Corps de l’article

Introduction

En octobre 2012, le ministre du Redressement productif, le socialiste Arnaud Montebourg, déclare à la sortie d’une réunion du Comité pour les métaux stratégiques (COMES) : « Je veux donner une nouvelle ambition à la France, celle de redevenir un pays dans lequel on peut exploiter des mines. » Un an plus tard, la petite société (compagnie junior) Variscan Mines obtient le premier permis d’exploration en France depuis 30 ans, suivi d’une dizaine d’autres les années suivantes. La volonté politique semble alors se matérialiser dans un contexte européen de sécurisation des approvisionnements et de croissance des prix des métaux (Buu Sao, présent numéro) et un cadre réglementaire favorable à l’industrie minière (De Fontenelle, à paraître). Pourtant, malgré un marché international favorable, un portage politique inédit et une réglementation propice, la mise en oeuvre de l’exploration se heurte dès 2014 à des oppositions locales. L’énoncé des partisans du renouveau minier est mis à l’épreuve des critiques dans différents espaces militants, politiques et médiatiques qui conduisent à l’abandon de la majorité des permis à partir de 2017. Comment et pourquoi, malgré une configuration a priori favorable en 2012, les projets de renouveau minier ont-ils été critiqués jusqu’à leur retrait, et que peut-on en dire à travers l’analyse de la presse écrite ?

Complétant les perspectives sur les opposants bretons (Schrijen, présent numéro) ainsi que les stratégies des compagnies d’exploration (Laurent et Merlin, présent numéro) et des partisans de la mine en France (Buu Sao, présent numéro ; Massé, présent numéro), l’article analyse le traitement médiatique du renouveau minier dans la presse française entre 2009 et 2019. En tant qu’épreuve publique, le forum médiatique constitue l’un des terrains de la défaite du renouveau minier et révèle trois faiblesses importantes du discours sur la relance minière. Premièrement, le modèle économique des projets s’avère inadapté à l’implantation dans les territoires français et incapable de convaincre dans l’espace médiatique. Deuxièmement, le portage politique du renouveau minier est inconstant – il ne dure pas - et inconsistant – il est uniquement déclaratif. Troisièmement, le régime de justification experte est inefficace face aux critiques dans l’espace médiatique, dominé par les dimensions problématiques. En analysant la trajectoire argumentative (Chateauraynaud, 2011a, 2011b) de la proposition de renouveau minier dans la presse écrite, je n’étudie pas tant les mobilisations protestataires par le recours aux sources de presse (Fillieule, 2007) que la faible portée des arguments pro-mines (développement économique, maîtrise technique, respect des procédures) dans l’espace de la presse quotidienne régionale et la force des arguments critiques des opposants (problème environnemental, procédures insuffisantes, modèle économique inadapté), malgré les tentatives de gouvernement de la critique (Massé, présent numéro). La portée de ces arguments, c’est-à-dire leur capacité à convaincre hors du groupe d’acteurs qui les a construits, est expliquée par les règles participant à leur construction dans différents espaces de débat : alors que l’énoncé pro-mine se réduit à une légitimité technocratique issue des espaces confinés de l’industrie et de l’administration, l’énoncé critique puise ses justifications dans une variété de registres qui participe à son succès dans les espaces publics.

L’article discute ainsi les caractéristiques contribuant à rendre un énoncé de politique publique convaincant dans différents espaces de débat. En suivant une analyse pragmatique, je considère que la fabrication des politiques publiques repose sur des luttes définitionnelles qui impliquent tout autant les énoncés que les coalitions qui les portent (Zittoun, 2013). Autrement dit, il s’agit d’étudier simultanément la manière dont les acteurs définissent le monde qui les entoure, construisent une coalition en déployant leur énoncé dans différents espaces et s’affrontent pour redéfinir les rôles et les positions dans le processus décisionnel (Zittoun et Chailleux, 2021). La notion de trajectoire argumentative (Chateauraynaud, 2011a, 2011b) désigne « le chemin parcouru par un argument ou un ensemble d’arguments à travers une série d’épreuves dans lesquelles se définit, à travers des controverses ou des polémiques, sa portée dans des arènes publiques » (Chateauraynaud, 2011a, p. 132). Pour autant, si la littérature sur la construction des problèmes publics a mis en évidence les étapes cruciales et les stratégies efficaces qui permettent à un groupe d’acteurs de cadrer un enjeu comme un problème (Gusfield, 1981), de le mettre à l’agenda ou au contraire de le confiner (Cobb et Elder, 1971 ; Gilbert et Henry, 2009), ou encore de désigner des responsables (Felstiner et al., 1980), elle se focalise sur les trajectoires des problèmes à succès et prête une attention moindre à l’analyse du déclin et des mécanismes de délégitimation d’une proposition.

En analysant la trajectoire argumentative déclinante du renouveau minier, l’article met en avant les faiblesses de l’énoncé qui repose sur une définition technocratique produite dans des espaces confinés et qui ne parvient à enrôler qu’un faible nombre d’alliés dans les forums publics. L’article explique ainsi le déclin de la proposition de renouveau minier à partir du « régime de débat » dans lequel s’est construit l’énoncé, régime qui caractérise l’espace confiné des débats dans lequel évolue la majorité des partisans de la mine en France. À la fois régime de justification particulier (Boltanski et Thévenot, 1991) et régime de vérité (Foucault, 2012), le régime de débat est un cadre interprétatif et cognitif qui détermine la « faisabilité » et la légitimité d’un énoncé en fonction d’une série de savoirs spécifiques et d’ordres de grandeur (Zittoun et Chailleux, 2021). Les régimes de débat diffèrent en fonction des espaces de débat plus ou moins ouverts et hiérarchisés. Dans cet article, j’insiste en particulier sur la distinction entre le régime de débat conflictuel des forums publics et le régime de faisabilité propre aux espaces confinés. Les échanges dans les espaces confinés (Gilbert et Henry, 2012) reposent sur des échanges interpersonnels en situation où l’anticipation des arguments permet une adaptation stratégique des acteurs destinée à remporter la lutte sur la base du régime de faisabilité spécifique à ces espaces. Déterminant ce qui est acceptable ou non, la réaffirmation du régime de faisabilité consolide la position des acteurs dominant l’espace confiné et les liens au sein de la coalition qui le partage (Culpepper, 2012). Dans le cas d’étude du renouveau minier, l’espace hermétique de débat est structuré par un régime de faisabilité technique, économique et légale partagé par les participants qui correspond assez classiquement à l’habitus professionnel du Corps des mines (Garçon, 2012). À l’inverse, dans un forum public, les luttes définitionnelles sont des processus de conviction par le biais d’une médiation, c’est-à-dire un discours préconstruit diffusé vers une audience relativement passive (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 2008). Espace conflictuel par excellence, le forum public est composé d’une multitude de régimes de faisabilité en opposition. La portée d’un argument dans un forum public est déterminée par sa capacité à convaincre au-delà du cercle restreint de l’espace confiné d’où il émerge et ainsi à enrôler des alliés venant renforcer la coalition initiale – au prix d’une redéfinition de l’énoncé commun (Zittoun et Chailleux, 2021). S’ils sont plus ouverts, les forums publics répondent aussi à certaines règles qui structurent les échanges. Dans le cas du forum médiatique, le « rubriquage », la ligne éditoriale, le caractère « newsworthy » de l’information tout comme les compétences des acteurs à interagir avec les journalistes sont autant de règles à prendre en compte pour saisir la mise à l’agenda et le cadrage médiatique (McCombs et Shaw, 1972 ; Molotch et Lester, 1974 ; Neveu, 2019). L’objectif du présent article est de donner à voir la trajectoire argumentative du renouveau minier depuis l’espace confiné dans lequel il a été forgé vers le forum médiatique qui contribue à le redéfinir de façon problématique et critique.

Après avoir présenté la méthodologie, je montre l’instabilité de l’énoncé du renouveau minier entre une définition libérale et une définition souverainiste. Ensuite, je souligne la reformulation des termes du débat au prisme des dimensions problématiques locales et procédurales dans la presse écrite. Enfin, je discute l’échec du renouveau minier à partir de l’instabilité de son portage politique déclaratif, de l’inadéquation du régime de justification experte pour répondre aux critiques et de l’inadaptation du modèle économique des petites sociétés (compagnies juniors) au contexte français.

Méthodologie

L’analyse repose sur deux séries de données. D’abord, huit entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès des acteurs ayant participé au renouveau minier : responsables ministériels (politiques et administratifs), direction d’instituts de recherche, inspecteur de services déconcentrés de l’État, chefs de projets industriels. Appuyés par l’analyse des rapports publics (demandes de permis, rapports annuels) et de sources secondaires (biographies, articles de presse), ces entretiens permettent de reconstituer les éléments argumentatifs principaux mis en avant par les promoteurs du renouveau minier.

Ensuite, l’analyse d’un corpus de 699 articles de presse extraits de la base de données Europresse constitue le matériau principal de l’enquête sur le forum public (corpus brut de 1 105 articles). À partir de mots-clés circonscrits (« renouveau minier » et/ou « projets miniers » et/ou « projet minier »), nous avons ciblé uniquement la presse généraliste quotidienne nationale et régionale française entre 2009 et 2019.

Tableau 1

Répartition du corpus de presse de 699 articles

Répartition du corpus de presse de 699 articles
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Les articles ont été exportés vers le logiciel MAXQDA pour une analyse quantitative et qualitative des données. MAXQDA permet de coder manuellement des segments de texte. Grâce à cette méthode, on peut mesurer la couverture médiatique d’un acteur ou d’un type d’arguments en rattachant les segments correspondants à un code spécifique, puis agréger ces codes par affinités. On mesure ainsi non uniquement la présence ou l’absence d’un acteur ou d’un argument, mais aussi sa surface d’exposition par article et sur l’ensemble du corpus. Contrairement à une analyse lexicométrique, cette méthode permet de construire des catégories sur la base d’unités de sens pour les acteurs.[2]

1. Le renouveau minier : un énoncé fragilisé par une définition experte en décalage avec son portage politique

L’énoncé propositionnel du renouveau minier repose sur deux définitions distinctes : la relance de l’exploration est construite dans un modèle libéral par les experts du sous-sol, alors que le portage politique par le ministre de l’Industrie s’appuie sur un modèle souverainiste.

1.1 L’espace confiné du COMES et le problème de la sécurisation des approvisionnements

La proposition de renouveau minier s’intègre dans une politique plus large de sécurisation des approvisionnements et dans un récit du déclin minier français produit par les acteurs sectoriels (Chailleux, à paraître). Alors que les permis miniers sont gérés par la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), et l’inventaire géologique, par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), la politique minière regroupe plus largement les différentes politiques visant à sécuriser les approvisionnements en matières premières. Traditionnellement décrites comme technocratiques (Evrard, 2013 ; Topçu, 2013), ces politiques sont principalement discutées dans des espaces confinés partagés par les services de l’État et les industriels du secteur. Formulé par une « élite minière » composée d’ingénieurs du Corps des mines et du BRGM (Massé, à paraître), le « renouveau minier » n’échappe pas à cette description. La relance de l’exploration est mise à l’agenda institutionnel par la création en 2011 du Comité pour les métaux stratégiques (COMES), dont la mission première est la sécurisation des approvisionnements. Embarrassée par l’arme diplomatique des matières premières utilisée par la Chine à partir de 2004 (Niquet, 2011), l’Union européenne met en place, en 2008, la Raw Materials Initiative afin de prévenir la dépendance européenne aux métaux stratégiques (Buu Sao, présent numéro). En France, cette politique est relayée par le COMES avec l’objectif de participer au cadrage des futures politiques minières.

Structure flexible de coopération, le COMES est à la fois l’espace de débat des experts et professionnels du secteur des matières premières minérales et l’espace de recommandation officielle du ministère de l’Industrie. Inscrit dans la lignée d’une gestion publique-privée historique du sous-sol (Chailleux, à paraître ; Garçon, 2012), le COMES sert à coaliser les acteurs autour du besoin de sécurisation d’approvisionnement.

« D’où les questions qui se sont posées, sur ce qu’est un métal stratégique, il y a la définition européenne qui s’attache aux métaux stratégiques pour l’économie européenne. La France n’a pas la même lecture de ses propres métaux stratégiques. Ce sont des travaux effectués par le BRGM pour le compte du commerce, et chaque entreprise a aussi sa propre lecture relative aux métaux stratégiques. Un métal stratégique pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre. Tout cela évolue au cours du temps. »

Chef de bureau, DGALN

Il s’agit donc de définir les métaux critiques et stratégiques pour la France et pour les industriels français : Airbus, Renault, PSA, Total. À l’aide de cartes, notes, tableaux et graphiques, le COMES communique sur le besoin de prévenir la dépendance croissante aux importations[3]. L’objectif de sensibilisation semble atteint, puisque des actions interministérielles autour de la diplomatie des matières premières se développent (« Plan Nord » du Québec, coopération avec le Kazakhstan sur les terres rares, exploration géologique du sous-sol africain, notamment).

La réexploration du sous-sol français est un élément secondaire de la sécurisation des approvisionnements et elle est principalement envisagée à travers l’investissement privé. L’ensemble des acteurs interrogés soulignent que la mise à l’agenda de l’exploration minière en métropole est soutenue avec enthousiasme après plus de 30 ans de ce qu’ils décrivent comme l’abandon du secteur par l’État. Après une phase de déclin conduisant à la fermeture de la quasi-totalité de l’exploitation minière en France au début des années 2000, les acteurs du secteur mettent en scène ce « renouveau » comme une mise en valeur des richesses géologiques françaises. Disposant néanmoins de peu de ressources pour assurer une promotion, les services de la DGALN et le BRGM diffusent surtout des rapports sur la réévaluation du potentiel français et mettent en ligne le site mineralinfo.fr pour centraliser ces informations. Le BRGM fixe 100 cibles intéressantes, et plusieurs compagnies d’exploration demandent des permis de recherche dès 2011 (octroyés en 2013). Encadrés par le Code minier, les permis d’exploration sont délivrés en fonction de la « capacité technique et financière » des compagnies. Bien que peu attractive en raison des délais administratifs, la réglementation française participe d’un modèle global de l’extraction reposant sur une division du travail entre petites sociétés d’exploration (les juniors) et grandes sociétés d’exploitation (les majors). Alors que la taille des gisements français rend peu probable l’investissement de grandes sociétés, ce sont de petites sociétés qui obtiennent des permis d’exploration, dont Variscan Mines. Fondée par d’anciens géologues du BRGM, la société obtient des permis en Bretagne, dans les Pays de la Loire et en Occitanie. Elle fonctionne avec des capitaux levés sur l’Australian Securities Exchange de Sydney selon une logique avant tout spéculative. Constituant des portefeuilles de « projets » d’exploration dont certains ne sont pas voués à être développés mais à simplement être valorisés sur les marchés, les petites sociétés ont pour stratégie d’afficher des résultats croissants afin de faire monter les prix des actions en bourse (Laurent et Merlin, présent numéro). Si c’est bien la faisabilité technique et financière qui détermine l’octroi des permis, la définition du renouveau minier par les experts du sous-sol du BRGM et de la DGALN est celle d’un investissement privé qui mobilise un régime de faisabilité économique des projets sur les marchés internationaux des métaux.

1.2 La relance minière souverainiste de Montebourg

L’enrôlement d’Arnaud Montebourg comme soutien du renouveau minier se fait au prix d’une redéfinition « souverainiste » de la proposition qui est érigée en symbole politique. Le ministre du Redressement productif (2012-2014) de François Hollande intègre la relance minière à son grand récit sur la « démondialisation » (Montebourg, 2011). À l’inverse des experts du sous-sol, le ministre évolue dans une arène politique conflictuelle qui n’est pas structurée par une faisabilité technique, mais par une faisabilité politique déterminée par les positions entre les partis, mais aussi entre les membres du gouvernement. Le renouveau minier devient alors souverainiste afin d’être soluble dans la promotion du « made in France ». Le ministre tente d’imposer une politique de patriotisme économique (Rodriguez, 2016, p. 35). Pour Montebourg, le renouveau minier ne constitue qu’un terrain de bataille parmi d’autres : Mittal à Florange, Trimet dans les Alpes, etc. (Rodriguez, 2016), et la proposition est jugée « faisable » politiquement, car elle participe de l’objectif d’imposer une réindustrialisation de la France. Soutenue par le comité stratégique de filière « industries extractives et de première transformation[4] », au périmètre plus large que celui du COMES, la relance minière s’articule aux 34 plans du ministre pour « une nouvelle France industrielle[5] ». Il s’agit de mettre en avant les besoins en matériaux des industries « innovantes », notamment celles des transitions énergétique et numérique, tout en critiquant la délocalisation des pollutions (Pitron, 2018).

L’énoncé de la relance minière trouve en Montebourg un porteur politique de premier plan. Les acteurs interrogés sont unanimes à dire que Montebourg « incarne » le renouveau minier. L’énoncé cadre avec la promotion du « made in France » du ministre, mais aussi avec sa position au sein du gouvernement socialiste.

« Ce qui arrive sous Montebourg, c’est une conjonction, de un : c’est son discours de base ; deux : il y a autour de lui des gens qui sont ultras pour ces sujets-là, et pour moi, il se saisit d’un sujet qui est cohérent avec ses convictions personnelles, et qui par ailleurs rentre bien dans ce qu’il a envie d’incarner […] Montebourg incarne le socialisme-productivisme, si vous voulez, ce sujet-là, il l’a poussé aussi en prenant ça comme un sujet politique. Et comme Batho, elle était tendance Verte au sein du PS, elle incarnait le truc [opposé]. Après, le sujet est monté en épingle politiquement, moi, je me souviens de réunions où on se foutait sur la gueule à Matignon devant les conseillers de Matignon, sous Ayrault et après sous Valls, sur ces sujets-là. »

Conseiller, MRP

Comme l’exprime ce conseiller, Montebourg utilise aussi le renouveau minier pour marquer son territoire ministériel et sa place au sein du gouvernement. Dans l’agenda institutionnel, la politique de renouveau minier résonne comme une frontière politique, un « totem » politique pour le ministre du Redressement productif, qui permet à Montebourg de remporter les arbitrages dans ce secteur et de renforcer son statut au sein du gouvernement.

Pourtant, ce portage politique souverainiste par le ministre est en décalage avec les politiques plus libérales soutenues par le gouvernement ainsi qu’au sein de la coalition des promoteurs de la mine. Cette dissonance apparaît clairement au sujet de la Compagnie nationale des mines de France (CMF) en 2014. Contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire, ce projet ne visait pas à exploiter des mines en France mais à sécuriser les approvisionnements par des accords bilatéraux. La CMF aurait été chargée de conduire des opérations d’exploration à l’étranger puis de vendre ou de s’associer à un exploitant local pour la phase d’extraction, dont les produits lui seraient revenus en priorité, assurant la sécurisation des approvisionnements. Monté par le BRGM, le projet n’aboutit pas et disparaît avec Montebourg. Ressuscitant la politique d’investissement d’après-guerre, le projet n’est alors pas aligné sur la vision libérale du gouvernement Valls.

« Cette histoire de compagnie minière, c’est un mélange de machins qui sonnent bien politiquement aux oreilles de Montebourg et à son entourage, et un peu de délires, notamment, de nostalgiques de la grandeur minière passée de la France. »

Conseiller, MRP

De la même manière, l’accent porté sur les métaux de la transition et les industries innovantes est dissonant face à l’absence de certaines filières de transformation en France, voire en Europe, et les projets ciblent avant tout les métaux dont l’exploitation est rendue rentable par les prix des marchés internationaux, comme l’or, et non ceux les plus utiles à l’économie nationale. Ce décalage dans la définition du renouveau minier contribue à fragiliser l’énoncé publicisé autour des projets d’exploration. Sans l’argument du patriotisme économique, le récit autour de la réexploration devient plus problématique, puisqu’il s’agit de projets privés participant au marché international des matières premières.

2. Les projets miniers, une définition problématique dans la presse locale

À rebours d’un cadrage de sécurisation des approvisionnements dans un contexte international, les projets miniers sont abordés au prisme local par la presse à partir d’une redéfinition problématique portée par les opposants.

2.1 La mise à l’agenda médiatique à travers les mobilisations bretonnes

Le renouveau minier est avant tout traité sous l’angle local dans la presse quotidienne nationale et régionale. La répartition chronologique (fig. 1) des articles montre qu’avant 2010, les sujets miniers sont traités par la presse nationale, et il s’agit surtout d’aborder des investissements à l’étranger dans la rubrique économie.

Figure 1

Chronologie de l’attention médiatique 2010-2019 (nombre d’articles par année)

Chronologie de l’attention médiatique 2010-2019 (nombre d’articles par année)
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À partir de 2012, le sujet est de plus en plus présent dans la presse locale du Grand Ouest (Ouest-France, Le Maine Libre, Le Télégramme) et principalement dans les éditions bretonnes. Malgré des permis délivrés dès 2013[6], le sujet est traité dans la presse locale de manière récurrente seulement à partir de 2015, avec un pic d’attention en 2016, suivant en cela l’intensité des mouvements sociaux. En étudiant les références faites à des permis d’exploration particuliers, on voit que ce sont les trois permis bretons de Loc-Envel, Merléac et Silfiac qui dominent le traitement médiatique. Les premiers articles sur le renouveau minier concernent pourtant le permis de Tennie, dans la Sarthe, à la suite de la mobilisation de l’association Rouez-Environnement dès février 2013. C’est ensuite le permis de Villeranges, dans la Creuse, qui suscite quelques inquiétudes en 2014. Mais c’est véritablement le permis de Loc-Envel, dans les Côtes d’Armor, qui enclenche un suivi médiatique local plus intense à partir de 2015[7]. Cette prédominance est à mettre au crédit du collectif Douar Didoull, créé en janvier 2015[8], et à l’engagement des élus locaux (Schrijen, présent numéro). C’est ensuite le permis de Merléac qui est au coeur de la majorité des articles de presse à partir de 2017. Là encore, le rôle d’un collectif, le collectif Vigilance projet minier Merléac, créé dès 2015[9] – rebaptisé Vigil’Oust en 2016 –, n’est pas étranger à l’attention médiatique. Le permis de Silfiac fait l’objet d’une couverture moins marquée, mais constante, sur la période à travers la mobilisation des collectifs Attention Mines et Mines de Rien[10]. Enfin, à partir de 2017, les permis sont mentionnés de concert dans la plupart des articles afin de souligner que le problème ne concerne pas un projet en particulier mais l’ensemble des projets bretons.

Le corpus de la presse locale est plutôt homogène. Si les journaux ont chacun leur ligne éditoriale, ils traitent les projets miniers de manière relativement homogène (Ouest-France et Le Télégramme, qui concentrent le plus d’articles, donnent plus facilement la parole aux opposants, alors que La Montagne laisse proportionnellement plus d’espace aux opérateurs). Les articles sont en majorité des articles courts (de l’ordre de la brève) dans les rubriques locales des journaux, et peu d’articles sont signés par des journalistes récurrents : chaque édition locale y consacre deux ou trois articles environ. Les journalistes appuient principalement leurs articles sur les réunions publiques, les manifestations des opposants, le recours à la pétition, les lettres de refus d’entrée sur une propriété privée (répertoire d’action particulier qui permet aux propriétaires de refuser l’entrée à la compagnie d’exploration) ainsi que le vote de motions et le courrier aux députés ou aux ministres par les élus locaux.

Ainsi, le traitement médiatique se focalise sur un problème territorialisé qui implique trois permis bretons. Il s’agit d’une couverture microlocale dont on peut faire l’hypothèse qu’elle s’appuie sur des réseaux d’interconnaissances et un ancrage local du journaliste. En ce sens, le traitement local du renouveau minier répond aux règles de la presse quotidienne régionale, caractérisée par le localisme et l’appartenance au même territoire (Neveu, 2019) : ce sont les actions des acteurs du territoire qui sont mises en avant face à l’intrusion d’une compagnie extérieure et l’existence de permis délivrés par l’administration centrale. Ce prisme permet de faire rejouer une opposition classique entre Paris et la province, la compagnie étrangère et la communauté locale.

2.2 Un cadrage militant et critique

Le traitement médiatique local favorise une approche conflictuelle et critique des projets miniers et contribue à construire le renouveau minier comme un problème public.

Dans la presse, les prises de position publiques pro-mines (fig. 2 et 3) sont surtout présentes durant les deux premières années du renouveau minier (2012-2014). L’énoncé qui est diffusé est celui d’une opportunité économique pour des territoires laissés à la marge du développement qui sont appelés à participer d’un effort de relocalisation d’une fraction des activités minières nécessaires à assurer la sécurisation des approvisionnements définie comme d’intérêt général. Assez peu relayée dans la presse généraliste, la justification du renouveau minier développée par les journalistes repose principalement sur d’éventuelles retombées économiques locales. Si Montebourg est le héraut du renouveau minier lorsqu’il est ministre, après son départ en 2014, les défenseurs des projets miniers dans la presse sont principalement les opérateurs, au premier chef Variscan, qui limitent leur communication médiatique au strict minimum dans une approche procédurale de leurs relations aux « parties prenantes[11] ».

Figure 2

Taux de couverture des prises de position des acteurs

Taux de couverture des prises de position des acteurs
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Les opposants sont les sources principales des articles de presse (fig. 2). Initialement, en 2012, les opposants font jeu égal avec les opérateurs en termes de présence médiatique, mais on voit ensuite que la présence des opérateurs décroît tandis que celle des opposants augmente et se maintient très haut. L’État central est faiblement présent en tant qu’acteur agissant ; il n’apparaît qu’en fin de période, lorsqu’il a été mis en cause par les opposants et qu’il prend position sur le sujet en décidant de geler, puis d’annuler, les permis. Les experts, notamment du BRGM, sont quasi absents des articles de presse.

La redéfinition du renouveau minier dans l’espace médiatique reprend l’énoncé problématique des opposants qui s’articule autour d’une dénonciation des dangers pour l’environnement et la communauté, ainsi qu’autour du déni de démocratie et de la critique d’un modèle de développement.

Tableau 2

Taux de couverture des prises de position par année[*]

Taux de couverture des prises de position par année*
*

Bien que les catégories soient mutuellement exclusives, certaines rares positions se chevauchent et conduisent à un total en colonne légèrement supérieur à 100 %, notamment sur les années 2012 et 2013. Cela ne remet pas en cause les proportions de discours analysés.

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Les positions antimines regroupent tout un ensemble d’arguments critiques qui connaissent une publicisation croissante (fig. 3). Par ordre d’importance, on note d’abord le danger pour l’environnement (21 % de l’ensemble des positions sur la période), et notamment pour la ressource aquatique. Il s’agit pour les opposants de souligner les risques et les incertitudes de l’industrie et de montrer que les pollutions seront durables et irrémédiables. Cette critique puise dans les expériences passées (Balan, 2021) et dans des expertises alternatives (association SystExt, notamment) et contredit l’argument de maîtrise technique des opérateurs. Viennent ensuite les risques pour la communauté, dont ceux pour le tourisme, l’agriculture et la valeur de l’immobilier si les projets miniers se concrétisaient. Ces risques sont régulièrement agglomérés avec une critique des aspects positifs de l’exploration valorisés par l’opérateur. Les risques sont présentés comme imminents, et les propos des militants donnent à voir un engrenage à stopper immédiatement, c’est-à-dire dès la phase d’exploration et sans attendre d’éventuelles études d’impact. La préservation de l’environnement local est au coeur de l’opposition (Schrijen, présent numéro), mais ce problème local est aussi présenté comme global à travers la dénonciation de l’extractivisme comme modèle d’exploitation intensive de la nature aux conséquences socioenvironnementales désastreuses (Bednik, 2016). Les projets bretons sont mis en récit comme une itération d’un « système extractiviste » intrinsèquement destructeur. Il s’agit donc moins de deux formes d’intérêts collectifs (locaux et nationaux) qui s’opposent que de la problématisation de l’exploitation minière face à la crise écologique.

Le problème environnemental est doublé d’un problème démocratique. Les positions relatives à la gouvernance sont largement critiques. Les opposants dénoncent l’insuffisance des procédures et mettent en cause la gestion du dossier par l’État (fig. 3). Cette critique permet là encore d’arrimer le problème local à un problème plus large qui vise l’opacité des procédures et le déni de démocratie – problème qui cible l’obsolescence du Code minier. Ces éléments sont centraux dans la politisation du problème puisqu’ils mettent en doute la légitimité de la procédure d’octroi de permis et donc la légitimité de l’État et, par transitivité, celle du gouvernement (Zittoun et Chailleux, 2021). Cette ligne argumentative du déni de démocratie est particulièrement prégnante chez les élus locaux, qui dénoncent leur mise de côté et l’absence de prise en compte de leurs avis lorsque ceux-ci ont été demandés.

Ainsi, dans le forum de la presse écrite régionale, le renouveau minier est redéfini par les journalistes comme un problème environnemental et démocratique. Cette combinaison de registres critiques est particulièrement mobilisatrice puisque l’argument critique est une « prise » permettant de mobiliser différentes catégories de « victimes » potentielles des projets : la pollution des eaux de surface et les pêcheurs, celle des sols et les agriculteurs, le déni de démocratie et les élus locaux, etc. Face à la critique, les stratégies de « gouvernement de la critique » déployées par la coalition pro-mine (Massé, présent numéro) s’avèrent inefficaces pour empêcher l’abandon des permis.

3. Le forum médiatique comme révélateur des faiblesses de la politique française de relance de l’exploration

L’échec de l’énoncé propositionnel du renouveau minier dans le forum médiatique permet d’en souligner trois faiblesses concernant l’inadéquation du modèle des petites sociétés, l’inconsistance et l’inconstance de son portage politique et l’insuffisance d’un régime de justification technique et légale.

3.1 L’inadéquation du modèle spéculateur des petites sociétés

La première faiblesse de l’énoncé propositionnel repose sur le modèle spéculatif des petites sociétés, qui fragilise la promotion du renouveau minier et la crédibilité de certains arguments. Comme le soulignent Laurent et Merlin (présent numéro), la dynamique d’investissement des petites sociétés est en décalage avec certains aspects de la promotion du renouveau minier. Ainsi, les promesses d’emplois ou de gestion des risques à long terme sont difficilement crédibles à partir du moment où la compagnie qui les formule ne sera pas celle qui aura à les tenir. De la même manière, le projet « d’ancrage territorial » (Beauloye et al., 2021) auquel participe la « mine responsable[12] » est difficile à planifier dès lors que la logique financière des projets l’emporte sur leurs autres dimensions. Dénoncée dans la presse par les opposants (fig. 3), Variscan Mines est la cible principale de l’opposition sur toute la période. Cristallisant les oppositions, notamment à cause de sa communication conflictuelle (voir infra), Variscan devient un épouvantail dont la réputation déborde du terrain breton vers d’autres permis, dont celui de Couflens, et contribue à durcir l’opposition.

L’inadéquation de la logique boursière de Variscan est aussi mise en avant par certains chefs de projet qui dénoncent des choix stratégiques inadaptés à leur expérience du terrain.

« Il y avait ce permis et celui de Beaulieu, en Loire-Atlantique, autour de l’ancienne mine où cela se passait très bien. Avec d’autres collègues, nous avions milité pour dire qu’il fallait travailler sur ces permis-là plutôt que de dépenser de l’argent inutilement sur les autres permis où c’était compliqué de travailler […] Le problème est que ces deux permis n’étaient pas dans les objectifs de développement de la société, des investisseurs. »

Chef de projet, Variscan

Les services administratifs concèdent également ce point d’achoppement, comme nous l’illustre ce responsable :

« Le modèle Variscan n’a pas fonctionné […] On voit que les modèles reposant uniquement sur la bourse ne peuvent pas fonctionner dans notre système juridique, ni même dans notre contexte sociétal. Si un jour, il y a un projet minier qui peut se développer en métropole, il faut que les entreprises qui viennent développent sur fonds propres, mais ne doivent pas proposer un projet financé par la bourse et en particulier les bourses un peu spéculatives. »

Chef de bureau, DGALN

On voit donc que la structure du secteur minier (petites sociétés d’exploration/sociétés d’exploitation) est en porte-à-faux à la fois avec le cadrage de la politique de relance minière comme un « nationalisme des ressources » et avec un cadrage sur le développement local. Le régime d’exploration et d’exploitation privé des mines fragilise l’énoncé propositionnel en décrédibilisant certaines prises argumentaires.

3.2 Une politique déclarative sans moyens ni ressources face aux contestations

La seconde faiblesse de l’énoncé du renouveau minier est son portage politique uniquement déclaratif. En 2014, un décret de simplification des procédures fait passer la règle du « silence vaut rejet » à « silence vaut accord ». Mise à part cette décision, la relance minière reste principalement « une politique de papier », comme la décrit un chef de projet de Variscan, ou un objectif politique sans moyens, comme l’exprime ce haut fonctionnaire de la DGALN :

« Je vais vous dire qu’il n’y a pas de politique de renouveau minier français. Qui dit politique, dit des objectifs et des moyens. Pour les objectifs qui ont pu être mentionnés quelquefois de manière plus ou moins forte, nous n’avons pas eu de nouveaux outils […] Le seul moment où nous aurions pu conduire ces actions, c’est lorsque M. Montebourg a déclaré qu’il voulait refaire de la France une nation minière. Cette déclaration nous a été utile, mais elle ne s’est pas traduite concrètement, en moyens nouveaux ou en missions nouvelles […] Vous pouvez parler de politique de renouveau. Or une politique suppose des moyens que l’on n’a pas eus. »

Chef de bureau, DGALN

Reposant sur le portage politique de Montebourg, l’énoncé propositionnel du renouveau minier est destiné aux acteurs du secteur minier en affichant un soutien politique symbolique, mais il ne fournit pas de ressources matérielles. Si la redéfinition souverainiste aurait pu apporter un soutien argumentaire, nous avons vu précédemment que cela n’avait pas été le cas, puisque c’est un modèle libéral qui domine.

Ce soutien politique est aussi éphémère et il disparaît lorsque Montebourg quitte le gouvernement en août 2014. Emmanuel Macron (2014-2017) n’incarne pas la réindustrialisation comme Montebourg et, bien que ce soit lui qui signe la majorité des permis, il ne s’investit pas autant sur le sujet, car la configuration politique n’est plus la même et la faisabilité politique des projets est moins évidente.

« Il part en août et après, sous Macron ministre, c’est des sujets qui n’existaient quasiment plus. Pour plusieurs raisons : y avait Royal en face, qui était ultraforte dans les arbitrages et qui était ultra contre ces sujets-là […] Macron qui avait une vision assez équilibrée du sujet, à la fois une vision économique et une vision sociétale-écologique, mais […] les sujets miniers ne sont plus au top de l’agenda et encore une fois, la configuration politique, c’est qu’il n’y a plus fenêtre. »

Conseiller, MRP

Surtout, Emmanuel Macron doit faire face à une opposition de plus en plus visible et vocale. La déclaration de Montebourg ne rencontre que peu de critiques entre 2012 et 2014, alors que Macron est désigné comme responsable politique du problème du renouveau minier : c’est lui qui a signé de nombreux permis et c’est lui qui est le ministre chargé des mines entre 2014 et 2017, période de fortes contestations locales (fig. 1). Combinée avec la montée des critiques sur la gouvernance et sur la légitimité des procédures (fig. 3), cette désignation de responsables politiques génère un problème politique qui vient se superposer au problème environnemental local. Il est particulièrement intéressant de voir que c’est Emmanuel Macron qui est personnellement ciblé dans les articles de presse. Si le ministre tente dans un premier temps de contourner l’obstacle à travers la promotion de l’initiative « mine responsable » en 2015 (Massé, présent numéro), son échec et la montée des oppositions le contraignent à abandonner la relance minière. Le contexte électoral de 2017 rend insoutenable cette mise en accusation, puisque Macron est alors candidat à l’élection présidentielle. La période électorale constitue pour les opposants une fenêtre d’opportunité politique permettant de faire entrer les projets miniers dans l’agenda institutionnel – ils demandent non seulement aux candidats de se positionner, mais aussi aux élus départementaux et régionaux. C’est d’ailleurs par l’intermédiaire d’un député LREM de Bretagne que le gel des permis est obtenu dans les semaines précédant les élections législatives.

Ainsi, si l’énoncé propositionnel minier bénéficie du portage politique d’Arnaud Montebourg, le renouveau minier reste une politique sans moyens qui s’inscrit à l’agenda uniquement de manière déclarative. Dès lors, l’argument en faveur du renouveau minier n’a précisément que la portée que lui donne son porteur, et le départ de Montebourg la réduit d’autant plus que son successeur est face à des oppositions de plus en plus importantes. Dans le contexte électoral de 2017, l’énoncé propositionnel perd sa faisabilité politique.

3.3 Un régime de justification experte incapable de s’adapter aux critiques

La troisième faiblesse est à chercher dans le régime de justification experte face aux critiques, que Massé (présent numéro) appelle le « gouvernement de la critique minière », dont les critères de faisabilité ne permettent pas de répondre efficacement aux problématiques multiéchelles diffusées par les opposants et les journaux régionaux.

Les promoteurs du renouveau minier répondent aux critiques sur les dangers et les risques en les décrédibilisant. C’est d’abord par la voix de Variscan que les réponses aux critiques s’expriment. Elles sont marquées par un régime de justification experte, basé sur les géosciences et des représentations sectorielles, qui tend à minimiser les risques[13]. Cette approche technocratique des critiques conteste l’existence des risques et la capacité des opposants à s’exprimer sur un sujet qui est décrit au prisme de savoirs techniques spécialisés. Lors de réunions publiques, d’entretiens avec la presse ou dans ses campagnes de communication, la direction de Variscan a systématiquement tendance à réduire les craintes des riverains et des associations mobilisées à une insuffisance de connaissances ou à une dérive idéologique. L’opposition est alors résumée à « une minorité d’anti-tout » et à « une poignée de dogmatiques qui refusent le développement économique » (M. Bonnemaison, directeur de Variscan Mines, cité dans Le Télégramme, 4 avril 2015). Pour Variscan, mais aussi pour les services de l’État, les techniques employées sont maîtrisées et les procédures, transparentes. Adossées à l’initiative « mine responsable », les réponses des compagnies minières face aux risques mettent en avant l’innovation et la responsabilité des entreprises[14]. Ainsi, la justification experte ne vient pas répondre directement aux critiques mais bien plus à les décrédibiliser ou à les minimiser.

L’adaptation aux critiques passe aussi par le recours à la « faisabilité » légale. Très prégnante au sein de l’administration (Zittoun et Chailleux, 2021), la faisabilité juridique est un élément central du discours de la coalition pro-mine : au BRGM, à la DGALN ou à la DREAL[15], la procédure légale est mise au coeur du dispositif de légitimité d’un acte. Ipso facto, la justification experte qui prévaut est celle du respect du Code minier et des savoirs géologiques qui le soutiennent. Les défenseurs du renouveau minier mettent par exemple en avant l’incompréhension du public entre un permis d’exploration et un permis d’exploitation d’un côté, et entre permis et autorisations de travaux d’un autre côté.

« Le public a compris que le permis de recherches de mines autorisait de faire tout cela. Sauf que le permis de recherches de mines n’autorisait rien du tout. Donner un droit sur la substance ne donnait pas le droit d’effectuer des travaux. Ainsi, au cas par cas, sur chacun des travaux, nous aurions eu un dossier avec étude d’impact et avec enquête publique. De notre point de vue, il y a eu une grosse difficulté de communication pour dire d’arrêter de s’inquiéter. »

Inspecteur, DREAL Bretagne

Dans ce régime de faisabilité légale, l’évaluation des risques est codifiée, et la temporalité des projets n’a pas encore permis d’étudier tous les impacts liés à des demandes d’autorisation de travaux. Autrement dit, la procédure prévoit bien des études d’impact, mais au cas par cas et après une demande de travaux. Lorsque les permis sont contestés, peu de demandes de travaux ont été déposées. En défendant les projets miniers sur le terrain de la procédure alors même que celle-ci fait l’objet de contestations, les partisans de la mine en France contribuent à renforcer le problème plutôt qu’à l’atténuer. L’absence de débat sur le fond conduit à une sortie de crise par le rapport de force direct qui tourne à l’avantage des opposants. Ce problème du mode de gouvernance est bien cerné par les partisans du renouveau minier, qui tentent depuis la controverse sur le gaz de schiste de 2011 (Chailleux et al., 2018) de réformer sans succès le Code minier et qui travaillent à développer l’acceptabilité sociale des futurs projets. Pour autant, la réponse technocratique apportée aux opposants apparaît largement insuffisante pour permettre à une proposition de résister aux critiques dans un forum public.

Conclusion

L’analyse de la trajectoire argumentative du renouveau minier montre que l’énoncé propositionnel des partisans de la relance de l’exploration minière en France n’a pas été capable de dépasser l’épreuve publique du forum médiatique à cause de trois faiblesses principales : l’inadéquation du modèle spéculatif de la petite société, l’insuffisance de l’aspect déclaratif du soutien politique et l’inadaptation du régime de justification experte face aux contestations. Construit dans un espace confiné structuré par un régime de faisabilité technique, économique et légale, l’énoncé n’est pas équipé pour répondre aux critiques dans l’espace médiatique. En effet, ni les stratégies des partisans du renouveau minier ni leurs arguments ne trouvent de prises dans la presse écrite, dont les règles de publication favorisent plutôt les répertoires d’action militants, la proximité géographique des opposants et leur problématisation environnementale et démocratique, qui ancre le traitement médiatique dans la valorisation de la lutte des communautés locales de territoires relativement marginaux face à des projets destructeurs imposés depuis Paris et opérés par des compagnies transnationales.

L’article se limite cependant à décrire une trajectoire argumentative dans un espace particulier, celui de la presse écrite régionale, à partir du point de vue des partisans de la relance minière. D’autres travaux complètent (Schrijen, présent numéro), ou devront compléter, cette analyse afin de mieux saisir les dynamiques complexes dans les espaces militants et politiques non seulement à l’échelle locale et régionale, mais aussi dans les relations entre ces militants et les journalistes relayant leurs propos. Il serait en effet pertinent d’interroger les règles journalistiques tendant à favoriser ce prisme militant, mais aussi d’étudier comment dans d’autres types de presses, comme la presse économique, le sujet du renouveau minier a pu être traité et quels types de sources sont mobilisés par les journalistes. De la même manière, certains espaces politiques et administratifs devront être explorés afin de mieux analyser les dynamiques de conflit et de négociation ayant contribué à forger la signification du renouveau minier dans des lieux aussi divers que les conseils municipaux, généraux et régionaux concernés.