Recensions

Karine Cellard, Leçons de littérature. Un siècle de manuels scolaires au Québec, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2011[Notice]

  • Monique Lebrun

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  • Monique Lebrun
    Université du Québec à Montréal

Cet ouvrage magistral, issu de la thèse de doctorat de l’auteure, lui a valu le prix d’excellence de l’Association des doyens des études supérieures en 2008. En cinq chapitres, accompagnés d’une introduction et d’une conclusion étoffées, Cellard convie les lecteurs à une analyse des dimensions idéologiques et sociales, et, à un moindre degré, pédagogiques, de l’histoire littéraire québécoise, depuis le premier manuel de Camille Roy en 1907 jusqu’aux ouvrages publiés en 1996 à l’occasion de la réforme Robillard, en tout, une quinzaine de titres. L’originalité de Cellard est d’envisager les « histoires littéraires » des différents auteurs dont elle traite dans leur dimension narrative afin de dresser son propre métarécit de l’histoire littéraire scolaire en trois étapes. Deux chapitres sont particulièrement impressionnants par l’érudition et la finesse des analyses, soit celui sur les diverses éditions des oeuvres de Camille Roy et celui sur le retour du manuel scolaire à la suite de la réforme Robillard. Cellard démontre de manière systématique en quoi Camille Roy a fait oeuvre de pionnier. Il a défini le corpus et les écoles littéraires et il a vu la singularité de la littérature canadienne-française. Le rappel du contexte scolaire et des objectifs de formation du premier tiers du xxe siècle permet à Cellard de souligner à quel point Roy est en phase avec une certaine idéologie conservatrice dans son entreprise de nationalisation de la littérature canadienne-française. Selon elle, les rééditions successives sont de véritables refontes de son discours. Ainsi en est-il de son Histoire de la littérature canadienne de 1930, qui inclut le corpus anglophone et valorise davantage les oeuvres contemporaines. Quant à son Histoire de la littérature de langue française de 1939, elle se démarque par une mise en veilleuse des aspects religieux et patriotiques et par une sensibilité accrue aux questions esthétiques. Malgré les contraintes éthiques et les obligations esthétiques formulées en termes identitaires qui le caractérisent, selon Cellard, Roy réussit, à son époque, à tracer l’évolution d’un sujet collectif canadien-français et de son « génie national » (expression pour laquelle on perçoit Cellard un tantinet moqueuse). Avec le Précis d’histoire littéraire (1928) des soeurs de Sainte-Anne, les divers ouvrages de Roy constituent le premier temps du métarécit qu’elle construit : les paradigmes spatiotemporels y sont purement culturels et l’élève doit assimiler et reproduire les valeurs canadiennes-françaises qu’on lui a expliquées. Le deuxième temps du métarécit est illustré à l’aide d’auteurs de manuels qui, tels Baillargeon (Littérature canadienne-française, 1957) et De Grandpré (L’histoire de la littérature française du Québec, 1967-1969), se situent de part et d’autre de cette date charnière qu’est 1960, avec le début de la Révolution tranquille. Baillargeon n’a pas les préoccupations éthiques de ses prédécesseurs et s’appuie, à un moindre degré qu’eux, sur les stéréotypes nationalistes ; il est plus sensible qu’eux aux valeurs esthétiques et aux règles propres à l’espace littéraire. Le collectif en quatre volumes dirigé par De Grandpré, pour sa part, tient davantage compte de la qualité littéraire et de la singularité des oeuvres ; ses collaborateurs sont imprégnés des avancées de la nouvelle critique littéraire, qui offre une nouvelle forme de légitimation du corpus québécois. Le deuxième temps du métarécit qu’illustrent les deux manuels privilégie les valeurs libérales et le présent, à la lumière duquel les auteurs réinterprètent le récit du passé. Par rapport au premier temps du métarécit, il y a mise à distance de la tradition nationale. Trois manuels illustrent la période plus récente, tous parus en 1996, deux ans après le chambardement du curriculum de français dans les cégeps consécutif à la réforme Robillard (1994) et la création d’un …