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L’ouvrage de Gaétane Dufour, issu de la recherche effectuée pour son mémoire de maîtrise intitulé La réception des églises modernes au Québec, l’église Saint-Thomas-d’Aquin de Saint-Lambert, met l’accent sur l’architecture ecclésiale moderne au Québec. Ce genre d’étude est encore trop rarissime. Dès le départ, l’auteure rappelle que les églises « se dressent dans le paysage comme un des symboles du dynamisme socioculturel d’une époque » et que « les nouvelles églises apparaissent comme l’un des éléments les plus valables et spécifiques de la modernité québécoise ». D’ailleurs, le titre est évocateur à ce sujet : « La modernité devient patrimoine ».

Le livre se présente comme un ouvrage en trois temps : un survol fragmentaire de l’histoire mondiale et québécoise de l’architecture religieuse, une lecture socioculturelle et architecturale de l’église Saint-Thomas-d’Aquin de Saint-Lambert et une présentation des différents acteurs ayant contribué à l’érection et à l’évolution de la paroisse de même qu’au processus d’édification de l’église. Le premier temps passe en revue les grands noms de l’architecture religieuse et propose un bel inventaire des églises modernes internationales. Il s’agit d’une mission audacieuse de retracer en un si court chapitre l’histoire de l’architecture religieuse du xixe siècle à nos jours sans risquer de tomber dans la superficialité. C’est ainsi que les concepts architecturaux de Palladio et de da Vignola, par exemple, ne sont qu’esquissés et que certains choix d’églises pour la mise en image peuvent être questionnés : l’église Saint-René-Goupil est-elle meilleur prototype de l’architecte Roger D’Astous ? Ce livre ne peut être comparé aux publications des Luc Noppen et Claude Bergeron qui ont tracé les fondements de l’architecture ancienne et moderne des églises au Québec. D’ailleurs tel n’était pas le but du travail de Gaétane Dufour. Le choix de présenter l’architecture québécoise, montréalaise et moderne est intéressant puisqu’il prépare le lecteur pour la seconde partie : l’histoire de l’architecture de l’église Saint-Thomas-d’Aquin de Saint-Lambert.

L’auteure retrace avec exactitude le contexte de la fondation de la paroisse et les « péripéties » ayant mené au choix de l’emplacement et de l’architecte pour la construction de l’église. Sa recherche en archives, notamment dans les livres de délibérations (procès-verbaux), a grandement contribué à créer une histoire chronologique et juste. Cette facette de la recherche essentielle est ici très bien traitée. De plus, l’auteure a enrichi son texte par une entrevue réalisée avec le concepteur, Guy Desbarats, qui a fourni des éléments essentiels à la compréhension du concept architectural du bâtiment. Il est rare d’avoir la chance de pouvoir accéder au concepteur d’un bâtiment. Sa contribution aura sans doute été déterminante dans l’écriture de ce livre, une initiative remarquée qui transparaît dans la description architecturale du chapitre trois.

La description architecturale commence par la voûte de l’église puisqu’elle constitue l’un des éléments majeurs du projet architectural. Ce deuxième chapitre permet au lecteur de mettre ensemble les éléments d’information qu’il a acquis à la lecture du premier chapitre. Il lui permet d’augmenter sa compréhension de l’architecture moderne, tout en lui faisant connaître l’église de Saint-Lambert. À l’aide d’une série d’images, l’auteure nous fait visiter le bâtiment dans ses moindres détails constructifs et nous fait apprécier cette architecture moderne qui aurait pu être interprétée comme sobre, banale et austère ; la description nous prouve qu’il en va tout autrement. Ce livre nous met en contact direct avec des acteurs de la modernité artistique québécoise et montréalaise de première importance, Guy Desbarats, Marcelle Ferron et Charles Daudelin, et nous rappelle l’importance de l’intégration de l’art à l’architecture.

Deux lacunes se font pourtant sentir : le manque de plans et de photographies historiques qui auraient contribué à véritablement ancrer le bâtiment dans le temps. Du point de vue du potentiel monumental, l’église Saint-Thomas-d’Aquin de Saint-Lambert aurait pu être située et mise en comparaison pour son apport à l’architecture moderne québécoise et internationale. Sur ce point de vue, il y a un manque important.

Le troisième temps du livre présente différentes personnes, membres du clergé et artistes, qui ont créé l’histoire de la paroisse par leur implication. Cette partie « curriculum » ajoute une information pertinente sur l’histoire de l’église et les gens, mais présente un intérêt principalement pour les paroissiens et rompt quelque peu avec la continuité de l’ouvrage.

Ce livre de Gaétane Dufour, par une analyse fine, une chronologie détaillée de la paroisse et une série d’images, nous fait découvrir une église importante de la modernité architecturale québécoise. L’église Saint-Thomas-d’Aquin de Saint-Lambert, qualifiée d’architecture-sculpture, est une oeuvre marquante de l’architecte Guy Desbarats qui méritait d’être valorisée et appréciée comme une pièce unique. Grâce au travail de Gaétane Dufour, l’église Saint-Thomas-d’Aquin de Saint-Lambert peut désormais bénéficier d’une reconnaissance publique élargie et aspirer au titre de monument religieux moderne. Si toutes les églises, anciennes comme modernes, avaient un tel outil à portée de main, force est d’admettre que la connaissance sur le patrimoine religieux serait beaucoup plus étendue. Il faut voir ce livre comme un outil de valorisation, un pas important dans le processus de patrimonialisation de l’église.