Volume 30, numéro 1, 2018 Humour et mort Sous la direction de Patrick Bergeron et Diane Laflamme
Page couverture : Sans titre, par Nathalie Lavoie, Service des communications, UQAM.
Sommaire (8 articles)
Présentation
Articles
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L’humour : de l’oubli de notre fragilité commune à l’éthique
Jérôme Cotte
RésuméFR :
L’humour peut avoir une multitude de fonctions et de définitions. Il provoque aussi des rires ou des sourires de toutes sortes. Dans cet article, l’auteur rend compte non pas de l’humour et du rire, mais plutôt de deux tendances précises qu’ils peuvent prendre. D’abord, le rire bête est celui qui favorise l’oubli de notre finitude, de notre fragilité, de la mort. En donnant l’impression frauduleuse de triompher sur la misère, il célèbre plutôt la vie mutilée et participe au renforcement de l’harmonie illusoire de la société. Pourtant, le rire peut aussi faire de la souffrance, de la mort et des situations pénibles une force émancipatrice. Cette deuxième approche est associée à ce que nous appelons « l’humour éthique ».
EN :
Humor can have a multitude of functions and definitions. It also causes laughters or smiles of all kinds. In this article, the author does not pretend to report on humor and laughter as such, but on two specific trends that they can follow. First of all, stupid laughter is the one that fosters the forgetting of our finitude, our fragility, of death. By giving the fraudulent impression of triumph over misery, it celebrates mutilated life and participates in the strengthening of the illusory harmony of society. Yet, laughter can also approach suffering, death and painful situations as an emancipatory force. This second approach is associated with what we call "ethical humor".
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Danser sur la corde, entre le rire et l’inéluctable. Réflexions sur la fonction du personnage clownesque en soins palliatifs
Florence Vinit et Guillaume Mortamet
RésuméFR :
« La contradiction lourd-léger est la plus mystérieuse et la plus ambiguë de toutes les contradictions » écrivait Milan Kundera dans L’insoutenable légèreté de l’être (p. 13-14). Le personnage clownesque porte en lui cette tension en étant capable d’exagérer, de souligner un trait, de caricaturer pour amener le rire, mais également de garder une forme de légèreté le préservant de tomber du côté du déplacé, de l’inconvenant ou même du tragique. Le clown est ainsi un être de frontière, marchant tel un funambule entre le rire et les larmes. Depuis vingt ans, on le voit arriver dans des établissements de santé, en pédiatrie mais aussi en soins intensifs, urgences et maisons de soins palliatifs. Ce texte cherchera à comprendre la façon dont l’humour clownesque côtoie la mort et investit des lieux où la souffrance et la fin de vie sont des enjeux indépassables : comment interviennent les artistes au nez rouge dans ces endroits? De quoi sont-ils porteurs? Croisant réflexions sur l’humour et témoignages issus d’observation participante, cet article fait de la figure clownesque une posture incarnée du geste de réduction phénoménologique, à savoir la capacité de renouveler le regard sur le monde en suspendant les savoirs acquis.
EN :
« The heavy-light contradiction is the most mysterious and the most ambiguous of all contradictions » wrote Milan Kundera in The Unbearable Lightness of Being (p. 13-14). The clown character carries this tension in him by being able to exaggerate, to highlight a feature of caricature to bring laughter, but also by keeping a form of lightness, preventing him from being displaced, unseemly or even tragic. The clown lives on the borders, walking like a tightrope between laughter and tears. Since twenty years we see him appear in health facilities, pediatrics but also in intensive care, emergency and hospices. This text seeks to understand how the clownish humor meets death and invests places where suffering and dying are insurmountable challenges: how do they work in these places? What do they evoke? Using both reflections on humor and testimonies from participating observation, this article makes the figure clownesque an embodied posture of the phenomenological reduction’s gesture, namely the ability to change one’s perspective on the world by suspending the acquired knowledge.
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L’image de la Grande Faucheuse et sa subversion humoristique. Une étude exploratoire
Joseph Josy Lévy
RésuméFR :
La Grande Faucheuse, l’une des figures thanatiques de l’iconographie occidentale, a souvent été utilisée dans la création artistique et cinématographique. Elle a aussi fait l’objet d’une réinterprétation humoristique que cet article se propose d’explorer à partir d’exemples contemporains (cinéma, bande dessinée et dessins disponibles sur Internet). L’analyse met en évidence les stratégies scénographiques et discursives pour créer des effets humoristiques (incongruité, agressivité, quiproquo, etc.) qui visent à humaniser la mort en explorant les enjeux et les dilemmes que la Grande Faucheuse rencontre dans son existence et ses fonctions.
EN :
The Grim Reaper, one of the thanatic images of western iconography, has often been used in artistic and cinematographic creation. It has also been the subject of a humorous reinterpretation, which will be explored in this paper using contemporary examples (movie, cartoons and drawings available on the Internet). The analysis highlights scenographic and discursive strategies to create humorous effects (incongruity, aggressiveness, quid pro quo, etc.) that aim to humanize death by exploring the stakes and dilemmas that the Grim Reaper encounters in its existence and role.
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L’humour noir comme instrument de jeu-à-la-mort dans des films récents
Jean-François Fournier
RésuméFR :
Dans cet article, il est question du mécanisme ludique d’humour noir dans des films d’Anders Thomas Jensen, Quentin Tarantino, Jean-Pierre Jeunet, Ethan et Joel Coen et Olias Barco. Nous partons de la conception de l’humour donnée par Freud comme stratégie d’économie d’affects, et cherchons à l’enrichir en proposant une analyse des caractéristiques formelles du jeu entre réalisateur et public. Les films en question offrent des morts violentes traitées avec désinvolture. Même si une telle violence produit visuellement un choc, le plaisir ludique est présent qui inscrit le jeu humoristique dans une positivité d’ethos. Notre approche range la mort dans le tragique plus que dans la tristesse, à savoir dans le domaine d’une tension insoluble. Les films étudiés traitent de la mort nécessaire et cruelle sur le mode de simulacre qui permet à une multiplicité subjective de s’exprimer comme source de recomposition de sens et de joie.
EN :
This article addresses the game technique of dark humor in films by Anders Thomas Jensen, Quentin Tarantino, Jean-Pierre Jeunet, the Coen brothers and Olias Barco. We start from the Freudian conception of humor as psychic economy of affects and enrich it by offering the analysis of the formal characteristics of a game between the director and the audience. The films concerned by this study offer violent deaths treated in an offhand manner. Even if such violence generates a visual shock, pleasure at work provides the humorous game with a positive ethos. Our approach sees Death as tragic more than sorrowful. This distinction places Death in the domain of an unsolvable tension. The films studied deal with a necessary and cruel death on a mode of simulacrum allowing a subjective multiplicity to express itself as a source of composition of meaning and joy.
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L’humour pervers nécrophile : une forme extrême de l’humour pervers du marquis de Sade
Frédéric Mazières
RésuméFR :
Cet article a pour objectif d’explorer, dans le cadre de la critique freudienne, les concepts transdisciplinaires et novateurs d’humour et de comique pervers nécrophiles. Afin de perturber les repères moraux, esthétiques et sexuels des lecteurs, les oeuvres romanesques les plus « baroques » du marquis de Sade proposent parfois, au gré des scenarii pervers, des traitements humoristiques et/ou comiques de pratiques ou de fantasmes nécrophiles.
EN :
This article aims to explore, within the framework of Freudian critique, transdisciplinary and innovative concepts of perverse necrophilic humor and comedy. In order to disturb the readers’ moral, aesthetic and sexual points of reference, the strangest novels of the Marquis de Sade (The One Hundred and Twenty Days of Sodom, Juliette or Justine) sometimes offer, according to the perverse scenarios, humorous treatments and/or comical practices or necrophilic fantasies.
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Des fous rires autour du Führer chez Timur Vermes et François Saintonge
Patrick Bergeron
RésuméFR :
La représentation comique d’Adolf Hitler n’est pas un phénomène nouveau puisque des exemples de ridiculisation du Führer s’observent dès le début des années 1940, notamment dans des films de propagande antinazie comme The Great Dictator de Charlie Chaplin. Ce qu’il y a de plus troublant, trois quarts de siècle après la fin de la Seconde Guerre mondiale, c’est le traitement frivole et décontextualisé que suscite le tyran nazi. Pour en rendre compte, nous avons choisi d’analyser deux romans récents – Il est de retour de Timur Vermes et Dolfi et Marylin de François Saintonge – parce qu’ils permettent de réfléchir aux principaux enjeux qui émanent de cette forme particulière d’humour noir. Rire d’Hitler, ou autour de lui, ne fait pas que nous amener aux limites de l’acceptabilité sociale en matière comique; cela vient également tester notre lucidité devant les dangers que l’Histoire se répète.
EN :
Comic depictions of Adolf Hitler are not a new phenomenon as examples of the Führer’s mockeries are observed in the early 1940s, especially in anti-Nazi propaganda films like Charlie Chaplin’s Great Dictator. The most troubling fact, three quarters of a century after the end of World War II, is the frivolous and decontextualized treatment aroused by the Nazi tyrant. To demonstrate this, we chose to analyze two recent novels – Timur Vermes’ Look Who’s Back and François Saintonge’s Dolfi and Marilyn – , which help reflect on key issues emerging from this particular form of black humour. Laughing at or about Hitler not only brings us to the limits of social acceptability with regards to humour, but also tests our lucidity toward the risk of history repeating itself.
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De l’art de rire de tout. Les crânes d’Andreas Dettloff en Polynésie française
Gaëtan Deso
RésuméFR :
Artiste installé en Polynésie française, Andreas Dettloff est à l’origine d’une série d’oeuvres incitant au dialogue et à penser l’autre. Au moyen d’un détournement de la mort par l’humour, la série dite des Crânes confronte les spectateurs à des référents culturels malmenés par le temps et le choc des cultures. Étudier certaines de ces productions sera ici le moyen d’observer et d’attester des points de rencontres et de conflits au sein de la société contemporaine de Polynésie française, en faisant référence à l’anthropologie et à l’histoire de l’art. Faites d’irrévérences envers les poncifs, ces oeuvres viennent bousculer les spectateurs et les forcer à devenir partie prenante des débats.
EN :
Based in French Polynesia, Andreas Dettloff is a contemporary artist behind a set of artworks encouraging dialogue and reflection with regard to the other. With a humorous diversion of death, « The Heads’ Series » confronts spectators to a clash of civilizations. Combining Art History and Anthropology, we propose a critical examination of « The Heads’ Series ». This art allows us to analyze cultural conflicts and agreements within French Polynesia. With an appropriation of clichés, those artworks shake up spectators and make them contribute to the discussions.