Recensions

Susan Margaret Murphy, Le Canada anglais de Jacques Ferron. Formes, fonctions et représentations, 1960-1970, Québec, Presses de l’Université Laval, 2011[Notice]

  • Valérie Lapointe Gagnon

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  • Valérie Lapointe Gagnon
    Université York

Tantôt ennemi et dominateur, tantôt objet de fascination et d’admiration, le Canadien anglais emprunte divers visages dans l’oeuvre ferronienne, une oeuvre qui témoigne de la difficulté d’établir un dialogue entre francophones et anglophones au Canada. Dans son ouvrage Le Canada anglais de Jacques Ferron. Formes, fonctions et représentations, 1960-1970, la littéraire Susan Margaret Murphy s’attache à retracer, avec une myriade de détails sur le contexte de production littéraire des oeuvres, la place des Canadiens anglais dans la littérature ferronienne des années 1960. Si l’ouvrage tiré de la thèse de doctorat de Susan Margaret Murphy s’adresse surtout à un public d’initiés de par les références multiples à l’oeuvre ferronienne et l’aspect pointu du sujet, il ne manquera pas de plaire à ceux qui s’intéressent aux relations ambivalentes entre anglophones et francophones au Québec et au Canada. L’analyse de Murphy repose sur une pléthore de sources, allant des écrits ferroniens (romans, articles, pamphlets) aux documents d’archives, notamment la correspondance entretenue par Ferron avec ses contemporains Jean Marcel, Frank Scott et John Grube. Afin d’étudier les manifestations de l’« anglicité » dans l’oeuvre ferronienne, l’auteure s’attarde non seulement aux textes, mais aussi aux « hors textes » et au « paratexte », ne négligeant aucune dédicace, épigraphe ou titre permettant d’éclairer l’emprise de l’Autre sur l’imaginaire ferronien. Jacques Ferron s’était fait donner deux conseils par son père : apprendre l’anglais et bien entretenir ses chaussures (p. 39). Esprit rebelle, il s’est fait une fierté de ne pas suivre les recommandations paternelles, lui qui dans les années 1960 prend la tête du parti Rhinocéros, qui aspire à couper les liens avec le reste du pays. Le rêve d’un Canada bilingue et binational, porté plus que jamais à l’avant-scène au cours des années 1960, n’est pas celui que caresse Ferron. S’il n’a pas cru bon de maîtriser la langue de l’Autre, les références qu’il lui consacre dans son oeuvre littéraire sont toutefois multiples et l’ouvrage de Murphy, qui se divise en neuf chapitres suivant une logique thématique, les décortique avec précision. Les deux premiers chapitres sont introductifs, le premier dressant un bref bilan historiographique et présentant les grands pans de la méthode d’analyse de l’auteure et le deuxième se consacrant aux rencontres de Jacques  Ferron avec l’altérité canadienne-anglaise. Ce deuxième chapitre plonge le lecteur dans la complexité du rapport de Ferron avec cet Autre canadien-anglais. En effet, lui qui concevait principalement l’Anglais comme le dominateur s’est vu entretenu plus d’une fois dans sa vie par des institutions anglaises : d’abord dans l’armée, dans laquelle il s’enrôle en 1943 pendant ses études en médecine, puis au sanatorium des Anglais à St-Agathe, où il apprend qu’il est atteint de tuberculose, en plus d’être dans l’embarras financier. « Quand je suis mal pris, je fais comme saint Paul, captif des Romains », écrit-il (p. 51). Les Anglais contribuent donc ponctuellement à lui fournir le soutien financier dont il a besoin pour écrire. S’il se rend somme toute peu souvent au Canada anglais, Ferron multiplie les contacts avec la littérature canadienne-anglaise et entretient des relations avec plusieurs anglophones de Montréal. Il critique cet Autre, mais il cherche également son assentiment, comme s’il ne pouvait exister complètement sans le regard approbatif de ses homologues anglophones. Murphy pose d’ailleurs l’hypothèse « que cette volonté de se faire lire par le Canadien anglais unilingue fait partie d’un même désir de reconnaissance de cette légitimation de soi-même par l’Autre » (p. 70). Les chapitres qui suivent sont consacrés aux figures anglophones qui ont inspiré la plume de Ferron : Scott Symons (chapitre 3), Peter Dwyer (chapitre 4) et Frank Scott (chapitres 5 …