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La proche aidance a été l’objet d’intérêt ces dernières années dans des revues scientifiques francophones. En effet, en 2020, les revues québécoises Intervention et Spiritualitésanté ont respectivement fait paraître un numéro thématique titré « Regard sur la diversité des visages de la proche aidance en 2020 » (Morin et Boucher-Guèvremont) et le dossier « Être proche aidant. Enjeux contemporains ». La revue Actualité et dossier en santé publique (ADSP) du Haut conseil de la santé publique, en France, publiait en 2018 un numéro intitulé « Les proches aidants ou des solidarités en action » (Chambaretaud et Danet). Avant cela, la revue québécoise Vie et vieillissement consacrait deux numéros spéciaux ayant pour titre « Concertation et mobilisation, clés du soutien aux proches aidants » (Couture, 2015) et « La parole est aux proches aidants! » (Lavoie, 2006). Comme si la mort était tabou dans la proche aidance, un seul article dans ces cinq numéros donnait une place aux personnes proches aidantes en soins palliatifs (Van Pevenage et Couture, 2015).
En outre, à la demande de la ministre québécoise responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, le Comité national d’éthique sur le vieillissement (CNEV) a produit en 2019 le document de réflexion La proche aidance : regard éthique. Basée sur les valeurs de dignité, d’autonomie, de bienveillance et de justice impliquées dans la proche aidance, cette réflexion s’articule autour de deux principaux enjeux : la liberté de choisir le rôle de proche aidant, « et bien souvent, ce n’est même pas un choix » (p. 52) et la frontière entre l’État et les personnes proches aidantes concernant les responsabilités et obligations envers les personnes aidées. Le seul moment où la fin de vie est évoquée dans ce texte concerne la responsabilité des personnes proches aidantes en regard de l’administration de morphine à leur proche pour soulager sa douleur : « Mais après le décès, le proche aidant se posera peut-être inlassablement la question de savoir si c’est lui ou la maladie qui a eu raison de l’être cher » (p. 34).
Le présent numéro de la revue Frontières porte quant à lui essentiellement sur l’expérience singulière des personnes proches aidantes en soins palliatifs, en fin de vie et en contexte de deuil, lorsque la proche aidance se poursuit jusqu’au bout, jusqu’à la mort de la personne aidée. La thématique de la proche aidance présente un intérêt incontournable dans le champ des études interdisciplinaires sur la mort puisque les thèmes spécifiques relatifs à la période entourant la mort du proche aidé ont été jusqu’ici peu discutés, que ce soit en lien avec le lieu du décès (Burgisser, Thorin et Charrière, 2019; Tourteau et Michel-Leitao, 2018), avec les aspects existentiels de l’expérience d’accompagner un proche en fin de vie (Totman et al., 2015; Melin-Johansson et al., 2012), la transition vers la phase palliative des enfants atteints de cancer (Sultan, 2020), la phase de pré-deuil, aussi nommé deuil blanc ou ambigu (Grenier et Laplante, 2020; Kartheuser, 2018; Goy et Oberson, 2012), ou encore en phase post-deuil (Orzeck, 2016).
La dernière décennie est pourtant marquée par d’importants progrès politiques dans le domaine de la proche aidance dans le monde francophone. Alors que la France reconnaît un statut juridique aux personnes proches aidantes depuis 2016, ce qui a été actualisé en Belgique en septembre 2020 (après une reconnaissance symbolique depuis 2014), au Québec, le projet de loi 56 Loi visant à reconnaître et à soutenir les personnes proches aidantes et modifiant diverses dispositions législatives a été adopté en octobre 2020 en pleine pandémie de la COVID-19 (Québec, 2020). Bien que d’autres lois et politiques aient auparavant fait mention des personnes proches aidantes, la loi 56 est la première loi québécoise exclusivement réservée à toutes les personnes proches aidantes quelle que soit leur situation sociale, familiale ou de santé ou celle de leur proche aidé.
Cette loi a conduit, six mois plus tard, à la publication de la politique Reconnaître et soutenir dans le respect des volontés et des capacités d’engagement. Politique nationale pour les personnes proches aidantes (MSSS, 2021a). Cette politique est le fruit de nombreuses consultations publiques auprès d’experts, de personnes proches aidantes et de chercheurs. Elle repose sur sept principes directeurs fondamentaux qui en dégagent de grandes forces, dont les quatre suivantes.
Premièrement, elle comprend une définition large, inclusive et précise des personnes proches aidantes. Cette définition leur permet de mieux se reconnaître; implique la notion de consentement libre, éclairé et révocable de leur engagement; tient compte de la nature de l’aide (continue ou occasionnelle, à court ou long terme); donne des exemples précis d’aide et met en lumière les conséquences possibles de la proche aidance. Deuxièmement, comme ce fut le cas dans la politique de soutien à domicile (MSSS, 2003), les personnes proches aidantes sont reconnues comme usagères, partenaires, citoyennes et personnes à part entière et non uniquement dans leur rôle de personnes proches aidantes. Troisièmement, la politique considère l’ensemble de la trajectoire de proche aidance du début (avant le diagnostic de la personne aidée) à la post-aidance (suite au décès de la personne aidée ou au désengagement de la personne proche aidante). Enfin, cette politique exige des partenariats entre tous les acteurs impliqués autour des personnes proches aidantes.
La politique se fonde également sur neuf actions structurantes : 1) officialisation de la semaine nationale des personnes proches aidantes; 2) repositionnement de l’organisme l’Appui pour les proches aidants; 3) implantation d’une coordination territoriale en proche aidance; 5) création d’un Observatoire québécois de la proche aidance; 6) repérage et référence des personnes proches aidantes vers des ressources; 7) soutien à l’ouverture de maisons de répit pour personnes proches aidantes (Maison Gilles-Carle); 8) bonification des services dédiés aux personnes proches aidantes et 9) élargissement et bonification du crédit d’impôt remboursable pour les personnes proches aidantes (MSSS, 2021a, p. 37-46).
Ces actions structurantes se matérialisent dans un plan d’action, fondé sur les valeurs de dignité, solidarité, bientraitance et équité, qui comporte 61 orientations et mesures se déployant en quatre axes d’intervention :
MSSS, 2021b, p. 9-63
la reconnaissance et l’autoreconnaissance des personnes proches aidantes ainsi que la mobilisation des acteurs de la société québécoise concernés par la proche aidance;
le partage de l’information, la promotion des ressources mises à la disposition des personnes proches aidantes et le développement de connaissances et de compétences;
le développement de services de santé et de services sociaux dédiés aux personnes proches aidantes, dans une approche basée sur le partenariat;
le développement d’environnements conciliants qui soutiennent et favorisent le maintien et l’amélioration des conditions de vie des personnes proches aidantes, notamment afin d’éviter leur précarisation financière.
La loi 56, la politique et le plan d’action constituent un réel projet de société vers une plus grande solidarité intergénérationnelle et sociale envers le quart de la population québécoise qui exerce le rôle de proche aidant (Hango, 2020; Lecours, 2015). Or, un important travail de sensibilisation reste encore à faire pour que les personnes proches aidantes s’identifient à ce rôle et pour que leur soient confirmés leur implication, leurs droits et leur expertise à toutes les étapes de leur parcours puisque c’est essentiellement dans la période active de proche aidance que s’actualise le plus souvent cette reconnaissance.
L’identification au rôle de proche aidant passe d’abord par l’identification au titre. Or, celui-ci ne fait pas encore l’unanimité au sein des chercheurs et des praticiens, comme en témoignent les articles de ce numéro. Les personnes proches aidantes sont tantôt nommées parents, proches, et parfois proches aidants. Peu importe la façon de les nommer, les personnes proches aidantes dont il est question dans ce numéro ont toutes en commun l’expérience de prendre soin d’un proche en fin de vie. Ce numéro illustre bien, néanmoins, la variété des types de personnes proches aidantes (parents, conjoints, proches de tout âge), ainsi que la diversité des situations de leur proche aidé (enfants malades, personnes vivant avec le cancer ou en fin de vie, aînés atteints de la maladie d’Alzheimer) et des contextes de soins (à l’hôpital, en CHSLD, à domicile) dans lesquels s’exerce leur rôle.
S’il y a une chose à laquelle les parents ne seront jamais préparés, c’est bien la maladie grave ou la mort de leur enfant. Pourtant, certains y sont confrontés et d’importantes décisions s’imposent pour y faire face. Basé sur la pensée d’Edgar Morin, l’article de Josée Chénard et Marina Trevisan aborde la multiplication des trajectoires décisionnelles de 25 parents dont les 15 enfants vivent avec une condition médicale complexe. Les nombreuses décisions médicales, psychosociales, professionnelles et financières ainsi que celles concernant l’intégration sociale de leurs enfants, touchant notamment à la poursuite ou non du traitement curatif, sont fondamentalement animées par le désir que leurs enfants survivent. En dépit du fait que ces décisions complexes et interdépendantes relèvent davantage de leur rôle de proches aidants, la proche aidance reste tapie dans l’ombre de ce rôle parental plus grand que nature.
Alors que ce texte n’aborde pas explicitement la mort de l’enfant, qu’on imagine pourtant bien en toile de fond, l’article de Gabrielle Fortin, Anaïs Fortin-Maltais et Catherine Ferland-Blanchet en fait au contraire son point d’ancrage. Effectivement, on y traite de l’expérience peu documentée de la transition des soins curatifs vers les soins palliatifs d’enfants atteints de cancer avancé en fin de vie à travers une recension narrative des écrits. La mort prévisible et imminente des enfants est ici omniprésente, bien que l’espoir occupe toujours une place prépondérante dans cette expérience. Sans être nommé, le rôle de proche aidant imposé à ces parents est bien présent : « il existe un sentiment de fardeau souvent ressenti par les parents en lien avec les responsabilités non désirées telles que donner de la médication, organiser des soins ou avoir le sentiment de responsabilité à l’égard de décisions vitales difficiles à assumer ». En somme, la mort de leur enfant signifiera la fin d’un rôle qui n’aura pourtant jamais été totalement assumé pour plusieurs parents.
Quant à elle, Marguerite Déon, utilise dans son texte le concept de « proches » et documente leur place comme acteurs de la fin de vie en unité de soins palliatifs. Par le biais d’une enquête d’observation socio-ethnographique, l’article porte plus spécifiquement sur la décision éthique, légale, symbolique, sociale, culturelle, morale et psychologique d’arrêt de l’alimentation en situation de fin de vie. La visée de l’autrice est de démontrer également la dimension micropolitique de ce processus décisionnel, génératrice de tensions entre les proches et les professionnels de soins, notamment en lien avec le savoir profane, intime et expérientiel des personnes proches aidantes.
L’article de Pauline Rannou qui suit, s’appuyant sur des témoignages de 12 proches aidants, propose une réflexion sur les différentes dimensions du deuil particulier des proches aidants en contexte de maladie d’Alzheimer à travers le langage et la reconnaissance de l’autre dans son identité. Effectivement, cette maladie est une « expérience totale » comportant des « deuils progressifs » souvent décrits comme « pré-deuil », « deuil blanc » ou « deuil anticipé » au sens où il s’agit de faire le deuil de son proche qui disparaît peu à peu en étant toujours présent physiquement. Mais c’est surtout du deuil de la relation dont il est question, relation pourtant au coeur du rapport aidant/aidé. Cette perte de la relation dévoile l’enjeu d’une double confrontation liée à l’absence de reconnaissance : reconnaissance physique de la personne, mais également à l’égard du soin prodigué.
L’idée de ce numéro sur la proche aidance s’est imposée en contexte pandémique. La pandémie, et de façon encore plus marquée pendant la période de confinement qui en a résulté, a de fait justement mis en lumière la reconnaissance du rôle fondamental des personnes proches aidantes au sein de la société. Non pas que ce rôle soit alors devenu important dans ce contexte, il l’a toujours été. Mais il est devenu visible. Pour la première fois, la société québécoise dans son ensemble a pris conscience de l’existence et de l’ampleur de ce rôle. Pour la première fois, le réseau de la santé et des services sociaux a pris la mesure des impacts concrets et dévastateurs de l’arrêt des soins et services offerts par les personnes proches aidantes à leurs proches aidés − dont plusieurs en fin de vie − en milieu d’hébergement. La modification, la diminution ou carrément la suspension de certains services à domicile destinés aux proches aidés pendant le confinement, et le contexte de pénurie de personnel dans le réseau de la santé et des services sociaux déjà présent, et exacerbé par la pandémie, a obligé les personnes proches aidantes à en faire encore plus, avec moins de soutien, dans un contexte général anxiogène. Les mesures imposées par la santé publique auront également modifié les relations, puis parfois même entrainé la perte de liens précieux, entre les personnes proches aidantes et les équipes de soins et d’intervention, ce qui a eu des conséquences majeures sur les personnes proches aidantes et leurs proches aidés. Certaines personnes proches aidantes n’ont pas pu faire leurs adieux à leurs proches en fin de vie qu’elles ont pourtant aimés et soutenus pendant de nombreuses années.
Par le biais d’une analyse phénoménologique interprétative, Deborah Ummel et Mélanie Vachon décrivent dans leur article la trajectoire de deuil pandémique de 35 proches aidants. Semblable au deuil désaffranchi, le deuil en contexte de pandémie a de particulier qu’il est influencé par un contexte qui impose des mesures de santé publique draconiennes, non sans conséquence au plan psychosocial pour les personnes proches aidantes. Ainsi, la fin du parcours de proche aidance, la fenêtre temporelle du mourir et le décès en sont significativement affectés. Effectivement, la « fenêtre d’opportunité de préparation au deuil a été condensée, dénaturée, et a parfois même été inexistante » de sorte que les personnes proches aidantes n’ont pu accompagner leur proche comme elles le souhaitaient, créant chez elles de nombreux conflits de valeurs provoquant des dilemmes éthiques.
Les enjeux éthiques en contexte pandémique sont précisément l’objet de l’article de Catherine Perron, Marta Martisella Gonzalez et Marie-Ève Bouthillier qui donnent une voix à des actrices peu entendues : les éthiciennes cliniques, dont la place et le rôle sont bien abordés en conclusion. Trois enjeux éthiques sont soulevés au coeur de leur texte. Le premier concerne l’iniquité découlant de l’interprétation variable des directives de la santé publique faisant en sorte que les équipes soignantes devaient se prononcer sur le caractère « essentiel » de la présence des proches et sur les conditions médicales ou psychosociales « exceptionnelles » en plus de décider du caractère « significatif » du soutien des proches pour refuser ou autoriser leur présence auprès des personnes en fin de vie. Le second fait ressortir la détresse morale des équipes soignantes et des gestionnaires devant prendre des décisions allant à l’encontre de leur intégrité professionnelle ou personnelle. Les personnes proches aidantes ont aussi été confrontées à des choix déchirants dans ce contexte, par exemple laisser leur proche mourir seul pour assurer sa propre sécurité et celle de son entourage. Et le troisième enjeu met en lumière l’entrave aux valeurs de soins de fin de vie selon lesquelles, notamment, les personnes mourantes devraient être accompagnées par un proche présent auprès d’elles.
Mais, comme on le sait, en contexte de pandémie cet accompagnement en présentiel a été difficile à actualiser, voire impossible, pour plusieurs personnes proches aidantes. Néanmoins, des moyens technologiques comme WhatsApp, Zoom, FaceTime ou Skype ont contribué à atténuer la douleur de la séparation. Julia Masella, Diane Tapp et Marie-Pierre Gagnon, par une recension des écrits inspirée de la méthode d’examen de la portée visant à documenter les impacts de l’utilisation des technologies virtuelles sur l’expérience des proches de personnes décédées lors de la pandémie de la COVID-19, nous en montrent les effets. Grâce à ces technologies, en dépit de certaines barrières, les personnes proches aidantes ont pu suivre l’état de santé de leur proche ou mieux comprendre leurs besoins en termes de traitement. Les proches aidés, pour leur part, ont été heureux de voir leur famille à l’écran et cela a permis de briser leur isolement. Considérant que seulement quatre articles ont été retenus pour la recension, les autrices ont surtout constaté que, malgré leur utilisation dans plusieurs milieux, des données scientifiques documentant les impacts des technologies virtuelles de communication lors des soins palliatifs et au cours des cérémonies funéraires sont à peu près inexistantes.
Le texte d’Alizée Lajeunesse, Annie Liv, Lauréanne Dussault-Desrochers et Sara Isabel Gomez Garcia ferme parfaitement ce dossier dans la mesure où il apporte un éclairage plus vaste sur la pandémie par le biais d’une réflexion critique et anthropologique sur les inégalités, les vulnérabilités et les souffrances que la pandémie a mises en lumière, notamment pour les personnes proches aidantes et les personnes âgées. Les conceptions sociales du soin en temps de pandémie sont discutées à travers quatre imageries porteuses de sens : l’icône de l’arc-en-ciel et son slogan « ça va bien aller »; les images de soignants à bout de souffle et de patients à l’agonie; les « anges gardiens » que sont devenus les soignants et les travailleurs essentiels et enfin, l’allégorie du navire collectif à partir du slogan « on est tous dans le même bateau ». Cet article sur les réactions sociales et politiques à la pandémie de la COVID-19 permet une judicieuse réflexion sur la façon dont est, et sera, géré le système de santé et de services sociaux au Québec. Cette réflexion est fondamentale et urgente afin de s’assurer, notamment, que la mise oeuvre des actions du plan d’action gouvernemental pour soutenir les personnes proches aidantes ne demeure pas un coup d’épée dans l’eau. Nous sommes à un carrefour, il faut prendre la bonne direction.
Nous espérons que la lecture de ce numéro sur la proche aidance jusqu’au bout puisse susciter un intérêt pour le lectorat peu au fait de la réalité de ces personnes proches aidantes qui accompagnent des proches vers la fin de vie. Parce que nous souhaitons tous avoir une fin de vie digne et, si possible, être entourés de nos proches.
Parties annexes
Bibliographie
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