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Traduction : Christophe Rethore

Cette étude exhaustive des commissions scolaires protestantes du Québec a été écrite après que la Loi 180 eut aboli le système des écoles confessionnelles en 1998, et elle se lit comme un panégyrique. Les auteurs, Roderick MacLeod et Mary Anne Poutanen, dressent un portrait sympathique des commissions scolaires des communautés protestantes clairsemées dans la banlieue ou les quartiers de Montréal, les communautés agricoles des Cantons-de-l’Est, les villages de pêcheurs isolés dans la Gaspésie et les communautés migrantes du Grand Nord. L’ouvrage inclut également des chapitres distincts sur les commissions scolaires dissidentes, les écoles qui répondaient aux besoins des francophones protestants, la relation controversée avec la population juive de Montréal, le patriotisme qui a marqué les périodes de guerre, l’architecture des écoles, les origines du programme d’immersion française et l’aide sociale. Ce dernier sujet contient des renseignements particulièrement intéressants sur le mouvement « Home and School ». Pour cette étude, les auteurs ont fait une recherche approfondie, examinant les procès-verbaux de quelque 128 commissions scolaires réparties dans la province. Le point de vue présenté est donc celui des bureaux des commissions scolaires, une approche unique dans l’histoire de l’éducation au Canada.

MacLeod et Poutanen se soucient peu de la théorie du contrôle social ou de la thèse de la formation de l’État défendue par Bruce Curtis. Leur hypothèse est la suivante : à l’extérieur de Québec et de Montréal, villes où le gouvernement nommait les commissaires jusqu’en 1972, on pouvait vraiment voir la démocratie locale en action à travers les dirigeants des commissions scolaires. À cet égard, une analyse des taux de participation des votants et de la composition sociale des commissions scolaires aurait été utile. Mais les auteurs supposent, assez logiquement, que les notables locaux jouaient un rôle prédominant. Mes propres recherches sur les Cantons-de-l’Est au xixe siècle indiquent que, contrairement aux réglementations étatiques (et à ce qui est énoncé à la page 64), la décentralisation allait au-delà de la commission scolaire pour atteindre le sous-district desservi par chaque école. Évidemment, le contrôle au niveau local comportait certains inconvénients, notamment pour les écoles situées dans des zones à faible assiette fiscale, qui recevaient moins d’argent, mais il garantissait que les communautés jouissant d’une longue tradition de bénévolat accepteraient ce nouveau système basé sur la fiscalité.

Le regret que le processus croissant de centralisation bureaucratique ait conduit à une perte d’influence du milieu local est l’idée dominante qui sous-tend cette étude. Ce regret s’exprime de manière particulièrement vive quand il s’agit de la population anglophone, qui, en raison de la fermeture des petites écoles rendue nécessaire par la consolidation, vit son sens de la communauté miné, ce qui accéléra son exode hors de la province. Ainsi, il est ironique de constater que ce fut le Comité des écoles protestantes qui mit en oeuvre le processus de consolidation des années 1940. Tout aussi ironique est le retour du système scolaire québécois à ses pratiques initiales, dans un sens, lorsqu’il créa des conseils d’établissement pour chaque école, augmentant encore davantage la redondance de commissions scolaires de plus en plus centralisées et éloignées. Cependant, les grands complexes éducatifs impersonnels connus sous le nom d’écoles secondaires régionales subsistent (parfois à moitié vides) comme témoignages de l’arrogance technocratique de la Révolution tranquille.

Cet ouvrage m’a rappelé des souvenirs d’enfance agréables, ceux de mes années passées dans les trois salles de l’Académie Inverness (photo page 264), mais aussi d’autres souvenirs, beaucoup moins agréables, lorsque j’enseignais dans une usine éducative qui regroupait 5000 élèves provenant de 60 km à la ronde. Je suis resté plus insensible aux regrets des auteurs par rapport à la mort de l’enseignement « protestant » au Québec. Mon seul souvenir religieux scolaire reste la récitation du Notre Père le matin en arrivant à l’école, ainsi que les quelques histoires bibliques que nous écoutions dans les classes élémentaires. Selon MacLeod et Poutanen, l’une des caractéristiques les plus fortes du système scolaire protestant du Québec était son inclusivité. Parce qu’il accueillait tout résidant de la province qui n’était pas de confession catholique romaine, il se devait d’offrir un enseignement largement séculier. Les auteurs présentent trois soi-disant caractéristiques de l’enseignement protestant (p. 401) : le caractère libéral du programme, un programme scientifique relevé et une approche inclusive de l’étude de la morale et des valeurs. Mais comment ces trois éléments permettent-ils de distinguer cet enseignement de celui offert dans le système public des autres provinces ? En fait, comme le notent les auteurs (p. 94), le système confessionnel était un produit des exigences catholiques du xixe siècle, et non de celles des protestants. Dans le chapitre final, nous voyons comment la tentative actuelle d’accommoder tous les groupes religieux présents au Québec a tourné au cauchemar bureaucratique. Dans ces conditions, la solution évidente consisterait à suivre la recommandation du Rapport Proulx : éliminer la religion d’un système confessionnel qui, de toute façon, n’est plus vraiment officiellement confessionnel.

On peut facilement comprendre, toutefois, que les protestants voient d’un mauvais oeil la disparition, par le biais de la Loi 180, de leurs dernières garanties constitutionnelles toujours applicables en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. La Loi 101 a laissé un goût et un héritage amers et ce livre a été commandé par la Fondation pour la promotion de l’éducation protestante au Canada. Sur le plan historique par contre, MacLeod et Poutanen publient un travail bien équilibré, qui comporte peut-être plus de détails que le lecteur moyen l’aurait souhaité, compte tenu de la complexité et des anomalies du système scolaire québécois, mais aussi des nombreux noms d’école qui apparaissent çà et là dans l’étude. Cela dit, l’un des buts principaux était visiblement de produire un ouvrage de référence utile pour ceux qui ont un intérêt particulier pour les communautés anglophones (ou francophones protestantes) du Québec. À cet égard, la chronologie des événements clés, les cartes, les tableaux et l’index exhaustif revêtent un intérêt certain. De plus, l’accent est suffisamment mis sur quelques écoles particulières, l’ouvrage est bien écrit et les nombreuses photographies sont fascinantes. Tout cela permet de donner vie à ce qui aurait pu être une histoire passablement ennuyeuse. Étant donné l’envergure diachronique et géographique de cette étude, quelques erreurs factuelles sont inévitables, par exemple lorsque les auteurs affirment que l’Église anglicane avait peu d’influence dans les Cantons-de-l’Est (p. 31). Mais au bout du compte, cet ouvrage représente une contribution de taille à l’histoire de l’enseignement et des communautés au Québec et au Canada.