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Cette publication de Jean-Guy Rens est la traduction d’un volume paru en français sous le titre de L’Empire invisible : histoire des télécommunications au Canada de 1846 à 1956. La version anglaise comporte cependant quelques changements en ce qui concerne la présentation du texte, ce qui facilite grandement la lecture de l’ouvrage. La division des chapitres demeure essentiellement la même, cependant que de nombreux sous-titres qui divisaient le texte dans la version originale ont été évacués pour le plus grand bénéfice du lecteur.

L’introduction du texte anglais relève toutefois de considérations différentes. D’entrée de jeu, l’auteur informe le lecteur que cet ouvrage n’a pas la prétention d’être scientifique. Cette mise en garde donne non seulement le ton au texte lui-même, mais également prévient toute équivoque ou prise de position pour qui serait tenté de comparer la version anglaise à la version originale de 1993, laquelle a conduit à de vives critiques. Il n’est pas de notre intention de présenter quelque commentaire ou de tirer quelque conclusion que ce soit face aux critiques formulées à l’époque et à la réplique de l’auteur qui a été publiée, dit-on, dans des circonstances exceptionnelles.

L’ouvrage de Rens est divisé en deux grandes parties : la période 1846-1915 et celle de 1915-1956. La première partie comprend trois sections : la télégraphie, le téléphone et la radio. Dans l’introduction, l’auteur présente l’histoire de l’industrie des télécommunications au Canada en contrepoint de son développement à l’échelle internationale. Ce chassé-croisé permet de jauger le rôle et l’impact de cette industrie au Canada et, du même coup, de situer son histoire par rapport au contexte nord-américain. À certains moments dans l’analyse, l’originalité de cette approche sert de toile de fond pour dégager les principaux paramètres au Canada.

Malgré une impressionnante masse de documents (monographies, thèses et documents universitaires, rapports de multiples comités d’étude ou commissions d’enquête, comptes rendus d’audiences publiques, documents d’organismes publics ou privés, etc.), le texte renvoie à une analyse axée presque exclusivement sur l’industrie du téléphone, ce qui conduit inexorablement à l’histoire de Bell Canada et laisse ainsi peu de place à une analyse en profondeur d’autres types d’industries des télécommunications. Dans cet espace discursif, la télégraphie, le câble sous-marin ou la radiocommunication deviennent des éléments secondaires et, à la limite, un prétexte pour nous relancer sur la piste de Bell. À cet égard, la perspective de l’auteur aurait certainement pu être élargie et ainsi rendre justice à l’histoire des télécommunications canadiennes plutôt que de se restreindre à une approche factuelle qui favorise le point de vue des dirigeants de Bell. En abordant l’histoire de l’industrie des télécommunications au Canada, il eût été légitime de s’attendre, par exemple, à une description plus étoffée de l’évolution des télécommunications dans les provinces maritimes dont Terre-Neuve (même si celle-ci ne fait partie de la Confédération canadienne qu’en 1949), cette dernière ayant été considérée comme le berceau des télécommunications pendant la seconde moitié du xixe siècle.

Certes, l’auteur présente quelques faits historiques, mais rien qui ne puisse (r)établir une sorte d’équilibre analytique permettant, à la limite, de faire contrepoids à l’histoire de Bell Canada. En outre, la première partie de l’ouvrage, divisée en trois sections (télégraphe, téléphone, radio), n’établit que superficiellement les liens entre ces technologies : le téléphone tient une place centrale dans l’analyse et, de ce fait, occulte nombre de faits historiques propres au télégraphe et à la radio. Il aurait été souhaitable que l’auteur aborde l’étude de ces trois technologies comme une sorte de triptyque dont les éléments interdépendants forment un tout plutôt que de les juxtaposer.

La seconde partie de l’ouvrage porte sur la période 1915-1956. À l’exception du téléphone, les développements technologiques au Canada pendant et entre les deux guerres mondiales sont à peine esquissés et renvoient, encore une fois, au dénominateur commun « Bell ». Il eût été important, croyons-nous, de faire ressortir davantage la dimension internationale des télécommunications durant la Première Guerre mondiale en s’attardant, par exemple, à la présence de la compagnie Marconi au Canada, au développement du projet de l’empire britannique Imperial Wireless Chain où le Canada joue un rôle de tout premier plan, etc. L’entre-deux-guerres est également jalonné d’événements majeurs qui ont permis au Canada de prendre ses distances vis-à-vis des États-Unis : la Commission Aird et la création de la Société Radio-Canada auraient pu servir de point d’ancrage à cette période et permettre une compréhension plus globale des activités dans le domaine des télécommunications. Que dire de la Deuxième Guerre mondiale avec l’accord de La Havane (1941), l’autorisation pour la création d’un Service international de Radio-Canada (1942), le service bilatéral de radio à l’intention des soldats au front et de leur famille, etc. Bref, le téléphone occulte tous ces éléments qui caractérisent l’histoire des télécommunications au Canada.

L’ouvrage de Rens demeure cependant une source d’information abondante et nul doute qu’il vient combler un vide important. Par son caractère non scientifique, ce livre a le mérite de susciter l’intérêt de nombreux lecteurs qui s’intéressent de près ou de loin à l’univers de l’industrie téléphonique au Canada. La publication de cette monographie en anglais permettra certainement de rejoindre un vaste public et, espérons-le, de faire revivre un volet de l’histoire des télécommunications à des lecteurs quelque peu nostalgiques et de faire découvrir à une jeune génération un passé récent de son histoire.