Corps de l’article

Introduction

De nombreuses recherches géomorphologiques visent à obtenir des informations qualitatives et quantitatives sur les processus et les rythmes tectoniques directement à partir de l’analyse des formes du relief (Ahnert, 1970 ; Ohmori, 1993 ; Granger et al., 1996 ; Hurtrez et Lucazeau, 1999 ; Kirby et Whipple, 2001 ; Finlayson et al., 2002 ; Montgomery et Brandon, 2002 ; Kirby et al., 2003). En particulier, l’étude des profils longitudinaux des cours d’eau fournit une voie prometteuse pour l’exploration des relations entre l’incision fluviatile et la tectonique (Seeber et Gornitz, 1983 ; Snow et Slingerland, 1987 ; Ohmori, 1991 ; Howard et al., 1994 ; Hovius, 2000). Si Bull (1990), Merritts et al. (1994) et Bonnet et al. (1998) pensent que les deux phénomènes sont simultanés et que la mesure de la profondeur des vallées permet d’évaluer l’ampleur du soulèvement continental, d’autres chercheurs, comme Pazzaglia et al. (1998) et Weissel et Seidl (1998), estiment qu’un temps de réponse important existe entre le soulèvement et le creusement. Étant contrôlée par les conditions climatiques, l’incision est toujours un phénomène discontinu dans le temps, qui ne se produit que lors de périodes favorables : par exemple, durant le Pléistocène, seulement au début et à la fin des phases froides (Larue, 2003). Dans les régions tectoniquement actives comme les montagnes jeunes, l’incision fluviale répond vite et bien aux déformations tectoniques (Lavé et Avouac, 2000 ; Kirby et Whipple, 2001) ; par contre, dans les régions hercyniennes, qui ont enregistré des mouvements tectoniques nombreux mais souvent lents, les rapports entre l’incision et la tectonique sont plus complexes et difficiles à démontrer, c’est pourquoi ils nécessitent de nouvelles recherches (Lagarde et al., 2000 ; Larue, 2004a, 2004b).

Sur la bordure sud du Massif central, la Montagne Noire est un terrain favorable à l’étude des relations entre l’incision et la tectonique. En effet, ce chaînon étroit présente une allure montagnarde du fait des fortes dénivellations provoquées par la vigueur des escarpements bordiers d’origine tectonique et par le fort et inégal encaissement des cours d’eau. De Martonne (1942) décrit et explique cette dissection ainsi : « Pas une vallée de quelque importance où l’on ne se heurte pas à une rupture de pente coïncidant avec un encaissement et des rapides, et si la dureté plus grande des roches ne peut en rendre compte, on doit supposer qu’elle marque le point extrême atteint par une reprise récente de l’érosion ». Par ailleurs, la topographie sommitale, faite de formes lourdes (croupes convexes et alvéoles) modelées dans des altérites souvent épaisses, témoigne de la conservation d’aplanissements dont la chronologie reste cependant mal établie (Alabouvette et al., 2003). En analysant 16 rivières entre l’Aude et l’Orb, Larue (2008) a montré que les ruptures de pente non expliquées par la lithologie témoignaient du soulèvement des Avant-Monts et du chaînon de Saint-Chinian. Une étude élargie à l’ensemble de la Montagne Noire semblait alors utile pour déceler des différences spatiales dans le soulèvement et l’incision des cours d’eau.

En s’appuyant sur l’étude des réseaux hydrographiques et des profils longitudinaux des cours d’eau, cet article a pour objectif de retracer les étapes du soulèvement de la Montagne Noire et de souligner les différences d’évolution d’est en ouest.

Cadre de l’étude

Comme l’a remarqué de Martonne (1942), la Montagne Noire, au sens géographique du terme, est « un bloc presque complètement isolé » qui n’est relié au reste du Massif central que par l’étroit interfluve du col de la Fenille, séparant les vallées supérieures du Thoré et du Jaur (fig. 1). Seul le versant nord-ouest est drainé vers l’Atlantique, par les réseaux du Thoré et du Sor ; le reste appartient au bassin méditerranéen. La ligne de crête apparaît sinueuse : les bassins versants du Sor, de l’Arnette et du Thoré dessinent des avancées vers le sud, alors que l’Alzeau, le Clamoux et la Cesse donnent des indentations vers le nord. C’est à l’ouest que les altitudes sont les plus élevées : situé au sud-est de Mazamet, le Pic de Nore culmine à 1 211 m. Vers l’est, les altitudes décroissent : 822 m dans les Monts de Pardailhan, 698 m dans ceux de Faugères et 480 m au Pic Vissou dans les Monts de Cabrières, et deux cours d’eau, l’Orb et la Peyne, traversent le chaînon.

Figure 1

Carte de localisation et topographie régionale de la Montagne Noire.

Location map and topography of the Black Mountain region.

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Appartenant à la partie externe méridionale de la chaîne hercynienne, la Montagne Noire comprend trois ensembles structuraux orientés ENE-OSO (Demange, 1998) (fig. 2). La zone axiale, formée de gneiss feldspathiques oeillés et de micaschistes, est intrudée par des granites anatectiques alumineux et de nombreux filons de pegmatite associés (Roger et al., 2004). Les versants sud et nord sont constitués de sédiments paléozoïques (carbonates d’âge Cambrien inférieur, puis de sédiments clastiques d’âge Cambrien moyen et Ordovicien inférieur), ployés en nappes à vergence sud pour le premier et ayant une structure en écailles pour le second (Soula et al., 2001). Délimité au nord par la faille de Mazamet-Tantajo, faille inverse tertiaire qui reprend un décrochement tardi-hercynien dextre d’une vingtaine de kilomètres (Demange et Jamet, 1986 ; Alabouvette et al., 1993), le bloc étudié recoupe ces trois unités : le versant nord n’est représenté que par le petit secteur du Sorézois, la zone axiale donne les points culminants au sud de Mazamet et le versant sud comprend les nappes de Pardailhan, de Faugères et de Cabrières. Le volcanisme de l’Escandorgue a touché la partie est du chaînon : des coulées basaltiques datées entre 1,5 et 1,4 Ma sont conservées dans la haute vallée de la Peyne et sur le piémont languedocien.

Figure 2

Cadre morphostructural, ruptures de pente et dépôts corrélatifs de l’érosion.

Morphostructural map, knickzones and detrital deposits.

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Sur le versant sud du chaînon, la limite supérieure de la couverture sédimentaire conservée se tient entre 200 m à l’est et un peu plus de 300 m entre la Dure et l’Orbiel et dans le bassin de la Cesse. Les premiers dépôts tertiaires se sont effectués sur une topographie inégale qui a tronqué d’épais profils d’altération dont il ne reste que les horizons inférieurs (Berger et al., 1993). Dans la partie ouest, on trouve successivement du bas vers le haut, des dépôts fluviatiles (conglomérats, sables et limons), des sédiments marins (calcaires blancs et calcaires à alvéolines ilerdiens), des sédiments lacustres (calcaire de Ventenac) puis à nouveau des dépôts continentaux mis en place par des cours d’eau à chenaux tressés (les molasses de Carcassonne et de Castelnaudary) qui dépassent localement 400 m d’épaisseur du fait de la forte subsidence du détroit séparant les Pyrénées et le Massif central. Les directions des courants montrent la prédominance des apports pyrénéens (sens sud-nord), la poursuite de l’érosion du Massif central (sens nord-sud). Les déformations de la phase pyrénéenne (du Crétacé supérieur à l’Oligocène) sont responsables, selon Klein (1990) et Giusti (1990, 2002), de l’étagement des surfaces S1, conservée vers 1 000 m d’altitude (haute surface éotertiaire qui a évolué en régime acyclique jusqu’au Crétacé supérieur), et S2 (basse surface mésotertiaire développée vers 900 m d’altitude, pendant l’accumulation des molasses). Le rifting oligo-aquitanien engendre des impacts morphologiques qui s’atténuent d’est en ouest. À l’est de la Cesse, la tectonique cassante produit d’importantes dénivellations de blocs, dont la formation grossière d’Autignac peut témoigner, et explique l’emboîtement de la surface miocène, en contrebas de la surface S2. L’étagement des pédiments, décrits par Ambert (1991, 1994) sur le piémont languedocien (fig. 3), peut s’expliquer par le soulèvement des Avant-Monts alors que sévissaient des climats semi-arides favorables à l’érosion latérale. En revanche, à l’ouest, les déformations plus réduites ont permis la substitution de la surface miocène à la précédente (S2) en régime acyclique.

Figure 3

L’étagement des surfaces d’aplanissement dans la partie est des Avant-Monts, d’après Ambert (1994), Giusti (2002) et Larue (2004a).

The stepped surfaces in the eastern part of the Avant-Monts, according to Ambert (1994), Giusti (2002) and Larue (2004a).

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Si tous les chercheurs s’accordent pour admettre que l’acquisition des principaux volumes du relief est attribuable à la tectonique, les divergences sont nombreuses pour préciser l’ampleur, le rythme et les périodes de soulèvement. Trois scénarios peuvent être dégagés : le premier, défendu par Ambert et Ambert (1995), Camus (2001) et Séranne et al. (2002), propose un soulèvement principal ancien, au Miocène supérieur ; le second suggère une surrection plus récente, datant du Plio-Pléistocène (Demangeon, 1959 ; Derruau, 1992 ; Merle et Michon, 2001 ; Michon et Merle, 2001) ; le troisième, énoncé par Giusti (2002), conclut à une accélération progressive du soulèvement depuis le Miocène qui serait attestée par l’évolution de la sédimentation sur la plateforme continentale du Golfe du Lion (Guennoc et al., 2000).

L’analyse des dépôts corrélatifs du soulèvement permet de retracer l’évolution suivante. Des reliefs continentaux soumis à l’érosion mécanique apparaissent dès le Burdigalien supérieur. En effet, sur la plateforme continentale du Golfe du Lion, la sédimentation devient plus grossière à partir de cette période : des dépôts deltaïques Burdigalien supérieur à Tortonien supérieur recouvrent les carbonates de plateforme Aquitanien supérieur à Burdigalien moyen (Gorini et al., 1993 ; Guennoc et al., 2000). Pendant une grande partie du Miocène, la Mer de la Molasse ne reçoit d’apports grossiers mais que littoraux et les dépôts fins du piémont témoignent d’une morphogenèse assoupie (Ambert, 1994). Lors de la régression messinienne (5,7-5,3 Ma), une forte érosion régressive a affecté les vallées inférieures. Ainsi, la roche en place de la paléovallée de l’Orb, qui se tient à +40 m à Cessenon et à –297 m à Portiragnes (Ambert et al., 1998), dessine une pente forte et régulière de 1,2 %. Lors de la crise messinienne, le niveau de la Méditerranée s’est abaissé de 1 500 à 2 000 m (Hsu et al., 1973 ; Clauzon, 1996 ; Beaudoin et al., 1997 ; Gargani, 2004). Il n’existe pas, avant le Pliocène supérieur, d’autre relief que la retombée du socle vers le bas-pays ; le chaînon de Saint-Chinian ne constitue pas encore un obstacle aux apports septentrionaux, car la staurotide de la Montagne Noire arrive sur le piémont, comme par exemple à Puisserguier (Larue, 2008). La transgression pliocène qui a suivi la crise messinienne a permis le remblaiement des rías par des « Gilbert deltas » formés de deux prismes sédimentaires superposés qui se tournent le dos : d’abord des argiles et des sables fins marins, puis des sables et graviers continentaux (Clauzon, 1996). À partir du Pliocène supérieur, le creusement des cours d’eau est contrôlé par la tectonique, mais il ne se réalise que lors de périodes climatiques favorables.

La bordure sud du Massif central est favorable à l’incision fluviatile puisque c’est l’une des régions les plus arrosées de France : les précipitations actuelles dépassent 1 500 mm dans les zones sommitales qui cumulent les pluies méditerranéennes et océaniques.

Méthodes

La forme des bassins versants peut renseigner sur les conditions topographiques qui existaient lors de la mise en place du réseau hydrographique avant qu’il ne soit figé par l’encaissement résultant de la tectonique (Castelltort et Simpson, 2006). En effet, les cours d’eau disposés perpendiculairement à l’axe d’un chaînon montagneux présentent en général un espacement régulier tel que, selon Hovius (1996), le rapport de forme R entre la largeur de la chaîne (du front à la crête principale) et l’espacement des drains (mesuré au front de la chaîne) est toujours proche d’une valeur médiane d’environ 2,1. Cette constante géométrique serait due à la coalescence d’amont en aval des rivières sur des surfaces non encore incisées à l’extérieur de la chaîne, et la forme dendritique des réseaux ainsi acquise serait ensuite figée lors de l’incision accompagnant l’élargissement de la chaîne (Castelltort et Simpson, 2006). Quand le rapport de forme R s’écarte beaucoup de 2,1, on peut alors envisager que la coalescence des rivières s’est réalisée sur une topographie accidentée par des mouvements tectoniques différentiels. Pour calculer ce rapport de forme R sur le versant sud, nous avons mesuré l’espacement des drains sur le contact socle couverture sédimentaire et la largeur de la chaîne de ce contact à la ligne de partage des eaux entre Méditerranée et Atlantique ou à la ligne de crête pour les Avant-Monts.

Les profils longitudinaux des cours d’eau actuels ont été construits à partir des cartes topographiques de l’Institut Géographique National (IGN) au 1/25 000, en utilisant les points cotés et l’altitude de chaque isohypse recoupant le talweg. L’équidistance des courbes de 5 m ou 10 m permet d’obtenir des profils suffisamment précis pour déceler les variations de pente et les principales ruptures de pente. Les relations entre la pente moyenne et la longueur des drains révèlent des anomalies qu’il faut tenter d’expliquer. Pour une même pente, la forme du profil peut varier : pour évaluer et comparer les concavités, nous avons utilisé l’indice de concavité de Langbein (1964) : IC = 2A/H, où A représente la différence d’altitude entre le profil à mi-parcours et une ligne droite joignant les deux extrémités du profil, et H, la dénivellation entre la source et l’exutoire du drain. Le profil tend à être rectiligne quand la valeur de IC est proche de 0 ; à l’inverse, la concavité devient très forte quand la valeur approche de 1. Le graphique adimensionnel H/Ho (ratio des altitudes)-L/Lo (ratio des longueurs) permet de superposer et ainsi de comparer les profils de drains de longueur différente (Demoulin, 1998) ; H est l’altitude du cours d’eau au point mesuré, Ho est la dénivellation entre la source et l’exutoire, L est la distance à l’exutoire du point mesuré et Lo est la longueur du cours d’eau. Les ruptures de pente, qui correspondent aux secteurs à pente anormalement forte, c’est-à-dire là où la pente augmente en créant une convexité locale dans la concavité générale du profil longitudinal, ont été systématiquement repérées en notant la dénivelée, la pente, la distance des sources, la lithologie, la présence de failles, de confluences et de méandres. Les corrélations entre ces éléments ont ensuite été établies. Le calcul de l’indice longueur-pente de Hack (1973) repris par Keller et Pinter (1996) : SL = (ΔH / ΔL)*L, où ΔH / ΔL est la pente du segment considéré et L la longueur du chenal en amont du point à partir duquel l’indice est calculé, permet de souligner les moindres ruptures de pente et les très fortes ou très faibles valeurs peuvent témoigner de déformations tectoniques si elles ne sont pas corrélables avec des facteurs lithologiques. La forte amplitude des valeurs permet de caractériser tous les changements de pente le long des profils longitudinaux ; néanmoins, il faut savoir que pour des secteurs de pente identique, les valeurs augmentent avec la distance des sources. Pour évaluer le rôle de la tectonique, nous avons appliqué la méthode de Goldrick et Bishop (1995). En coordonnées semi-logarithmiques, les profils d’équilibre donnent des droites (Hack, 1973) et les déviations vers l’aval (D en m), par rapport à ces droites (fig. 4), sont provoquées par des différences lithologiques (la pente est plus forte dans les roches dures) ou des déséquilibres engendrés par des changements de niveau de base. Selon Goldrick et Bishop, une variation du niveau de base entraînant un recul des ruptures de pente est certain lorsque D est identique pour le cours principal et pour les affluents. Cependant, pour les cours d’eau traversant plusieurs unités lithologiques, D mesure aussi les dénivellations d’origine lithologique, ce qui explique les fortes valeurs obtenues pour les plus longs cours d’eau. Par ailleurs, le tracé de la droite permettant la mesure de D peut manquer de précision lorsque peu de points sont alignés à l’amont. Goldrick et Bishop (2007) montrent que l’établissement du graphique DS (distance-pente) en coordonnées logarithmique permet de mieux séparer les ruptures de pente d’origine lithologique de celles dues à la tectonique : les premières donnent des segments de droites parallèles au profil alors que les secondes donnent des pics plus prononcés et désordonnés.

Figure 4

Profils en long des cours d’eau du versant sud de la Montagne Noire, en coordonnées semi-logarithmiques, et valeurs de D : dénivellation en mètres par rapport à la droite du profil d’équilibre.

Semi-logarithmic plot of longitudinal profiles of rivers on the Montagne Noire south slope and D values : deviation from the straight line of the equilibrium river longitudinal profile (in metres).

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Résultats

Espacement des drains et forme des profils longitudinaux

Les deux extrémités du chaînon présentent des drains bien parallèles et disposés perpendiculairement à la ligne de crête principale. En revanche, dans la partie centrale, les cours d’eau ont des tracés plus irréguliers, avec des angles de confluence plus forts et plusieurs bassins versants (l’Ognon, le Répudre, le Lirou et la Quarante) n’atteignent pas la ligne de crête principale. Le rapport de forme R des bassins versants varie entre 1,4 dans la partie ouest du chaînon et 2 dans la partie centrale ; pour l’ensemble du chaînon, il donne une valeur moyenne de 1,68, soit nettement inférieure à celle d’Hovius (1996).

Les profils longitudinaux des 27 cours d’eau analysés et localisés sur les figures 1 et 2 présentent des pentes et des formes très variables, accidentées de ruptures de pente plus ou moins prononcées (tabl. I).

Tableau I

Caractéristiques des profils longitudinaux

Caractéristiques des profils longitudinaux

1. Dénivellation en mètres par rapport à la droite du profil d’équilibre

2. À partir de l’amont

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La pente moyenne d’un drain décroît avec l’aire drainée (Hack, 1957) et donc avec la longueur du cours d’eau. La figure 5A indique que la pente et la longueur des cours d’eau sont corrélées selon la fonction de puissance y = 169,58 x–0,6412, mais le coefficient de détermination apparaît plutôt médiocre (r2 = 0,41) étant donné que plusieurs cours d’eau s’éloignent fortement de cette courbe de puissance. Le Vernazobre, le Rieuberlou, l’Héric, la Cessière, le Briant, le Clamoux, la Dure et l’Arnette ont des pentes anormalement fortes, alors que le Lirou, la Quarante, le Boze, le Libron, la Peyne, la Thongue, la Boyne et le Répudre présentent des pentes anormalement faibles. La courbe de régression y = 71,89 x–0,5808 de ce dernier ensemble, bien individualisé sur la figure 5A, présente un meilleur coefficient de détermination (r2 = 0,77). En regroupant les cours d’eau par bassin versant et par secteur, les coefficients de détermination s’améliorent : on obtient ainsi 0,87 pour le bassin de la Cesse (fig. 5B), 0,75 pour le bassin de l’Orb (fig. 5C), 0,82 pour les cours d’eau du versant sud-est de la Montagne Noire et 0,79 pour ceux du versant sud-ouest (fig. 5D), mais seulement 0,62 pour l’ensemble du versant sud (fig. 5E).

Figure 5

A

Relations longueur-pente

Relations longueur-pente

B

BV Cesse : relations longueur-pente

BV Cesse : relations longueur-pente

C

BV Orb : relations longueur-pente

BV Orb : relations longueur-pente

D

Versant SO : relations longueur-pente

Versant SO : relations longueur-pente

E

Versant S : relations longueur-pente

Versant S : relations longueur-pente

F

Relations pente-IC

Relations pente-IC

G

Première rupture de pente

Première rupture de pente

H

Première rupture de pente à pente anormalement forte

Première rupture de pente à pente anormalement forte

Relation entre la longueur et la pente pour les 27 cours d’eau choisis (A). Relation entre la longueur et la pente pour les cours d’eau du bassin de la Cesse (B), de l’Orb (C), du versant sud-ouest (D) et du versant sud (E) de la Montagne Noire. Relation entre la pente et l’indice de concavité pour les 27 cours d’eau choisis (F). Relation entre la distance des sources et la pente de la première rupture de pente (G) et de la première rupture de pente à pente anormalement forte (H).

Length-slope relationship for the 27 selected rivers (A). Length-slope relationship for the rivers of the Cesse basin (B), the Orb basin (C), the south-west slope (D) and the south range slope (E) of the Black Mountain. Slope-concavity index relationship for the 27 selected rivers (F). Slope-riverhead distance relationship for the first knickzone (G) and of the first knickzone with abnormally high slope (H).

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La figure 5F montre que l’indice de concavité (IC) ne dépend guère de la pente (r2 = 0,20), mais il permet de distinguer deux groupes au sein des cours d’eau de faible longueur et à pente anormalement forte : le premier, formé du Rieuberlou, de la Cessière, du Valette, du Briant, de l’Ognon et du Clamoux, présente de forts indices de concavité (>0,50) alors que le second, Alzeau, Arnette, Rieussec et Dure, en a de très faibles (<0,30).

Les graphiques adimensionnels H/Ho-L/Lo (fig. 6) permettent de comparer les différentes concavités et de montrer que la position du maximum de concavité (point d’écart maximum par rapport à la droite joignant la source et l’exutoire), qui correspond en général au maximum d’incision, varie fortement entre 10 et 97 % de la longueur normalisée en partant des sources. Elle est située à moins de 20 % pour les cours d’eau du bassin supérieur de la Cesse, pour l’Ognon, l’Héric et l’Arnette, et entre 20 et 45 % pour les autres cours d’eau, à l’exception de l’Alzeau où elle atteint 97 %.

Figure 6

Profils longitudinaux comparés H/Ho (ratio des altitudes)-L/Lo (ratio des longueurs).

Dimensionless curves H/Ho (ratio of altitude)-L/Lo (ratio of distance).

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Les valeurs de D varient fortement, entre 50 pour le Répudre et 780 pour l’Orb (tabl. I), et les corrélations avec la longueur, la pente, la longueur des ruptures de pente et l’indice SL ne sont pas très bonnes. Globalement, D augmente avec la longueur du cours d’eau (r2 = 0,50). Pour les cours d’eau de taille semblable du versant sud de la Montagne Noire, on enregistre une diminution des valeurs de l’ouest vers l’est (fig. 4) : plus de 500 à l’ouest (Alzeau, Clamoux, Cessière), moins de 250 à l’est (Libron, Boyne).

La comparaison des profils des interfluves, qui correspondent à la surface de démarrage de l’incision, et des cours d’eau actuels (fig. 7) permet de visualiser l’incision verticale de ces derniers. Les maxima d’incision, qui représentent la dénivellation maximum entre l’interfluve et le cours actuel, varient fortement d’ouest en est : 152 m pour l’Alzeau, 505 m pour le Clamoux, 200 m pour l’Ognon, 270 m pour la Cesse, 500 m pour l’Orb, 100 m pour le Libron et 212 m pour la Peyne (tabl. I). Ils se situent le plus souvent dans le socle, comme pour le Clamoux, mais aussi parfois dans la couverture sédimentaire tertiaire, comme pour l’Alzeau. Au contact du socle et de la couverture tertiaire, le plancher de l’incision se situe à 195 m pour l’Alzeau, 200 m pour la Clamoux, 230 m pour l’Ognon, mais seulement à 60 m pour l’Orb, 130 m pour le Libron et 90 m pour la Peyne. Presque tous les cours d’eau étudiés naissent près de la ligne de crête de la Montagne Noire et des Avant-Monts, cependant l’Ognon a ses sources situées plus de 5 km au sud de cette dernière.

Figure 7

A

B

C

L’encaissement de cours d’eau : le Clamoux et l’Arnette (A), l’Ognon (B) et l’Argent-Double (C).

River incision : Clamoux and Arnette (A), Ognon (B) and Argent-Double (C).

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Ruptures de pente

Les principales ruptures de pente observées sur les profils, évaluées par l’indice SL, ont été localisées sur la figure 2 et leurs caractéristiques consignées dans les tableaux I et II. Les 117 ruptures de pente occupent en moyenne 16,7 % de la longueur des cours d’eau. Les plus forts pourcentages sont enregistrés sur les rivières du versant sud-ouest (l’Alzeau atteint 45 %) et les plus faibles (moins de 10 %) sur les cours d’eau de la bordure nord, le Thoré et le Jaur et sur l’Orb qui traverse le chaînon. Par cours d’eau, le nombre de ruptures de pente varie entre 2, pour le Vernazobre, et 7, pour la Quarante. Du fait de l’augmentation de la puissance fluviale vers l’aval, la pente des ruptures de pente diminue lorsque la distance des sources augmente, selon la fonction de puissance y = 28839 x–0,7622, avec un coefficient de détermination r2 = 0,55 (fig. 8A), y compris pour les ruptures de pentes induites par l’arrivée d’un affluent. Les ruptures de pente qui s’éloignent le plus de cette courbe ne sont donc pas liées à la dynamique fluviale, mais dépendent plutôt de la lithologie, plus particulièrement de la tectonique ou des variations de niveau de base. La même corrélation établie avec les distances normalisées (en %) donne un plus faible coefficient de détermination (r2 = 0,33), ce qui indique que la taille du bassin drainé joue un rôle important (fig. 8B).

Tableau II

Caractéristiques des ruptures de pente à pente anormalement forte (résidus >5 m/km)

Caractéristiques des ruptures de pente à pente anormalement forte (résidus >5 m/km)
1

Estimation selon la courbe de régression : y = 28839 x–0,7622 (voir texte).

2

Indice de Keller et Pinter (1996) (voir texte).

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Figure 8

A

B

Relation entre la pente et la distance des sources pour les ruptures de pente en mètres (A) et distance normalisée en pourcentage (B).

Knickzone slope-distance from the headwaters in meters (A) and knickzone slope-normalized upstream distance (B).

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Les ruptures de pente présentent trois types de localisation : à l’aval, près des confluences, elles s’écartent peu de la courbe de régression et sont dues à la dynamique fluviale qui s’est adaptée à un abaissement du niveau de base représenté par le cours principal ; entre 30 et 40 % de la longueur, les points sont encore assez bien regroupés ; par contre, entre 10 et 20 % de la longueur, ils deviennent très dispersés (fig. 8B). Les pentes anormalement fortes, qui sont caractérisées par des résidus positifs supérieurs à 5 ‰ par rapport à la pente estimée selon la courbe de régression y = 28839 x–0,7622, concernent 39 ruptures de pente, soit 34 % du total (tabl. II). Leur localisation indique qu’elles se trouvent principalement dans la partie occidentale et centrale du chaînon (fig. 2 et fig. 9). Les indices SL donnent des valeurs très élevées, supérieures à 500 pour 22 ruptures de pente et l’indice 1 000 est dépassé pour la Cessière, l’Héric, le Vernazobre, l’Alzeau et la Dure. Sur les graphiques DS, ces ruptures de pente donnent des pics très prononcés qui les distinguent des ruptures de pente d’origine lithologique qui ont tendance à s’aligner parallèlement au profil (fig. 10).

Figure 9

Localisation des ruptures de pente à pente anormalement forte (résidus >5 ‰) et des zones de soulèvement pléistocène.

Location of knickzones with abnormally high gradient (residual >5 ‰) and of Pleistocene uplift areas.

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Figure 10

A

B

C

D

E

Graphique DS (distance-pente) en coordonnées logarithmiques montrant les profils longitudinaux, les pentes et l’indice SL du Clamoux (A), de l’Orbiel (B), de l’Ognon (C), de l’Arnette et du Thoré (D), de la Cessière et du Vernazobre (E).

Distance-slope plot, logarithmic longitudinal profiles, gradients and SL index of the Clamoux (A), the Orbiel (B), the Ognon (C), the Arnette and the Thoré (D), the Cessière and the Vernazobre (E).

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La première rupture de pente se situe à une distance des sources très variable selon les cours d’eau : 1 km environ pour l’Aymes ou le Rieussec, plus de 5 km pour l’Alzeau, la Dure ou l’Orbiel (fig. 5G). En échelle logarithmique, les profils longitudinaux, les pentes et les indices SL montrent bien la position et les caractéristiques de la première rupture de pente qui présente des pentes anormalement fortes (fig. 10). Ainsi, l’accélération de pente est brutale et régulière (un seul pic prononcé pour l’indice SL) sur la Cessière, le Vernazobre, le Clamoux, l’Ognon et le Thoré, alors qu’elle se fait par à-coups (plusieurs pics de hauteurs différentes) sur l’Orbiel et l’Arnette. L’altitude maximale de cette première rupture de pente anormale varie entre 220 m pour la Quarante et 900 m pour la Clamoux (tabl. I et fig. 9). Par ailleurs, seule la première rupture de pente anormalement forte, en partant des sources, a une localisation qui dépend étroitement de la pente et de la surface drainée à l’amont, comme l’atteste la bonne corrélation entre ces deux paramètres (fig. 5H).

Classification des cours d’eau

Utilisée pour partitionner des individus en classes homogènes, sur la base de leur description par un ensemble de variables quantitatives, la méthode des nuées dynamiques (ou méthode des centres mobiles) (Diday, 1971) permet d’obtenir une classification des cours d’eau en trois ensembles basée sur les sept paramètres suivants : pente moyenne, IC, position H max, D, encaissement max, nombre et longueur des ruptures de pente. Le premier ensemble comprend les cours d’eau à faible gradient, faible incision et faible D : Boyne, Boze, Libron, Lirou, Peyne, Quarante, Répudre, Rieussec, Thongue et Valette. Ces cours d’eau coulent essentiellement dans la couverture sédimentaire, excepté le Rieussec et le Valette qui ont leurs bassins entièrement sur le socle. Le deuxième ensemble regroupe les cours d’eau du versant sud-ouest qui ont des pentes fortes et sont fortement encaissés dans le socle (Alzeau, Arnette, Aymes, Briant, Cesse, Cessière, Clamoux, Dure, Ognon, Orbiel, Rieuberlou et Vernazobre). Le troisième ensemble, caractérisé par les plus forts encaissements, est plus hétérogène car il comprend à la fois les cours les plus longs — l’Orb qui traverse le chaînon, le Jaur et le Thoré, qui coulent sur sa bordure nord, et deux rivières moyennes qui ont de très fortes pentes et des IC très différents (0,70 pour l’Argent-Double et 0,10 pour l’Héric).

Interprétation

Profils longitudinaux

La concavité des profils dépend de la longueur et de la pente des cours d’eau (Leopold et Langbein, 1962 ; Wheeler, 1979), mais aussi de la lithologie et de l’évolution de l’amont vers l’aval du débit et de la taille de la charge de fond (Hack, 1957 ; Snow et Slingerland, 1987 ; Hoey et Ferguson, 1994 ; Sinha et Parker, 1996). Les cours d’eau étudiés ne montrent pas de relations certaines entre concavité et longueur, pente ou dénivelé. Toutefois, les cours d’eau les plus longs (l’Orb, la Cesse, le Jaur et le Thoré) présentent bien une forte concavité qui peut s’expliquer par une diminution de la taille des matériaux vers l’aval. Par contre, les différences de concavité enregistrées pour les cours d’eau plus petits ne peuvent être dues à ces facteurs, car ils présentent tous des charges caillouteuses et sableuses qui décroissent assez peu vers l’aval. De longueur semblable, la Dure et le Vernazobre ont des indices de concavité très différents (respectivement 0,05 et 0,72). La lithologie joue un rôle plus important : ainsi, les rivières qui coulent sur les roches résistantes de la zone axiale (granites et gneiss) présentent-elles des concavités nettement plus faibles que celles qui traversent les schistes et les grès du versant sud. Mais pour expliquer les différences de concavité entre les cours d’eau coulant dans des roches de résistance semblable, il convient d’envisager le rôle des variations de niveau de base et de la tectonique.

L’ampleur de l’incision dépend de la puissance du cours d’eau et donc de sa longueur, mais aussi de la lithologie du bassin versant et de la tectonique. Ainsi, l’incision est plus importante pour l’Orb (500 m) qui draine un bassin de 1 500 km2 que pour le Libron (100 m) qui a un bassin de 166 km2. Elle est aussi plus faible dans les gneiss et granites résistants de la zone axiale que dans les micaschistes plus tendres du versant sud. Par contre, sur le flanc sud de la Montagne Noire, les différences d’incision affectant des cours d’eau de taille et de lithologie semblables (les incisions sont plus fortes à l’ouest qu’à l’est) ne peuvent s’expliquer que par un soulèvement inégal d’est en ouest.

Ruptures de pente

Ces anomalies décelées sur les profils longitudinaux peuvent s’expliquer, soit par un contact lithologique, soit par une confluence qui augmente la puissance érosive du cours d’eau, ou par un soulèvement à l’amont d’une faille active, ou encore par un abaissement du niveau de base à l’aval qui favorise l’érosion régressive (Snow et Slingerland, 1990 ; Zaprowski et al., 2001 ; Bishop et al., 2005).

La lithologie explique les variations de pente des cours supérieurs et la localisation de certaines ruptures de pente (Kavage Adams et Spotila, 2005). Pour la Montagne Noire, les ruptures de pente d’origine lithologique (fig. 9) présentent toutes des résidus faibles (<5 ‰) par rapport à la pente estimée selon la courbe de régression y = 28839 x–0,7622. Par exemple, bien qu’ils naissent à des altitudes voisines et aient des débits semblables, le Briant et le Rieussec présentent des pentes très différentes dans leur cours supérieur : le premier s’encaisse dans les grès de Marcory et les quartzites de Ferrals qui sont beaucoup plus résistants que les flyschs de Cassagnoles (O1c) traversés par le second. Plus en aval, entre 420 m et 305 m, altitude de leur confluence, ces deux cours d’eau adoptent des profils identiques car ils coulent dans les mêmes terrains, soit sur les dolomies et les grès de Marcory. Ces derniers plus résistants que les dolomies engendrent deux ruptures de pente sur le Briant et une plus prononcée sur le Rieussec. Les contacts lithologiques, qu’ils soient dus à des failles ou non, sont propices à l’existence de ruptures de pente (fig. 2). Ainsi, la Cesse et le Lirou ont une rupture de pente lors du franchissement de la faille de Creissan qui met en contact les calcaires résistants du chaînon de Saint-Chinian et la molasse miocène du piémont. La Quarante présente des ruptures de pentes très prononcées lors de la traversée des crêtes appalachiennes du chaînon de Saint-Chinian. Pour l’Orb, les deux ruptures de pente situées en amont et en aval de Cessenon peuvent s’expliquer par la lithologie : les schistes ordoviciens de la bordure sud des Avant-Monts sont armés de bancs de quartzite et le seuil de Réals correspond à des bancs de grès intercalés dans la formation cuisienne d’Assignan. En revanche, l’accélération de pente développée dans les micaschistes en amont de la confluence avec le Jaur n’est pas due à la présence de roches plus résistantes. Les secteurs convexes de la Cessière et du Vernazobre ne correspondent pas à des contacts lithologiques et la plupart des ruptures de pente à pente anormalement forte ne peuvent être expliquées par la seule lithologie.

Les premières ruptures de pente qui se développent en partant des sources sont situées à des distances très variables selon les cours d’eau. Comme la surface drainée et la distance des sources sont relativement bien corrélées (r2 = 0,90), la distance des sources, plus facilement mesurable, peut se substituer à la surface drainée. L’analyse des relations entre la pente et la distance des sources (fig. 8A) et la valeur de l’indice SL permet de séparer ces ruptures de pente en deux groupes : le premier rassemble celles qui ont un indice SL faible, des pentes inférieures ou égales à la courbe puissance y = 28839 x–0,7622 et une localisation indépendante de la pente et de la surface amont drainée, le second comprend celles qui ont une pente anormalement forte, un indice SL élevé et une localisation déterminée par la relation pente-surface amont drainée. Le premier groupe correspond aux ruptures de pente d’origine lithologique. Dix-neuf cours d’eau ont une rupture de pente du second groupe qui correspond soit à la première localisation en partant des sources (Dure, Orbiel, Clamoux, Ognon, Briant, Cessière, Thoré, Jaur, Rieuberlou et Vernazobre), soit à la seconde (Arnette, Alzeau, Argent-Double, Orb, Quarante, Rieussec et Héric) ou encore à la troisième (Cesse et Aymes). Seuls le Valette, le Lirou, le Répudre et les cours d’eau situés à l’est de Orb sont dépourvus de ruptures de pente à pente anormalement élevée.

La première rupture de pente à pente anormalement forte, en partant des sources, peut correspondre à la remontée maximale de l’incision régressive stimulée par le soulèvement de la Montagne Noire. Schumm et al. (2000) montrent que l’abaissement du niveau de base engendre une érosion régressive, souvent marquée par une rupture de pente, si l’ajustement morphologique du lit est rendu difficile par le fort encaissement de la vallée. Cette situation existe pour les petits cours d’eau étudiés qui ont des vallées étroites et encaissées dans le socle et qui coulent sur des alluvions grossières très peu épaisses. Les remontées de l’incision régressive sont marquées par les plus fortes ruptures de pente repérées par les indices SL très élevés et par les pentes anormalement fortes. Les valeurs élevées de D et les fortes altitudes atteintes par la première rupture de pente anormale sont des arguments supplémentaires en faveur d’un important soulèvement de la partie centrale et occidentale de la Montagne Noire. Le point atteint par l’incision régressive est déterminé par la puissance fluviale qui est étroitement liée à la surface drainée (représentée ici par la distance des sources) et à la pente du lit amont. Ainsi, plus la pente est forte et plus ce point est rapproché des sources. Par exemple, le Jaur et le Thoré naissent à des altitudes semblables de part et d’autre de la ligne de partage des eaux entre l’Atlantique et la Méditerranée, mais leurs profils présentent des différences car la pente plus forte du Jaur a permis une remontée plus importante de l’incision régressive : la première rupture de pente anormale est située à 800 m d’altitude et à 1,3 km de la source sur le Jaur et à 600 m et 2,2 km sur le Thoré. En outre, le recul de la vague d’incision approche davantage des sources quand les roches sont peu résistantes : c’est le cas de l’Ognon qui a facilement déblayé les flyschs de Cassagnoles et présente un profil à forte concavité avec un maximum de creusement à 10 % de la longueur normalisée. Au contraire, dans les roches résistantes, comme les granites ou les gneiss oeillés de la zone axiale, le recul a été fortement ralenti et atténué : les premières ruptures de pente de l’Arnette et de la Dure sont à plus de 6 km des sources de ces cours d’eau à faible concavité. La forme de la rupture de pente dépend aussi de la lithologie : les roches résistantes donnent des pentes irrégulières, bien représentées par plusieurs pics pour les indices SL de l’Arnette et de l’Orbiel (fig. 10), alors que les schistes et les flyschs sont érodés plus régulièrement (un seul pic SL pour l’Ognon par exemple). En revanche, la localisation des autres ruptures de pente à pente anormalement forte n’est pas déterminée par ces seuls facteurs ; elle dépend beaucoup plus de la lithologie.

Au contraire des ruptures de pente d’origine lithologique qui sont relativement stables au cours du temps, celles provoquées par la tectonique ou l’abaissement du niveau de base reculent progressivement vers l’amont, tout en conservant une dénivelée semblable. Ainsi, les ruptures de pente semblables pour l’Orb et le Jaur en amont de leur confluence sont liées à l’érosion régressive initiée par le soulèvement des Avant-Monts au Pliocène supérieur. Le recul de la rupture de pente formée sur le flanc sud des Avant-Monts aurait ainsi dépassé une quinzaine de kilomètres depuis cette époque. Il apparaît un peu plus rapide sur l’Orb que sur le Jaur (la rupture de pente étant située respectivement à 3,7 et 3,5 km) probablement parce que le bassin versant amont de l’Orb est plus étendu que celui du Jaur. Bishop et al. (2005) ont montré que le recul dépendait du débit et donc de la taille des bassins amont.

Espacement des drains et réorganisations hydrographiques

Le rapport de forme R très inférieur à la valeur médiane d’Hovius suggère que des déformations tectoniques ont accidenté la topographie du piémont lors de la mise en place du réseau hydrographique précédant le soulèvement principal du chaînon. La plupart des réorganisations hydrographiques observées dans sa partie centrale sont liées à des mouvements tectoniques. La localisation des sources de l’Ognon s’explique par la capture du réseau amont par la Cesse. En effet, la bifurcation de la Cesse amont vers l’est a été facilitée par la lithologie : l’interfluve qui sépare les deux bassins versants actuels est modelé dans des flyschs ordoviciens qui comportent des niveaux quartzitiques résistants, mais dépend aussi de la réactivation plio-quaternaire de la faille décrochante de Ferrals-Camplong et surtout de la flexure-faille Laval-Azillanet qui, en redressant les strates éocènes, a pu bloquer l’écoulement subméridien. Comme l’altitude de l’interfluve séparant les deux bassins ne descend pas en dessous de 130 m d’altitude relative par rapport aux cours actuels, cette capture n’a pu se produire qu’au début de l’encaissement des cours d’eau, au Pléistocène inférieur. En outre, la composition en minéraux lourds des dépôts de Pépieux, notés Fx sur la carte géologique (Berger et al., 1990), démontre l’absence de liaison entre la haute Cesse et l’Ognon au moment de la mise en place de la nappe alluviale Fx appartenant à la moyenne terrasse. En effet, le disthène et la hornblende présents dans les alluvions de la haute Cesse ne se retrouvent pas dans les alluvions de l’Ognon, alors qu’ils apparaissent dans celles de la Cesse moyenne (Larue, 2008).

Le tracé du cours supérieur de l’Arnette est adapté à la surface miocène qui s’est substituée par regradation en régime acyclique à la surface mésotertiaire S2 et qui recoupe le socle et la couverture sédimentaire éocène. Sa bifurcation vers le nord n’est probablement pas due à une capture pléistocène par un affluent du Thoré car la rupture de pente anormale qui marque le recul extrême de l’incision régressive n’a pas encore atteint le niveau de cette surface miocène. La déformation de cette surface peut rendre compte des limites des bassins versants supérieurs de l’Arnette, du Clamoux et de l’Orbiel.

La capture de la Cesse par un affluent de l’Aude s’est produite au Pliocène ainsi que l’attestent les dépôts pliocènes renfermant des minéraux lourds caractéristiques du bassin de la Cesse et conservés sur le plateau de Ginestas, entre la Cesse et le Répudre actuels (Larue, 2008). Les témoins de l’ancien tracé ouest-est sont présents au sommet du plateau de Montouliers. Une autre défluviation a eu lieu postérieurement à l’accumulation des alluvions formant la haute terrasse à l’ouest de Ginestas (Ambert, 1994).

Différences spatiales

Les étapes de l’incision sont différentes entre l’est et l’ouest. À l’est, les coulées volcaniques conservées prouvent que le creusement principal était déjà réalisé avant leur épanchement. Les glacis d’érosion du Pliocène supérieur se raccordent à des gouttières bien marquées. Près de Pézènes, entre Taussac et Mas Rolland, les paléotopographies pré-volcaniques forment un large col encaissé d’une centaine de mètres en contrebas des principaux sommets des Monts de Cabrières, ce col se raccorde à l’aplanissement pliocène qui nivelle les flyschs et les nappes calcaires et schisteuses dévoniennes (Ambert, 1994). Dans la haute vallée de la Peyne, les coulées des Vignas et de Cabrerolles dominent de 80 m le lit actuel du cours d’eau. Ainsi, le creusement antérieur à 1,5 Ma atteignait une centaine de mètres et l’incision postérieure n’a creusé que de 80 m, soit à un rythme moyen très modéré de 0,05 mm/an. L’essentiel du soulèvement s’est effectué avant la mise en place des coulées, et l’érosion corrélative du soulèvement est à l’origine de l’accumulation de vastes épandages caillouteux sur le piémont languedocien, au débouché de vallées déjà bien encaissées dans les Avant-Monts. Excepté pour l’Orb supérieur, les ruptures de pente ne présentent pas de pentes anormalement fortes et ont donc une origine essentiellement lithologique (fig. 9).

À l’ouest, en revanche, le creusement apparaît plus tardif, car on ne trouve pas d’accumulation du Pliocène supérieur sur le piémont et l’érosion régressive n’a pas encore atteint les hautes vallées qui ont conservé des formes héritées du Tertiaire. Les aplanissements S1 et S2 de Klein et Giusti (1990) et la surface miocène sont relativement préservés à l’amont des premières ruptures de pente à pente anormalement forte. La surface de démarrage de l’incision verticale correspond à la regradation au Miocène et au Pliocène de la surface S2 qui biseaute le sommet des cuestas. L’érosion différentielle, nécessaire au façonnement de ces cuestas dans les sédiments éocènes bien différenciés, a été stimulée par le soulèvement du chaînon au Pliocène supérieur. Au Pléistocène, la forte dissection et l’accentuation du relief sont dues au fait que l’érosion verticale l’emporte largement sur l’ablation des interfluves qui ne subissent qu’une altération chimique modérée. Bien que le début de cette incision verticale ne soit pas daté précisément, les 500 à 600 m d’encaissement des cours d’eau du versant sud de la Montagne Noire suggèrent des vitesses de creusement nettement plus rapides que dans la partie est du chaînon. Selon que l’on fasse débuter l’incision vers 2 Ma (début du Pléistocène) ou vers 1 Ma, date admise par la plupart des auteurs en Europe occidentale (Antoine et al., 1998), la vitesse moyenne du creusement atteint respectivement 0,25 mm/an et 0,5 mm/an, soit 5 à 10 fois plus vite que dans l’est du chaînon. Les ruptures de pente à pente anormalement forte qui existent sur tous les cours supérieurs ont une origine tectonique ; elles résultent de la vague d’érosion régressive qui a été générée par le soulèvement récent de la Montagne Noire (fig. 9).

Conclusion

La géométrie des réseaux hydrographiques, la pente, la forme des profils longitudinaux et les ruptures de pente sont des indicateurs géomorphologiques précieux pour déceler les déformations tectoniques différentielles de faible ampleur, mais, comme l’a montré Demoulin (1998), il est nécessaire d’utiliser plusieurs paramètres et de tenir compte du cadre morphostructural. En partant des sources, la première rupture de pente à pente anormalement forte a une localisation qui dépend de la pente amont et de la surface drainée. Elle correspond à la remontée maximale de l’incision régressive stimulée par le soulèvement de la Montagne Noire. Les ruptures de pente à pente anormalement forte et sans origine lithologique témoignent d’un soulèvement récent de la partie centrale et occidentale de la Montagne Noire. Pour l’ensemble du chaînon, on constate que le soulèvement responsable du relief actuel n’a pas été constant, ni dans le temps, ni dans l’espace. Une charnière tectonique correspondant à la limite est du bassin de la Cesse sépare ainsi deux ensembles inégalement soulevés. À l’est, le soulèvement essentiellement pliocène a permis le développement de plusieurs niveaux de glacis d’érosion sur le piémont languedocien et le soulèvement pléistocène plus limité a provoqué une incision des cours d’eau d’environ 80 m. À l’ouest, le soulèvement principal pléistocène a déclenché une vague d’érosion régressive qui n’est pas encore parvenue à l’amont : le recul des ruptures de pente apparaît très lent dans les roches cristallines résistantes, plus rapide dans les micaschistes et les calcaires des nappes du versant sud. La vitesse de l’incision pléistocène apparaît ainsi 5 à 10 fois supérieure à l’ouest qu’à l’est, mais selon les cours d’eau, la valeur de l’encaissement peut varier considérablement de l’amont à l’aval ; aussi ne peut-elle pas donner la valeur précise du soulèvement en utilisant la méthode de Bonnet et al. (1998).