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Introduction

Dans les sociétés modernes, l’enfouissement des déchets radioactifs a été proposé comme l’une des solutions possibles face aux problèmes croissants posés par le stockage et le retraitement des combustibles nucléaires usés. Les domaines continentaux intraplaques, considérés comme relativement stables (Summerfield, 2000 ; Peulvast et Vanney, 2001), apparaissent comme des régions naturellement propices à ce genre d’opération. Indépendamment de toute réflexion idéologique que peuvent susciter de tels enjeux écologiques, il pourrait s’avérer utile de mieux comprendre l’évolution géodynamique de ces grands domaines morphostructuraux, notamment en évaluant de façon la plus fiable possible l’érosion à long terme dans les régions de socle.

Les caractéristiques morphométriques initiales des cratères de maars ont récemment été utilisées dans le but d’évaluer l’érosion subséquente à long terme, à l’échelle de la dizaine de millions d’années, autour de ces structures volcaniques (Degeai, 2004). À partir de leur morphométrie initiale reconstituée, les astroblèmes (formes dégradées des cratères d’impact météoritique) offrent de fortes potentialités, peu exploitées jusqu’à présent, pour mesurer l’érosion à l’échelle de la centaine de millions d’années.

Les structures d’impact sont issues d’une dynamique monogénique très rapide à l’échelle des temps géologiques, d’une durée de quelques secondes à plusieurs minutes, en fonction de la taille de la météorite (Melosh, 1989 ; Rondot, 1998). Cette modalité de formation favorise l’existence de rapports de proportionnalité déterminés entre les divers éléments morphométriques du cratère d’impact initial, tels que son diamètre ou sa profondeur. Ces rapports permettent de reconstituer la morphométrie initiale du cratère et d’évaluer l’altitude de la topographie pré-impactique sur laquelle s’est produit le choc météoritique. La comparaison de ces données avec la morphologie actuelle de l’astroblème offre l’occasion d’estimer l’épaisseur de la tranche de substrat érodé autour de la structure d’impact depuis sa formation.

Sur Mars et la Lune, une méthode de calcul de l’érosion à long terme, développée à partir de l’analyse de la morphométrie des cratères d’impact dégradés selon des modèles photoclinométriques, a respectivement permis de calculer des taux moyens d’érosion de 0,4 mm/ka depuis 500 Ma (Craddock et al., 1997) et 0,0002 mm/ka depuis 3,85 Ga (Craddock et Howard, 2000). Sur Terre, trois types de structures d’impact sont distingués : les cratères simples, les cratères complexes et les bassins d’impact (Melosh, 1989 ; Grieve et Pesonen, 1992 ; Peulvast et Vanney, 2001). La mesure de l’érosion sur des longues périodes (jusqu’à plusieurs centaines de millions d’années) est rendue possible par l’utilisation des cratères d’impact complexes, dont la morphométrie initiale a d’abord été modélisée par des relations de puissance entre le diamètre et la profondeur du cratère (Grieve et Robertson, 1979). Ces relations ont été établies à partir d’une base de données qu’il convient d’actualiser en fonction des données géophysiques maintenant disponibles (gravimétriques et sismologiques) et des structures d’impact nouvellement reconnues.

Après une présentation de l’évolution morphologique des cratères d’impact complexes, une nouvelle relation entre leur diamètre et leur profondeur réelle est proposée à partir d’une base de données portant sur 31 cratères. La méthode de calcul de l’érosion est présentée puis appliquée à quatre grands astroblèmes, d’âge dévonien à triasique, répartis dans les domaines de socle du Québec (Charlevoix, Manicouagan, lac à l’Eau Claire oriental) et de l’ouest du Massif central français (Rochechouart).

Évolution morphologique des cratères d’impact complexes

La morphologie des cratères complexes est relativement bien connue d’après les analyses morphométriques d’une trentaine de structures d’impact bien préservées de l’érosion (fig. 1). Ce type de cratère présente un dispositif concentrique, avec un pic central ceinturé par une dépression annulaire (Melosh, 1989 ; Grieve et Pesonen, 1992 ; Peulvast et Vanney, 2001).

Figure 1

Localisation des cratères d’impact complexes terrestres à morphologie bien préservée et des grands astroblèmes du Québec et de France.

Location of morphologically well-preserved terrestrial complex impact craters and large astroblemes in Québec and France.

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Au cours de la dynamique d’impact, la morphologie d’un cratère d’impact complexe passe, en quelques heures à quelques jours, d’une cavité transitoire, en forme de bol et à parois raides, au cratère final, relativement moins profond et réajusté par des effondrements périphériques et un soulèvement central (fig. 2A-B). À l’issue de cette phase de réajustement, le pic central des cratères d’impact complexes est entouré par une dépression topographique dans laquelle les brèches d’impact polymictiques, constituées d’un mélange de fragments de roches fondues et de clastes du substrat, atteignent leur épaisseur maximale. Cette dépression constitue un bassin intérieur, dont la base, relativement plane en général, est localisée au contact entre les brèches d’impact polymictiques et le substrat sous-jacent fortement fracturé et plus ou moins bréchifié (brèches monogéniques dans ce cas).

Figure 2

A

Cavité transitoire

Cavité transitoire

B

Cratère final

Cratère final

C

Astroblème

Astroblème

Principales étapes de l’évolution morphologique d’un cratère d’impact complexe à pic central.

Main steps of the morphological evolution of a complex impact crater with central peak.

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En général, les cratères d’impact complexes peuvent présenter deux types de morphologies, selon qu’un anneau interne entoure ou non le pic central (fig. 3). Par conséquent, le bassin intérieur est limité vers l’extérieur, soit par des terrasses périphériques effondrées, soit par un relief annulaire.

Figure 3

A

Cratère avec un pic central seul

Cratère avec un pic central seul

B

Cratère avec un anneau et un pic central

Cratère avec un anneau et un pic central

Paramètres utilisés pour la reconstitution morphométrique des cratères d’impact complexes.

Parameters used to reconstruct the morphology of complex impact craters.

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Après l’impact, le cratère est progressivement rempli par des sédiments qui proviennent de l’érosion de ses parois et de la couche de débris périphérique, peu épaisse en général. Par ailleurs, le cratère peut être entièrement fossilisé sous une couverture sédimentaire, notamment dans le cas des impacts sous-marins. La dégradation morphologique de la structure d’impact originelle aboutit à la formation d’un astroblème (fig. 2C). Selon le niveau structural atteint par l’érosion, le contact entre les brèches et le substrat sous-jacent peut être observé.

Méthodologie

Sélection et mesure des paramètres morphométriques

L’estimation de l’épaisseur de substrat érodé autour d’un astroblème nécessite la reconstitution de la morphométrie initiale du cratère d’impact afin de déterminer l’altitude Ai de la surface topographique pré-impactique sur laquelle s’est produit le choc météoritique (fig. 3). Dans le cas d’un astroblème, la structure ayant été partiellement érodée, le seul repère morphostructural fiable pour évaluer cette altitude correspond à la base des brèches d’impact polymictiques. En fait, il est nécessaire de connaître la profondeur réelle dt du cratère, qui représente la distance verticale entre la surface topographique pré-impactique et la base de ces brèches.

La mesure de la profondeur réelle s’effectue au niveau du bassin intérieur, là où les brèches sont les plus épaisses. Cependant, l’érosion des parois du cratère ne permet pas de mesurer directement la profondeur réelle. Ce paramètre est alors déduit à partir de la relation existant entre le diamètre et la profondeur réelle du cratère d’impact. Le diamètre du cratère d’impact initial (D) correspond à la distance moyenne entre les remparts qui ceinturent les terrasses périphériques effondrées lors de la phase de réajustement.

Morphométrie initiale du cratère d’impact

Travaux antérieurs

Des rapports de proportionnalité empiriques entre le diamètre et la profondeur réelle des cratères d’impact complexes terrestres ont été précédemment proposés, à partir des caractéristiques morphométriques de plusieurs structures d’impact. Rondot (1994) note que le rapport profondeur réelle/diamètre est de 0,015 pour les cratères d’impact complexes de type Charlevoix et de 0,030 pour ceux de type Ries (fig. 1). Ces deux structures d’impact présentent des diamètres respectifs de 56 et 24 km. Dence et al. (1977) signalent des rapports de 0,050 et 0,025 pour des cratères de 10-15 et 20-25 km de diamètre. Tous ces rapports semblent donc diminuer en fonction de l’accroissement de la taille de la structure d’impact. Ceci signifie que les cratères de grande taille sont relativement moins profonds que ceux de taille plus petite.

Cette évolution morphométrique est mieux prise en compte par Grieve et Robertson (1979), qui ont appliqué une relation de puissance entre la profondeur réelle et le diamètre d’un cratère d’impact complexe. En fait, deux relations ont été proposées, selon la lithologie du substrat percuté par la météorite. Ces relations permettent de calculer la profondeur réelle dt en fonction du diamètre D, d’après les formules dt = 0,52 D0,189 et dt = 0,204 D0,27, pour des cratères d’impact complexes situés respectivement dans des roches cristallines et sédimentaires (Grieve et Robertson, 1979). Ces deux relations ont été établies à partir des données morphométriques de quatre cratères en milieu sédimentaire et dix cratères en milieu cristallin. Le cas des structures où le cratère recoupe des roches sédimentaires et cristallines sur une épaisseur équivalente n’a toutefois pas été pris en compte.

Plus récemment, Gurov et al. (1995) ont proposé la relation dt = 0,09 D0,73, mais celle-ci est fondée à partir de l’observation de seulement trois cratères d’impact : Steinheim, Boltysh et Logoisk (fig. 1).

Nouvelle base de données

Depuis les travaux de Grieve et Robertson (1979), de nouvelles investigations géologiques et géophysiques, notamment par gravimétrie et sismologie, et de nouveaux forages ont permis de mieux connaître la morphostructure de la plupart des cratères d’impact complexes utilisés pour établir les relations profondeur/diamètre. La profondeur réelle et le diamètre de ces cratères sont désormais mieux contraints. De plus, de nouvelles structures d’impact ont été reconnues depuis les années 1980, notamment sur les plateaux continentaux et en milieu sous-marin. Pour ces raisons, une nouvelle base de données de 31 cratères d’impact complexes a été établie avec l’objectif de proposer une relation plus fiable entre le diamètre et la profondeur réelle de ce type de structure (tabl. I).

Tableau I

Caractéristiques des cratères d’impact complexes terrestres à morphologie bien conservée

Caractéristiques des cratères d’impact complexes terrestres à morphologie bien conservée

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Les cratères utilisés, répartis dans des régions de socle ou de plate-forme, se sont formés dans des roches cristallines ou sédimentaires (fig. 1). Leur morphologie est actuellement visible dans la topographie ou fossilisée sous une couverture sédimentaire plus ou moins épaisse. Ces structures d’impact ont été sélectionnées en fonction de leur bon état de conservation morphologique, afin de pouvoir déterminer leurs caractéristiques morphométriques initiales.

La mesure du diamètre ne pose pas de problème particulier, sauf dans le cas de la structure de Kara, où la valeur de ce paramètre a été précédemment estimée à 65 km (Koeberl et al., 1990). Toutefois, des lambeaux d’impactites déposées probablement à l’intérieur du cratère et situés à 55 km du centre de la structure semblent indiquer un diamètre nettement plus grand, qui a été évalué à environ 120 km (Nazarov et al., 1991 ; Badjukov et al., 2002). C’est cette dernière valeur qui a été retenue ici (tabl. I).

En revanche, pour déterminer la profondeur réelle, il est nécessaire de connaître, d’une part, l’altitude de la base des brèches d’impact polymictiques et, d’autre part, l’altitude de la surface pré-impactique. La base des brèches a été identifiée dans tous les cratères d’après des sondages géophysiques ou des forages. L’altitude de la surface pré-impactique peut être évaluée d’après différents critères, comme la présence d’une couronne d’éjectas autour du cratère (Bigach, Boltysh, Bosumtwi, Chesapeake Bay, Flynn Creek, Kaluga, Kamensk, Kärdla, Karla, Lockne, Mjølnir, Ragozinka, Ries, Steinheim, Vepriai, Zhamanshin), la fossilisation de la structure peu de temps après l’impact (Dobele, Logoisk, Montagnais, Obolon, Puchezh-Katunki, Tookoonooka, Zapadnaya, Zeleny Gai, Kara), la présence d’un rempart circulaire surélevé (Goat Paddock, Söderfjärden), ou bien encore la connaissance chiffrée de l’érosion post-impactique (Manson, Popigai, Haughton).

Dans le dernier cas, les épaisseurs des tranches de substrat érodé autour des trois cratères susmentionnés ont été respectivement estimées à 160 m, 100 m et plus de 200 m (Hickey et al., 1988 ; Anderson et al., 1996 ; Masaitis et al., 2005).

Relation entre la profondeur réelle et le diamètre

Pour chacun des deux paramètres, les incertitudes sur les mesures ont été prises en compte par le choix de marges d’erreur en fonction de la taille des cratères (tabl. II). Le diamètre et la profondeur réelle des 31 cratères d’impact complexes utilisés sont fortement corrélés (fig. 4). L’évolution générale de ces deux paramètres est définie par une relation de puissance, sous la forme dt = 0,133 D0,57, avec D et dt en kilomètres. La comparaison de ces résultats avec ceux trouvés par les relations profondeur/diamètre de Gurov et al. (1995) et de Grieve et Robertson (1979) montre des différences notables (fig. 5).

Tableau II

Marges d’erreur sur la mesure des diamètres (D) et des profondeurs réelles (dt) des cratères d’impact complexes

Marges d’erreur sur la mesure des diamètres (D) et des profondeurs réelles (dt) des cratères d’impact complexes

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Figure 4

Relation entre la profondeur réelle et le diamètre des cratères d’impact complexes terrestres.

Relationship between the true depth and the diameter of terrestrial complex impact craters.

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Figure 5

Évolution de la profondeur réelle d’un cratère d’impact complexe terrestre pour différentes relations profondeur/diamètre.

Evolution of the true depth of a terrestrial complex impact crater for different depth/diameter relationships.

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Dans le premier cas, les résultats sont relativement proches pour les cratères inférieurs à 20 km de diamètre. Au-delà de ce seuil, la relation de Gurov et al. (1995) surestime la profondeur réelle de manière croissante. Ceci est attribuable au fait que cette relation est établie à partir de seulement trois cratères dont les diamètres sont inférieurs à 25 km. La profondeur réelle est systématiquement sous-estimée par la relation de Grieve et Robertson (1979) utilisée pour les cratères d’impact ouverts dans des roches sédimentaires. Pour les cratères formés dans des roches cristallines, on peut respectivement observer une surestimation et une sous-estimation de la profondeur réelle, de part et d’autre d’un seuil situé entre 30 et 40 km de diamètre.

Sur le plan statistique, on peut néanmoins observer que la nature du substrat des 31 cratères de notre base de données, formés dans des roches résistantes cristallines ou sédimentaires, n’a pas d’incidence notable sur le rapport morphométrique entre la profondeur réelle et le diamètre (fig. 4). Le rôle secondaire de ce facteur lithologique sur les résultats finaux du processus d’impact a d’ailleurs été récemment suggéré par Grieve et Therriault (2004).

Calcul de l’érosion post-impactique

Afin de déterminer la tranche de substrat érodé autour d’un cratère d’impact depuis sa formation, on retranche l’altitude de la surface pré-impactique de celle atteinte par l’érosion autour de l’astroblème.

La première représente une altitude moyenne qu’il convient de considérer à petite échelle, c’est-à-dire sur l’ensemble de l’astroblème. Dans le détail, la topographie pré-impactique n’est, selon toute vraisemblance, pas totalement plane, et ceci est d’autant plus vrai pour les astroblèmes de grande taille. Ces éventuelles variations altimétriques peuvent être prises en compte en calculant une gamme d’altitudes possibles au sein de laquelle la surface pré-impactique est supposée se situer. En effet, compte tenu des incertitudes existant sur la relation dt / D, il s’avère nécessaire de déterminer des profondeurs réelles minimales et maximales. Celles-ci seront respectivement calculées avec les relations suivantes : dt = 0,095 D0,60 et dt = 0,184 D0,54 (fig. 4).

L’altitude du relief actuel autour de l’astroblème est mesurée sur le pourtour de l’astroblème, en tenant compte des limites constituées par la bordure du cratère original reconstitué.

Applications aux astroblèmes québécois et français

Contextes morphostructuraux

Les astroblèmes du Québec et de France se situent dans des régions de socle (fig. 1). Le cratère originel des quatre astroblèmes étudiés appartient au type complexe.

L’astroblème fin-triasique de Rochechouart est localisé dans l’ouest du Massif central français. Cette région appartient au socle hercynien d’Europe occidentale, structuré au cours du Paléozoïque supérieur et fortement aplani dès le Trias (Klein, 1990). Le cratère d’impact s’est donc vraisemblablement formé sur une topographie peu différenciée qui devait correspondre à la surface d’aplanissement post-hercynienne. Le secteur de Rochechouart a pu être partiellement recouvert par des sédiments d’âge jurassique. Cette couverture sédimentaire n’a toutefois probablement pas dépassé quelques dizaines de mètres d’épaisseur d’après les données isopaques obtenues dans les bassins sédimentaires autour du Massif central (Curnelle et Dubois, 1986).

Les astroblèmes du Québec se situent sur le plateau des Laurentides et la péninsule du Labrador. Ces régions du Bouclier canadien ont été structurées au cours de plusieurs phases orogéniques précambriennes, dont la dernière, l’orogenèse du Grenvillien (Protérozoïque supérieur), a été suivie d’un arasement poussé puis d’un enfouissement lors des transgressions ordoviciennes. Les mers ont alors déposé sur le Bouclier canadien une couverture sédimentaire de plate-forme carbonatée.

L’épaisseur de cette couverture discordante n’a généralement pas dépassé 200 m dans les Laurentides et la péninsule du Labrador (Rondot, 1989). La série sédimentaire cambro-ordovicienne est plus épaisse dans la région des Basses Terres du Saint-Laurent, où les dépôts autochtones atteignent actuellement près de 4 000 m d’épaisseur (Globensky, 1987). La couverture sédimentaire est presque totalement érodée sur le plateau des Laurentides et dans la péninsule du Labrador. Toutefois, la conservation de calcaires ordoviciens dans les fossés annulaires des astroblèmes du Manicouagan et de Charlevoix (fig. 6), ainsi que dans les brèches d’impact du lac à l’Eau Claire, prouvent que la couverture sédimentaire y était présente lors des impacts. Les cratères initiaux de ces trois astroblèmes se sont donc vraisemblablement formés sur des topographies de plate-forme peu accidentées.

Figure 6

Coupes géologiques des astroblèmes du Québec et de France.

Geological cross-sections of Québec and France astroblemes.

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Diamètre des cratères d’impact originels

Manicouagan

Le diamètre du cratère initial de cet astroblème est relativement bien contraint, grâce à de nombreux indicateurs. La morphostructure est caractérisée par la présence d’une couche de brèches d’impact et de roches fondues d’environ 55 km de diamètre (Floran et al., 1978). Ces matériaux forment un plateau annulaire, dont les bordures externes présentent généralement des altitudes plus élevées qu’à l’intérieur. Ce plateau ceinture le pic central du Mont de Babel, légèrement excentré vers l’est (fig. 7).

Figure 7

Modèle numérique de terrain (MNT) et croquis d’interprétation morphostructurale des astroblèmes du Manicouagan et de Charlevoix. Données topographiques USGS SRTM 90.

Digital Elevation Model (DEM) and morphostructural interpretative sketch of the astroblemes of Manicouagan and Charlevoix. SRTM 90 USGS topographic data.

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Un système de fossés concentriques entoure le plateau annulaire, au niveau des lacs Mouchalagane et Manicouagan. Ces fossés ont été fortement surcreusés par l’action érosive des glaciers quaternaires et l’érosion fluviale postglaciaire. Des affleurements de calcaires ordoviciens ont été observés sur la bordure interne du rivage des lacs, ainsi que sous les matériaux de l’impact, dans une zone comprise entre 23 et 33 km depuis le centre de la structure (Bérard, 1962 ; Currie, 1972 ; Grieve et Head, 1983). Ces sédiments paléozoïques devaient se situer en dehors de la cavité transitoire, avant leur effondrement dans le fossé annulaire survenu lors de la phase de réajustement du cratère.

D’après l’extension spatiale des calcaires ordoviciens, le rayon de la cavité transitoire a été estimé à 22-23 km au maximum (Floran et Dence, 1976), soit un diamètre de 45 km. Une telle valeur est confirmée par la présence d’une structure annulaire située à proximité de la bordure externe du plateau intérieur, où la base des brèches d’impact se relève (fig. 6). L’anneau interne d’un cratère d’impact complexe est généralement positionné au niveau des bordures de la cavité transitoire, dont le diamètre est considéré comme étant égal à la moitié de celui du cratère initial (Grieve et al., 1981 ; Pike, 1985 ; Melosh, 1989 ; Rondot, 1994 ; O’Keefe et Ahrens, 1999 ; Pilkington et Hildebrand, 2003).

On peut donc retenir un diamètre de 90 ± 10 km pour le cratère d’impact originel. Cette valeur est analogue à celle du diamètre de l’anomalie gravimétrique de la structure d’impact du Manicouagan (Pilkington et Grieve, 1992). De plus, c’est à l’intérieur d’une zone de 45 à 50 km de rayon depuis le centre de la structure que les roches autochtones du substrat ont été les plus fortement choquées et fracturées (Murtaugh, 1976 ; Orphal et Schultz, 1978). Dans la partie occidentale de l’astroblème, cette limite correspond à une ligne de partage des eaux, qui sépare nettement les cours d’eau tributaires du lac Mouchalagane du réseau hydrographique externe à la structure d’impact (Murtaugh, 1976 ; Orphal et Schultz, 1978 ; Grieve et Head, 1983).

Charlevoix

Plusieurs indices morphostructuraux permettent aussi d’estimer le diamètre du cratère d’impact originel de Charlevoix. Des parois relativement raides forment un rempart circulaire externe bien visible dans la topographie de la partie nord-ouest de l’astroblème, la moitié sud-orientale étant masquée par le fleuve Saint-Laurent (fig. 7). Ce rempart se situe dans un rayon de 28 km autour du centre de la structure, localisé au niveau du pic central du Mont des Éboulements. Une zone concentrique de collines intérieures, situées approximativement à une égale distance entre le rempart externe et le pic central, correspond vraisemblablement à un anneau interne, plus ou moins modifié par l’érosion (Rondot, 2000). Le diamètre de cette structure annulaire équivaut à la moitié de celui formé par le rempart circulaire mentionné ci-dessus, ce qui semble confirmer que ce rempart représente la bordure du cratère d’impact originel, d’après les observations précédentes pour la structure de Manicouagan. Le diamètre initial du cratère de Charlevoix est par conséquent estimé à 56 ± 5 km.

Lac à l’Eau Claire oriental

L’astroblème oriental du lac à l’Eau Claire contient un lac dont le contour, plus ou moins circulaire, présente un diamètre d’environ 22 km. Cependant, les limites du lac ne permettent pas de déduire la taille du cratère d’impact originel, car aucune rupture de pente significative ne leur est associée. En revanche, la topographie sous-lacustre indique clairement la présence d’une dépression circulaire de 16 km de diamètre et de 100 à 150 m de profondeur, légèrement excentrée dans la partie nord du lac (Plante et al., 1990). Ce bassin est spatialement associé à des anomalies gravimétriques et magnétiques de même diamètre (Dence et al., 1965 ; Plante et al., 1990 ; Scott et al., 1997). Le cratère d’impact originel de l’astroblème oriental du lac à l’Eau Claire devait donc présenter un diamètre de 16 ± 2 km.

Rochechouart

Dans le cas de l’astroblème de Rochechouart, les brèches d’impact du bassin intérieur sont préservées dans un diamètre d’environ 10 km (Lambert, 1977 ; Chèvremont et al., 1996). Si l’on considère ce diamètre comme étant celui de la cavité transitoire, le diamètre du cratère originel peut être évalué à une vingtaine de kilomètres. Une anomalie gravimétrique de même dimension, centrée sur l’astroblème, a été identifiée (Pohl et al., 1978). Le cratère d’impact initial devait donc probablement présenter un diamètre de 20 ± 5 km.

Les surfaces topographiques pré-impactiques

À partir des relations profondeur/diamètre précédemment établies et des diamètres proposés ci-dessus avec leurs différentes marges d’erreur, les profondeurs réelles des cratères étudiés sont estimées à 670 ± 210 m pour le lac à l’Eau Claire est et à 1 760 ± 450 m pour le Manicouagan (tabl. III). L’altitude Ai de la topographie pré-impactique est obtenue en additionnant la profondeur réelle dt du cratère à l’altitude Am de la base des brèches d’impact polymictiques situées dans le bassin intérieur (fig. 3).

Tableau III

Aspects morphométriques et lithologiques des cratères d’impact complexes du Québec et de France

Aspects morphométriques et lithologiques des cratères d’impact complexes du Québec et de France

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Dans la plupart des cas (Charlevoix, Manicouagan, Rochechouart), ces brèches sont plus ou moins bien conservées dans la partie centrale de l’astroblème (fig. 8). Les brèches d’impact polymictiques les mieux préservées se situent à Manicouagan et à Rochechouart, où elles atteignent respectivement jusqu’à 230 m et 60 m d’épaisseur (Floran et al., 1978 ; Pohl et al., 1978). Dans le bassin intérieur de ces deux cas, les contacts géologiques entre ces brèches et le substrat sous-jacent montrent généralement des variations altimétriques assez faibles. Ceci indique une topographie relativement plane à la base du bassin intérieur, ce qui facilite la détermination de l’altitude du plancher structural du cratère d’impact. Celle-ci peut être respectivement estimée à 450 ± 50 m et 200 ± 50 m pour les astroblèmes du Manicouagan et de Rochechouart.

Figure 8

Morphologie actuelle simplifiée des astroblèmes du Québec et de France.

Simplified current morphology of Québec and France astroblemes.

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À Charlevoix, deux petits lambeaux d’impactites allochtones ont été observés à 430-440 m d’altitude, entre le pic central du Monts des Éboulements et la zone des collines intérieures (Rondot, 1998). Ainsi, nous supposons que le fond du bassin intérieur de ce cratère se situe à 450 ± 50 m.

Dans le bassin oriental du lac à l’Eau Claire, les brèches d’impact polymictiques ont été fossilisées sous 200 m de sédiments post-impactiques (fig. 8). Néanmoins, l’altitude de la base de ces brèches peut être évaluée à ‑150 ± 50 m asl grâce aux informations fournies par un forage réalisé à 2 km à l’est du centre du lac (Dence et al., 1965). Concernant le cratère occidental du lac à l’Eau Claire, la base des brèches d’impact polygéniques situées dans le bassin intérieur, entre le pic central et la structure annulaire intermédiaire, n’est pas connue.

D’après ces altitudes et les valeurs des profondeurs réelles, l’altitude actuelle des surfaces topographiques pré-impactiques a été calculée (tabl. III). La surface la plus élevée se trouve dans l’astroblème de Manicouagan, avec une altitude d’environ 2 210 ± 500 m, tandis que la surface la plus basse est évaluée à 520 ± 260 m d’altitude pour le cratère oriental du lac à l’Eau Claire (fig. 6). Les cratères d’impact initiaux de Charlevoix et de Rochechouart se sont formés sur des paléotopographies dont les altitudes actuelles devraient se situer respectivement à 1 800 ± 390 m et 960 ± 330 m.

Concernant plus particulièrement la structure de Charlevoix, l’altitude proposée ci-dessus est seulement représentative de la partie de l’astroblème située à l’ouest de la faille du Saint-Laurent, c’est-à-dire du côté où affleurent les brèches d’impact polymictiques (fig. 6). En revanche, le compartiment oriental a très vraisemblablement subi une subsidence post-impactique, qui a abaissé d’autant la topographie pré-impactique, celle-ci ayant d’ailleurs pu présenter un relief plus ou moins escarpé sur le rebord du Bouclier (Lemieux et al., 2003 ; Tremblay et al., 2003).

Par ailleurs, on peut noter, à titre de comparaison, que Rondot (1994) a précédemment proposé des altitudes respectives de 1 290 m et 1 750 m pour les surfaces pré-impactiques des astroblèmes de Charlevoix et de Manicouagan. En tenant compte des limites inférieures des différentes marges d’erreur susmentionnées, ces altitudes sont compatibles avec celles que nous venons de déterminer.

Évaluation de l’érosion autour des astroblèmes

Les astroblèmes de Charlevoix et de Manicouagan sont situés sur le plateau des Laurentides, dont la surface présente une altitude générale variant entre 400 et 600 m. Les astroblèmes du lac à l’Eau Claire et de Rochechouart sont logés dans des bas plateaux essentiellement granito-gneissiques dont les altitudes sont respectivement de 300-400 m et 200-300 m. Ainsi, en tenant compte des altitudes pré-impactiques calculées précédemment, l’érosion post-impactique a été la plus forte autour des astroblèmes de Charlevoix et de Manicouagan, avec des tranches moyennes de substrat érodé de respectivement 1 300 ± 490 m et 1 710 ± 600 m d’épaisseur (tab. IV). À l’opposé, la périphérie de l’appareil oriental du lac à l’Eau Claire a été peu érodée, sur une épaisseur de 240 ± 240 m probablement. L’érosion post-impactique sur le pourtour de l’astroblème de Rochechouart est évaluée à 710 ± 380 m d’épaisseur.

Tableau IV

Épaisseurs de substrat érodé et taux moyens d’érosion autour des grands astroblèmes du Québec et de France

Épaisseurs de substrat érodé et taux moyens d’érosion autour des grands astroblèmes du Québec et de France

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Un taux moyen d’érosion post-impactique peut être calculé, en divisant les épaisseurs moyennes de substrat érodé par l’âge des événements d’impact (tabl. IV). Dans tous les cas, l’âge des structures d’impact est connu d’après les multiples datations réalisées sur les impactites. Les âges retenus ici correspondent aux datations considérées comme les plus fiables. Sur le plateau des Laurentides, les taux moyens d’érosion sont estimés à 3,7 ± 1,5 m/Ma à Charlevoix et 8,0 ± 2,8 m/Ma à Manicouagan, respectivement depuis la fin du Dévonien et la fin du Trias. Dans la péninsule du Labrador, l’érosion post-pennsylvanienne autour du lac à l’Eau Claire s’est effectuée à une vitesse moyenne inférieure à 2 m/Ma. Dans l’ouest du Massif central français, l’érosion post-impactique autour de l’astroblème de Rochechouart est évaluée à 3,4 ± 1,9 m/Ma, depuis sa formation vers la fin du Trias.

Discussion

Les résultats obtenus n’ont pas pu être comparés à ceux de travaux précédents, car aucune autre méthode n’a encore fourni de données concernant les taux d’érosion à long terme dans le secteur des astroblèmes étudiés. Toutefois, les valeurs relativement faibles des taux d’érosion post-impactiques précédents s’accordent bien avec la localisation des astroblèmes québécois et français dans des domaines continentaux intraplaques stables, tels le Bouclier canadien et le socle hercynien du Massif central, où l’érosion à long terme est généralement peu élevée. La vitesse moyenne de l’érosion verticale dans les régions de socle est généralement estimée à 10 m/Ma au cours des 100 à 200 derniers millions d’années (Summerfield, 2000 ; Peulvast et Vanney, 2001 ; Peulvast et Claudino Sales, 2005). Des taux d’érosion analogues ont été mentionnés sur la plate-forme sibérienne, autour des grands astroblèmes de plus de 10 km de diamètre (Masaitis et al., 1985).

Tectoniquement stables, les deux régions ont subi au cours des temps post-paléozoïques une longue période d’évolution morphoclimatique en milieu tropical, au moins jusqu’au Paléogène, pendant laquelle les processus d’abaissement des interfluves (downwearing), d’aplanissement par gravure (etch-planation) et de pédiplanation ont certainement gouverné la morphogenèse. Par conséquent, les taux d’érosion proposés dans ce travail sont plus particulièrement représentatifs des rythmes de façonnement des surfaces d’aplanissement.

Les évolutions morphogéniques se sont produites dans des contextes anorogéniques de régime cratonique, durant lesquels l’érosion verticale est essentiellement commandée par les fluctuations eustatiques du niveau marin et par des soulèvements épirogéniques. Dans les domaines de socle évoluant en régime cratonique tropical, les taux de dénudation à long terme sont généralement compris entre 1 et 10 m/Ma (Tardy et Roquin, 1998 ; Gunnell, 2003). Ces chiffres s’accordent avec les résultats trouvés dans ce travail.

En ce qui concerne le Québec, les résultats obtenus dans le secteur du lac à l’Eau Claire montrent que l’érosion post-impactique a dû être relativement faible dans la péninsule du Labrador, déblayant une tranche de substrat d’une épaisseur inférieure à 500 m depuis la fin du Pennsylvanien. En revanche, l’érosion a été beaucoup plus forte dans le sud-est du Bouclier canadien, sur le plateau des Laurentides. À cet endroit, l’épaisseur moyenne des tranches de substrat érodé est probablement comprise entre 1 000 et 2 000 m depuis la fin du Dévonien (Charlevoix) ou la fin du Trias (Manicouagan). Ceci semble indiquer une évolution géomorphologique différenciée entre l’intérieur du Bouclier canadien et sa bordure sud-orientale, vraisemblablement attribuable à des comportements géodynamiques différents au cours des temps post-paléozoïques.

L’analyse du MNT du Québec fait ressortir une distinction morphologique fondamentale entre le relief différencié des Laurentides, au sud, et le relief faiblement disséqué de la péninsule du Labrador, au centre et au nord (fig. 9A). Cette différence est spatialement bien corrélée avec les grandes unités géologiques qui constituent le Bouclier canadien dans cette partie du Québec : noyau archéen au niveau du Labrador et orogène protérozoïque de Grenville au niveau des Laurentides (fig. 9B).

Figure 9

A

M = Manicouagan

C = Charlevoix

L = Lac à l'Eau Claire

B

M = Manicouagan

C = Charlevoix

L = Lac à l'Eau Claire

C

Principales caractéristiques morphostructurales du Québec. (A) MNT à partir des données topographiques USGS GTOPO30 (projection UTM WGS 84), (B) grandes provinces géologiques, (C) coupes topographiques sériées à travers la bordure sud-est du Bouclier canadien.

Main morphostructural features of Québec. (A) DEM from USGS GTOPO30 topographical data (WGS 84 UTM projection), (B) main geological fields, (C) topographical cross-sections on the southeastern edge of the Canadian Shield.

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D’un point de vue topographique, on peut constater que l’altitude de la surface relativement plane du Labrador augmente régulièrement vers le sud-est, en direction des Laurentides, où le relief présente un degré de dissection plus fort, avec la présence de massifs résiduels de type inselberg (fig. 9C). Cette différentiation topographique est nécessairement intervenue après l’impact du Manicouagan, c’est-à-dire après la fin du Trias, compte tenu de la présence dans le fossé annulaire de cet astroblème de sédiments appartenant à la plate-forme carbonatée ordovicienne, dont l’épaisseur n’a probablement pas dépassé 100 à 200 m dans cette région des Laurentides (Rondot, 1989).

Par ailleurs, une importante phase d’érosion post-jurassique s’est déroulée au sud-est du Québec, dans la région de Montréal, où les montérégiennes, qui datent du début du Crétacé, ont été déchaussées de leur enveloppe sédimentaire paléozoïque (fig. 10). Des épaisseurs de tranche d’ablation comprises entre 1 500 et 3 000 m ont été évaluées à partir des reconstitutions paléotopographiques des diatrèmes en inversion de relief (Degeai, 2005) et des analyses géothermométriques des roches plutoniques (Clément et Pelletier, 1980).

Figure 10

Principales étapes de l’évolution géomorphologique de la bordure sud-orientale du Bouclier canadien.

Main steps of the geomorphic evolution on the southeastern edge of the Canadian Shield.

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En outre, les formations sédimentaires du Crétacé inférieur contenues dans les bassins de la marge passive située au sud-est du Canada sont constituées d’épaisses couches de sédiments détritiques de nature silicoclastique, qui contrastent avec la sédimentation de plate-forme carbonatée du Jurassique, et qui proviennent très vraisemblablement de l’érosion du socle précambrien de l’est du Bouclier canadien (McIver, 1972 ; Wade et MacLean, 1990). Ces épisodes morphosédimentaires sont contemporains de l’ouverture de l’Atlantique nord à partir du Crétacé inférieur, durant laquelle la faille du Saint-Laurent pourrait avoir rejoué (Lemieux et al., 2003 ; Tremblay et al., 2003).

Toutefois, le rôle de ce processus géodynamique comme cause possible d’un soulèvement et d’une phase d’érosion concomitante dans les Laurentides, située entre 500 et 1 000 km par rapport à la marge passive, reste à confirmer. On peut néanmoins noter que des soulèvements supérieurs à 1 000 m ont été enregistrés jusqu’à plus de 300 km de la marge des rifts relativement jeunes de la mer Rouge, de la Chaîne Transantarctique et du lac Baïkal (Van der Beek et al., 1994 ; Lesne et al., 2000).

Finalement, il apparaît que sur la bordure du bouclier, l’érosion post-impactique autour des astroblèmes de Manicouagan et de Charlevoix pourrait s’être produite essentiellement au cours de phases de soulèvement d’âge crétacé. Vers l’intérieur du bouclier, au contraire, la faible érosion autour du lac à l’Eau Claire depuis la fin du Pennsylvanien témoigne d’un soulèvement post-paléozoïque modéré, qui serait responsable de l’exhumation de la surface infra-ordovicienne dans ce secteur de la péninsule du Labrador (fig. 10). Ce n’est qu’après ces périodes d’aplanissement qu’est intervenu un basculement généralisé de la surface du Labrador vers le nord-ouest, vraisemblablement à l’origine de la dissection plus forte du relief des Laurentides.

Ces évolutions morphogéniques très différentes dans la partie orientale du Bouclier canadien conduisent à s’interroger sur le style de déformation tectonique qui a engendré la dénivellation relative entre les surfaces pré-impactiques des astroblèmes de Manicouagan et du lac à l’Eau Claire. Entre ces deux astroblèmes, il est possible que la structure majeure du front orogénique grenvillien, en contact avec le socle archéen, ait joué un rôle charnière entre la zone soulevée des Laurentides, d’une part, et celle presque peu soulevée de la péninsule du Labrador, d’autre part. Pour confirmer ou infirmer cette hypothèse, une analyse morphostructurale plus poussée de cette partie du Bouclier canadien sera nécessaire.

Concernant l’astroblème de Rochechouart, la tranche d’ablation post-impactique a très vraisemblablement été érodée concomitamment au remplissage sédimentaire mésozoïque et cénozoïque du bassin d’Aquitaine, situé au sud-ouest du Massif central (fig. 11). En effet, les sédiments post-paléozoïques de ce secteur contiennent régulièrement des matériaux détritiques qui proviennent de l’érosion des roches granito-métamorphiques de la bordure du socle hercynien (Degeai, 2005). D’autre part, la surface d’érosion plus ou moins karstifiée qui met en contact anormal les sédiments du Crétacé supérieur et du Jurassique supérieur semble témoigner d’une importante phase d’érosion au cours du Crétacé inférieur. La bordure occidentale de ce domaine de socle pourrait dans ce cas correspondre à une retombée flexurée fortement aplanie dès la fin du Mésozoïque.

Figure 11

Évolution géomorphologique de la structure d’impact de Rochechouart dans l’ouest du Massif central.

Geomorphic evolution of the impact structure of Rochechouart in the western Massif Central.

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Conclusion

La nouvelle méthode de calcul de l’érosion à long terme présentée dans ce travail s’appuie sur la reconstruction de la morphologie originelle des cratères d’impact complexes. L’érosion autour de la structure d’impact est estimée en retranchant l’altitude moyenne du relief actuel sur le pourtour de l’astroblème de l’altitude de la topographie pré-impactique reconstituée.

Cette méthode a été appliquée à quatre astroblèmes situés au Québec (Charlevoix, lac à l’Eau Claire oriental, Manicouagan) et dans l’ouest du Massif central français (Rochechouart). Dans le cas de l’astroblème fin-triasique de Rochechouart, une tranche de substrat d’une épaisseur moyenne de 710 ± 380 m aurait été érodée, postérieurement à l’impact, selon un taux moyen d’érosion estimé à 3,4 ± 1,9 m/Ma.

Au Québec, l’érosion post-impactique autour des astroblèmes de Charlevoix et de Manicouagan, situés dans la région des Laurentides, au nord de Montréal, aurait déblayé des tranches de substrat dont les épaisseurs sont respectivement évaluées à 1 300 ± 490 m et 1 710 ± 600 m. L’érosion semble par contre avoir été nettement plus faible dans la péninsule du Labrador, autour du lac à l’Eau Claire, où l’épaisseur de la tranche de substrat érodé postérieurement à l’impact est estimée à 240 ± 240 m. Ceci pourrait témoigner en faveur d’une relative stabilité tectonique de l’intérieur du Bouclier canadien par rapport à sa bordure sud-orientale (Laurentides), qui a pu subir les contrecoups de l’ouverture de l’Atlantique nord au cours des temps post-paléozoïques.

Les taux moyens d’érosion post-impactique autour des trois astroblèmes de Charlevoix, du lac à l’Eau Claire oriental et de Manicouagan ont été estimés à 3,7 ± 1,5, 0,9 ± 0,9 et 8,0 ± 2,8 m/Ma, respectivement depuis le Dévonien, le Pennsylvanien et le Trias. En l’absence d’autres repères paléotopographiques, les astroblèmes offrent par conséquent de remarquables possibilités pour évaluer les vitesses d’érosion à long terme dans les domaines de socle et pour quantifier les rythmes morphogéniques auxquels se sont élaborées les surfaces d’aplanissement.

De plus, les résultats acquis dans ce travail permettent de proposer des taux moyens d’érosion à long terme pour des régions de socle situées dans l’arrière-pays de marge passive, comme celles du Québec et de l’ouest de la France. L’érosion dans ces domaines est généralement moins bien connue par rapport aux bourrelets montagneux de marge passive, qui ont fait l’objet de nombreux travaux portant sur l’analyse des taux de dénudation syn- ou post-rifting.

Ces nouvelles données sont dorénavant à prendre en compte pour toutes futures tentatives de reconstitution paléogéographique à long terme dans les deux régions de socle considérées. Les taux d’érosion calculés ne reflètent toutefois que des valeurs moyennes depuis la formation des cratères d’impact. Cependant, en ajoutant les renseignements apportés par d’autres jalons chronologiques, tels des formations sédimentaires ou des reliefs volcaniques datés, aux informations fournies par les topographies pré-impactiques, il devrait être alors possible d’analyser plus précisément les grandes étapes de l’évolution géomorphologique à long terme d’une région donnée.