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Depuis 1984, les historiens canadiens qui s’intéressent aux entreprises et plus généralement à l’économie se réunissent dans des colloques tenus tous les quatre ans et organisés par une association informelle, la Canadian Business History Conference. Une sélection des communications des premiers colloques avait fait l’objet de publications spéciales, soit, pour celui de 1984, un numéro thématique de la Revue d’études canadiennes/Journal of Canadian Studies (20,3, automne 1985), soit, pour ceux de 1988 et 1992, les Canadian Papers in Business History, dirigés par Peter Baskerville. Cette pratique, visiblement abandonnée par la suite, revient pour le 6e colloque de Trois-Rivières-Shawinigan en 2002, sous le thème des territoires de l’entreprise, à l’initiative de ses organisateurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), rattachés au Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ). La venue de ce colloque à Trois-Rivières s’appuyait sur une spécialisation économique régionale, mais aussi sur la présence très dynamique de ressources professorales et étudiantes en histoire des entreprises et de l’économie.

Les directeurs de cette publication, Claude Bellavance et Pierre Lanthier de l’UQTR, ont choisi les textes et veillé à la publication de 14 des 23 conférences qui constituent autant de coups de sonde dans la production scientifique québécoise et canadienne récente du domaine. Ils les ont rassemblés sous trois angles principaux : l’entreprise dans l’espace urbain (5 textes), la dynamique spatiale des marchés (5) et les structures, stratégies et territoires (4), qui reflètent une interprétation de la thématique générale par les auteurs dans la préparation de leurs communications, tout autant que les questionnements et objets de recherche des chercheurs les plus impliqués dans l’histoire des entreprises. Le format des contributions rejoint, pour certaines, la nature et la taille des présentations plus courtes typiques des actes de colloque, pour d’autres celles d’articles scientifiques qui auraient pu se retrouver dans les revues traditionnelles. Dans les deux cas, de nombreux éléments visuels d’une belle qualité enrichissent le contenu et la présentation : tout particulièrement les photos accompagnant les contributions sur l’architecture de Burgess-Lauzon, Duchesne et Poitras sur le commerce par catalogue de Willis, les graphiques et cartes sur le marché de l’assurance (Sweeny et Rousseau), sur les installations ferroviaires urbaines (Duchesne) et sur les faillites commerciales (Normand).

La représentation sectorielle des communications retenues accorde une place de choix aux activités commerciales (plus du tiers) de la fin du xixe au milieu du xxe siècle, que ce soit les magasins-entrepôts de Montréal (Burgess-Lauzon), la vente par catalogue (Willis), le financement des activités commerciales en Mauricie (Normand) et le commerce de pianos Heintzman (Ross) ou des cigarettes (Robinson). Cette prédominance, si elle reflète des tendances réelles, vient établir un contrepoids très attendu aux études d’entreprises d’extraction des richesses naturelles, de transformation industrielle, de transport ferroviaire ou de services bancaires sur lesquelles la recherche s’était jusque-là concentrée. Trois autres communications abordent le secteur de l’assurance ; celui de l’assurance incendie à Montréal dans les années 1820 (Sweeny), celui du marché régional de l’assurance-vie au Québec de 1880 à 1960 (Rousseau) et celui de l’ascension vers le marché national canadien d’une petite mutuelle d’assurance manitobaine, la Wawanesa Mutual Insurance Company, dans la première moitié du xxe siècle (Nelson). Deux autres couvrent le domaine de la production, de la distribution et de l’utilisation industrielle de l’électricité, en fonction de la demande énergétique des industries localisées à proximité du Canal Lachine de 1880 à 1920 (Gelly) ou de l’interconnexion des réseaux locaux et régionaux de distribution au Bas-Saint-Laurent de 1924 à 1962 (Tremblay).

Plusieurs des thématiques retenues traversent les diverses contributions et soutiennent la réflexion sur les rapports des entreprises avec leur espace d’intervention spécifique (ressources, marchés, localisation) et sur les formes de leur insertion dans le tissu urbain ou dans l’économie nationale. Certaines relèvent des choix stratégiques des entrepreneurs et des firmes, qu’ils expliquent les choix énergétiques (Gelly), qu’ils s’appuient sur une gestion du risque en assurance (Sweeny, Rousseau), qu’ils menacent la survie des entreprises, telle la faillite (Normand), qu’ils président à une croissance exceptionnelle bien au-delà de leurs perspectives locales et régionales d’origine (Ross, Nelson, Willis) ou enfin qu’ils réagissent à la réglementation gouvernementale de la publicité du tabac (Robinson). D’autres, plus diffuses, privilégient les interrelations entre les firmes dans des réseaux d’échanges (Tremblay) ou la mobilité des exploitations et leurs conséquences sociales (Lamarre).

Ce type de publication répond à de multiples intérêts des chercheurs et des universitaires. Il facilite la diffusion et la reconnaissance des résultats de la recherche, surtout les mémoires, thèses et projets subventionnés en cours ou récemment terminés, et permet leur utilisation à des fins pédagogiques pour l’introduction à la recherche dans un domaine particulier et aux travaux plus substantiels des contributeurs, souvent des thèses. On peut comprendre que les directeurs de la publication aient été dépendants des textes disponibles, mais les étudiants et enseignants universitaires auraient sans doute apprécié pouvoir compter sur un bilan historiographique et méthodologique du domaine, soit dans une introduction allant au-delà de la présentation thématique rapide des contributions, soit dans une conclusion bilan situant plus largement les perspectives du champ d’études. Cela n’enlève rien à l’intérêt des textes eux-mêmes, dans leur différente exploration d’un domaine qui mérite de trouver un place croissante dans l’historiographie récente, à côté des représentations, des identités et de la mémoire, maintenant omniprésentes dans l’environnement universitaire.