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Introduction

L’étude présentée ici apporte des éléments de réflexion quant à la problématique du bien-être psychologique des enseignants. En effet, la recherche scientifique dans le domaine de l’éducation souligne régulièrement que le stress est l’un des risques encourus par les enseignants dans leur profession. Les conséquences relevées le plus communément sont l’anxiété, la dépression, le burnout et l’abandon de la profession (Douillié et al., 2016; Rojo & Minier, 2015; Tardif & Lessard, 2004). De plus, il a été montré que le décrochage enseignant est relativement élevé en Fédération Wallonie-Bruxelles (F.W.-B.), ainsi que dans de nombreux pays développés membres de l’OCDE (principalement l’Europe et les pays anglo-saxons), ce qui affecte négativement la qualité des systèmes éducatifs (Karsenti et al., 2015; Lothaire, 2012; OCDE, 2005). À cela s’ajoute un contexte marqué par les effets de la récente crise sanitaire qui a bousculé les pratiques enseignantes (Boudokhane-Lima et al., 2021; Diliberti et al., 2021), mais aussi par des réformes et des attentes fortes en matière de performances (Kalman & Summak, 2017). Dès lors, la question suivante se pose : comment favoriser un état de bien-être psychologique propre à composer avec le stress inhérent à la profession ? Une telle question relève d’une double préoccupation, liée à la fois à la santé en général et à la santé mentale en particulier, ainsi qu’au fait de limiter les conséquences négatives sur les systèmes scolaires dont il est question ci-dessus. En effet, au-delà du fait que l’absence des enseignants peut mener à des performances moindres quant aux résultats des élèves, (Ingersoll, 2001; Karsenti et al., 2018), certaines recherches tendent à montrer que les enseignants qui ressentent un haut niveau de bien-être influencent le bien-être de leurs élèves (Soini et al., 2010).

Un projet de recherche a été entrepris pour apporter un éclairage nouveau sur cette question. Il fait intervenir des méthodes quantitatives et qualitatives pour explorer la complexité des liens qu’entretiennent les ressources psychologiques personnelles des enseignants et leur bien-être psychologique. Les ressources personnelles en question sont définies sous le concept de capital psychologique (PsyCap) (Luthans & Youssef-Morgan, 2017), et le bien-être psychologique est ici abordé à travers le modèle de bien-être PERMA de Seligman (2011) qui intègre les concepts d’émotions positives, d’engagement, de relations positives, de sens et d’accomplissement. Cet éclairage peut être qualifié de nouveau dans la mesure où, d’une part, peu de recherches ont été conduites sur le bien-être et les ressources des enseignants dans une perspective positive (Kun & Gadanecz, 2022) et où, d’autre part, il n’existe encore aucune donnée de ce type pour la Belgique francophone. Cette étude se consacre plus spécifiquement aux premiers résultats obtenus lors du volet quantitatif, avec l’objectif de mesurer le PsyCap et le bien-être PERMA des enseignants de Fédération Wallonie-Bruxelles, et d’analyser les liens statistiques entre ces deux construits.

Cadrage théorique

Des conceptualisations traditionnelles du bien-être au modèle PERMA

S’intéresser au bien-être des enseignants, ou plus généralement des travailleurs, amène à être confronté à un sujet d’étude qui est difficile à appréhender. Le concept de bien-être recouvre de multiples dimensions et se trouve à l’intersection de nombreux courants (Creusier, 2013 ; Lambert et al., 2015). Traditionnellement, deux tendances co-existent (Keyes et al., 2002; Lambert et al., 2015). D’un côté, le bien-être est étudié en tant que l’évaluation que l’individu fait de sa propre condition. On parle alors du bien-être subjectif, que l’on associe volontiers à une conception hédonique, composé de la satisfaction à l’égard de la vie, de l’expérience d’émotions positives et de celle d’émotions négatives (Diener, 1984; Diener et al., 1999). De l’autre côté, le bien-être psychologique, théorisé dans les travaux de Ryff (Keyes et al., 2002; Ryff, 1989; Ryff & Keyes, 1995), est associé à une conception eudémonique de la vie et repose sur les piliers que sont l’acceptation de soi, les relations positives, l’autonomie, la maitrise de l’environnement, le sens de la vie et le développement personnel. Les travaux de Collange et al. (2017) portant sur le bien-être psychologique au travail abondent dans ce sens, dans la mesure où ils indiquent que le bien-être au travail est atteint « lorsque les individus vivent, exercent et s’engagent dans des activités qui sont en accord avec ce qu’ils sont, ainsi qu’avec leurs valeurs » (Ibidem, p.2).

Depuis les années 2000, une autre conception du bien-être émerge du champ de la psychologie positive, qui marque un changement de paradigme à large échelle dans la recherche. En effet, jusqu’aux années 2000, les études sur le bien-être ont été réalisées en se focalisant majoritairement sur les déficits, dans une perspective curative (Luthans & Youssef-Morgan, 2017). Or, la psychologie positive, une approche complémentaire à la psychologie traditionnelle, est définie par Seligman et Csikszentmihalyi (2000) comme l’étude scientifique et l’application des facteurs permettant le fonctionnement optimal de l’individu et, plus largement, des organisations et des institutions. Cette approche, sans contredire les résultats obtenus par la psychologie traditionnelle, permet de se positionner dans le champ de la prévention puisqu’elle anticipe le maintien du bien-être, par l’entremise du développement de ressources déjà présentes.

Le modèle de bien-être PERMA de Seligman (2011) émanant de ce champ conceptuel est défini comme un état de santé mentale complète qui repose sur ses cinq composantes : les émotions positives (P), l’engagement (E), les relations positives (R), le sens (M) et l’accomplissement (A). La branche émotions positives du modèle fait référence au fait que l’individu cherche à ressentir un maximum de plaisir pour accéder au bien-être. L’engagement signifie que l’individu ressent du bien-être après avoir réalisé une activité qui a du sens pour lui en lui demandant une grande concentration, ce qui se rapproche du « Flow[2] » (Nakamura & Csikszentmihalyi, 2002). Les relations positives participent au sentiment de bien-être de l’individu qui les entretient, car elles peuvent faire naître des émotions positives, de l’engagement, du sens et de l’accomplissement. Le sens guide les actions de l’individu et correspond à une cohérence de ses valeurs. Finalement, l’accomplissement se réfère à l’atteinte d’objectifs liés à la réussite de l’individu. Ainsi, ce modèle, qui tend à bénéficier d’une bonne validation empirique (Lambert et al., 2015), intègre des éléments propres au bien-être subjectif mais aussi, et surtout, au bien-être psychologique.

Le concept de capital psychologique (PsyCap)

L’objectif de prévention propre à la psychologie positive trouve son intérêt en milieu organisationnel. Ainsi, la psychologie positive appliquée au monde de l’entreprise (Positive Organizational Behavior, ou P.O.B.) a pour objectif d’identifier et d’exploiter les ressources intérieures des employés dans le but de les aider à surmonter les difficultés et ainsi contribuer à développer leur bien-être au travail (Vallerand & Ménard, 2013). La P.O.B. présente également un objectif d’efficacité, puisque ce champ de recherche tente de mesurer, de développer et de gérer des ressources propres à améliorer les performances au travail, le rendement des entreprises et des comportements et attitudes des travailleurs jugés positifs (Collange et al., 2017; Luthans & Youssef-Morgan, 2017).

C’est dans ce cadre que Luthans et Youssef-Morgan (2004) ont distingué dans leurs travaux quatre ressources personnelles répondant à ce but. Il s’agit de l’espoir, de l’auto-efficacité, de la résilience et de l’optimisme, que ces auteurs ont regroupés dans un construit nommé le capital psychologique (PsyCap). Le PsyCap se définit donc comme un état positif de développement d’un individu, caractérisé par les quatre qualités psychologiques précitées, ces dernières reposant sur des fondements théoriques et empiriques (Luthans et al., 2007). Ces ressources sont définies par Luthans et Youssef-Morgan (2004)[3]. L’espoir consiste à posséder la volonté nécessaire à atteindre ses propres buts ; le sentiment d’auto-efficacité est le fait de croire en sa propre capacité à mobiliser ses ressources cognitives pour obtenir des résultats ; la résilience est la capacité de rebondir devant l’adversité ou un échec, et même de considérer comme positifs les changements qui semblent d’apparence écrasante ; enfin, l’optimisme est l’habitude d’expliquer les évènements positifs par des causes internes et permanentes, omniprésentes.

De nombreuses recherches ont montré les liens positifs entre le PsyCap et le bien-être ou les comportements des individus, tels que l’engagement, la satisfaction au travail et le maintien dans la profession (Avey, Reichard, et al., 2011; Lupșa et al., 2020; Nasria et al., 2019). À l’inverse, certaines ont démontré qu’un faible niveau de PsyCap était associé à des comportements négatifs comme le cynisme ou l’abandon de la profession (Choisay et al., 2021).

Bien-être et capital psychologique des enseignants

La recherche scientifique a pu apporter de multiples éclairages sur la situation du bien-être des enseignants. De manière générale, l’enseignement est perçu par les chercheurs comme une profession complexe, multitâche et exigeante (Mukamurera et al., 2019; Tardif & Lessard, 1999). L’entrée dans la profession s’accompagne souvent de ce qu’on appelle le «choc de la réalité » (Rojo & Minier, 2015), c’est-à-dire la prise en compte d’une différence importante entre l’image que l’on se fait du métier lors de la formation initiale et la pratique elle-même. Cette complexité rend les enseignants novices particulièrement démunis et les incite à remettre en question leurs choix professionnels (Goyette, 2020). On estime que près d’un quart des enseignants abandonnent le métier dans les sept premières années, poussés notamment par un déficit de bien-être dans l’institution éducative (Karsenti et al., 2018; Lothaire, 2012).

Cependant, au-delà des enjeux liés à la rétention des enseignants, des recherches récentes ont mis en évidence les avantages propres au développement du bien-être enseignant. Celui-ci constitue un facteur déterminant dans la persévérance de la profession (Goyette, 2020; Leroux & Théorêt, 2014). Dans le champ de l’identité professionnelle enseignante, Goyette (2016) a montré que les forces de caractère, des traits personnels positifs, aident l’individu à construire son bien-être et que, d’emblée, cela paraissait sensé d’accompagner les enseignants dans le développement de ces forces. En outre, le niveau de bien-être des enseignants est lié, directement ou non, à celui des élèves, ainsi qu’à leurs résultats scolaires, même si les chercheurs restent prudents sur les liens de causalité à attribuer à ces effets (Kun & Gadanecz, 2022 ; Soini et al., 2010). Par ailleurs, selon Li (2018), la recherche autour du bien-être psychologique, davantage que subjectif, correspond bien au profil des enseignants et les interventions dans ce domaine donnent des résultats supérieurs et durables.

Toutefois, les recherches qui étudient spécifiquement le niveau de bien-être psychologique des enseignants sont encore peu nombreuses : selon Kun et Gadanecz (2022), même si le stress en enseignement a été beaucoup traité dans la littérature, on y trouve encore peu d’approches positives, focalisées sur des solutions ou basées sur les forces des enseignants. De plus, en ce qui concerne plus précisément l’approche du bien-être au moyen du modèle PERMA, il n’existe pas, à notre connaissance, de travaux qui synthétisent les recherches liant ce concept et la profession enseignante. Certaines recherches impliquent différentes catégories d’enseignants et de contextes (Kun & Gadanecz, 2022; Turner & Thielking, 2019; Yee et al., 2022), mais les méthodologies employées divergent et on n’y trouve pas d’indications propres à émettre un jugement sur un niveau « satisfaisant » de bien-être. De même, l’étude du PsyCap dans le domaine spécifique de l’enseignement en est encore à ses prémices (Kalman & Summak, 2017; Kun & Gadanecz, 2022; Li, 2018). Cependant, les chercheurs précités y voient un bon prédicteur du bien-être des enseignants, dans la mesure où il est régulièrement utilisé dans les études qui concernent le monde de l’entreprise, où des liens statistiques sont bien établis. Par exemple, Avey et al. (2011) montrent dans leur méta-analyse que le PsyCap influence positivement le sentiment de satisfaction (taille d’effet de .77), d’engagement (.74) et le bien-être psychologique (.78).

Questions de recherche

Les questions de recherche spécifiques explorées dans cette étude prennent appui sur les principaux constats de la revue de la littérature. En effet, même si la recherche scientifique a démontré qu’intervenir sur le développement du PsyCap permettait d’augmenter le niveau de bien-être (Avey et al., 2011) (quel qu’en soit le modèle ou l’échelle utilisée pour le mesurer), il existe peu de sources qui étudient un tel lien chez les enseignants. De plus, ce sujet n’a encore jamais été abordé pour les enseignants de F.W.-B. Dès lors, les questions suivantes sont formulées : quels sont les niveaux de bien-être PERMA et de ressources personnelles (PsyCap) ressentis par les enseignants de F.W.-B. ? Quels liens statistiques peut-on établir entre ces deux construits ?

En outre, l’entrée en profession représente une période compliquée pour les enseignants novices, car elle est génératrice de stress (Rojo & Minier, 2015; Goyette, 2020). Dans ces conditions, une question de recherche subsidiaire consiste à vérifier si les enseignants novices de F.W.-B. (entre 0 et 5 années d’expérience) se distinguent des autres quant à leur niveau de bien-être et de PsyCap.

Méthodologie

Pour examiner le lien entre PsyCap et le bien-être PERMA chez les enseignants, une enquête a été soumise à un échantillon d’enseignants en décembre 2021 (N=143). Les résultats préliminaires présentés dans cet article ne concernent que la Fédération Wallonie-Bruxelles, bien qu’ils s’insèrent dans un plan de recherche plus large, y compris des enseignants québécois, sur le lien entre PsyCap et bien-être PERMA, en cours, alliant deux prises de mesures quantitatives auprès des mêmes sujets (n1=293, n2=106) et des analyses qualitatives (n=28). L’enquête a été proposée en ligne, diffusée sur les médias sociaux, ce qui fait que l’on peut parler d’échantillon de convenance. Chaque individu a marqué son accord par rapport au traitement des données extraites, comme le stipule le règlement général européen de protection des données.

L’échantillon considéré ici se compose de 143 individus, 33 hommes (23,1 %) et 110 femmes (76,9 %). 11 individus travaillent dans l’enseignement maternel (7,7 %), 65 dans le primaire (45,5 %), 57 dans le secondaire (39,9 %) et 10 dans l’enseignement supérieur (7 %). Le tableau 1 présente la ventilation des sujets dans des classes d’ancienneté. Il permet de constater que 20 % des répondants sont des enseignants novices et que les répondants se répartissent globalement de manière équitable entre les différentes classes puisqu’aucune n’est surreprésentée. La majorité d’entre eux est nommée à titre définitif (68 %) quand les autres occupent différents régimes de temps partiels.

Le questionnaire soumis se compose de trois sections. La première section consiste à récolter les données socio-démographiques des participants (genre, expérience, réseau, diplôme, matière enseignée…). La deuxième section, qui concerne le PsyCap, est construite sur la base de la version francophone du Psychological Capital Questionnaire (PCQ24) de Luthans et al. (2007), du F-PCQ24 de Choisay et al. (2021). Ces items proposent au répondant de se positionner en accord avec la prémisse sur une échelle de Likert (1 : Fortement en désaccord à 6 : Fortement en accord). Pour illustrer le questionnement relatif à l’auto-efficacité, l’item suivant a été soumis : « Je me sens capable de présenter l’information à un groupe de collègues ». L’ensemble des items retenus dans l’analyse répond aux conditions de validité, à l’exception de la résilience qui présente une valeur un peu faible, mais qui a été retenue, considérant que l’échelle a été validée dans de nombreuses études (auto-efficacité : α = .813, optimisme : α = .746, espoir : α = .852, résilience : α = .614). La troisième section concerne le bien-être mesuré à l’aide de la version francophone du PERMA Profiler (Butler & Kern, 2016) (P : α = .836, E :α = .691, R : α = .824, M : α = .808, A : α = .670). Pour cet outil de mesure, les échelles de Likert vont de 0 à 10. Par exemple, pour l’accomplissement : « Quand avez-vous l’impression d’avancer vers la réalisation de vos objectifs de travail ? (0=jamais ; 10= toujours) », pour les relations : « Dans quelle mesure recevez-vous de l’aide, du soutien de vos collègues lorsque vous en avez besoin ? (0=pas du tout ; 10=complètement) ». Il est à noter que la validité a été calculée par rapport à l’ensemble de l’échantillon (belge et canadien) même si la présentation des résultats ne concerne que les individus de F.W.-B. Les traitements statistiques appliqués à ces données ont été réalisés au moyen du logiciel SPSS 27. Des analyses descriptives ont été utilisées pour évaluer les niveaux de bien-être et de ressources personnelles (moyenne et écarts-types), ainsi que les corrélations entre les deux modèles. Afin de vérifier l’influence du PsyCap sur le bien-être PERMA, un modèle de régression a été construit. Des tests non paramétriques de Kolmogorov-Smirnov ont été effectués pour comparer les distributions des enseignants novices et celles du reste de l’échantillon sur les scores moyens au PsyCap et au PERMA.

Tableau 1

Répartition de l’échantillon selon le nombre d’années d’expérience dans l’enseignement (N=143)

Répartition de l’échantillon selon le nombre d’années d’expérience dans l’enseignement (N=143)

Note : min = 0 ; max = 39 ; moyenne = 14.40 ; écart-type = 9.33

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Résultats

Les informations présentées ici concernent tout d’abord les niveaux de PsyCap et de bien-être PERMA des enseignants de la F.W.-B. Elles sont suivies des analyses spécifiques aux enseignants novices. S’ensuit une présentation des principales corrélations entre les deux concepts et un modèle de régression.

Quel est le niveau de capital psychologique des enseignants de Fédération Wallonie-Bruxelles ?

Les données liées au PsyCap (tableau 2) montrent que les scores du PsyCap et de ses composants sont tous positifs. Le score de l’optimisme est le plus faible (3.72), il est celui qui s’approche le plus du milieu de l’échelle (3.5) et il présente aussi la plus grande dispersion (1) entre les sujets qui font preuve de peu et beaucoup d’optimisme. En revanche, les ressources les plus importantes des enseignants semblent être, selon l’échantillon considéré, leur confiance en leur efficacité professionnelle (4.37) et l’espoir (4.29).

Tableau 2

Moyenne et écart-type du PsyCap et de ses sous-variables (N=143)

Moyenne et écart-type du PsyCap et de ses sous-variables (N=143)

Note : moyennes calculées à partir de résultats exprimés sur une échelle de 1 à 6

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Par ailleurs, les enseignants novices (dont l’ancienneté est comprise entre 1 et 5 ans) (n=30), ne se différencient pas significativement du reste de l’échantillon en ce qui concerne le PsyCap (valeur du test de Kolmogorov-Smirnov = .929, p=.35) et ses sous-échelles : espoir (KS=.579, p=.89), auto-efficacité (KS=.900, p=.39), résilience (KS=.683, p=.74), optimisme (KS=.764, p=.60). La structure de leur PsyCap n’est guère différente de celle de leurs aînés puisque l’espoir (4.42) et l’auto-efficacité (4.40) sont aussi leurs ressources les plus hautes.

Quel est le niveau de bien-être PERMA des enseignants de Fédération Wallonie-Bruxelles ?

Les données du PERMA, qui mesurent les différentes composantes du bien-être, présentent également des résultats positifs avec des scores qui oscillent autour d’une moyenne de 7.21/10 (voir tableau 3). Les composantes les plus fortes sont celles du sens trouvé au métier (7.58) et de l’engagement que l’on y consacre (7.49). En revanche, le sentiment d’accomplissement est plus faible (6.88).

Tableau 3

Moyenne et écart-type du PERMA et de ses sous-variables (N=143)

Moyenne et écart-type du PERMA et de ses sous-variables (N=143)

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Ici encore, les enseignants novices ne se distinguent pas significativement des autres enseignants de l’échantillon en ce qui concerne l’ensemble du modèle (KS=.840, p=.48), et ses composantes, toujours avec des moyennes légèrement plus basses : émotions positives (KS=.840, p=.48), engagement (KS=.611, p=.85), relations positives (KS=.695, p=.72), sens (KS=.675, p=.75) et accomplissement (KS=.805, p=.54). La structure du modèle PERMA reste la même pour les enseignants novices, c’est-à-dire que le sens (7.54) et l’engagement (7.39) sont les composantes dont les scores sont les plus élevés, quand l’accomplissement présente le score le plus bas (6.80).

Quels liens entretiennent le niveau de PsyCap et celui de bien-être PERMA des enseignants de la Fédération Wallonie-Bruxelles ?

L’analyse des corrélations (tableau 4) montre un coefficient de .760 entre les deux construits, c’est-à-dire qu’il y a une liaison importante entre eux. L’ensemble des variables considérées sont corrélées positivement et significativement les unes aux autres. En conservant le seuil de .7 pour juger de l’importance d’une corrélation, l’espoir est la variable du PsyCap la plus liée aux échelles du PERMA (émotions positives .786, engagement .757, sens .740, accomplissement .733).

Tableau 4

Corrélations entre les variables du PsyCap et du PERMA (N=143)

Corrélations entre les variables du PsyCap et du PERMA (N=143)

Note : toutes les valeurs significatives à p <.01

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Considérant que la littérature rapporte des liens de causalité qui montrent que développer le PsyCap influence positivement le bien-être et d’autres attitudes prosociales profession (Avey, Reichard, et al., 2011; Lupșa et al., 2020; Nasria et al., 2019), un modèle linaire a été établi pour examiner la nature de la relation entre PsyCap et PERMA. Une première analyse de régression linéaire montre que le score au PsyCap prédit significativement le score de l’échelle PERMA : R2= .722, β=.850. Une estimation de courbe, selon une fonction quadratique, qui est celle qui épouse le mieux le nuage de point, donne les valeurs suivantes : R2=.739, constante=-2.403, b1=3.217, b2=-.212 (figure 1).

Un second modèle plus complexe a été calculé pour déterminer le niveau d’influence des composantes du PsyCap en tant que prédicteurs, ainsi que celui des variables socio-démographiques recueillies au début du questionnaire. La variable dépendante est le niveau de bien-être PERMA. Le modèle montre que les variables suivantes entretiennent un lien de prédiction : espoir, optimisme, forme d’enseignement (ordinaire/spécialisé), diplôme. Cependant, les statistiques de colinéarité ont diagnostiqué un problème d’interdépendance des variables, ce qui oblige à reproposer un modèle avec des transformations appliquées aux variables. La variable dépendante est exprimée en fonction logarithme, les variables indépendantes ont été transformées en notes z, puis ont subi une analyse factorielle avec rotation Varimax. Le tableau 5 présente la matrice des composantes principales.

Figure 1

Régression du score de bien-être PERMA et du score de PsyCap (N=143)

Régression du score de bien-être PERMA et du score de PsyCap (N=143)

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Tableau 5

Composantes principales de l’analyse factorielle des variables du PsyCap, avec rotation Varimax

Composantes principales de l’analyse factorielle des variables du PsyCap, avec rotation Varimax

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Selon ce modèle final, dégagé de tout risque de colinéarité (R2=.69), le prédicteur du bien-être le plus important (b=.548) est la composante principale 4 issue de l’analyse factorielle, composante majoritairement emmenée par l’espoir. Le deuxième prédicteur (b=.451) est la composante 1, majoritairement corrélée à l’optimisme. Le troisième prédicteur (b=.324) est la composante 2, principalement corrélée à la résilience. Et le quatrième prédicteur (b=.294) se rapporte à la composante 3, liée à l’auto-efficacité. Tous les prédicteurs sont significatifs à p<.001.

Discussion

L’objet de la recherche consistait à déterminer les niveaux de PsyCap et de bien-être PERMA obtenus par les enseignants, ainsi que les liens entre les deux concepts et les différences éventuelles entre les enseignants novices et les autres. Il apparait, à la lecture des résultats, que certaines variables présentent des scores relativement positifs, comme l’auto-efficacité pour le PsyCap, l’engagement et le sens pour le bien-être PERMA. On constate également que les deux concepts sont étroitement liés. Quant aux enseignants novices, ils ne semblent pas différer significativement de leurs aînés. L’ensemble de ces résultats permet de mieux comprendre les processus qui lient bien-être et ressources personnelles à l’échelle des enseignants de la F.W.-B., ce qui représente une avancée des connaissances, qui est dès lors mise en relation avec d’autres résultats recueillis dans la littérature scientifique.

Les résultats obtenus pour le PsyCap des enseignants de la F.W.-B. sont comparables à ceux déjà présents dans la littérature. En effet, les moyennes du PsyCap ou de ses composants sont positives et relativement proches du milieu de l’échelle (entre 4 et 5) (Clarence et al., 2021; Ganotice et al., 2016; Kun & Gadanecz, 2022; Kurt & Demirbolat, 2018; Li, 2018; Soykan et al., 2019). Quant aux variables qui composent le PsyCap, Kurt et Demirbolat (2018) obtiennent des résultats similaires à ceux qui sont présentés dans cette étude. En effet, selon eux, la ressource principale des enseignants turcs est l’auto-efficacité, quand l’optimisme montre les résultats les plus faibles (N=384). Les constats faits ici correspondent également à ceux de Kun et Gadanecz (2022) qui ont mesuré que l’espoir était la variable la plus importante auprès des enseignants hongrois (N=297). En ce qui concerne l’échantillon de la F.W.-B., ce sont bien les deux variables les plus importantes dans le PsyCap. Cependant, les autres sources mentionnées ici ne dévoilent pas le détail des variables et les échantillons considérés sont de taille relativement faible pour tirer des conclusions définitives.

Les résultats de l’échelle PERMA sont plus délicats à commenter. D’une part, les études impliquant la mesure du bien-être des enseignants grâce à l’échelle PERMA montrent que ceux-ci ont un niveau de bien-être comparable à celui qui est présenté dans cette recherche (au moins 65 % de l’échelle) (Aelterman et al., 2007; Clarence et al., 2021; Kun & Gadanecz, 2022; Kurt & Demirbolat, 2018; Li, 2018; Soykan et al., 2019). D’autre part, la profession enseignante est très souvent dépeinte comme une profession à risque, où le niveau de stress et la charge de travail sont la cause d’un déficit de bien-être (Douillié et al., 2016; Rojo & Minier, 2015; Tardif & Lessard, 2004). Aelterman et ses collègues (2007), qui ont étudié les différentes facettes du bien-être enseignant, se sont étonnés du fait que les enseignants flamands démontraient un haut niveau du bien-être. On peut avancer plusieurs hypothèses pour expliquer ces résultats. Tout d’abord, cette contradiction vient peut-être du fait que les enseignants qui présentent un mal-être psychologique s’écarteraient de ce genre d’études. Dans ce cas, les résultats présentés ici ne perdent pas de pertinence pour autant, car les mesures ont montré des mécanismes psychologiques chez des individus qui présentent une bonne santé mentale, ce qui est l’un des objectifs de compréhension de la psychologie positive. Ensuite, le changement de perspective opéré dans ce genre d’études influence la teneur des résultats. Dès lors qu’il s’agit de mesurer positivement les variables qui influencent un haut niveau de bien-être, les résultats montrent que les enseignants se sentent globalement bien. Van Droogenbroek et Spruyt (2015) tentent de prendre de la distance dans ce débat en comparant le métier d’enseignant avec d’autres professions, ce qui se fait peu dans le cadre des sciences de l’éducation, selon eux. Ainsi, ils mettent en lumière les constats suivants : la diversité des instruments de mesure et des méthodologies n’aide pas à la comparaison ; les études qu’ils recensent se contredisent ; le mot « enseignant » renferme des cas de figure trop variables (maternelle/primaire/secondaire ; ordinaire/spécialisé) ; la plupart des études sur le bien-être enseignant sont réalisées sans groupe contrôle. Tout cela, ajouté à une revue systématique de la littérature, leur permet d’affirmer que les enseignants n’éprouvent pas plus de problèmes psychologiques que d’autres travailleurs. Enfin, selon eux, dire que les enseignants ressentiraient un malaise plus grand que d’autres professions se révélerait contre-intuitif dans la mesure où la profession requiert un effort physique moindre (que des travailleurs du bâtiment par exemple) et qu’elle offre un niveau d’autonomie important.

On peut ajouter à l’analyse de Van Droogenbroeck et Spruyt que le métier d’enseignant est porteur de sens, au regard des résultats présentés dans cette étude qui montrent que c’est la variable avec le plus haut score. Le sens constitue donc l’un des piliers du bien-être psychologique. D’ailleurs, ce constat est corroboré par la littérature (Goyette, 2016 ; Kurt & Demirbolat, 2018; Li, 2018). Kun et Gadanecz (2022) soulignent le fait que le sens accordé à la profession viendrait des retombées sociétales et de la reconnaissance dont l’enseignant fait l’objet.

Enfin, tous les auteurs qui se sont attelés à mesurer les liens qui existent entre le PsyCap des enseignants et leur bien-être, mesuré ou non à l’aide de l’échelle PERMA, ont découvert des corrélations positives entre les deux construits, à l’instar des résultats de cette étude. Ainsi, Kun et Gadanecz (2022) estiment la corrélation entre PsyCap et PERMA à .52 (p<.01). À travers les trois prises de mesure de son étude, Li (2018) trouve des corrélations entre PsyCap et Psychological Well-Being entre .31 et .39 (p<.001). Pour les mêmes construits, Soykan et al. (2019) ont des résultats plus élevés (.72, p<.01), proches de ceux de Clarence et al. (2021) (.68, p<.01). Pour rappel, la corrélation obtenue dans les résultats de cette étude est de .76 (p<.001), ce qui montre une liaison assez élevée entre les deux modèles, qui implique que ce sont les mêmes individus qui bénéficient d’un capital psychologique et d’un niveau de bien-être PERMA élevés. Pour rappel, certains auteurs ont pu démontrer l’influence positive qu’un haut niveau de PsyCap pouvait avoir sur le sentiment de bien-être (Avey, Reichard, et al., 2011; Lupșa et al., 2020; Nasria et al., 2019).

Dans la mesure où des liens sont établis entre les construits, il est pertinent d’envisager des implications pour l’avenir. Les sources mentionnées ci-dessus soulignent l’opportunité qu’il y a à développer les interventions à destination des équipes éducatives (Ganotice et al., 2016; Kun & Gadanecz, 2022; Kurt & Demirbolat, 2018; Li, 2018; Soykan et al., 2019). Certains plaident pour intervenir sur les composantes du PERMA en garantissant un niveau de bien-être élevé au travail, par le coaching et le feedback construit autour des forces de caractère. D’autres, à la suite de Luthans et al. (2008), proposent un entrainement informatisé à la prise de conscience et au développement du PsyCap (Kurt & Demirbolat, 2018; Li, 2018). Soykan et ses collègues (2019) rappellent qu’une stratégie à long terme ne peut pas uniquement se baser sur ce genre d’interventions ponctuelles pour être efficace et qu’il faut qu’elle soit doublée d’un contexte scolaire qui assure des ressources extérieures en suffisance et un sentiment de sécurité. En tout cas, les résultats obtenus lors de cette recherche permettent d’envisager le développement de dispositifs de développement de ressources psychologiques qui s’appuient, par exemple, sur la prise de conscience de l’auto-efficacité, dans la mesure où il s’agit de la variable la plus haute du PsyCap des enseignants de l’échantillon, ou encore sur le développement de l’optimisme (variable la plus faible).

À ce jour, il existe encore peu de données sur l’effet des interventions concernant le PsyCap. Une première méta-analyse, hors du cadre éducatif, rapporte que les interventions provoquent des résultats significativement positifs sur le bien-être et les performances au travail (Lupșa et al., 2020). Selon les mêmes auteurs, intervenir sur la faculté de résilience est l’intervention sur une variable du PsyCap qui a le plus d’incidence, même si cet effet est modéré. Il est notable de constater que la résilience est une des variables qui intervient le moins dans les résultats présentés dans cette étude, ce qui tend à contredire ces propos. Compte tenu des résultats obtenus, on peut proposer aux enseignants des interventions qui mettent davantage l’accent sur le développement de leur optimisme, c’est-à-dire à leur propension à expliquer leurs succès par des causes internes et systématiques. Il serait également intéressant d’orienter ces interventions vers une prise de conscience des ressources les plus présentes, comme le sentiment d’auto-efficacité.

Comme tout travail scientifique, la qualité de celui-ci est peut-être affectée par des biais et des limites. En effet, un échantillon plus large et représentatif permettrait d’assurer une meilleure puissance statistique. Dans le cas de cette étude, les enseignants n’ont pas fait l’objet d’une procédure spécifique d’échantillonnage. Il est d’ailleurs permis de penser que des enseignants qui éprouvent un mal-être quant à leur profession n’aient pas souhaité participer à cette enquête. En outre, les résultats présentés doivent être complétés par les autres phases de la recherche en cours, c’est-à-dire une autre prise de mesure, effectuée quelques mois après la première, sur les mêmes individus, et une analyse qualitative d’entretiens explicatifs des phénomènes observés dans les données quantitatives. Enfin, l’étude met en relation deux modèles relativement simples, excluant ainsi d’autres variables qui pourraient potentiellement avoir une influence, telles que les ressources et exigences du métier (Bakker & Demerouti, 2007). Il faut garder à l’esprit que les résultats obtenus ne peuvent en aucun cas refléter toute la complexité de la réalité. En dépit de ces limites, délimiter théoriquement le sujet aux variables PsyCap et bien-être PERMA présente un intérêt communicationnel et scientifique certain.