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Les parents confrontés à la perte de leur enfant à naître ou de leur nourrisson vivent un deuil particulier, n’ayant pas connu leur bébé ou très peu. Le retour au travail qui s’ensuit est souvent parsemé d’embûches pour ceux qui affrontent cette épreuve peu reconnue socialement. Certains facteurs sociaux, organisationnels et personnels pavent toutefois la voie à une reprise du travail moins laborieuse. Cet article jette un regard sur le rôle déterminant du soutien social en milieu de travail lors de la réinsertion au travail des parents affligés par un deuil périnatal.

Le deuil périnatal : une souffrance trop souvent minorée

La définition du concept de deuil périnatal ne fait pas consensus dans la littérature. Ce type de deuil fait suite à une fausse-couche (McCreight, 2008 ; Hazen, 2006 ; Verdon, 2004 ; Kavanaugh et Robertson, 1999 ; De Montigny et al., 1999 ; Rosenblatt et Burns, 1986), à la perte d’un enfant mort-né, à la mort néonatale et/ou à la perte d’un nourrisson à la suite du syndrome de mort subite (Vance et al., 2002 ; Fréchette, 1997 ; Vance et al., 1995). Pour les fins de la présente recherche, la définition du deuil périnatal retenue réfère au deuil suivant le décès d’un enfant à naître à partir de la vingtième semaine de grossesse ou du nourrisson dans les vingt-huit jours qui suivent sa naissance (Barfield, 2011; Bennet et al., 2008, p. 486).

La littérature met en exergue que l’intensité et la durée du deuil périnatal sont les mêmes que pour tout autre type de deuil (Verdon et al., 1995). En perdant leur enfant, les parents sont alors privés de l’espoir et des attentes liées à sa venue (McCreight, 2008 ; Rosenblatt et Burns, 1986). Même lorsque plusieurs mois se sont écoulés depuis la perte, ils éprouvent souvent une vive colère, ce qui les déconcerte et les bouleverse (Cordell et Thomas, 1997). Le deuil périnatal se vit de diverses manières, variant dans le temps et d’une personne à l’autre (Kavanaugh et Robertson, 1999).

Pour traverser cette épreuve, la valeur du soutien social est fréquemment évoquée dans la littérature, ce type de deuil exigeant un fort soutien émotionnel (Fréchette, 1997). La souffrance ressentie par les parents, dans les mois et les années suivant le décès du bébé, est tributaire de l’appui social qui leur est dévolu (Rosenblatt et Burns, 1986). Pour les endeuillés, il importe de s’exprimer au regard de la perte vécue (Rosenblatt et Burns, 1986). La disponibilité du soutien social s’avère dès lors un prédicteur important des possibilités d’adaptation à la perte (Verdon, 2004 ; Brewin et al., 2000). Souvent, les parents sont laissés à eux-mêmes et doivent gérer leur souffrance isolément, le deuil périnatal étant mal compris dans la société (Vance et al., 1995). À tort, l’entourage estime que le décès d’un bébé que l’on n’a pas ou peu connu est moins douloureux, ce bébé pouvant être remplacé par un autre (De Montigny et al., 1999).

L’entourage n’évalue donc pas à sa juste valeur l’impact de la perte et reconnaît peu la douleur qui en découle (McCreight, 2008). La mise à l’écart des parents démontre que le deuil périnatal, peut-être parce qu’il est tabou, n’est pas supporté, voire socialement rejeté (Bennett et al., 2008 ; McCreight, 2008 ; Verdon, 2004 ; De Montigny et al., 1999 ; Cordell et Thomas, 1997 ; Fréchette, 1997 ; Rosenblatt et Burns, 1986). D’aucuns affirment même qu’il s’agit d’une perte silencieuse (silent loss), l’entourage n’étant pas à l’aise d’en discuter, alors qu’aucune référence à la personne décédée n’est possible (Bennett et al., 2008; Hazen, 2006, Fréchette, 1997). Les tentatives de discussions avec l’entourage donnent souvent lieu à des silences ou à des remarques réductrices au regard du décès. Conséquemment, les endeuillés apprennent à se taire (Hazen, 2006) et, de manière corollaire, l’isolement des parents devient fréquemment un bouclier au regard de ce soutien déficient ou à ces remarques blessantes (De Montigny et al., 1999).

La séparation entre la sphère personnelle et professionnelle en milieu de travail contribue à ce silence. Le marché du travail ne crée pas d’espaces permettant de partager et de discuter ouvertement de ce type de situations (Hazen, 2006). Qui plus est, si certains chercheurs dans le domaine de la gestion prennent en considération les émotions dans le cadre du travail, ils occultent souvent tout ce qui a trait au corps humain, comme si ce qui arrive à l’hôpital n’avait pas sa place en milieu de travail et appartenait à la sphère privée (Hazen, 2006).

Le retour au travail à la suite d’une expérience personnelle difficile

Un grand nombre d’études traitant du retour au travail, lors d’un deuil ou à la suite d’une maladie par exemple, insiste sur l’importance du soutien social provenant des membres de l’organisation (Saint-Arnaud et al., 2014 ; Griffith, 2011 ; Quinton Fantoni et al., 2010 ; Hazen, 2009 ; Hazen, 2008 ; Holmgren et Ivanoff, 2007 ; James et al., 2006 ; St-Arnaud et al., 2004 ; Brouwer et al., 2003 ; Hazen, 2003 ; St-Arnaud et al., 2003 ; Barsi-Carrow, 2000). Le soutien du supérieur hiérarchique compte parmi les facteurs les plus déterminants (Hazen, 2009; Holmgren et Ivanoff, 2007; St-Arnaud et al., 2004 ; Barski-Carrow, 2000). La relation de confiance entre le supérieur et l’employé s’avère donc fondamentale (Holmgren et Ivanoff, 2007). Ce soutien se manifeste de différentes manières, notamment par l’écoute de l’employé, par les ressources que le supérieur met à sa disposition et par la flexibilité dont il fait preuve dans sa gestion (St-Arnaud et al., 2004 ; Barski-Carrow, 2000).

Le soutien en provenance des collègues constitue un autre facteur clé, leur présence contribuant à briser l’isolement de l’employé qui reprend ses activités professionnelles (Holmgren et Ivanoff, 2007 ; Bento, 1994). Par ailleurs, la légitimité perçue par les collègues quant aux causes de l’arrêt de travail influence également le processus de retour (St-Arnaud et al., 2004). Lorsque les collègues estiment que la cause de l’absence est valable, ils offrent davantage leur support à l’employé qui revient au travail.

Étant donné le malaise que crée le deuil périnatal, le soutien social en milieu de travail ne s’avère cependant pas toujours optimal. Certains collègues ou gestionnaires peuvent trouver difficile d’aider l’employé endeuillé, ne sachant pas quels gestes poser ou quelles paroles prononcer (Hazen, 2003). La présence des collègues et du supérieur hiérarchique peut également nuire à l’employé qui revient au travail, lorsqu’ils ignorent ou rejettent sa douleur (Hazen, 2006 ; Bento, 1994). En voie de conséquence, l’employé en deuil n’a pas la possibilité d’exprimer sa souffrance (Maxim et Mackavey, 2005). Ce silence contribue à l’isolement, rendant ainsi le retour au travail des parents endeuillés plus difficile (Hazen, 2008).

Objets de la recherche

Les écrits sur la situation de deuil sont assez nombreux, mais très peu d’études s’intéressent spécifiquement à la conjugaison entre le deuil périnatal et le retour au travail (Hazen, 2009). Constatant la rareté des données scientifiques sur ce thème, la question suivante a servi d’amorce à la recherche : qu’en est-il du soutien social reçu par les parents vivant un deuil périnatal dans le cadre de leur retour au travail ? En corollaire, la proposition interprétative préliminaire de cette étude, basée sur la recension des écrits présentée plus tôt, indique que, lors de leur retour au travail, le soutien social reçu par les parents endeuillés dans leur milieu de travail est insuffisant.

Parmi les facteurs déterminants du retour au travail se trouve le soutien social, puisqu’il contribue à l’adaptation à la perte (Saint-Arnaud et al., 2014). Il s’agit d’un facteur central, tant au plan professionnel que personnel. La notion de soutien social renvoie à la dispensation ou au partage de ressources émotionnelles, instrumentales ou informationnelles lorsqu’un individu perçoit qu’un autre en ressent le besoin (Caron et Guay, 2005, p. 16). Lorsqu’il est conçu comme un comportement, le soutien social fait référence aux actions effectivement posées pour venir en aide à une personne (Beauregard et Dumont, 1996). Il s’agit donc d’étudier la satisfaction quant au soutien reçu par les employés qui reviennent au travail. Cette satisfaction repose sur l’adéquation de l’aide obtenue avec leurs besoins, la fréquence du soutien, la disponibilité des supérieurs et des collègues, et la compréhension et le réconfort qu’ils leur prodiguent (Houle et al., 2005 ; Beauregard et Dumont, 1996).

Méthodologie

Le thème du retour au travail lors d’un deuil périnatal étant encore peu étudié, l’approche qualitative justifie l’orientation exploratoire de cette recherche. La méthode des groupes de discussion (focus group) est indiquée, celle-ci insistant sur la dynamique de groupe avec pour objectif de faire émerger l’expression des perceptions, des attitudes et des sentiments. Elle favorise des échanges spontanés et la création d’un contexte d’intersubjectivité (Leclerc et al., 2011) permettant aux participants de construire ensemble la compréhension d’un problème.

Afin de recruter les participants, des invitations ont d’abord été affichées sur les sites Internet de groupes de soutien aux parents endeuillés. Quatre articles traitant de la recherche et invitant les parents intéressés à participer ont ensuite été publiés dans des journaux locaux et une entrevue radiophonique a été accordée afin de faire connaître la recherche en vue de recruter des participants.

Trois groupes de discussion se sont tenus en mai 2012 avec des mères ayant vécu un décès périnatal et étant retournées au travail depuis la perte de leur enfant. L’échantillon était composé de neuf femmes[1] et les groupes de discussion ont été animés par les deux chercheuses à l’aide d’un guide d’entretien constitué de huit questions. Les entretiens de trois heures ont été enregistrés et intégralement retranscrits aux fins d’analyse.

Résultats

Parmi les obstacles majeurs rencontrés par les mères endeuillées se trouve le manque de soutien social de la part des membres de leur organisation lors de leur retour au travail. Bien que plusieurs d’entre elles aient reçu peu d’aide, d’autres ont en revanche été soutenues par leur supérieur hiérarchique ou leurs collègues lors de cette épreuve personnelle.

Le soutien des supérieurs hiérarchiques

La perte périnatale a généré différentes réactions chez les supérieurs hiérarchiques, certaines mères endeuillées indiquant que leur employeur est demeuré indifférent à leur situation, ne démontrant ni compassion ni soutien.

La directrice ne m’avait pas rappelée. Il n’y avait pas eu d’empathie de sa part. Elle n’a pas reconnu mon deuil. Quand je suis revenue, je n’ai eu aucun accueil. Au niveau de l’accueil, de savoir quoi dire, il y a eu un gros manque de sa part.

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Mon patron, il y avait peut-être un malaise, n’a rien fait de spécial pour changer les choses à mon arrivée. Quand je suis retournée, c’était pareil comme avant.

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Cette absence de soutien est également relevée par d’autres participantes qui auraient souhaité que leur supérieur s’informe de leur situation. Elles soulignent qu’il semblait mal à l’aise face et démuni, ne sachant quels gestes poser ou quelles paroles prononcer.

Les mères endeuillées expliquent également que l’indifférence et le manque d’empathie de leur supérieur se manifestaient par le fait qu’il était d’abord et avant tout axé sur leur capacité à reprendre leurs activités et à fournir un rendement satisfaisant, occultant inexorablement la souffrance qu’elles ressentaient.

Il m’a dit : tu viens travailler, tu dois être fonctionnelle à 100%. Si tu ne l’es pas, retourne chez toi!  Prends des pilules! 

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La première journée de mon retour, mon patron m’a dit : bon, ça veut dire que tu vas vouloir retomber enceinte. Tu vas vouloir repartir en congé. Il n’a pas senti utile de s’enquérir de la situation, de mon bien-être, de mes besoins par rapport à mon retour. […] Ensuite, il a dit : bon, tu as pris du retard dans tes dossiers, on va te remettre à jour. C’était comme si j’avais cassé sa routine puis que je lui avais mis des bâtons dans les roues. Il m’a fait sentir que mon épreuve avait des impacts négatifs sur le bon fonctionnement de l’entreprise.

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Finalement, plusieurs femmes expliquent que leur supérieur s’est montré très rigide dans la gestion de leur retour au travail. Elles indiquent ne pas avoir eu la possibilité de recourir à un congé suffisamment long à la suite de la perte de leur enfant. Ce congé relève des dispositions législatives en vigueur au Québec[3]. Les employeurs ont toutefois la possibilité d’étendre ce congé selon les besoins des parents. En revanche, un tel accommodement n’a pas été proposé à plusieurs des participantes. Une fois le congé légal terminé, celles-ci ont dû retourner au travail. La décision de prolonger le congé impliquait alors la perte de leur emploi ou encore la perte de leur salaire pour la durée de la prolongation. Certaines indiquent qu’elles auraient toutefois pu recourir à des congés de maladie. Pour y accéder, leur supérieur hiérarchique exigeait une déclaration de maladie ou d’inaptitude au travail. Cette exigence est décrite comme insultante par les mères qui mentionnent qu’elles n’étaient alors pas malades ou inaptes, mais plutôt en deuil. Il s’agit selon elles d’une différence importante. En plus du congé prévu par la loi, des participantes indiquent avoir sollicité un retour progressif au travail, mais ont essuyé un refus de la part de leur supérieur. Cet accommodement n’était semble-t-il pas envisageable étant donné leur statut d’emploi atypique.

Contrairement aux témoignages précédents, d’autres participantes se sont senties particulièrement soutenues par leur supérieur hiérarchique. Ce soutien s’est traduit par l’écoute et par l’ouverture ou, plus spécifiquement, par l’adaptation des pratiques de gestion à la situation idiosyncratique vécue par les employées endeuillées. Une d’entre elles a indiqué que sa supérieure a bien compris que ses émotions n’étaient pas stables et que sa peine était susceptible de l’envahir de manière impromptue.

Ma boss était ouverte à n’importe quoi. Ma supérieure m’a dit : tu rentres le matin et si tu ne te sens pas à l’aise l’après-midi, tu retournes chez toi. C’était assez merveilleux. Je pense que j’avais la meilleure personne pour m’accompagner. Même après six mois, elle continuait : ne surcharge pas ton agenda.

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Finalement, d’autres mères relèvent que leur employeur a reconnu l’importance, pour elles, de s’accorder un temps de repos. Bien qu’un congé soit prévu dans les dispositions législatives, leur supérieur a insisté sur le fait qu’elles n’avaient pas à se sentir mal à l’aise d’y recourir.

Ma supérieure hiérarchique a dit : prends-les à toi tes semaines de congé, pour toi. Elle m’a dit : si tu as besoin de quoi que ce soit, tu me le demandes. Donc, je sais que la porte est ouverte. Moi, c’est de savoir que la porte est ouverte, que je sais que je peux cogner et que je ne serai pas jugée parce je suis triste ou que j’ai une faiblesse un moment ou quoi que ce soit. Je sais qu’il y a de l’ouverture. Moi, c’est vraiment l’ouverture.

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Le soutien social en provenance des collègues

Si le soutien de la part des supérieurs hiérarchiques lors du retour au travail des mères endeuillées s’est parfois avéré déficient, il en a été de même des attitudes des collègues. Plusieurs participantes indiquent que leurs confrères et consoeurs de travail ont ressenti un certain malaise face à elles et qu’ils ont tenté d’éviter la question, voire même de les fuir.

Quand je suis revenue au travail, moi les gens me fuyaient dans le corridor. Ils me voyaient, mais c’est comme s’ils ne m’avaient pas vue. Ils ne voulaient pas me parler, ils ne savaient pas quoi me dire. C’était un malaise profond.

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Une participante explique ce malaise ou cette incompréhension du fait que ses collègues n’en sont pas aux mêmes étapes de vie qu’elle et que leurs préoccupations sont différentes et peu axées sur les aspects familiaux.

Les filles avec qui je travaille, elles n’ont pas d’enfants. Elles sont au début de la vingtaine. Elles ne savent même pas encore c’est quoi le fait d’être maman. Moi, ma réalité était loin de la leur. Elles ne sont pas au même stade dans la vie.

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Si certaines ont perçu un malaise et de l’incompréhension de la part de leurs collègues, une autre participante mentionne plutôt l’indifférence de ces derniers.

Moi, c’était l’ignorance ou faire comme si de rien était. Ça, je trouvais ça effronté. Les gens n’en parlaient pas. C’était l’ignorance qui était le plus difficile. Puis les petites phrases pas plaisantes.

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Ces phrases déplaisantes sont d’ailleurs évoquées par toutes les participantes. Elles indiquent qu’en voulant être réconfortants, les collègues commettent des maladresses qui exacerbent le malaise. Ces interventions déplacées sont rapportées par les participantes : « Au moins tu n’as pas connu ton bébé, c’est moins pire; tu es jeune, tu pourras avoir d’autres enfants; au moins, tu as déjà un autre enfant; c’est mieux qu’il soit décédé parce qu’il aurait pu avoir des séquelles, etc. ».

Si le soutien de certains collègues s’est avéré insuffisant, d’autres ont a contrario su accompagner adéquatement les employées endeuillées lors de leur retour au travail. Il s’est manifesté, pour certaines, par l’empathie démontrée par leurs collègues combinée à leur écoute. Elles ont senti un réel intérêt de leur part envers leur expérience éprouvante.

Les collègues m’écrivaient des messages sur Internet : je pense à toi. J’ai trouvé ça tellement gentil. J’y allais à tous les jours pour voir si quelqu’un m’avait écrit. Aussi, j’avais une amie qui travaillait avec moi. Elle me demandait souvent, quand on était seules : comment tu vas ? On s’enfermait dans mon bureau et je pleurais. Ça m’a aidée.

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Si cette empathie s’exprimait généralement par des paroles, une participante souligne que de simples gestes étaient générateurs d’un réel réconfort:

Quand je suis revenue, ça faisait trois ou quatre semaines, j’étais dans le stationnement et un collègue est venu à côté de moi. Il n’a rien dit. Il m’a pris dans ses bras et m’a embrassée sur la joue. Il m’a regardée. J’ai tellement senti de l’affection, mais il n’a rien dit, rien. Ça, ça m’a vraiment fait du bien.

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Le soutien de la part des employés s’est en outre manifesté par une aide octroyée dans l’exécution des tâches. Les collègues ont soutenu les mères en se répartissant une partie de leurs tâches, de manière à leur éviter une surcharge de travail afin qu’elles puissent reprendre progressivement leur activité professionnelle, en fonction de leurs capacités.

Certaines participantes expliquent ce soutien reçu par les collègues par le fait que d’aucuns ont un vécu analogue et sont en conséquence davantage susceptibles de comprendre leur deuil. Des expériences semblables favoriseraient donc le soutien nécessaire au retour au travail dans le cas de la perte d’un enfant tel qu’en font foi ces extraits :

Une de mes collègues a eu plusieurs inséminations avant d’avoir son premier bébé. Quand j’ai perdu mon bébé, elle essayait de tomber enceinte, mais ça ne fonctionnait pas. On s’est comme comprises toutes les deux.

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Au retour au travail, les collègues qui étaient mamans étaient plus à l’écoute que ceux qui étaient papas. J’ai l’air sexiste, mais c’est vrai. Un papa, le bébé existe quand il vient au monde. Pour la maman, le bébé existe quand elle tombe enceinte. Donc, les mamans collègues savaient que mon bébé avait existé.

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Par ailleurs, d’autres femmes indiquent que l’aide reçue au travail ne provenait pas nécessairement des collègues avec qui elles entretenaient les liens les plus étroits avant la perte de leur enfant. Elles ont été surprises d’obtenir du soutien de la part de collègues avec qui elles partageaient peu auparavant. Paradoxalement, elles ont parfois été déçues de constater que certains collègues, qu’elles considéraient comme des amis, les soutenaient très peu. Une autre déception des participantes relève du fait que le soutien des collègues s’est rapidement atténué avec le temps. En milieu de travail, l’entourage a vite considéré le deuil comme étant terminé.

On revient au travail et après les 2 ou 3 premières semaines, disons, c’est tombé dans l’oubli.

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De manière plus importante, des mères ont perçu que le soutien des collègues n’était pas sincère et que leur empathie ou témoignage n’était lié qu’aux règles de convenance. Les propos de l’une d’elles illustrent bien cette impression.

Les 2 ou 3 premières semaines, les gens au travail venaient me voir, mais je sentais que c’était comme un genre d’obligation. Comme s’ils se disaient : il faudrait bien aller lui dire qu’on est désolé. Puis après, c’était fait. C’était coché.

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Discussion

Cette étude avait pour visée d’examiner le soutien social qu’ont reçu les parents vivant un deuil périnatal de la part des membres de leur organisation, lors de leur retour au travail. Il appert que le soutien social joue un rôle fondamental dans la reprise des activités professionnelles des employés endeuillés, mais qu’il est trop souvent insuffisant. Il existe alors un lien entre cette constatation de recherche et la littérature précédemment exposée.

Les études sur le deuil périnatal insistent sur l’inconfort de l’entourage à l’égard de parents vivant cette expérience (Bennett et al., 2008 ; McCreight, 2008 ; De Montigny et al., 1999 ; Cordell et Thomas, 1997 ; Fréchette, 1997 ; Vance et al., 1995; Rosenblatt et Burns, 1986). Ce type de deuil étant incompris dans la société, il demeure tabou et, trop souvent, les proches ne savent pas quels gestes poser ou quelles paroles prononcer (Hazen, 2003). Qui plus est, cet embarras semble exacerbé dans les milieux de travail, puisque les thèmes de la mort, de la grossesse et de la naissance n’ont pas leur place au sein des organisations (Hazen, 2006). Les résultats de la présente étude font état de ce malaise, à la fois de la part des supérieurs hiérarchiques et des collègues de travail, quant à la situation vécue par les mères endeuillées. Plusieurs d’entre elles ont subi cette mise à l’écart signalée dans la littérature (Bennett et al., 2008 ; McCreight, 2008 ; Verdon, 2005 ; De Montigny et al., 1999 ; Cordell et Thomas, 1997 ; Fréchette, 1997 ; Vance et al., 1995; Rosenblatt et Burns, 1986), alors que les membres de leur organisation tentaient d’éviter de parler de leur deuil. Cet évitement s’est traduit par un soutien inapproprié ou encore par des paroles minimisant l’ampleur de leur douleur (De Montigny et al., 1999).

Si certains collègues ou gestionnaires ont esquivé le sujet en raison de leur malaise, d’autres semblent l’avoir fait par indifférence face à leur peine. Ce rejet de la douleur vécue est également mentionné dans la littérature sur le deuil (Hazen, 2006 ; Bento, 1994). Parce que les employés endeuillés n’ont pas ou peu connu leur enfant décédé, l’entourage tend à penser que la peine ressentie par les parents est moins intense (De Montigny et al., 1999). Encore une fois, une telle croyance pave la voie à l’isolement de l’employé en deuil, sa douleur étant illégitime dans son milieu de travail. Cette situation complique la reprise des activités professionnelles (Hazen, 2008).

À l’opposé, d’autres ont dit s’être senties épaulées au moment de leur retour au travail. Elles relèvent que les personnes qui les ont le mieux accompagnées dans leur réinsertion professionnelle sont celles ayant un vécu similaire au leur. La légitimité perçue par les membres de l’organisation quant aux causes de l’arrêt de travail influence le processus de retour (St-Arnaud et al., 2004), et favorise le soutien social. Les collègues et supérieurs qui tentaient d’avoir des enfants sans y arriver ou qui étaient déjà mères, semblaient davantage empathiques envers les employées endeuillées, notamment parce qu’ils pouvaient s’imaginer l’intensité de la peine vécue. Ce constat est très peu évoqué dans la littérature sur la situation spécifique du deuil périnatal.

L’empathie et l’écoute manifestées par les collègues ou par les supérieurs hiérarchiques sont les deux formes de soutien social les plus souvent rapportées par les participantes. Il s’agit plus précisément d’un soutien dit émotionnel (Caron et Guay, 2005), indispensable dans le cas d’un deuil périnatal (Fréchette, 1997). Les participantes mentionnent également l’importance d’autres types de soutien, notamment le soutien instrumental (Caron et Guay, 2005) qui se manifeste par une certaine flexibilité de la part du supérieur dans sa gestion à l’égard du temps accordé pour l’arrêt de travail et de la présence dans l’organisation. De surcroît, les femmes qui ont reçu de l’aide de leurs collègues sur le plan de la charge de travail ont rapporté les effets bénéfiques d’une telle forme de soutien. Cette constatation ajoute aux études sur le deuil périnatal qui n’abordent généralement que le soutien émotionnel, laissant de côté d’autres formes telles que le soutien instrumental.

Conclusion et limites de l’étude

Cette recherche, bien qu’exploratoire, met en lumière l’importance du soutien social prodigué par l’ensemble des membres de l’organisation lors du retour au travail des parents endeuillés, mais également à plus long terme. Les femmes rencontrées indiquent que le deuil périnatal n’est pas linéaire et qu’il se poursuit plusieurs mois après le décès de l’enfant. Les résultats complètent la littérature actuelle portant sur ce type de deuil en insistant sur d’autres formes de soutien alternatives au soutien émotionnel. Cette étude contribue donc au développement de nouvelles connaissances.

On ne peut cependant passer sous silence la constitution exclusivement féminine de l’échantillon qui se présente comme une limite de l’étude tout en s’avérant révélatrice d’une réalité conforme avec la littérature, selon laquelle le genre influence les réactions de deuil (Cordell et Thomas, 1997). Il serait donc judicieux de reproduire cette étude avec un échantillon constitué de pères afin d’étudier et de théoriser les réalités masculines en lien avec le retour au travail des endeuillés.

Par ailleurs, l’appréciation du soutien social reçu par les participantes lors de leur retour au travail s’avère subjective, étant donné qu’elle s’appuie sur une évaluation cognitive de ce qu’elles perçoivent avoir reçu dans leur milieu de travail (Beauregard et Dumont, 1996). Les besoins au regard du soutien social diffèrent également d’une personne à l’autre. La présente étude fait donc état de la satisfaction des participantes quant au soutien reçu, ce qui n’est pas sans intérêt, mais repose davantage sur des perceptions que sur des faits avérés.

En conclusion, à la lumière des résultats exposés, on constate un décalage entre le soutien offert aux parents endeuillés en milieu de travail et celui dont ils auraient besoin. Lorsque la ratification sociale du deuil s’effectue convenablement aux yeux des personnes affligées par la perte périnatale, le retour au travail semble moins laborieux. Pour l’entourage immédiat, comme pour les espaces de socialisation qui se tissent au travail, négliger la reconnaissance du deuil périnatal peut s’avérer néfaste pour les parents qui se sentent incompris et isolés. Considérant que le deuil en milieu de travail est encore peu exploré dans les écrits scientifiques, il semble à propos de poursuivre le développement d’un corpus théorique permettant de développer des modèles heuristiques appropriés et particuliers à cet objet d’étude.