Analyser les usages des financements communautaires aux marges de l’Europe[Notice]

  • Dorota Dakowska et
  • Claire Visier

Alors que l’Union européenne, fragilisée politiquement et économiquement, peine à apporter des réponses cohérentes aux conséquences des crises et des conflits armés en dehors de ses frontières, certains chercheurs se demandent s’il faut « continuer à étudier l’UE » (Rozenberg, 2015) alors que d’autres font de la « crisologie » l’objet de leur réflexion (Mégie, Vauchez, 2014). Au-delà des questionnements arrimés à l’actualité communautaire, ce numéro thématique de la revue Gouvernance invite à se pencher sur l’articulation entre l’action publique européenne et les espaces politiques nationaux, à la fois des nouveaux États membres et des pays du voisinage, pour étudier les logiques sociales qui sous-tendent la mise en oeuvre des programmes et financements communautaires. L’attention portée aux « marges » de l’UE se justifie de plusieurs manières. D’une part, nous postulons que ces deux groupes de pays peuvent être analysés à travers leurs relations avec le centre politique européen dont ils dépendent financièrement. D’autre part, nous formulons l’hypothèse selon laquelle les recommandations européennes acquièrent une signification et une réception particulières dans le cas de pays situés à la périphérie de l’UE. Dans la période d’association, les responsables politiques de ces pays excentrés cherchent à nouer des liens plus institutionnalisés avec le centre politique communautaire. S’installe alors une relation dissymétrique de dépendance, qui peut soit être présentée comme un partenariat stratégique et incontestable soit donner lieu à des usages critiques. Dans la lignée des études sociologiques de l’Europe (Guiraudon et Favell, 2011; Georgakakis, 2012; Rowell et Mangenot, 2011), nous proposons de prendre une distance avec les analyses en termes d’européanisation ou de résistance à l’Europe et de laisser de côté toute démarche évaluative de la supposée efficacité des programmes proposés par l’UE. Ces approches ont constitué le cadre dominant de l’analyse des relations à l’UE, aussi bien des pays de l’Europe centrale et orientale anciennement candidats que des actuels pays du voisinage. De même, nous souhaitons dépasser les analyses privilégiant la notion de conditionnalité (Lavenex, 2008; Schimmelfennig et Sedelmeier, 2005; Sasse, 2008; Pickering, 2011). Cette approche unilatérale qui réduit les logiques des acteurs des deux côtés à des calculs de type coûts/bénéfices a été critiquée (Dakowska et Neumayer, 2008; Visier, 2018), alors que les limites des politiques de conditionnalité dans l’espace postsoviétique ont été rappelées (Delcour, 2018). Partant de l’intérêt de comparer la réflexion sur les logiques de préadhésion et celles de la politique de voisinage, nous souhaitons interroger ce que produit cette conception de l’action publique communautaire qui instaure une relation asymétrique dans des espaces situés – ne serait-ce que temporairement – en dehors des frontières de l’UE. Les politiques de voisinage, comme celles de l’élargissement, ont été analysées sous l’angle des transferts de normes (Tulmets, 2014). Notre objectif est plutôt ici d’analyser quels effets produisent les programmes et financements communautaires sur les groupes qui cherchent à les capter, qu’il s’agisse d’experts, de militants d’une cause ou de prestataires de services, et de voir dans quelle mesure ces effets peuvent être structurants. Ce numéro se propose de combler certaines lacunes des travaux existants sur les relations entre l’Union européenne et son voisinage, en accordant une attention spécifique aux acteurs et à leurs usages des projets et des financements européens. Ces relations peuvent favoriser des formes de (dé)mobilisation, de socialisation ; elles participent à la redistribution des ressources et aux reconfigurations des relations de pouvoir. Les contributrices analysent ces différents aspects à l’échelle d’un secteur d’action publique (l’administration de la recherche en Estonie, la politique de l’asile en Ukraine, les politiques culturelles en Jordanie) ou à travers les mobilisations qui accompagnent l’émergence de structures de coordination, tel le réseau EuroMed Droits …

Parties annexes