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L’étude de l’image du Canada répandue en France aux xviie et xviiie siècles ne bénéficie ni des sources ni des enquêtes propres aux périodes subséquentes[1]. À l’exception de Peter Moogk[2], les historiens du Régime français ne se sont guère interrogés sur la perception de la colonie par les métropolitains, sauf pour évoquer certaines généralités sur la crainte des Iroquois, de la sévérité du climat ou de la dureté de la vie en pays neuf[3]. La rareté des témoignages directs, étant donné l’absence presque totale de traces de correspondance privée, oblige par conséquent le chercheur à recourir à des indices indirects pour tenter d’approcher l’opinion que pouvait se forger le Français moyen à propos de la réalité canadienne.

1 - Les effectifs migratoires

Les effectifs de migrants passés entre la France métropolitaine et sa colonie canadienne avant 1760 témoignent au premier chef de l’intérêt limité des Français pour les neiges du Saint-Laurent. Dans l’état actuel des connaissances, on évalue à environ 33500 le nombre d’hommes et de femmes ayant hiverné au moins une fois dans la vallée du Saint-Laurent sous le Régime français[4]. Pour apprécier la valeur de cet effectif, rapportons-le à l’ensemble de l’émigration outre-mer depuis la France métropolitaine. D’après Jean-Baptiste Moheau[5], 2500 Français partaient annuellement vers les colonies et 1000 gagnaient les pays étrangers par voie de mer. Ne suscitant en moyenne que 200 départs annuels, le Canada attirait donc seulement 6% de ces voyageurs au long cours, soit environ 10 personnes par million de Français vivant à cette époque[6]. Comparons ces résultats avec ceux relatifs aux colonies britanniques, portugaises et espagnoles pour le xviie et la première moitié du xviiie siècle. Avec une population dépassant à peine le tiers de celle de la France, les îles Britanniques auraient envoyé au Nouveau Monde près de 380000 immigrants au cours de la période 1630-1699, soit environ 5400 individus par année et 680 personnes par million de Britanniques[7] ; pour la période antérieure à 1760, 450000 Britanniques auraient mis le pied en Amérique du Nord[8], tandis que pour la période 1650-1780, la migration nette des treize colonies auraient dépassé les 600000 personnes[9]. L’émigration portugaise vers le Brésil fut encore plus importante, atteignant près d’un million de personnes, soit un taux annuel de 3000 émigrants par million de Portugais. En Espagne, l’émigration vers les colonies a concerné 600000 personnes, soit 500 émigrants annuels par million d’Espagnols[10].

L’image de colonie délaissée que suggèrent tous ces chiffres[11] est renforcée par le fait que l’immense majorité des partants pour Québec n’avaient pas réellement choisi cette destination. Plus de la moitié d’entre eux étaient en effet des militaires qui — sauf exception — n’avaient nullement désiré émigrer au Canada et suivaient simplement l’ordre de leur commandement hiérarchique. Plusieurs des religieux étaient dans la même situation. Les engagés étaient des travailleurs subventionnés dirigés par leurs recruteurs vers un employeur canadien. La majorité des femmes venues seules avaient aussi fait l’objet d’un recrutement comme filles à marier qui avait porté atteinte à leur liberté de choix[12]. Les prisonniers étaient enfin, par définition, des émigrants forcés. Bref, rares étaient les passagers libres qui, pour des raisons personnelles (commerciales, religieuses, etc.), avaient sciemment opté pour le Canada.

Dans de telles conditions, comment s’étonner que plus de la moitié de ces migrants ne se soient pas installés définitivement dans la colonie, par suite d’un décès rapide ou, beaucoup plus souvent, d’un retour en métropole après un séjour de quelques années ? N’étaient-ils pas venus le plus souvent munis d’un contrat temporaire dans les troupes ou auprès d’un engageur, avec l’intention de profiter ensuite en métropole du capital amassé loin des leurs[13] ? D’après les plus récents travaux[14], seuls 14000 immigrants se sont établis dans la colonie avant 1765, près de 9000 d’entre eux étant venus de France et ayant contracté mariage, au moins 4000 étant restés célibataires et environ 1000 provenant d’ailleurs que de la France métropolitaine (autres pays dou Amérique du Nord : Acadie, Pays d’en Haut, colonies anglaises, Amérindiens, etc.). N’eussent été les nombreuses mesures des autorités coloniales pour empêcher les retours en France, moins d’immigrants encore auraient probablement fait souche. Cette situation contraste avec celle observée dans les colonies britanniques où la persévérance des colons, notamment en Nouvelle-Angleterre et chez les Puritains, semble avoir été bien plus forte[15]. En fait, la faible capacité de rétention de ses immigrants caractérise l’ensemble de l’histoire démographique du Québec[16]. Elle s’est exprimée, dès le xviie siècle, même chez les immigrants établis en famille et les Canadiens de naissance : environ 7% d’entre eux finirent par quitter la vallée laurentienne, soit pour regagner la France, soit pour se disperser çà et là en Amérique du Nord[17]. Ainsi, sur les 1400 personnes recensées en 1752 aux Illinois, presque 20% étaient d’origine canadienne[18] ; plus des trois quarts des quelque 375 migrants adultes établis à Détroit entre 1701 et 1752 provenaient aussi de la vallée du Saint-Laurent[19].

2 - Les facteurs de restriction migratoire

Les chiffres témoignent donc incontestablement de la minceur du flux migratoire entre France et Nouvelle-France et de l’impuissance du Canada à transformer ses visiteurs en colons. La plupart des auteurs ont expliqué cette situation, avec raison, par le fait que la jeune colonie n’offrait pas les structures économiques nécessaires pour attirer et conserver son capital humain. L’économie fondée sur le commerce des fourrures exigeait en effet peu de main-d’oeuvre, en dehors des Amérindiens pour la cueillette des pelleteries et leur transport au comptoir de traite, ainsi que de quelques commis et interprètes pour assurer la bonne marche des opérations[20]. Ce commerce n’offrait rien aux Français désireux d’améliorer leur sort, sauf à quelques marchands. Les Antilles, avec la culture du tabac et de la canne à sucre, présentaient de bien meilleures perspectives[21]. La réalité économique des pêches à Terre-Neuve était la même, puisqu’elles débouchaient rarement sur le peuplement[22].

Trois facteurs propres à la France d’Ancien Régime complètent cette première explication. Tout d’abord, à l’inverse de leurs voisins ibériques et anglais qui ont peuplé en masse leurs colonies américaines, les Français n’ont pratiquement pas quitté le sol du royaume aux xviie et xviiie siècles. Leur incontestable sédentarité au cours de cette période, la plus profonde de toute l’histoire de la population française[23], a non seulement réduit à peu de chose le nombre de départs à l’étranger, mais a même confiné à la marginalité — sauf exceptions locales ou conjoncturelles — les migrations intérieures, qu’elles fussent saisonnières, temporaires ou définitives. Pierre Goubert a évalué à un million le nombre de Français qui, chaque année, changeaient provisoirement ou définitivement de domicile, à courte comme à longue distance[24]. Seulement 5% des Français étaient donc mobiles en temps normal. De ce nombre, environ 100000 traversaient chaque année les frontières au titre des migrations saisonnières et temporaires, tandis qu’entre 15000 et 30000 gagnaient définitivement un pays voisin ou les colonies[25]. Poussou a ainsi expliqué les raisons de cette formidable sédentarité des Français : « Pour l’ensemble de ces ruraux, qui possèdent presque tous au moins un lopin de terre, la vie ne se conçoit pas hors du cadre d’origine, ou loin de celui-ci, à l’écart donc des solidarités familiales et villageoises auxquelles on est tant attaché[26]. »

Un autre facteur de la faiblesse du mouvement migratoire vers le Canada est l’absence de volonté réelle de l’État à promouvoir l’émigration vers le Nouveau Monde. Le fondement doctrinaire et politique de cette attitude est bien connu : on croyait que le royaume se dépeuplait. Moheau a déjà témoigné de cette appréhension commune depuis le xvie siècle en dénonçant qu’« en France l’expatriation soit une maladie nationale[27] ». Cette fausse impression découlait du fait qu’il y avait bien plus de Français à l’étranger que d’étrangers en France. Les autorités n’ont donc pas cherché à accentuer l’hémorragie dont on croyait la France victime en forçant l’émigration vers les colonies. Cette passivité n’était pas complète, puisqu’à diverses reprises, l’État émit des ordonnances obligeant les capitaines des navires marchands à embarquer des engagés, encouragea les officiers militaires à établir leurs hommes dans la colonie, etc. Mais, hormis les épisodes des Filles du roi et des hommes de travail en 1663-1674 et celui des faux sauniers en 1723-1749, jamais la France ne s’est investie dans le peuplement du Canada. Sa véritable colonie, c’était l’aventure continentale et non l’exploration maritime, c’était la conquête territoriale du Roussillon, de la Franche-Comté et des provinces du Nord et non l’occupation des seigneuries laurentiennes. L’argent qu’elle a injecté dans la fortification de ses frontières, qui n’étaient pas encore « naturelles », les hommes armés dépêchés contre les Espagnols, représentaient autant d’efforts financiers et humains qu’elle n’a jamais consentis pour le peuplement de la Nouvelle-France. Ce désengagement de la France s’est traduit dans une phrase célèbre du secrétaire d’État à la Marine Jean-Baptiste Colbert. En réponse à l’intendant Talon qui lui demandait de prendre les moyens pour former au Canada « un grand & puissant Estat », ce qui impliquait l’envoi massif d’immigrants, Colbert écrivit ces lignes qui allaient sceller le destin du Canada :

Il ne seroit pas de la prudence [du Roy] de dépeupler son Royaume comme il faudroit faire pour peupler le Canada ; [...] le Pays se peuplera insensiblement, et, avec la succession d’un temps raisonnable, pourra devenir fort considerable, d’autant plus qu’a proportion que sa Maté aura plus ou moins d’affaires au dedans de son Royaume, Elle luy donnera les assistances qui seront en son pouvoir[28].

Implicitement, Colbert désignait les deux axes de la croissance démographique, le mouvement naturel et les migrations nettes. Il reconnaissait au premier une importance majeure, puisqu’il comptait sur la colonie elle-même pour assurer sa croissance. Mais il n’attribuait au second qu’un rôle de complément accessoire. En accord avec cette politique, l’État s’est refusé pendant tout le Régime français — sauf rares exceptions — à envoyer lui-même directement des colons.

Un autre facteur d’inertie migratoire est le refus obstiné d’autoriser l’établissement de protestants au Nouveau Monde. Pourtant, jusqu’en 1627, ils y avaient joué un rôle prépondérant, mais à la création de la Compagnie des Cent-Associés, le cardinal de Richelieu, encouragé par l’Église, décida de « peupler la dite colonie de naturels François catholiques[29] ». Rien d’étonnant en cela, puisqu’il ne faisait qu’appliquer l’Édit de Nantes de 1598 qui accordait certes aux protestants la liberté de conscience, mais leur refusait l’exercice du culte, hormis dans les lieux où il se célébrait déjà publiquement avant 1598. Comme la Religion prétendue réformée n’avait pas été pratiquée publiquement au Canada au xvie siècle, et pour cause, aucun temple ne pouvait y être toléré. Les historiens, Garneau et Salone en tête[30], ont bien vu que cette interdiction signifiait la fermeture de « l’Amérique française à ceux-là même des Français qui avaient le plus d’intérêt à chercher outre-mer une patrie nouvelle ». Toutefois, les archives canadiennes signalent la présence d’au moins 850 personnes qui auraient été protestantes à un moment ou à un autre de leur vie[31]. Originaires de la France, de l’Angleterre et des colonies américaines, plusieurs se sont installées au Canada en dépit des barrières élevées contre elles. Dans la plupart des cas, leur intégration a été facilitée par leur abjuration tacite ou formelle. De récents travaux évaluent même à au moins 6% à 8% la proportion de protestants dans l’ensemble de l’immigration au Canada avant 1760, soit environ 2000 personnes[32]. Malgré cette réalité occultée par l’historiographie traditionnelle, on ne saurait cependant assimiler le Canada aux Antilles où une politique de tolérance envers les protestants fut toujours appliquée en dépit de la stricte volonté royale de les exclure ; dans les années précédant la révocation de l’Édit de Nantes, le nombre d’engagés protestants s’y multiplia et, entre 1686 et 1688, on déporta en Martinique entre 500 et 1000 huguenots, dont la plupart repartirent ensuite vers les colonies anglaises ou la Hollande. Ceux qui finirent leurs jours en Martinique ou en Guadeloupe comme « nouveaux convertis » pratiquaient souvent un catholicisme de façade, juste destiné à leur épargner les rigueurs de la loi[33]. Rien de tel au Canada où l’on aurait tort d’imaginer que des protestants eussent pu y trouver refuge dans l’espoir d’échapper aux mesures de rigueur appliquées partout dans l’empire français, même dans les Antilles reconnues pour leur « atmosphère sereine ». Nulle concentration, non plus, d’immigrants établis juste avant ou après la révocation de l’Édit de Nantes, contrairement à ce qui a été observé pour un échantillon de quelques centaines d’huguenots implantés dans les colonies américaines[34] ; au contraire, les années 1680-1729 ont été relativement peu propices à l’émigration des Français vers le Canada[35]. En revanche, on ne saurait nier une certaine présence protestante en Nouvelle-France, malgré la vigilance de l’Église à y préserver l’unité religieuse. Mathieu a même évalué, à partir d’un échantillon, que près de 30% des émigrants partis de La Rochelle au xviie siècle étaient ou avaient été protestants[36]. Il est évident que de nouvelles recherches menées dans les archives françaises permettront éventuellement de mieux quantifier et de mieux caractériser cet apport protestant.

3 - L’image du Canada

Hormis ces contraintes économique, culturelle, étatique et religieuse qui ont jugulé dès le départ toute possibilité de migration massive de Français au Canada, il est un facteur que la recherche a négligé jusqu’à maintenant et qui explique en partie le désintérêt des Français pour la colonie laurentienne : l’image du Canada comme pays dangereux, froid, distant et peu propice à un établissement réussi.

« En France, écrit Moogk, la connaissance populaire des colonies reposait davantage sur le ouï-dire que sur les publications ou la correspondance privée[37]. » Bien qu’elle soit probablement juste, une telle affirmation pourrait conduire à minimiser le rôle des écrits dans le départ des migrants. Doit-on conclure de la rareté des lettres personnelles conservées jusqu’à nos jours à la quasi-absence de relations épistolaires entre les immigrants et leurs familles laissées en France ? Certainement pas, soutient Jane E. Harrison.

Il pouvait arriver qu’un Canadien illettré envoie ou reçoive une lettre, faisant appel à l’aide d’un voisin, d’un voyageur ou d’un membre du clergé pour l’écrire ou la lire, mais les lettres qui nous sont ainsi parvenues sont rares. Beaucoup de colons ordinaires, qui savaient lire et écrire, mais étaient pauvres et avaient peu de liens avec d’autres personnes, envoyaient probablement des lettres de temps à autre. De petits fragments de celles-ci ont survécu[38].

En plus du témoignage de lettres interceptées par des corsaires britanniques et gardées au Public Record Office de Londres[39], les actes notariés attestent la connaissance qu’avaient souvent les immigrants et leurs familles d’événements survenus outre-mer (mariages, décès, successions, etc.) et nous convainquent de l’étroitesse des liens, épistolaires et autres, qui unissaient fréquemment les membres d’une même famille séparés par l’océan. Ainsi, malgré la distance, les épouses d’hommes partis pour le Canada ne tardaient pas à se dire veuves dès qu’elles apprenaient la mort éventuelle de leur mari[40]. De leur côté, les colons installés s’assuraient généralement de faire valoir leurs intérêts dans le patrimoine familial transmis au décès de leurs parents. Ce qui était vrai des Filles du roi, qui avaient pourtant souvent subi une rupture avec leur milieu familial[41], devait l’être au moins autant chez les autres immigrants : « Souvent il arrive qu’entre les filles qu’on fait passer icy, écrivit l’intendant Talon au ministre Colbert, il y en a qui ont de légitimes et considérables prétentions aux successions de leurs parents, mesme entre celles qui sont tirées de l’hospital général, souvent aussy elles demandent de passer en France pour agir en leurs affaires[42]. » À titre d’exemple, le cas du maître sellier et bedeau François-Thomas Giroux est significatif de la permanence des liens familiaux qui transcendait la distance. Même après vingt années passées au Canada, il restait bien informé du sort de ses parents vivant à Versailles[43]. Déjà orphelin de père et mère, il apprit en 1752 le décès récent de sa tante Anne Giroux, fille majeure, dont il était « héritier présomptif en partie ». Allait-il réclamer sa part d’héritage ? Il se rendit chez le notaire Hodiesne de Montréal pour constituer sa soeur aînée Jeanne-Suzanne sa procuratrice générale et spéciale, et lui demander, « connoissant les forces et charges de [cette] succession, [de] renoncer purement et simplement, pour Luy et en son nom, a la succession de la dite Anne Giroux dans La crainte qu’elle ne Luy fût plus onereuse que profitable[44] ». Mais, profitant de sa présence dans l’étude du notaire et du courrier qu’il allait adresser à sa famille, il fit rédiger une autre procuration, cette fois au nom de son frère Adrien, afin de faire valoir ses intérêts dans « les heritages et succession de Demoiselle Jeanne Giroux sa tante si elle est décédée, ou qu’elle vint à décéder ». Sans doute anticipait-il plus de biens de cet héritage à venir que du précédent. Même s’il ne comptait pas retourner un jour vivre en France[45], la possession de biens familiaux en métropole pouvait être avantageuse et, comme on l’a observé dans les colonies américaines[46], les colons entretenaient à cette fin une correspondance régulière avec leurs parents et amis, ce que permettait d’ailleurs l’alphabétisation relative d’environ la moitié d’entre eux au xviie siècle[47]. L’exemple des Acadiens réfugiés au Poitou après la Déportation ajoute une autre confirmation à l’existence de relations épistolaires normales entre parents séparés par l’océan : le départ de certains d’entre eux pour la Louisiane en 1784 suscita un échange de lettres qui se poursuivait encore au début du xixe siècle[48].

Il est cependant assuré, à l’inverse, que l’émigration a pu représenter, dans certains cas, une rupture que le temps et les distances finirent par rendre définitive. L’exemple de Jean Grondin en est une belle illustration[49]. À l’époque où ce Brouageais n’avait pas encore gagné la colonie, son père avait acheté une maison, « consistant en chambre basse, boutique, chambre haute, cabinetz, aisementz & grenier », qu’il loua en 1660 pour 3 années, à 36 livres par an. À son décès, les droits sur cette maison furent exploités — au nom de ses 5 enfants survivants — par l’aînée, Anne, qui, entre 1683 et 1691, ne la loua plus que pour 21 livres par an, puis, l’immeuble étant désormais « en ruyne », que pour 12 livres par an entre 1691 et 1698. Cependant, en 1707, les neveux et nièces de l’émigrant intervinrent dans la succession comme « héritiers de Marie, Jean, Anne, Jeanne et Pierre Grondins et du nommé Des Noues, fils de ladicte Jeanne Grondin » et vendirent la maison abandonnée, « ruynée et inhabitable », pour 150 livres. Ce Jean, dont on se faisait allègrement l’héritier, était en réalité l’émigrant établi au Canada depuis 1665, marié à Sainte Mignault en 1669, père de onze enfants et toujours vivant en 1707[50] ! Sans doute le pionnier s’était-il désintéressé de cette lointaine possession, à laquelle plus rien ne le raccrochait, et n’avait-il pas donné de ses nouvelles depuis très longtemps.

Le voile posé sur la presque totalité de la correspondance privée échangée de part et d’autre de l’Atlantique[51] masque l’image du Canada que devaient transmettre les immigrants, même si on peut supposer avec Moogk que ceux-ci devaient subir en retour de fortes pressions pour rentrer en métropole[52]. Par contre, un autre medium écrit qui a dû influencer la perception du milieu colonial par les Français métropolitains est formé de l’ensemble des publications relatives à la Nouvelle-France qui ont envahi le marché français aux xviie et xviiie siècles. On aurait tort de sous-estimer l’abondance de ces publications, peut-être comparable à l’« armée de pamphlétaires » qui ont stimulé l’émigration britannique, sous prétexte qu’elles n’ont pas produit l’effet escompté. Henri-Jean Martin a montré comment dans les années 1630 à 1660 l’intérêt des lecteurs français s’est temporairement détourné des ouvrages consacrés à l’Orient pour se concentrer sur les relations concernant le Canada dont le nombre est brusquement monté en flèche[53]. Citons les titres les plus connus : Les Voyages de Champlain et l’Histoire de la Nouvelle-France de Marc Lescarbot, qui « étaient lus attentivement et souvent remis sous presse », Le Grand voyage au pays des Hurons et l’Histoire du Canada de Sagard, et surtout les Relations des jésuites qui, de 1632 à 1672, connurent « un immense succès ». L’Histoire veritable et naturelle de Pierre Boucher ne saurait figurer au palmarès des ouvrages les plus influents, malgré sa valeur intrinsèque comme témoignage colonial, puisque sa diffusion aurait été extrêmement limitée[54]. Un peu plus tard, la Description géographique et historique de Nicolas Denys, La vie et les Lettres de la vénérable mère Marie de l’Incarnation publiées par son fils Claude Martin, la Nouvelle relation de la Gaspésie et le Premier établissement de la Foy dans la Nouvelle France de Chrestien Le Clercq, l’Histoire de l’Amérique septentrionale de Bacqueville de la Potherie et enfin les Nouveaux Voyages de Mr. le Baron de Lahontan prolongèrent l’effet des premiers récits. Ce dernier ouvrage, en particulier, contribua beaucoup à faire connaître le Canada et ses premiers habitants auprès d’un public français friand de géographie, de cartographie et d’exotisme : après une première édition datée de 1703, il connut de nombreuses rééditions ou réimpressions en 1704, 1705, 1706, 1707, 1708, 1709, 1712, 1715, 1725, 1728 et 1741[55].

L’importance des Relations des jésuites en rapport avec la colonisation du Canada justifie que l’on examine brièvement les questions relatives à leur diffusion et à la nature de leur message aux futurs colons. Après qu’on ait longtemps cru à leur tirage limité, le bibliographe James C. McCoy a montré que le nombre de séries complètes originales encore subsistantes, le nombre de volumes isolés retrouvés çà et là et la fréquence des réimpressions d’époque prouvaient un évident succès de librairie, accentué par le fait que le Mercure de France en publia occasionnellement des extraits[56]. D’après Séraphin Marion,

elles attirent aux Jésuites, puissants à la Cour, l’estime et la sympathie de la noblesse et de la roture, de la haute bourgeoisie, dans toutes les provinces de l’ouest en France. Le format même de l’opuscule le rend peu coûteux, facile à passer sous le manteau, à répandre parmi les classes sociales inférieures, propriétaires ruraux, métayers, artisans et manoeuvres des villes et des ports. Puis, il se présente à intervalles réguliers, toujours attachant par la nouveauté des faits curieux, comme par le retour de la physionomie des mêmes personnages, gouverneur, officiers civils, missionnaires. Enfin il est rédigé pendant neuf ans par la même plume [Paul Le Jeune][57].

Il est en effet probable que la diffusion des Relations des jésuites profita de l’oeuvre scolaire massive déployée en France au xviie siècle par la Compagnie de Jésus. Vers 1640, les jésuites accueillaient dans 521 établissements environ 15000 écoliers issus de familles de nobles, de détenteurs d’offices, de bourgeois, de marchands, d’artisans et de laboureurs[58]. Mais dans quelle mesure ce réseau d’enseignement permit-il de propager efficacement la vision jésuite du Canada dans des milieux géographiques et sociaux aussi diversifiés ? En 1636, le père Brébeuf écrivit : « L’ancienne France brûle de très-ardents désirs pour la Nouvelle [...] : le feu est si grand dans nos collèges, qu’il est plus difficile d’apaiser les larmes de ceux qu’on éconduit et auxquels on refuse de nous venir aider, que de trouver des ouvriers[59]. » Il reste à vérifier si cet enthousiasme pour la colonie pouvait déborder le cercle étroit des membres du clergé pour se répandre dans les autres milieux.

Le message colonisateur véhiculé par les Relations des jésuites se voulait un appel convaincant, adressé aux « personnes pauvres » comme aux « gens moyennez », pour les inciter à s’installer au Canada. En proclamant les beautés, la salubrité, les avantages et les commodités de la colonie, elles développaient une argumentation logique qui ne s’encombrait pas des résistances mentales opposées par le paysan français moyen : « est-il possible, rappelait en 1636 l’auteur d’un chapitre exposant Quelques advis pour ceux qui desirent passer en la Nouvelle France, qu’ils ayent si peur de perdre la veuë du clocher de leur village, comme l’on dit, qu’ils ayment mieux languir dans leurs miseres et pauvretez, que de se mettre un jour à leur aise[60]. » L’oeuvre de propagande des Relations portait cependant un contre-message qui pouvait rebuter nombre de candidats potentiels à l’émigration : ce sont les rudes conditions de vie et de travail qui attendaient les nouveaux venus, de même que les pratiques guerrières des Amérindiens, dont la description détaillée des supplices ne pouvaient qu’horrifier les lecteurs[61]. L’auteur de la relation de 1634 n’éprouvait-il pas le besoin de rassurer les futurs colons qui auraient pu reculer devant les défis qui les attendaient, en suppliant « ceux qui auroient envie de les ayder, de ne point prendre l’espouvante[62] » ? Si Marie de l’Incarnation évaluait à « deux ou trois ans » le délai nécessaire à une famille nouvellement installée pour commencer à se nourrir adéquatement, le père Le Jeune augmentait ce temps à « moins de cinq ou six ans », tandis que Louise Dechêne a pour sa part calculé qu’il fallait au moins dix ans de rudes défrichements[63].

En parallèle à tous ces ouvrages du xviie et de la première moitié du xviiie siècle, dont la diffusion, la pénétration sociale et la portée du message en rapport avec le peuplement du Canada n’ont pas encore fait l’objet d’une analyse systématique[64], il est une littérature grise faite de livrets de colportage et à grande diffusion, une presse d’information, notamment sous forme de « placards » ou affiches murales, « billets » ou tracts dans la Gazette de France ou les gazettes « périphériques » imprimées en français à l’étranger et librement diffusées en France, qui ont pu propager une certaine image de la Nouvelle-France et qu’il faudrait étudier[65]. L’explication de la tiédeur du mouvement d’émigration vers la vallée du Saint-Laurent avant 1760 doit en effet passer par une analyse de l’imprimé, non seulement avec les ouvrages saillants qui ont pu marquer de leur influence surtout les membres des classes supérieures de la société[66], mais aussi avec les autres formes écrites de propagande, moins évidentes mais peut-être plus efficaces dans les classes inférieures, notamment en milieu urbain. À titre d’exemple, l’entrefilet suivant, paru dans la Gazette de Renaudot du 6 mars 1633, illustre bien le rôle qu’a dû jouer la presse dans le recrutement des hommes embarqués sur les navires le Cheval Blanc et le Renard Noir à destination de l’Acadie en avril 1633[67] :

Le Sieur de la Tour fait à la fin de ce mois son embarquement en cette ville [de La Rochelle], d’où il passera en son habitation du Cap Nègre, dont il est le lieutenant pour le roi en la Coste de l’Acadie, pays de la Nouvelle-France, tous ceux qui voudront choisir pour retraite ce climat qui a quarante-trois degrés d’élévation et pareille à celle de Bayonne, il leur distribuera des terres et prés grandement fertiles que la Compagnie de la Nouvelle-France lui a concédés, abondants en toutes sortes d’oiseaux et animaux de chasse, même en castors ; la mer et les rivières voisines sont fort poissonneuses, où le service divin s’administre par les Pères Capucins, et d’où il est revenu en dix-sept jours au mois de novembre dernier sous un même air que le nôtre[68].

Autre exemple de propagande politique, ce texte paru dans la même Gazette de Renaudot le 16 janvier 1632 encore en faveur de l’établissement en Acadie :

De La Rochelle, le 10 dudit mois de Janvier 1632. Il se fait ici un embarquement pour aller à ce mois de Mars en la Nouvelle France. C’est une terre neuve, propre à froment et légumes et où tous autres fruits croissent comme en France, riche en mines d’argent, cuivre et fer, partout plantée d’arbres de haute futaye d’extrême grosseur et hauteur, féconde en prairies à nourrir toutes sortes de bétail. Son étendue est de plus de mille lieues, bornées de rivières et d’une mer fort poissonneuses et où se pêchent force saumons, esturgeons et morues. La navigation y est sûre pour ce qu’elle se fait en pleine mer, où on ne peut être guetté des Corsaires, et que personne ne prétend rien en ce pays là depuis cent ans qu’il est aux Français. Ce qui paraît en ce que tous les ans huit cents vaisseaux y vont et reviennent sans péril, avec trente pour cent de profit de leurs pêches par chacun voyage. Le Royaume de Lacadie, où la colonie doit habiter, est à même hauteur que Bordeaux et Marseille. On y va ordinairement en un mois, bien qu’un vaisseau d’Olonne en soit n’aguère revenu en quatorze jours. La compagnie autorisée de Sa Majesté, pour l’exécution de ce beau dessein, y fera passer un chacun pour dix écus par tête, et pour chaque mille écus qu’y voudront employer ceux qui aiment cette sorte de trafic, permet au bout de trois ans de leur y faire trouver autres mille écus de profit par chacun an. Ceux qui s’entretuent, ou consument leur âge en procès pour un arpent de terre, en pourraient là trouver à meilleur marché : et si ceux que la misère et la nécessité poursuit en ce Royaume veulent ouvrir les yeux à cet expédient, ils pourront par ce changement de climat, interrompre le cours de leurs mauvaises influences. Surtout est cette entreprise à estimer par la décharge qu’elle nous fait espérer de tous les mendiants valides de la France. Je leur décrirai les autres particularités et sonnerai le boute-selle quand il en sera temps, ce peu suffira pour leur faire cependant disposer de leurs affaires[69].

Il ne fait cependant aucun doute que le ouï-dire joua un rôle important dans l’opinion, positive ou négative, que se formèrent un grand nombre de candidats potentiels à l’émigration. La plupart des témoignages connus à cet effet font référence à des relations verbales comme source d’information sur le Canada. Par exemple, c’est en s’adressant à des marins rétais qu’un jeune Parisien, hésitant entre la Louisiane et le Canada pour s’enrôler comme soldat des troupes de la Marine, apprit « que le Canada était le plus sain, quoique son climat fût plus froid[70] » ; il prit alors la décision de partir pour la colonie laurentienne où il séjourna de 1751 à 1760. En 1698, un serviteur de Québec rapporta dans une pétition qu’il avait rencontré à Paris, par l’entremise d’un ami, un officier portuaire de Québec et qu’il « auroit pris Resolution Sur Le Recit que luy fit... De Ce Païs [Canada], dy passer[71] ». D’autres exemples proposent une vision plus critique du milieu colonial. Ainsi, dans une lettre de 1651 à son beau-frère de Tours, le nouveau résidant de Québec Simon Denys rappelait que, « lorsqu’en France vous entendez parler du Canada, vous imaginez un désert inculte et plein d’horreur[72] ». Les péripéties entourant le départ de la grande recrue de 1653 montrent aussi la crainte qu’inspirait la traversée de l’Atlantique sur de fragiles coques de bois. Parti de Saint-Nazaire le 20 juin 1653, le Saint-Nicolas de Nantes faisait eau de toute part malgré le dévouement des membres de l’équipage et des passagers masculins qui étanchaient le navire quand, après avoir franchi trois cent cinquante lieues en mer, on décida de revenir à terre et de relâcher à Saint-Nazaire. La suite de l’histoire appartient à Marguerite Bourgeois, qui faisait partie du voyage : « M. de Maisonneuve fit mettre tous ses soldats dans une île d’où l’on ne pouvait s’échapper, car autrement il n’en serait pas demeuré un seul. Il y en eut même qui se jetèrent à la nage pour se sauver, car ils étaient comme des furieux et croyaient qu’on les menait à la perdition[73]. » La réaction des habitants de La Flèche au départ de trois religieuses hospitalières de l’Hôtel-Dieu de cette ville, en 1659, témoigne d’une appréhension similaire : ayant appris le triste sort de plusieurs enfants du pays qui, envoyés au Canada quelques années auparavant, étaient morts de misère ou avaient été tués par les Iroquois, ils se massèrent autour de l’Hôtel-Dieu pour s’opposer au départ des trois femmes[74].

À quels informateurs pouvaient s’alimenter tous ces gens, militaires ou habitants de La Flèche, qui manifestaient ainsi leur frayeur de la vie au Canada ? Peut-être à des parents ou amis établis dans la colonie qui avaient fourni des nouvelles écrites ou verbales, éventuellement communiquées par l’entremise de voyageurs. On peut cependant croire que les nombreux migrants retournés en métropole, qui représentaient — rappelons-le — plus de la moitié des immigrants passés au Canada, ont constitué le premier vecteur de l’information coloniale. Leur influence considérable auprès des colons potentiels s’apparentait vraisemblablement à celle des voyageurs anglais retournés à Londres et Bristol[75]. Le scénario imaginé par Gabriel Debien à l’égard des colons revenus des Antilles comporte certains éléments de vérité qui pourraient bien s’appliquer aux engagés ou soldats rapportant quelques souvenirs et s’enorgueillissant, par exemple, d’avoir vu des Amérindiens ou survécu aux rudes hivers canadiens :

Les colons qui revenaient avec quelque argent, offrant à boire à leurs amis et cousinages, étaient les meilleurs agents de propagande. Ils rapportaient des assortiments de mouchoirs des Indes, des noix de coco sculptées par les matelots, du cacao, des confitures sèches, du tafia, des fruits, des fruits surtout, et ces lourdes coquilles marines dans la nacre desquelles les oreilles poétiques peuvent aisément percevoir le bruit lointain des flots bleus. Ils parlaient, pour être écoutés, de leur vivace bonheur, des plantureuses mangeailles de viande, des chasses en savane, d’incomparables siestes. Toutes les duretés, les mauvais moments de leur existence monotone s’atténuaient par l’éloignement, disparaissaient derrière les mois de la traversée de retour et ces souvenirs bien restés dans l’esprit : du tafia pour quelques sous la pinte, et un soleil d’éternel été.

L’émigration fut entretenue par ces retours au pays des premiers colons qui avaient à raconter et qui savaient se donner une auréole d’hommes héroïques qui ont vaincu les fièvres, la bigaille, la terre, les orages et les eaux. Des fortunes, quelques grosses fortunes même, oui, il s’en faisait, mais de rapides, on peut dire jamais. Mais la distance resserre le temps et le résume. Des réussites réelles agissaient à titre d’exemple et créaient une sorte de contagion, faisaient lever un mirage collectif. La recrudescence des départs est due, on peut croire, dans certains villages, au retour de quelques émigrants fortune faite. Les uns revenaient pour se marier, ou précisément pour recruter de la main-d’oeuvre. S’ils ne rentraient pas, ils appelaient leurs parents, leurs amis, en leur vantant des résultats acquis au prix d’efforts médiocres. Ces lettres d’engagés ou de colons établis agirent, non sur les gros départs mais sur l’émigration sporadique[76].

Comme peu d’immigrants ayant vécu quelques années au Canada ont pu rapporter des fortunes colossales — si l’on excepte certains administrateurs enrichis par la traite des fourrures et les trafics illicites, comme la bande de Bigot à la veille de la guerre de Sept Ans — la légende d’un Eldorado nordique n’a jamais pu se constituer ni entraîner le départ de contingents nombreux d’aventuriers. Si l’effectif de partants pour le Canada n’a pas égalé celui de 200000 migrants attribué pour les Antilles[77], c’est entre autres parce que l’image du pays d’accueil n’était pas la même. Que pouvaient raconter ces hommes et ces femmes qui avaient fait le choix de ne pas s’établir dans la vallée du Saint-Laurent ? D’abord, que ce pays était d’accès difficile, exigeant une navigation océanique d’environ deux mois, vécue dans des conditions pénibles et dangereuses, et la remontée du fleuve Saint-Laurent reconnue périlleuse à cause des vents et des courants[78]. Ensuite, que les conditions hivernales extrêmes isolaient la colonie six mois par année. Au xviie siècle, plusieurs facteurs rendaient le milieu canadien encore plus inhospitalier : le déséquilibre des sexes, qui perdura jusqu’à la fin du siècle et força les hommes en surnombre à se replier massivement en France ou à courir les bois[79] ; les menaces iroquoises, qui ont sans doute eu un impact plus lourd sur le plan psychologique que démographique[80] ; le caractère rudimentaire et primitif des premières installations, qui pouvait mettre à l’épreuve les meilleures volontés[81].

Quels sont les chaînons qui, à l’échelle locale, permettaient à la « rumeur du Canada » de se développer et, éventuellement, d’entraîner des émigrants à la suite du départ d’un parent ou d’un ami ? Pour répondre à cette question, la recherche devra s’attaquer à reconstituer la généalogie des solidarités de famille et de voisinage qui ont dû mobiliser la majorité des immigrants établis[82]. Déjà amorcé, le travail ne manquera de tirer le meilleur parti des sources françaises[83].