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Fruit de près de 30 ans de recherche et de réflexion sur James McPherson Le Moine, l’édition bilingue des Mémoires de ce personnage constitue la dernière contribution de Roger Le Moine (Université d’Ottawa) à l’histoire littéraire du Québec. On y trouve, en plus de la traduction du texte réalisée par Michel Gaulin (Université Carleton), une introduction mettant l’oeuvre en contexte, des notes détaillées éclairant certains passages, plus de 300 courtes notices biographiques sur les principaux personnages cités dans le texte, une chronologie étoffée des principaux éléments de la vie de James McPherson Le Moine et une bibliographie des principaux écrits du personnage et des études qui lui sont consacrées. Fait intéressant, l’ouvrage est doté d’un index nominatif et agrémenté de quelques photos, peintures et dessins.

La rédaction de ces Mémoires remonte à l’été 1900. James McPherson Le Moine (1825-1912), érudit, fonctionnaire et auteur de nombreuses publications sur l’histoire du Québec ainsi que sur la faune et la flore laurentienne, vient alors de perdre son épouse et d’être mis à la retraite en raison de problèmes de santé. Il dispose donc du temps nécessaire pour consigner souvenirs et anecdotes. Parfaitement bilingue, c’est en anglais qu’il choisit de s’exprimer puisqu’il destine ses Mémoires à ses petites-filles qui vivaient alors à Chicago et ne comprenaient pas le français.

Les cinq premiers chapitres (p. 24-145) suivent un plan chronologique. James McPherson Le Moine y présente son enfance, sa jeunesse, les débuts de sa carrière, son mariage et son installation dans le domaine de Spencer Grange, à Sillery (aujourd’hui Québec). Cette section est riche en détails sur la vie sociale de Saint-Thomas (aujourd’hui Montmagny) et sur le quotidien d’un fonctionnaire au milieu du XIXe siècle. On y trouve de multiples informations sur la jeunesse de James McPherson Le Moine chez son grand-père Daniel McPherson à l’île aux Grues et sur les liens de cette famille avec les habitants de Saint-Thomas (p. 43-47, p. 55-63, etc.).

Après des études au Petit Séminaire de Québec où il côtoie plusieurs protestants (p. 79), James McPherson Le Moine entame une carrière d’avocat et de fonctionnaire. En 1847, grâce à la protection de son frère Benjamin-Henri (alors député de la circonscription de Huntingdon), il obtient un poste de greffier surnuméraire à la Chambre d’Assemblée (p. 97). Puis, il succède à son père au poste d’inspecteur du Revenu (p. 97) et s’installe dans l’édifice du Parlement de la Côte-de-la-Montagne où il loge et prend ses repas pendant un an (p. 99). Parallèlement, il ouvre un cabinet d’avocats avec William Kerr (p. 115-119) qu’il délaisse au bout de quelques années pour se consacrer entièrement à ses fonctions d’inspecteur du Revenu (p. 125). Tout au long de ses Mémoires, Le Moine offre d’ailleurs plusieurs précisions sur le métier de fonctionnaire. On y apprend entre autres la manière dont certaines familles procèdent afin de s’assurer de la mainmise sur certains postes dans la fonction publique (p. 99), les revenus que procurent différentes charges (p. 121) et les pressions qui sont exercées sur les fonctionnaires afin qu’ils contribuent aux caisses électorales des différents partis en place pour obtenir une meilleure rémunération (p. 139).

Les chapitres subséquents (p. 146-303) suivent quant à eux un plan thématique. James McPherson Le Moine y évoque ses amitiés, sa carrière littéraire, « ses rapports avec des personnes distinguées » (p. 167), les activités de quelques associations dont il est membre et une série d’événements auxquels il a participé. Le récit en est plus décousu et comporte quelques répétitions. Selon Roger Le Moine, la maladie empêche alors James McPherson Le Moine de se consacrer avec la même énergie à l’écriture de ses Mémoires. Plusieurs passages des derniers chapitres ont d’ailleurs été transcrits par une autre personne et s’avèrent en fait être un assemblage de souvenirs épars issus du journal qu’il a tenu pendant un demi-siècle. Cette section n’en demeure pas moins fort intéressante puisqu’elle permet de mieux comprendre le réseau de sociabilité de Le Moine et, partant, celui d’une part des élites de Québec dans la seconde moitié du XIXe siècle. En effet, Spencer Grange – que Le Moine habite depuis 1860 – est un lieu de rendez-vous apprécié des notables de la ville. Entre 1864 et 1896, bon nombre de gens cultivés de la province, des États-Unis et de l’Angleterre s’y retrouvent pour le festival de la vigne que Le Moine y tient (p. 149-151). La proximité de la résidence de Le Moine avec celle des gouverneurs du Canada (ceux-ci résideront à Spencer Wood jusqu’en 1867) lui permet de nouer des liens avec les gouverneurs Edmund Walker Head et Charles Stanley Monck (p. 143-145). Même après leur départ, les gouverneurs continuent à apprécier la compagnie de Le Moine et son érudition. Plusieurs se tournent vers lui pour faire découvrir la ville à des personnalités de marque de passage à Québec. En 1878, lord Dufferin lui confie la charge du doyen Arthur Penrhyn Stanley, aumônier de la reine (p. 153), alors qu’en 1891 on le réquisitionne pour offrir une tournée de la ville à lord et lady Aberdeen (p. 175-177). Le Moine s’inscrit également dans des réseaux intellectuels transnationaux. Tantôt, il donne une conférence à New York (p. 265-267) et fréquente la British Association à York (p. 159), tantôt il agit comme délégué pour la ville de Québec à la Société d’ethnographie de France (p. 199). Ses Mémoires sont aussi riches d’informations sur les sociétés savantes canadiennes telles que le Cercle des X (p. 193-197) et la Société royale du Canada (p. 171-179).

Les Mémoires de James McPherson Le Moine s’avèrent un document fort intéressant pour comprendre les réseaux de sociabilité des élites à la fin du XIXe siècle. On déplore toutefois que Le Moine se fasse avare de détails sur les rapports entre anglophones et francophones au sein de sa famille et sur le milieu multiconfessionnel dans lequel il a grandi. Qui plus est, un arbre généalogique aurait permis au lecteur de se retrouver plus aisément dans le vaste réseau familial des Le Moine. Cependant, les notes abondantes et fort détaillées de Roger Le Moine ainsi que l’introduction de l’ouvrage constituent des apports significatifs à la compréhension du document. Roger Le Moine démontre une excellente connaissance des sources de l’époque, en particulier les Mémoires des contemporains de James McPherson Le Moine, la production littéraire de ce dernier et les journaux de l’époque dans lesquels il puise abondamment pour fournir plus de détails sur les événements et les personnages évoqués par Le Moine.