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Contexte

Les politiques de responsabilisation instaurées dans plusieurs systèmes éducatifs à l’international, comme la gestion axée sur les résultats au Québec, amènent les directions d’établissements d’enseignement (DÉE) et les personnes enseignantes (PE) à prendre leurs décisions appuyées sur des données (Lai et Schildkamp, 2013). Cela permettrait d’améliorer l’enseignement et l’apprentissage des élèves (Keuning et Van Geel, 2016).

La prise de décision appuyée sur les données (PDAD) se rapporte à un processus par lequel les « […] enseignants, les directions et les administrateurs collectent et analysent systématiquement des données afin d’orienter une série de décisions visant à améliorer la réussite des élèves et des écoles » (Ikemoto et Marsh, 2007, p. 108) [traduction libre][1]. Il s’agit d’un processus de transformation de données brutes en informations, puis en connaissances utiles (Davenport et Prusak, 1998). Sur le plan des compétences en matière de données, on parle aussi de « littératie des données » suivant laquelle les PE doivent être capables de collecter et d’organiser les données, puis de les analyser et de résumer l’information recueillie. En dernier lieu, elles doivent synthétiser les connaissances utiles, les hiérarchiser en fonction des objectifs organisationnels et agir en conséquence.

La DÉE joue un rôle prépondérant dans l’implantation d’un processus de PDAD et le développement des compétences des PE en matière de littératie des données (Ikemoto et Marsh, 2007). Ce rôle s’actualise notamment en priorisant les élèves à suivre, en libérant du temps de collaboration ou encore en faisant la promotion de l’utilisation des données. Ces actions doivent s’inscrire dans une vision forte et partagée de la DÉE, ce qui inclut l’établissement de règles et de normes explicites favorisant le développement d’une culture des données (Keuning et al., 2017). Celle-ci ci désigne les croyances, valeurs, postulats et normes partagées concernant l’utilisation des données (Lasater et al., 2020).

Mise en place de systèmes d’amélioration et de responsabilisation appuyés sur les données

Hargreaves et al. (2013) émettent 12 recommandations pour la mise en place de systèmes d’amélioration et de responsabilisation appuyés sur les données, dont six pourraient guider les DÉE, soit : 1) mesurer ce qui est priorisé dans l’organisation scolaire, et non seulement ce qui se mesure sans difficulté. Ainsi, il est nécessaire que les indicateurs reflètent les objectifs d’apprentissage établis; 2) concevoir un tableau de bord équilibré composé de mesures de sources multiples afin de comprendre les divers aspects du fonctionnement de l’établissement d’enseignement (ÉE) ainsi que le suivi du rendement des élèves; 3) porter une attention particulière à la qualité des données en matière de validité et de fiabilité; 4) miser sur une culture d’amélioration continue basée sur des attentes élevées et un fort soutien à l’égard des PE pour soutenir la réussite des élèves; 5) exercer un leadership partagé dans le cadre de communautés d’apprentissage professionnelles (CAP); 6) établir un système de responsabilité mutuelle et transparente sur l’octroi des ressources et du soutien offerts aux PE.

Facteurs liés à l’implantation d’un processus de PDAD

À l’échelle d’un établissement d’enseignement, nous avons retenu quatre facteurs favorisant l’implantation d’un processus de PDAD issus de la recherche. Ces facteurs relèvent de la responsabilité de la DÉE, soit : 1) le leadership transformationnel; 2) la culture des données; 3) la collaboration et; 4) les coachs en données.

Le leadership transformationnel

Dans le cadre d’une recherche transversale, Stump et al. (2016) soutiennent que le leadership transformationnel a un effet positif et significatif sur l’utilisation des données externes (p. ex., les décisions prises à partir de résultats de recherches) et internes (p. ex., les décisions prises à partir de données produites dans l’école) par les PE. Ce type de leadership vise le changement sociétal et organisationnel en amenant chaque membre de l’équipe-école à transcender ses intérêts personnels au bénéfice des objectifs et de la mission de l’organisation (Bass, 1990). Le leadership transformationnel comprend quatre dimensions : 1) le charisme (communication d’une vision claire et de la mission de l’organisation); 2) l’inspiration (formulation d’attentes élevées en matière d’objectifs à atteindre); 3) la stimulation intellectuelle (dans le cas présent, promotion de l’utilisation des données et du développement professionnel des PE) et; 4) la considération (p. ex., attention personnalisée à chaque PE) (Bass, 1990).

La culture des données

Selon Lasater et al. (2020), une culture des données positive oriente et favorise une utilisation productive des données en milieu scolaire. La confiance et la collaboration, l’utilisation des données à des fins d’amélioration, les attentes claires de la part de la DÉE; ce qui comprend l’attribution des rôles et responsabilités de chacun des membres de l’équipe-école, le partage responsable des données entre les acteurs scolaires, la compétence de la DÉE ainsi que l’utilisation des données comme instrument de soutien constituent les éléments d’une culture des données positive (Lasater et al., 2020).

La collaboration

La collaboration favorise la mise en place de processus PDAD (Keuning et al., 2017). Sous l’impulsion de la DÉE, cette collaboration se réaliserait pleinement dans le cadre de CAP (Bouchamma et al., 2017), notamment par des discussions ouvertes permettant le partage d’expertise et la réflexion collective (Keuning et al., 2017).

Les coachs en données

D’après Marsh et al. (2015), les coachs en données (data coaches) accompagnent les membres dans le but de donner un sens aux données dans les CAP. Ils jouent un rôle de médiateur entre les données collectées et les pratiques à promouvoir en interagissant avec les PE, ce qui favorise la PDAD chez ces derniers. Cela est possible si la personne mandatée par la DÉE possède, entre autres, des compétences reconnues en relations interpersonnelles (Villeneuve et Bouchamma, 2023).

Conclusion

Selon la recherche, l’implantation d’un processus de PDAD tient de manière importante au rôle de la DÉE en tant qu’agent de changement exerçant un fort leadership qui influence la culture des données, la collaboration et la reconnaissance d’expertise en matière de données dans son milieu, et ce, dans une perspective d’amélioration continue du fonctionnement de l’ÉE. Par ailleurs, il serait intéressant de considérer avec soin les leviers à promouvoir dans la formation initiale et continue des DÉE pour améliorer leur influence sur l’implantation de ce type de processus décisionnel dans les ÉE.