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Auteure prolifique, intéressée aux mouvements migratoires des populations britanniques en direction des colonies du futur Canada, comme en témoigne la publication de plus d’une dizaine d’ouvrages sur le sujet, Lucille H. Campey retrace dans Seeking a Better Future : The English Pioneers of Ontario and Quebec la route parcourue par les Anglais vers un destin canadien qu’ils souhaitent meilleur. Cet ouvrage a pour objectif de dévoiler l’histoire encore trop peu connue de l’immigration anglaise au Canada en comparaison de celles, plus documentées, des Irlandais et des Écossais. L’auteure cherche à savoir pourquoi les Anglais quittent leur patrie, puis quels sont leurs parcours et leurs destinations au Québec et en Ontario.

D’entrée de jeu, abordons le « pourquoi » de l’immigration selon Campey : l’attrait d’un nouveau pays, perçu plus libre et offrant, croit-on, davantage de possibilités. L’auteure réfute donc l’explication, unique, d’une « fuite » de la pauvreté. De fait, l’immigration est un processus à facteurs multiples et, bien que la pauvreté puisse en être un, le désir d’un ailleurs plus prometteur en serait en quelque sorte la dynamo. La majorité des immigrants anglais sont des gens que l’on dit ordinaires selon l’auteure et, au xixe siècle, ceux-ci laissent peu de traces documentaires. Aussi Campey réalise-t-elle un travail d’archives ambitieux, et ses sources sont diversifiées (correspondances dans des fonds d’archives régionales et de comtés, archives nationales, documents institutionnels, etc.), cela afin de retrouver les traces de ces immigrants (34 centres d’archives auraient reçu la visite de l’auteure). La bibliographie est relativement importante, des ouvrages anciens côtoient des publications plus récentes, mais la production des auteurs francophones est pratiquement absente, exception faite des ouvrages, déjà anciens, de Fernand Ouellet (traduit) et de Raoul Blanchard. Est-ce à dire une absence totale de l’historiographie francophone ?

L’ouvrage de Campey compte onze chapitres, tous enrichis, à des degrés variables, de cartes et d’illustrations de même que de tableaux pour la majorité de nature généalogique. D’ailleurs, si le lecteur n’est pas passionné de généalogie, il pourra plus d’une fois se questionner sur l’importance d’une telle somme d’informations au coeur de l’ouvrage. Cela dit, l’auteure a mis en annexe plus de 115 pages d’informations sur l’immigration anglaise (noms de personnes, navires empruntés, dates). L’ouvrage est structuré de manière chronologique et spatialisée. Le premier chapitre, « Canada’s Appeal to the English », présente les formes que peut prendre la motivation (le « pourquoi ») d’immigrer au Canada et ses éléments facilitateurs, si l’on peut dire (soldat démobilisé qui ne veut pas rentrer au pays, religion, législation anglaise sur la pauvreté, disponibilité des terres, réseaux familiaux et villageois…). Le second chapitre porte sur l’immigration loyaliste, ce qui, pour le lecteur, semblera sans doute peu pertinent ici, eu égard à l’objectif général de l’ouvrage. Les chapitres suivants nous amènent, dans le temps et l’espace, de plus en plus en avant dans le xixe siècle et au tournant du xxe siècle, et de plus en plus loin à l’intérieur du Canada central. En fait, la progression de l’immigration anglaise, le parcours emprunté par les nouveaux venus, suit progressivement l’ouverture des terres à l’ouest de la rivière des Outaouais et des lacs des Deux Montagnes et Saint-Louis. Dans une perspective plus générale, l’auteure revient dans le dernier chapitre sur l’intégration des immigrants anglais et sur la place qu’ils occupent. À la différence des Irlandais et des Écossais, les Anglais n’auraient pas ressenti le besoin de ces manifestations et de ces fêtes à caractère identitaire qui caractérisent leur calendrier annuel respectif. Pourtant, l’auteure le souligne, il y a chez les immigrants anglais une multitude d’exemples de transferts et d’adaptations culturelles, par le sport notamment et par l’implantation d’associations anglaises telles que les Sons of England, les Mechanics Institutes ou encore les Sons of England Benevolent Societies. Les Anglais se sont facilement assimilés à la société canadienne alors en formation et, contrairement aux Écossais et aux Irlandais, ils n’auraient tout simplement pas cherché à mettre en évidence les traits distinctifs de leur culture (p. 298-299). Pour Campey, les Anglais ne l’avaient pas fait dans leur patrie d’origine, alors ils n’auraient pas plus cherché à le faire au Canada. D’ailleurs, pourquoi le faire puisque les grandes institutions de l’identité anglaise, la monarchie et le régime parlementaire notamment, se retrouvaient déjà au Canada ?

L’ouvrage de Campey est riche en information et mérite qu’on en souligne la masse importante de travail. Toutefois, à plusieurs moments, le lecteur trouvera que cette même information est traitée de manière anecdotique et que l’équilibre n’est pas toujours juste entre la démonstration de cas particuliers et la compréhension plus globale du phénomène étudié. Seeking a Better Future est donc un ouvrage qui s’adresse à un large public.