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Guy Laperrière s’est imposé dans le monde de la recherche universitaire en consacrant plusieurs de ses écrits à la vie religieuse au Québec. La pierre angulaire de son imposante production demeure sans contredit son histoire en trois tomes sur l’exil des congrégations religieuses françaises au Québec entre 1880 et 1914. Il nous offre aujourd’hui son dernier opus, une synthèse sur son sujet de prédilection, dans un style « simple et direct » (p. 8), afin de nous « présenter une vue d’ensemble » (p. 8).

L’ouvrage suit une trame chronologique. Il comprend quatre grandes parties et seize chapitres. La première partie porte sur l’époque de la Nouvelle-France, mais Guy Laperrière en élargit les limites puisqu’il lui ajoute les 80 premières années du Régime anglais. Aux yeux de l’auteur, la structure de la vie religieuse n’est pas fondamentalement modifiée par le nouveau régime politique. Les modalités de fonctionnement et de reproduction demeurent les mêmes, sauf pour les Jésuites et les Récollets qui se font interdire de recruter de nouveaux sujets. Malgré la canadianisation massive du personnel religieux, on demeure dans un esprit fondamentalement français d’Ancien régime.

La seconde partie couvre la période allant de 1840 à 1900. L’auteur consacre de nombreuses pages à la réalité montréalaise à travers le cas des Sulpiciens et de l’action de Mgr Bourget. Il démontre aussi qu’il s’agit d’une période d’essor pour les congrégations religieuses sur le plan démographique et apostolique. Il revient aussi sur différents débats et ne peut passer à côté d’un rappel de la contribution massive des communautés françaises exilées durant la période. La troisième partie (1900-1960) s’inscrit dans la même ligne, tout en offrant une image paradoxale : d’un côté, des organisations qui atteignent leur zénith sur le plan démographique, matériel et socioculturel ; de l’autre, l’apparition des signes de leur essoufflement, de leurs difficultés d’adaptation à la modernité et des premières contestations internes.

Dans la quatrième partie, « le déclin d’un système », Guy Laperrière explique les effets conjugués de la Révolution tranquille et du concile Vatican II sur les congrégations religieuses et leurs institutions. On parle ici d’une véritable période de crise. Pourtant, le renouvellement et l’adaptation des communautés religieuses se poursuivent dans un contexte marqué par leur déclin démographique à la suite des nombreux départs et du tarissement des vocations. La multiplication de nouveaux engagements sociaux et de prises de positions citoyennes inédites sont certainement parmi les aspects les plus surprenants de cette vie consacrée durant les années 1975-2000. L’espace ne nous permet pas de tout décrire, mais l’historien de Sherbrooke démontre bien la vitalité paradoxale d’une institution que tout le monde comptait déjà pour morte en retraçant l’apparition de nouveaux regroupements religieux.

Guy Laperrière décrit le phénomène des communautés nouvelles à travers le cas de la Famille Marie-Jeunesse et du groupe Myriam Beth’léem. Le succès de leur recrutement auprès des jeunes, peu connu en dehors des cercles catholiques, renouvelle le regard du lecteur sur le sujet. La présence de cette section dans le livre est donc l’occasion de donner l’heure juste sur l’état de la vie consacrée. Cette vie n’est toutefois pas sans taches. De nombreux problèmes sont recensés comme celui des abus sexuels par exemple. L’auteur traite ce point avec délicatesse, mais rappelle que « ce chapitre de l’histoire des communautés religieuses jette sur elles un discrédit dont on n’a pas fini de mesurer la portée » (p. 305). Enfin, il rappelle, en terminant, que l’avenir du patrimoine matériel et immatériel des communautés, dans le contexte des fermetures des couvents et de la disparition des membres des congrégations de traditions anciennes, doit interpeler tous les citoyens.

On l’imagine bien, une telle synthèse historique nécessite un savoir encyclopédique et, comme Guy Laperrière l’a lui-même admis, il ne pouvait pas avoir « le fin mot sur tout » (p. 8). On retrouve, ça et là, quelques affirmations péremptoires ou des erreurs historiques. À titre d’exemple, le refus des Soeurs des Saints Noms de Jésus et de Marie de Marseille de s’installer au Québec s’expliquerait, selon lui, « par la crainte de la concurrence des soeurs de la congrégation de Notre-Dame » (p. 82). Pour avoir travaillé longuement dans les archives de la congrégation homonyme québécoise, absolument rien ne permet de dire cela et rien ne laisse croire que ces religieuses provençales connaissaient les filles de Marguerite Bourgeoys. Par ailleurs, lorsqu’il aborde le texte conciliaire Perfectae caritatis et parle de son application dans « un texte du pape Paul VI proclamé dès 1966, Ecclesiae suae » (p. 261), il se trompe. L’appel à la mise en place des chapitres généraux d’aggiornamento s’est fait plutôt par le motu proprio Ecclesiae sanctae.

Sur le plan éditorial, l’auteur et la maison VLB ont fait le choix de ne pas insérer les références sous la forme de notes en bas de page. Il commente, tout au long de son texte, les principales publications sur le sujet. Ce qui agace un peu, c’est que les titres exacts ne sont pas toujours donnés. De plus, il ne les reprend pas tous à la fin. Guy Laperrière est un historiographe méticuleux et respecté. Lorsqu’il affirme avoir monté une bibliographie de 450 titres, il faut le croire ! Toutefois, de ne retrouver que les plus importants ou les plus rares (p. 319) gâche un peu notre plaisir dans un ouvrage qui se voulait la synthèse sur le sujet. À sa décharge, en voulant faire un livre « relativement bref » (p. 8), une quarantaine de pages supplémentaires en auraient très certainement changé le format et le prix.

Au-delà des commentaires formulés plus haut, l’ouvrage de Guy Laperrière est un incontournable. Historien humble et généreux, ce passionné d’enseignement n’a jamais manqué de souligner les bons coups de ses collègues tout en n’hésitant pas non plus à ferrailler avec eux lorsque le débat intellectuel l’exigeait. Il faut en définitive saluer sa contribution historiographique. Il annonce à qui veut bien l’entendre qu’il prend une retraite définitive. Souhaitons que sa belle plume le démange à nouveau et qu’il nous propose, dans les années à venir, d’autres réflexions stimulantes.