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Autour de la médicalisation est né des échanges scientifiques entre chercheurs réunis à l’Université de Sherbrooke, en 2008, dans le cadre du colloque « La relation patient-soignant à travers les âges ». Dédié à l’historien Jean-Marie Fecteau (1949-2012), cet ouvrage revêt une dimension particulièrement sensible puisqu’il transmet « toute l’humanité au coeur de la volonté de repousser les frontières de la mort et d’assurer les assises de la vie » (p. XVI). Nous prenons ici la pleine mesure de la gageure sur la vie et le passage inévitable vers l’interruption de la vie productive.

Ce collectif, réalisé sous la direction de Joceline Chabot, de Daniel Hickey et de Martin Pâquet, accueille le lecteur avec un texte d’introduction généreux d’un historique sur le rôle central joué par la médicalisation, l’évolution des soins et des relations entre les soignants et les soignés. Il s’agit là de points de repère essentiels qui permettent au lecteur de mieux apprécier les textes qui suivent et qui approfondissent justement ces différents volets. D’entrée de jeu, cela nous permet de souligner l’agréable fusion de l’univers tant des soignants que des soignés au Québec, au Canada et en France entre le XVe et le XXe siècle. S’il s’agit ici d’une marque d’originalité, elle en est également une d’intérêt. L’approche de la longue durée sur le sujet de la médicalisation dans les sociétés occidentales permet de suivre un itinéraire fort captivant parcouru par différents acteurs autour de l’offre de soins.

L’ouvrage réunit douze textes – qui questionnent les modalités des multiples rencontres entre soignants et soignés – regroupés sous quatre thèmes : « Les voies judiciaires de la médicalisation », « Prendre soin, les infirmières et leurs patients », « Élaboration et propagation de nouvelles règles normatives » et « Réflexions sur la médicalisation ». Le défi de rompre avec l’historiographie traditionnelle plaçant le médecin au centre de la dynamique soignants-soignés est habilement relevé. En fait, ce livre rend compte de la diversité des acteurs au coeur de l’offre de soin dont la présence est souvent négligée dans le large champ de l’histoire de la médecine. Les 14 auteurs de ce collectif présentent des textes qui s’harmonisent bien tant au niveau de leur longueur, de la présentation des sources au coeur de leur enquête, que des pistes d’analyse réflexive qu’ils suggèrent. Un équilibre intéressant se dégage également de la lecture continue de tous les chapitres où mentors et nouveaux chercheurs se succèdent, et cela sans que les plus jeunes y soient désavantagés aux côtés des ténors de l’histoire de la santé, abondamment cités dans les notes de références de tous les textes.

En plus d’être une contribution significative à l’historiographie sur l’historiographie sur les soins de santé, cet ouvrage a un potentiel didactique qui séduira les historiens soucieux d’initier leurs étudiants à la méthodologie historique. Ce collectif s’appuie sur une variété impressionnante de sources mises judicieusement en valeurs par chacun des auteurs. Qu’il s’agisse des documents notariés ou des notes médicales du XVe siècle, des sources judiciaires du XVIIIe siècle, des journaux personnels des infirmières de la Première Guerre mondiale ou des fonds d’archives privés de la JOC-JOCF, leur potentiel démontré explicitement enrichit ce collectif et se traduit par une rigueur méthodologique à imiter. Sur ce point, le commentaire de Joceline Chabot sied bien à l’ensemble de l’ouvrage : « … il nous semble que cette diversité [de sources] représente une des forces de notre corpus puisque l’ensemble des documents est, sans conteste, d’une grande richesse pour appréhender la polyvalence des représentations de la santé » (p. 135).

Nous devons toutefois déplorer un certain relâchement dans le travail d’édition. Il est surprenant de constater qu’on a omis le nom de Martin Pâquet dans la liste des auteurs (p. XII) ; qu’une coquille dans le nom de Joceline Chabot a échappé aux réviseurs (p. 27) ; qu’à quelques reprises les bibliographies à la fin des chapitres présentent la référence d’un article sans sa date de publication (p. 72, p. 163, p. 213). Il y a aussi un manque d’uniformité à la fin des chapitres dans l’annonce de la conclusion : celle-ci est parfois annoncée par trois étoiles (***), parfois par un sous-titre (conclusion), ou alors par une simple mention dans le corps du texte. De plus, la lecture attentive des bibliographies nous a permis de remarquer que plusieurs études utilisées par les auteurs, sans être des incontournables sur le sujet étudié, ne sont étonnamment pas tirées de l’historiographie récente.

Manifestement, cette contribution à l’histoire de la santé s’ajoute à un champ encore largement dominé par l’histoire de la médecine et au sein duquel le rôle et la place du patient demeurent encore nettement négligés, en particulier au Québec et au Canada. Elle ravira chercheurs, professeurs et étudiants curieux sur le sujet de la santé, mais également tous les passionnés d’histoire qui se laisseront séduire par les aventures de soins de Catherine Fabri au XVe siècle, celles des villageois bourguignons à la fin du XVIIIe ainsi que celles d’Elsie Collis et Clare Gass au chevet des combattants tout comme celles d’Irène Bergeron-Dupont aux marges de l’écoumène. Ce manuscrit propose une touchante rencontre empreinte de sensibilités diverses.

En guise de conclusion, à l’instar de Jean-Marie Fecteau, nous estimons que « … le terreau historique que constituent les conceptions, les attentes, les stratégies, les parcours des patients est riche de découvertes présentes et à venir » (p. 225).