Introduction. L’antisémitisme au Québec[Notice]

  • Pierre Anctil et
  • Ira Robinson

…plus d’informations

  • Pierre Anctil
    Université d’Ottawa

  • Ira Robinson
    Université Concordia

Les rapports entre les Canadiens français/Québécois et les Juifs de Montréal sont perçus depuis longtemps comme un volet central de l’histoire du judaïsme canadien. Placés dès le début du xxe siècle en situation de contact prolongé avec l’anglophonie d’origine britannique, les immigrants juifs est-européens n’ont pas eu à négocier très longtemps leur entrée progressive au sein de la société canadienne dominante. Le Canada français présentait un cas de figure tout à fait différent puisque les populations catholiques – et particulièrement les élites cléricales – résistaient le plus souvent à faire une place au sein de leur société aux tenants de la judéité. Sur ce plan, il n’y avait donc pas de nécessité impérieuse à développer de part et d’autre des relations soutenues à court terme ou de se porter à la rencontre du vis-à-vis. Cette situation ambiguë et souvent contradictoire allait ouvrir la porte à des interprétations historiques divergentes, d’autant plus que certains chercheurs anglophones n’avaient pas facilement accès à des données de langue française ou concernant les orientations doctrinales de l’Église catholique au Québec. Pour cette raison principalement, et aussi parce qu’un brouillard d’incompréhension culturelle a longtemps persisté dans ce champ d’études plus spécialisé, l’analyse des liens entre francophones et Juifs est devenue le segment le plus controversé de l’histoire du judaïsme au Canada. Récemment, des débats intenses et persistants ont notamment pris forme autour du sens véritable à donner à l’antisémitisme canadien-français au cours de l’entre-deux-guerres et, plus tard, pendant la crise des réfugiés allemands, soit à la fin des années 1930. Les chercheurs de langue anglaise intéressés au judaïsme peinaient parfois, faute d’outils conceptuels appropriés, à se faire une image juste du Canada français. L’inverse était, le plus souvent, aussi vrai. L’étude du judaïsme et des humanités juives est restée pendant plusieurs décennies un secteur très négligé au Québec francophone, et la plupart des auteurs de langue française réussissaient difficilement à saisir les grandes lignes de l’histoire juive montréalaise ou de l’identité judaïque. Pendant de longues années, les débats au sujet de l’antisémitisme québécois se sont surtout transportés sur les plans idéologique et médiatique, et peu de progrès véritables ont été enregistrés sur ce front pour ce qui est de la cueillette de données nouvelles et de la formulation d’interprétations plus éclairées. De fait, pendant une courte période au début des années 1990, le débat autour de l’antisémitisme des francophones est devenu si acrimonieux et si orienté politiquement qu’il est devenu pratiquement impossible d’aborder le sujet en public de manière raisonnée. C’est une situation qui a créé un préjudice sérieux aux études juives québécoises et qui a paralysé la recherche menée de manière objective à des fins universitaires. Nous comprenons mieux, maintenant, qu’il convient d’aborder ce thème avec un certain recul, sans lier nécessairement les réflexes d’hostilité et les comportements malveillants d’autrefois – qui justement sont de nature historique – aux approches et aux positionnements qui s’expriment aujourd’hui dans le contexte contemporain. Les propos antisémites et les textes antijudaïques du début du siècle ont été le fait d’individus qui avaient été éduqués dans le giron de l’Église préconciliaire ou, plus rarement, qui avaient été séduits par des mouvements d’extrême-droite européens. Ces croyances religieuses et ces notions politiques d’une autre époque ne semblent plus former, dans le temps présent, la source principale au Québec de la xénophobie et de la peur de l’autre, qu’il soit juif, musulman ou tenant d’une religion orientale. La question de la relation historique entre les Juifs et les Canadiens français n’est pas seulement d’une importance fondamentale pour toute présentation responsable du développement historique de la vie juive au Canada ; ce volet …

Parties annexes