu des objectifs de la rencontre et les questions de discussion; envoyer, une semaine à l’avance, le formulaire d’informations et de consentement, le questionnaire, le résumé des recherches et l’objectif de l’atelier.

Le résumé des recherches possède les caractéristiques du genre de discours « note scientifique » (evidence brief) ou « note politique » (policy brief) (Dogba et al., 2017; Ridde, Dagenais et DesRosiers, 2017). Il synthétise et vulgarise les savoirs issus de la recherche, spécifiquement ceux dont les effets étaient les plus significatifs et grands dans chaque catégorie de recherches (voir section 2). Le résumé a fait l’objet d’entretiens de validation auprès de deux enseignantes de français au secondaire et de deux didacticiennes du français, ce qui a permis de clarifier les consignes et le vocabulaire lié aux stratégies pédagogiques.

Le questionnaire préparatoire n’a pas comme objectif principal la collecte de données; il vise plutôt à ce que les participantes lisent le résumé des recherches et commencent leur réflexion avant l’atelier délibératif. Les enseignantes y déclarent toutes les stratégies pédagogiques qu’elles utilisent, toutes les stratégies pédagogiques qui développent la compétence scripturale de leurs élèves et trois stratégies pédagogiques qui le font particulièrement selon leur savoir d’expérience. Au début du questionnaire, il est écrit qu’il contient un grand nombre de stratégies pédagogiques qu’une enseignante de français peut utiliser en classe pour rendre ses élèves compétents en écriture et que certaines de ces stratégies pédagogiques sont présentes dans le résumé des recherches, alors que d’autres ne le sont pas. Ainsi, les répondantes peuvent identifier des stratégies pédagogiques qui, selon leur expérience, développent la compétence scripturale de leurs élèves, que ces stratégies pédagogiques aient fait l’objet de recherches ou non. Le questionnaire a lui aussi fait l’objet d’entretiens de validation auprès de deux enseignantes de français au secondaire et de deux didacticiennes du français. Ces entretiens ont permis de clarifier les consignes et le vocabulaire ainsi que de revoir l’organisation des stratégies pédagogiques : le questionnaire original comprenait 120 stratégies, méthodes, démarches, techniques et procédés pédagogiques, qui ont été réorganisés pour former 28 ensembles de stratégies pédagogiques listés dans un ordre aléatoire, et ce, afin de faciliter la passation dudit questionnaire.

Pendant l’atelier délibératif

L’atelier délibératif, d’une durée de 2 heures 5 minutes, a été animé en février 2017, après les heures d’école, par la chercheuse principale. Une caméra fixe a capté tous les échanges, transcrits et analysés ensuite. Son déroulement est adapté de Dagenais et Mc Sween-Cadieux (2017). Il est divisé en sept temps, tributaires des consignes de l’animatrice.

Premier temps (9 minutes) : L’animatrice présente la problématique, l’objectif de l’atelier délibératif et ses règles de bon déroulement. Elle annonce que les participantes doivent choisir ensemble deux stratégies pédagogiques qui peuvent particulièrement rendre les élèves du secondaire compétents en écriture.

Deuxième temps (24 minutes) : Lors d’un premier tour de table, chaque enseignante se présente en mentionnant ses années d’expérience, les particularités de son contexte d’enseignement et de ses élèves, puis en présentant une stratégie pédagogique qui lui semble particulièrement intéressante pour développer la compétence scripturale de ses élèves parmi les trois qu’elle avait choisies dans le questionnaire préparatoire. Il est demandé qu’elle s’appuie sur son expérience pour raconter de façon concrète et détaillée comment elle utilise cette stratégie pédagogique et qu’elle dise comment et pourquoi elle rend ses élèves compétents en écriture.

Troisième temps (57 minutes) : Les participantes écrivent sur un carton le nom de la stratégie pédagogique qu’elles ont présentée et le déposent sur la table; les cartons seront utilisés pour faciliter les échanges portant sur un nombre certain de stratégies pédagogiques et pour aider les délibérations. L’animatrice lit chaque carton en demandant si cette stratégie pédagogique est jugée gagnante par d’autres enseignantes et si d’autres l’ont choisie dans leur questionnaire préparatoire parmi les trois stratégies pédagogiques qui développent particulièrement la compétence scripturale. Les participantes discutent de la façon dont elles utilisent chacune des stratégies pédagogiques sur la table et des raisons pour lesquelles elles jugent ou non qu’elle développe particulièrement la compétence scripturale de leurs élèves.

Quatrième temps (6 minutes) : Devant les variations constatées au troisième temps dans la compréhension et l’utilisation des stratégies pédagogiques déjà mentionnées, les participantes écrivent ensemble, sur des cartons d’une autre couleur, ces différentes compréhensions et utilisations, pour faciliter les délibérations qui suivent.

Cinquième temps (13 minutes) : Pour inclure aux échanges d’autres stratégies pédagogiques que celles déjà mentionnées, des participantes ajoutent des stratégies pédagogiques qu’elles avaient choisies comme deuxième et troisième choix dans le questionnaire préparatoire. Soit elles marquent d’un signe graphique le carton sur la table qui indiquait déjà cette stratégie pédagogique, soit elles ajoutent un nouveau carton à ceux déjà présents sur la table.

Sixième temps (9 minutes) : Pour atteindre l’objectif de l’atelier délibératif, l’animatrice demande aux participantes de sélectionner consensuellement un nombre plus petit de stratégies pédagogiques qui participent particulièrement au développement de la compétence scripturale, à la lumière de leur expérience et des savoirs issus de la recherche disponibles, en s’aidant des cartons déposés sur la table. Les participantes délibèrent à propos de chacune des stratégies pédagogiques se trouvant sur la table jusqu’à l’atteinte d’un consensus. Les participantes déplacent au centre de la table des cartons pour conserver les stratégies pédagogiques qui développent particulièrement la compétence scripturale selon leur savoir d’expérience, en mettent certains de côté et en superposent d’autres pour rassembler celles jugées similaires. L’animatrice s’assure que toutes participent à la discussion.

Septième temps (7 minutes) : L’animatrice résume les conclusions du groupe et s’assure que toutes comprennent de la même façon comment ont été rassemblées certaines stratégies pédagogiques. Elle s’assure que les stratégies pédagogiques retenues sont utilisées par toutes pendant l’année scolaire en cours et qu’elles sont toutes jugées comme participant particulièrement au développement de la compétence scripturale de leurs élèves.

Après l’atelier délibératif

Nous avons transcrit les discussions, le texte des cartons, leurs mouvements et les gestes des participantes. Nous avons découpé le verbatim en unités d’analyse : elles sont délimitées par un changement d’interlocutrice ou par un changement dans la stratégie pédagogique dont il est question. Nous avons effectué une analyse de contenu du verbatim en tenant compte du fait qu’au cours des échanges, chaque stratégie pédagogique suivait une trajectoire : 1) elle est désignée par une enseignante comme participant au développement de la compétence scripturale des élèves et l’enseignante peut alors expliquer pourquoi elle le fait; 2) la stratégie pédagogique fait l’objet de discussions durant lesquelles des savoirs d’expérience peuvent être convoqués soit pour la retenir, soit pour l’écarter ou l’agglomérer à d’autres stratégies pédagogiques, formant ainsi un ensemble; 3) elle est soit retenue, soit écartée ou agglomérée à d’autres, dans un ensemble de stratégies pédagogiques, pour atteindre un consensus (produit du processus délibératif). La grille utilisée pour coder chaque unité d’analyse comprend des catégories fermées et ouvertes pour décrire le produit de l’atelier délibératif, le processus délibératif (la trajectoire de chaque stratégie pédagogique nommée jusqu’à l’atteinte du consensus) et les différentes utilisations et définitions de chaque stratégie pédagogique (pour consulter la grille, voir Marcotte, 2020, p. 306-307).

Résultats et discussion

Dans cet article, nous choisissons de présenter et d’interpréter le produit de l’atelier délibératif; nous convoquons des éléments liés au processus délibératif pour mettre en perspective ce produit. Nous présentons d’abord le produit de l’atelier délibératif, ensuite les liens entre ce produit, qui témoigne entre autres du savoir d’expérience des participantes, et les savoirs issus de la recherche, enfin le caractère pluriel des stratégies pédagogiques qui ont été nommées au cours du processus délibératif et dans son produit.

Le consensus atteint à la fin de l’atelier délibératif

Notre objectif de départ était d’identifier des stratégies pédagogiques que des enseignantes déclarent utiliser en classe de français au secondaire québécois et qui participent particulièrement, selon leur savoir d’expérience, au développement de la compétence scripturale de leurs élèves. À la fin de l’atelier délibératif, au lieu de retenir quelques stratégies pédagogiques, les participantes en ont aggloméré plusieurs de manière à former trois ensembles de stratégies pédagogiques, puis elles s’entendent pour désigner ces ensembles comme les stratégies pédagogiques qui participent particulièrement au développement de la compétence scripturale de leurs élèves, ce qui était imprévu.

Au fil des discussions, les enseignantes classent dans un premier ensemble enseigner explicitement des stratégies d’écriture, ce dans quoi elles incluent le modelage de la planification (par un plan du texte) ou de la révision. Des stratégies d’écriture enseignées peuvent aussi consister à donner un objectif au texte à produire (p. ex. : convaincre quelqu’un) et à se faire relire par un pair pour recevoir une rétroaction. Les enseignantes classent aussi dans cet ensemble la stratégie pédagogique présente dans le résumé des recherches montrer et analyser des textes modèles, qu’elles désignent par montrer des plans de textes et montrer des exemples de textes, que ce soit seulement de bons exemples ou à la fois de bons et de mauvais exemples. En somme, les exemples montrés aux élèves peuvent être des stratégies d’écriture, des processus ou des textes et ils peuvent être des exemples ou des contrexemples. Les participantes n’ayant pas donné de nom au premier ensemble, nous le nommons montrer des exemples de textes ou de stratégies d’écriture pour que son nom rende compte de toutes les stratégies pédagogiques qui y sont incluses.

À la fin de l’atelier, les enseignantes retiennent aussi consensuellement faire écrire plus les élèves (les faire écrire plus souvent, en plus grande quantité, des textes ou des parties de textes). Elles soulignent que la stratégie pédagogique faire écrire constitue un incontournable pour enseigner l’écriture, puisqu’elle s’avère nécessaire pour utiliser les autres stratégies pédagogiques pour développer la compétence scripturale des élèves. Au cours de l’atelier délibératif, les ateliers d’écriture et les routines d’écriture sont nommés comme des façons de faire écrire plus les élèves, individuellement ou en collaboration. Plusieurs participantes soulèvent au septième temps de l’atelier que faire écrire plus représente davantage un souhait de leur part que leur pratique réelle, notamment en raison du temps requis pour la correction des textes écrits par les élèves. La stratégie pédagogique faire écrire (plus) est seule dans le deuxième ensemble de stratégies pédagogiques qui développent particulièrement la compétence scripturale des élèves selon le savoir d’expérience des enseignantes participantes.

Les enseignantes créent enfin un troisième ensemble de stratégies pédagogiques qui participent particulièrement au développement de la compétence scripturale des élèves selon leur savoir d’expérience et cet ensemble inclut d’abord la rétroaction. L’enseignante ou des pairs peuvent donner une rétroaction à l’élève sur le texte (ou la partie de texte) écrit, que ce soit pendant ou après l’écriture, à l’écrit ou à l’oral, individuellement ou en groupe. Les participantes s’entendent sur le fait que c’est la variété des rétroactions fournies aux élèves qui leur permet de développer leur compétence scripturale. Plusieurs acquiescent au fait que la rétroaction fournie par les pairs est moins bénéfique que celle fournie par l’enseignante. Certaines ajoutent qu’elles se sentent dans l’obligation d’offrir une rétroaction complète sur les versions définitives de tous les textes de leurs élèves : « Si l’élève s’investit, on dirait que je veux automatiquement le corriger » (ENS 4); « C’est une pression qu’on se met pis qu’on peut pas soutenir. » (ENS 5) D’autres ajoutent que la rétroaction est incontournable : « Je la trouve vraiment importante » (ENS 6), « On n’a pas le choix, me semble. Il faut qu’on fasse un retour sur leurs apprentissages. » (ENS 2), « Ou une fois de temps en temps. En tout cas, pas toujours. » (ENS 6), « Pas systématiquement, mais... de toute façon, notre correction en soi, c’est une rétroaction. » (ENS 2) D’autres précisent qu’elles ne donnent pas toujours des rétroactions écrites sur tous les aspects des versions définitives des textes, ce qui leur permet de faire écrire les élèves plus souvent. Une participante explique qu’elle cible un objet de savoir (par exemple les marques de modalité), qu’elle demande aux élèves de surligner ses occurrences dans leur texte, que cela les amène à augmenter le nombre d’occurrences de cet objet et qu’elle donne enfin une rétroaction spécifique à cet objet (rétroaction précise). Cela lui permet de diminuer sa charge de travail et celle de l’élève, de fournir une rétroaction précise et de donner un objectif au texte à produire. Enfin, les participantes classent dans le troisième ensemble la stratégie pédagogique aider individuellement les élèves pendant qu’ils écrivent : il s’agit, selon elles, de fournir une rétroaction rapide et directe aux élèves, à l’oral, ce qui permet aux élèves de contourner les obstacles pendant l’écriture. Les participantes n’ayant pas donné de nom au troisième ensemble, nous le nommons offrir des rétroactions variées, en considérant que ces rétroactions peuvent être fournies par l’enseignante ou par les pairs et que ses modalités peuvent être variées : pendant ou après l’écriture, à l’écrit ou à l’oral, individuellement ou en groupe, sur un ou plusieurs aspects du texte.

Ces trois ensembles de stratégies pédagogiques retenus consensuellement à l’issue de l’atelier délibératif participeraient particulièrement, selon le savoir d’expérience des enseignantes participantes, au développement de la compétence scripturale de leurs élèves. Chacune de ces stratégies pédagogiques est déclarée être utilisée en classe par toutes les enseignantes participantes, comme le montrent leurs réponses au questionnaire préparatoire. Soulignons que le processus délibératif même qui a mené à ce consensus a pu être influencé par différentes dynamiques; pensons à l’influence de la désirabilité sociale dans les interventions des enseignantes, à la difficulté de hiérarchiser des savoirs qui sont issus des expériences de différentes participantes, à la recherche d’un consensus temporaire pour « protéger les faces » (Goffman, 1974).

Savoirs issus de l’expérience et savoirs issus de la recherche

Pendant l’atelier délibératif, les participantes discutent des résultats de la recherche disponibles et les contextualisent pour déterminer ce qu’ils signifient à la lumière de leurs connaissances tacites et de leur expérience du terrain (Boyko et al., 2012) et pour choisir ensemble des stratégies pédagogiques qui participent particulièrement au développement de la compétence scripturale des élèves. Si nous comparons le consensus atteint à la fin de l’atelier délibératif aux savoirs issus de la recherche (voir section 2), qui étaient présentés dans le résumé des recherches envoyé aux participantes avant l’atelier délibératif, des convergences et des divergences apparaissent.

Certaines stratégies pédagogiques sont communes : faire écrire plus; aider individuellement les élèves à différentes étapes du processus d’écriture; enseigner explicitement des stratégies d’écriture. Nous formulons deux hypothèses pour interpréter cette convergence entre savoirs d’expérience et savoirs issus de la recherche : a) les observations faites par des chercheuses et chercheurs sont cohérentes avec celles faites par les enseignantes participantes, dans des contextes différents et au moyen d’outils d’observation différents; b) le savoir d’expérience hiérarchisant plusieurs savoirs, dont ceux issus de la recherche, les participantes sont peut-être des enseignantes qui y adhèrent particulièrement. Ces deux hypothèses s’ajoutent bien entendu au fait que le processus délibératif et ses dynamiques ont pu favoriser une telle convergence, notamment la désirabilité sociale et la remise d’un résumé des recherches aux participantes. Dans le cas spécifique de la stratégie pédagogique enseigner explicitement des stratégies d’écriture, les participantes s’entendent sur le fait que ce sont surtout les élèves en difficulté qui en bénéficient. Or, cette stratégie pédagogique, désignée comme participant au développement de la compétence scripturale des élèves dans le résumé des recherches, serait effectivement bénéfique pour les élèves en difficulté selon les résultats de Graham et Perin (2007), malgré le fait que cela n’était pas écrit dans le résumé remis aux participantes. Dans ce cas, le résumé des recherches n’a pas pu exercer une influence directe dans les résultats de l’atelier délibératif, ce qui pourrait être expliqué par une convergence entre savoirs issus de l’expérience et savoirs issus de la recherche (hypothèse a) ou par le fait que les participantes adhéraient à ce savoir (hypothèse b), qu’elles auraient développé avant l’atelier délibératif, dans leur milieu de travail ou ailleurs.

Certaines stratégies pédagogiques retenues par les participantes ne se trouvent pas dans le résumé des recherches qu’elles ont reçu : faire des rétroactions sur la version définitive des textes (orales et écrites, individuelles et collectives); faire des rétroactions sur les versions préliminaires des textes (orales et écrites, individuelles et collectives); montrer et analyser des textes modèles (versions préliminaires ou définitives; textes d’élèves, de l’enseignante ou d’un professionnel; textes avec ou sans problèmes). Ces stratégies pédagogiques étaient absentes du résumé remis aux participantes soit parce que les recherches que nous avions recensées (voir section 2) ne portaient pas sur ces stratégies pédagogiques, soit parce qu’elles portaient sur ces stratégies pédagogiques, mais que les résultats obtenus ne suggéraient pas qu’elles participaient particulièrement à l’écriture de meilleurs textes. Dans le premier cas, les savoirs d’expérience apportent de nouveaux éléments d’informations sur ces stratégies pédagogiques et fournissent de nouvelles pistes de recherche; dans le deuxième, les savoirs d’expérience et les savoirs issus de la recherche ne convergent pas. Dans un cas comme dans l’autre, les résultats de l’atelier délibératif montrent la pertinence de ces stratégies pédagogiques dans la pratique des enseignantes d’expérience participantes, peu importe les résultats des recherches qui leur avaient été résumés.

Certaines stratégies pédagogiques du résumé des recherches n’ont pas été retenues par les participantes. Ces dernières reconnaissent que les stratégies pédagogiques donner des objectifs spécifiques au texte que les élèves sont sur le point d’écrire et conduire des activités ludiques sur la langue participent au développement de la compétence scripturale des élèves, mais qu’elles ne le font pas particulièrement. La stratégie pédagogique faire écrire les élèves à plusieurs n’a pas été retenue telle quelle, mais agglomérée à une autre, les participantes considérant qu’il s’agit d’une façon de faire écrire qui ne participerait pas davantage au développement de la compétence scripturale que faire écrire individuellement. La stratégie pédagogique faire de la grammaire n’est pas retenue et ne fait pas l’objet de discussions. Plusieurs hypothèses sont possibles : simple oubli pendant l’atelier délibératif (l’ordre des stratégies pédagogiques est aléatoire dans le questionnaire préparatoire et le résumé des recherches, et cette stratégie pédagogique se trouve en dernier); stratégie pédagogique participant peu ou pas au développement de la compétence scripturale des élèves selon les participantes; conception de la compétence scripturale des enseignantes participantes qui pourrait ne pas être centrée sur la grammaire; conception de l’enseignement grammatical des enseignantes participantes selon laquelle la grammaire s’enseigne de façon cloisonnée, sans être articulée à l’écriture; désirabilité sociale; etc.

Enfin, le savoir d’expérience convoqué pendant l’atelier délibératif permet parfois d’éclairer les savoirs issus de la recherche. La stratégie pédagogique faire réécrire des textes est la seule qui fait l’objet d’échanges lors desquels les participantes expriment clairement leur désaccord avec le résumé des recherches, dans lequel il était indiqué que cette stratégie pédagogique serait liée à des textes d’élèves de moindre qualité (Marcotte et Lefrançois, 2021). Au cinquième temps, après que l’enseignante 2 souligne son étonnement par rapport à ce qui est écrit dans le résumé des recherches pour cette stratégie pédagogique, les participantes formulent des hypothèses pouvant l’expliquer, d’abord relatives au fait que la consigne de réécriture doit être assez spécifique pour que cette stratégie pédagogique développe la compétence scripturale, ensuite relatives à la démotivation que peut entrainer cette stratégie pédagogique.

Des stratégies pédagogiques plurielles

Les échanges au cours de l’atelier délibératif suggèrent que les enseignantes participantes conçoivent et déclarent utiliser les stratégies pédagogiques nommées de différentes manières. Un premier exemple de cela est le consensus atteint à la fin de l’atelier délibératif. Au fil des discussions et lors des délibérations finales (sixième temps), les participantes décident de regrouper différentes stratégies pédagogiques en trois ensembles (voir section 5.1.). Chaque ensemble désignerait alors une stratégie pédagogique plus générale qui pourrait être définie de plusieurs façons ou bien utilisée en classe de plusieurs façons, ces façons correspondant aux stratégies pédagogiques incluses dans chaque ensemble. Un deuxième exemple se trouve au quatrième temps de l’atelier délibératif. À ce moment, les participantes et l’animatrice décident, à la suite des discussions relatives aux stratégies pédagogiques nommées au deuxième temps, d’écrire sur des cartons les deux, trois ou quatre différentes compréhensions et utilisations possibles de chacune des quatre stratégies pédagogiques nommées jusque-là. Elles sont présentées dans le tableau 1.

Tableau 1

Les différentes compréhensions et utilisations possibles des quatre stratégies pédagogiques mentionnées au deuxième temps de l’atelier délibératif

Les différentes compréhensions et utilisations possibles des quatre stratégies pédagogiques mentionnées au deuxième temps de l’atelier délibératif

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Nous formulons trois hypothèses pour expliquer le caractère pluriel des stratégies pédagogiques nommées et retenues par les participantes.

Notre première hypothèse est que cette pluralité pourrait être liée au concept même de stratégie pédagogique. Comme Messier (2014) le synthétise dans son réseau conceptuel, l’enseignante peut utiliser une stratégie pédagogique ou une méthode pédagogique en recourant à des démarches pédagogiques, à des techniques pédagogiques et à des procédés pédagogiques divers, ces concepts étant en relation partitive avec celui de stratégie pédagogique ou de méthode pédagogique. Ainsi, certains cartons présentés dans le tableau 1 pourraient davantage relever de techniques pédagogiques, puisque l’enseignante qui met en oeuvre une technique pédagogique inscrit ce moyen pédagogique dans un ensemble plus global, qui peut être une stratégie pédagogique ou une méthode pédagogique (Messier, 2014). Par exemple, une enseignante qui enseigne explicitement une stratégie d’écriture (carton A) utilise une méthode pédagogique dans le cadre de laquelle elle peut faire le modelage de cette stratégie d’écriture (carton 1), ce qui est une technique pédagogique. Elle pourrait aussi choisir de faire suivre le modelage d’autres techniques pédagogiques comme la pratique guidée, en offrant de l’aide individuelle aux élèves pendant qu’ils écrivent (carton B), et la pratique coopérative, en faisant écrire les élèves en collaboration (carton D). Une enseignante pourrait plutôt choisir de faire écrire ses élèves (carton C) hors du cadre de l’enseignement explicite de stratégies d’écriture; faire écrire ses élèves serait alors une stratégie pédagogique dans le cadre de laquelle elle pourrait choisir de faire écrire ses élèves à plusieurs (carton D), ce qui en ferait une technique pédagogique qui, à son tour, pourrait être utilisée en classe au moyen de différents procédés pédagogiques, comme réviser un texte d’un pair (carton 14) ou réviser un texte avec un pair (carton 12). Bref, les cartons générés au quatrième temps de l’atelier délibératif (1 à 14) ne correspondraient pas à des stratégies pédagogiques, mais à des techniques pédagogiques ou à des procédés pédagogiques, et les cartons générés au deuxième temps (A à D) ne correspondraient pas tous à des stratégies pédagogiques. D’ailleurs, les enseignantes participantes décident de ne pas retenir l’écriture collaborative (carton D) parce qu’il s’agit d’une façon de faire écrire les élèves (carton C), ce qui suggère ici qu’elles peuvent utiliser l’écriture collaborative comme technique pédagogique dans le cadre d’une stratégie pédagogique consistant à faire écrire les élèves pour développer leur compétence scripturale. Bref, l’utilisation d’un terme unique pendant l’atelier délibératif pour désigner tout ce qui relève d’une stratégie, d’une méthode, d’une démarche, d’une technique ou d’un procédé pédagogique pourrait donc expliquer le caractère pluriel des stratégies pédagogiques nommées par les participantes pendant l’atelier délibératif.

Notre deuxième hypothèse pour expliquer cette pluralité est que chaque stratégie, méthode, démarche, technique et procédé pédagogique peut être utilisé en classe de plusieurs façons. En effet, de telles variations sont observables en classe, que ce soit chez des enseignantes différentes ou chez une seule et même enseignante (Bru, 2019).

Notre troisième hypothèse est qu’il y aurait eu une tension entre l’objectif de l’atelier délibératif (choisir des stratégies pédagogiques qui développent particulièrement la compétence scripturale des élèves) et la manière dont les enseignantes participantes conçoivent leur pratique. Deux justifications données par l’enseignante 2 pendant l’atelier en témoignent. Au troisième temps, pour justifier son opinion selon laquelle montrer des plans de textes participe au développement de la compétence scripturale des élèves, elle affirme : « C’est comme un incontournable, j’ai envie de dire. Quand tu es prof de français, on ne peut passer à côté, de ne pas expliquer la structure ». Au sixième temps, après que l’animatrice demande aux participantes de sélectionner un nombre plus petit de stratégies pédagogiques, elle explique pourquoi elle souhaite garder les trois ensembles de stratégies pédagogiques retenus jusque-là : « Parce qu’on s’est rendu compte dans cette conversation que tout est imbriqué. Donc dans mon enseignement je n’en enlèverais pas aucun[e], jamais. » Ces deux arguments convoquent le caractère incontournable et indissociable des stratégies pédagogiques retenues. Ils suggèrent que les stratégies pédagogiques nommées auraient des frontières poreuses, les rendant indissociables dans la pratique, et que hiérarchiser des stratégies pédagogiques n’est pas particulièrement pertinent dans la pratique. Les trois ensembles de stratégies pédagogiques retenus à la fin de l’atelier délibératif suggèrent aussi qu’au cours de l’atelier délibératif, les participantes n’ont pas privilégié l’identification de stratégies pédagogiques qui développent particulièrement la compétence scripturale des élèves, mais l’identification de stratégies pédagogiques qui sont incontournables pour le faire, réinterprétant ainsi l’objectif de départ. Au sixième temps, une fois les trois ensembles de stratégies pédagogiques retenus consensuellement, l’enseignante 5 conclut d’ailleurs : « Dans le fond, avec ces trois-là [elle pointe les trois ensembles de cartons sur la table], on aurait comme un beau panorama. » Ce constat invite à remettre en question la pertinence d’identifier une ou des stratégies pédagogiques qui développent particulièrement la compétence scripturale des élèves, ce qui rejoint les résultats de Marcotte et Lefrançois (2021), et invite plutôt à décrire les stratégies, méthodes, démarches, techniques et procédés pédagogiques incontournables pour développer la compétence scripturale des élèves.

Conclusions

L’atelier délibératif est un outil utilisé en santé publique qui nous a permis d’ouvrir une fenêtre sur les savoirs d’expérience d’enseignantes de français du secondaire québécois et, par le fait même, de leur accorder une place, une légitimité. Utiliser cet outil nous a permis d’explorer les liens entre ces savoirs d’expérience, riches et contextualisés, et les savoirs issus de la recherche, et ils se sont montrés parfois convergents, parfois divergents. Les résultats qu’il a produits sont cohérents avec les pratiques que les enseignantes déclarent utiliser, qu’elles jugent pertinentes et auxquelles elles adhèrent. Surtout, l’atelier délibératif que nous avons mené avec six enseignantes de français d’expérience nous a conduites à revisiter notre objectif de départ et nos assises conceptuelles. En effet, notre objectif de départ était d’identifier des stratégies pédagogiques que des enseignantes déclarent utiliser en classe de français au secondaire québécois et qui participent particulièrement, selon leur savoir d’expérience, au développement de la compétence scripturale de leurs élèves. Notre analyse et notre interprétation des échanges tenus lors de l’atelier délibératif révèlent que les enseignantes participantes ont plutôt choisi consensuellement trois ensembles formés de stratégies, méthodes, démarches, techniques et procédés pédagogiques qui sont incontournables pour développer la compétence scripturale de leurs élèves. Notre recherche suggère ainsi qu’il serait intéressant de mener d’autres ateliers délibératifs pour faire émerger les savoirs d’expérience d’enseignantes de différentes disciplines scolaires et de différents ordres d’enseignement, pour éclairer les savoirs issus de la recherche et pour revisiter les avenues de recherche à emprunter (Dogba et al., 2017).

Quant au caractère pluriel des stratégies pédagogiques que les enseignantes ayant pris part à l’atelier délibératif ont jugées incontournables pour développer la compétence scripturale des élèves, il souligne la pertinence d’observer comment des enseignantes les utilisent en classe, travail que nous avons amorcé (Marcotte et Lefrançois, soumis). Cela rappelle une fois de plus la pertinence de décrire le travail enseignant et les pratiques effectives en classe de français.