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Il convient d’abord de souligner le grand intérêt de cet ouvrage qui permet d’éclairer une face cachée de l’histoire des cégeps, soit l’institutionnalisation de la recherche dans cet ordre d’enseignement. L’auteur et ses deux collaboratrices (Lynn Lapostolle et Monique Lasnier) remontent à la naissance des cégeps pour dégager la lente progression des activités de recherche au sein des établissements, leur reconnaissance institutionnelle et la création de l’ARC (Association pour la Recherche au Collégial), qui se veut un lieu de partage et de promotion de la recherche. L’auteur décrit le travail collectif nécessaire sur le plan institutionnel, intellectuel et organisationnel pour créer une tradition de recherche dans ces institutions.

Cette institutionnalisation n’a pas suivi une pente linéaire. Depuis l’évocation de la recherche éducative ou pédagogique dans le rapport Parent, puis la création des cégeps et jusqu’à la reconnaissance institutionnelle actuelle de différents types de recherche, une longue route sinueuse a été parcourue, que reprennent les six périodes dégagées par Piché. Les trois premières décrivent la progression de ces activités entre 1967 et 1987. La période suivante (1988-1995) est qualifiée d’âge d’or. Cette faste période est le résultat de l’appui du gouvernement du Québec qui augmente le financement de la recherche, accroît le nombre de postes réservés à cette activité, intègre dans la mission des cégeps la recherche et assure le soutien à la recherche technologique avec, entre autres, le développement des centres spécialisés (futurs centres collégiaux de transfert de technologies). Une croissance des travaux de recherche ainsi que des publications se fait dès lors sentir. C’est aussi à ce moment que des universités créent le statut de professeur associé pour favoriser l’accès des professeurs des cégeps aux ressources financières et aux infrastructures universitaires. Un rapprochement université-cégep s’opère. Finalement, plusieurs collèges adoptent aussi des politiques institutionnelles de la recherche.

Toutefois, dès 1996 et jusqu’à l’aube des années 2000, la recherche collégiale « s’écroule » pour reprendre le titre du chapitre. Deux événements seraient à la source de ce retournement de situation. D’une part, le Fonds FCAR abolit, en 1991, le programme de financement de la recherche collégiale ; les effets se font sentir quelques années plus tard. D’autre part, à un moment où la priorité gouvernementale est la lutte au déficit, le financement des dégrèvements de cours pour des fins de recherche est fortement réduit.

Au cours de la dernière période, qui s’amorce en 2000, les principaux artisans de la recherche oeuvrent à trois chantiers : améliorer le financement de la recherche afin de compenser les pertes de la période précédente, étendre la diffusion et accentuer la valorisation de la recherche et finalement assurer une plus grande reconnaissance de la valeur des travaux qui sont réalisés dans les cégeps. Ce travail est toujours en cours.

À la lecture de l’ouvrage, nous comprenons que plusieurs facteurs ont contribué à développer les activités de recherche. Le premier est la mobilisation de nombreux professeurs de cégep qui ont, individuellement, et surtout collectivement, mis à l’ordre du jour la recherche comme pratique légitime. La contribution de nombreux chercheurs est d’ailleurs soulignée tout au long de l’ouvrage. La création de l’ARC est également un événement central dans la promotion de la recherche.

Un second facteur est le soutien gouvernemental qui, parce qu’inégal, a contribué aux fluctuations de la recherche au fil du temps. La politique économique du gouvernement, dans la première moitié des années 1980, a contribué à structurer la recherche technologique avec la création des premiers centres spécialisés qui sont, par la suite, devenus les centres collégiaux de transfert technologique. Cela est dit dans l’analyse, mais l’auteur n’insiste pas sur cette dimension essentielle. Le gouvernement les a dotés d’un mandat de soutien technologique et d’aide technique auprès des entreprises. Les deux énoncés de politique économique, Bâtir le Québec, ont directement contribué à instituer la recherche dans l’enseignement technique.

Un troisième facteur qui aurait pu être évoqué avec plus de force est la quête d’une identité institutionnelle des cégeps. Nouvel ordre d’enseignement dans les années 1960, le collégial devait créer sa propre identité. Si l’enseignement technique peut en référer au marché du travail pour l’établir, il en va autrement de l’enseignement préuniversitaire, qui est situé entre l’enseignement secondaire et l’enseignement universitaire. La recherche comme attribut propre à l’enseignement supérieur a contribué à distinguer les cégeps de l’enseignement secondaire et à les rapprocher de l’université, comme en fait foi la création du statut de professeur associé. En intégrant dans leur identité professionnelle et leurs tâches les activités de recherche, les enseignants se rapprochent de la figure de l’enseignant-chercheur universitaire.

Dans l’ensemble, l’ouvrage décrit avec précision le développement des activités de recherche dans les cégeps. L’auteur fait alterner les témoignages des principaux acteurs et la présentation de leurs travaux avec des données descriptives d’ensemble de diverses sources (données administratives, données bibliométriques, données institutionnelles, etc.). Si l’ouvrage est globalement bien documenté, il manque une information importante quant au développement de la recherche : le nombre de professeurs qui détiennent un diplôme de doctorat. Or ce titre est un bon indicateur pour connaître la part des enseignants qui ont aussi des dispositions à la recherche.

Ma dernière remarque porte sur le ton très souvent adopté qui est celui du partisan ou de l’entrepreneur institutionnel. En effet, l’auteur prend souvent parti comme si l’ouvrage était un outil promotionnel pour la recherche dans les cégeps plutôt qu’une étude sur le sujet. Fréquemment, et spécialement dans la conclusion, l’argumentation repose sur le postulat implicite qu’il va de soi que la recherche existe et se développe dans l’enseignement collégial. Or l’histoire montre que son institutionnalisation n’allait pas de soi et qu’un travail collectif de conviction, de mobilisation et de création de cadres organisationnels s’est révélé nécessaire. Piché n’avait pas besoin de faire corps avec les artisans de cette entreprise pour en décrire l’aventure intellectuelle et institutionnelle.