Recensions

Bernard Andrès, Histoires littéraires des Canadiens au xviiie siècle, Québec, Presses de l’Université Laval, 2013[Notice]

  • Anne Trépanier

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  • Anne Trépanier
    Université Carleton

Le dernier livre de Bernard Andrès est une tapisserie hypertextuelle méticuleuse et originale. Inspiré par les historiens Wallot, Deschêne, Linteau, Courville et Bouchard, qui tour à tour ont observé l’histoire des habitants de la vallée laurentienne en zoom rapproché ou en prise de vue continentale, le travail d’Andrès fonctionne lui aussi du canevas au petit point. Son ouvrage est étendu sur une période de l’histoire littéraire d’avant les Lettres, que l’auteur raccroche au présent grâce à une philosophie contemporaine de l’histoire (Ricoeur, Nora) et à sa méthode sociocritique. Ce livre est à mettre en relation avec les travaux de Michel Biron, de Lucie Robert et de Benoît Melançon, qui sont d’ailleurs cités comme travaillant eux aussi à leur manière sur ce que Bernard Andrès appelle « l’hypotexte de l’historiographie québécoise » (p. 56). Bernard Andrès propose une incursion archéologique dans le littéraire canadien inspirée par la pratique sociocritique de Marc Angenot et par son vocabulaire conceptuel, dont « la sociogenèse de l’énonciation » littéraire (p. 33). La nouveauté de cette publication tient dans son approche, appliquée à un corpus inventé (dans le sens d’inventio), afin de contribuer à l’analyse et à la dissertation, au détour de correspondances, d’éditoriaux, de journaux de voyage, d’observations faites par des soldats, de pétitions, de chansons-poèmes ou de comédies lyriques, afin de faire voir se développer quelque chose comme un « grand récit » du Canada du XVIIIe siècle, que l’auteur a la bonne idée de mettre en relation polyphonique avec les autres grands récits éclairés à l’anglaise, à l’allemande ou à la française, entre utopie refondatrice et américanité. Le propos s’ouvre sur une discussion des plus intéressantes sur la monumentalisation du document (Foucault) et une prise de position ambitieuse sur la légitimité d’une telle entreprise : l’importance de considérer les archives littéraires comme les traces d’un imaginaire et d’un identitaire canadiens (monuments) et non plus seulement comme des documents (passeurs d’information). La première partie de l’ouvrage est en somme l’énonciation de la théorie littéraire qui rend possible la synthèse d’un travail de grande haleine commencé depuis une vingtaine d’années. Aussi le propos plonge-t-il dans une brève description des terroirs de la protolittérature et campe ses « protoscripteurs ». Sans cesse explicatif de sa démarche méthodologique, renforçant telle ou telle position du lecteur critique, du concepteur de corpus et de l’analyste – entre l’archéologue et le narrateur –, Andrès visite des sources secondaires, dont les travaux de Réal Ouellet et de Maurice Lemire, et présente des sources primaires : les écrits des Lahontan, Bégon, Charlevoix et des Hospitalières. L’auteur se permet par ailleurs de fréquents allers-retours entre le xixe siècle de l’historiographie nationale, la littérature de l’identité nationale des années 1970 et 2000 et la Nouvelle-France, en raison de l’importance accordée à la Conquête comme tournant de l’identitaire canadien entre personnage et sujet. La seconde partie offre au lecteur un récit de voyage, en particulier celui du parcours de certains morceaux choisis dans la littérature et l’historiographie canadiennes, canadiennes-françaises et québécoises. Sur les textes de Lahontan, par exemple, on verra comment une indication favorable sur les Canadiens datant de 1703 fait son chemin jusqu’en 2008, suivant cet argument, pour en visiter les méandres, que « la culture d’un peuple ne se limite pas à ses connaissances livresques » (p. 80), d’où l’intérêt de poursuivre l’enquête sur « l’outillage mental » des anciens Canadiens (p. 80) entre la tradition orale et l’emploi local de la presse à imprimer. L’étude du cas des aventures de Beauchêne rédigées par Lesage offre elle aussi un autre type d’analyse de déplacement, entre voyage et métaphore, entre …