Présentation

Vivre avec la mort au travail[Notice]

  • Chantal Caux et
  • Marc-Antoine Berthod

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  • Chantal Caux
    Professeure agrégée, Faculté des sciences infirmières, Université de Montréal

  • Marc-Antoine Berthod
    Docteur en anthropologie, professeur à la Haute école spécialisée de Suisse occidentale, Lausanne

« Des milieux de travail exempts de menaces à la santé », telle est la formulation privilégiée afin de définir les exigences de santé publique en matière de santé et sécurité au travail. Un allant de soi bien sûr puisque le travail ne devrait pas rendre malade, mais bien devenir source de sens, d’accomplissement et d’enrichissement. Or, l’exercice d’une activité professionnelle entraine encore aujourd’hui l’invalidité voire la mort de plusieurs millions de travailleurs et travailleuses annuellement. Lorsqu’elle est reliée au travail, cette dernière frappe d’autant plus l’imaginaire qu’elle est généralement évitable: cancers professionnels, amiantose, accidents agricoles, industriels, miniers ou de chantiers pourraient – dans une certaine mesure – être prévenus par la diminution de l’exposition aux facteurs de risques, ces menaces à la santé. L’idée première de ce numéro était de s’attarder précisément à cette relation entre le travail et la mortalité du travailleur lui-même, d’où le titre choisi: Vivre avec la mort au travail, c’est-à-dire vivre avec les risques délétères associés à l’exercice d’un métier ou d’une profession. Cependant, si l’appel de contributions à ce numéro allait en ce sens, ce sont plutôt des articles mettant l’accent sur un autre type de relation entre le travail et la mort qui se sont présentés. Il s’agit d’une relation plus subtile, moins frappante, quasi insidieuse, où s’entremêlent le deuil, la souffrance et la détresse au travail. Deux articles traitent de cette interrelation selon la perspective des travailleurs de la santé. En effet, tant dans les médias que dans les écrits scientifiques, il est rapporté qu’exercer une telle profession peut rapidement s’avérer source de détresse et de souffrance, dues tant aux exigences inhérentes à ce travail – souffrance et mort de patients, accompagnement de familles endeuillées – qu’aux contraintes organisationnelles. L’article de Julien Simard est très éloquent à cet égard. Cet anthropologue a tout particulièrement exploré le contexte des soins palliatifs, s’attardant à l’écart qui peut se creuser entre l’idéal souhaité de soins à prodiguer et la réalité du terrain. Cet écart, couplé à la propre souffrance de la personne soignante, contribuerait à augmenter la détresse des travailleurs de la santé, d’où l’importance pour ces derniers de mettre en oeuvre la « juste distance » que décrit l’auteur. Cette « juste distance » trouve également écho dans l’article de Claudia Gonzalez et ses collaboratrices. Sans toutefois utiliser la même expression, cette auteure fait état, par une recension exhaustive des écrits, des exigences et des conséquences que peut avoir l’accompagnement de personnes endeuillées sur les professionnelles de la santé, les infirmières en l’occurrence. Si Julien Simard s’est intéressé aux milieux de fin de vie, cette auteure s’est plutôt concentrée sur les milieux de début de vie, la néonatalogie. Toutes les grossesses ne se soldant pas par une naissance heureuse, l’accompagnement des parents qui vivent un deuil périnatal représenterait, pour les infirmières, un défi supplémentaire en raison de cette distance difficile à créer, du fait qu’elles soient femmes, et souvent mères. En plus de cette implication émotive, cette auteure explore également d’autres facteurs psychosociaux inhérents à l’environnement de travail. Ces facteurs n’étant pas sans effets sur la santé des infirmières, l’objectif de Mme Gonzalez est de proposer des stratégies salutogènes afin d’y remédier. Le deuil périnatal se poursuit, pour les parents, bien au delà du séjour à l’hôpital. Catherine Beaudry et Mélanie Gagnon ont pour leur part exploré, à l’aide d’un devis de recherche qualitatif, ces vies de femmes à la suite de la perte de leur enfant à naître ou de leur nourrisson; perte qui, trop souvent, toujours selon ces auteures, se verrait minimisée par l’entourage, voire la société. Ces auteures ont …

Parties annexes