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L’ouvrage que nous présente Micheline Lachance est une biographie historique tirée de son mémoire de maîtrise (UQAM, 2007) centrée sur la vie de Rosalie Jetté, fondatrice de l’Hôpital de Miséricorde, un refuge pour mères célibataires. L’auteure s’est par ailleurs inspirée de ses trouvailles pour publier deux romans parus chez Québec Amérique (Les filles tombées, tome 1 et 2, Québec Amérique, 2008 et 2010).

La recherche s’appuie sur l’analyse de sources nombreuses bien que peu variées puisque provenant toutes du même endroit (Archives des Soeurs de Miséricorde). L’ouvrage nous semble néanmoins une contribution importante à une historiographie encore limitée sur la maternité hors mariage au Québec au XIXe siècle. Qui plus est, Lachance y démontre l’importance des femmes dans la création des institutions charitables et le rôle important d’une femme longtemps ignorée de l’historiographie, Rosalie Jetté.

Le premier chapitre traite de la naissance et de la vie de Rosalie Jetté jusqu’à la création de l’Hospice de Sainte-Pélagie (ancêtre de la Miséricorde). Lachance y dépeint l’enfance de Rosalie, son mariage, les difficultés financières menant à son déménagement à Montréal, la naissance de ses enfants, la mort hâtive de son mari à la suite de l’épidémie de choléra et le dévouement de Rosalie pour les oeuvres de charité. L’auteure décrit irréprochablement les débuts difficiles de l’hospice pour mères célibataires, un établissement qu’elle considère, à juste titre, « avant-gardiste » (p. 59). Elle brosse un tableau des persécutions auxquelles devaient faire face les fondatrices de l’institution. On peut toutefois regretter le peu d’élaboration sur certaines questions, comme l’origine de la relation entre Rosalie Jetté et l’évêque Bourget, celui-ci apparaissant dans le récit sans contexte préliminaire. De même, l’auteure se questionne sur « l’influence de madame Cadron [mère de Rosalie] qui était sage-femme à Lavaltrie » (p. 39) sur le cheminement de Rosalie, mais ne va pas plus loin à ce sujet. Pourtant, la vie du père et celles de nombreux ancêtres masculins y sont largement décrites – tout comme l’histoire de la ville de Lavaltrie – alors que ces éléments n’ont que peu ou pas d’intérêt pour le récit. C’est certainement l’absence de sources qui explique en partie ces choix qui laissent néanmoins le lecteur perplexe.

Les chapitres 2, 3 et 4 s’éloignent de la biographie, tout en gardant en toile de fond la vie de Rosalie Jetté, pour se pencher sur des questions plus générales liées à la maternité hors mariage au XIXe siècle. Dans le deuxième chapitre, Lachance s’intéresse aux filles-mères et démontre qu’elle a effectué un travail minutieux dans les sources de l’époque : le lecteur en apprend énormément sur l’origine et les caractéristiques démographiques des pensionnaires de la maternité. Le chapitre 3 amène un éclairage intéressant sur la tutelle religieuse. On peut y lire par exemple que Mgr Bourget a fini par exiger la création d’une communauté religieuse forçant plusieurs femmes, le plus souvent des veuves comme Rosalie Jetté (devenue mère de la Nativité), à prendre le voile. Les autorités ecclésiastiques masculines prennent alors le contrôle des règlements et du fonctionnement de la maternité. L’évêque Bourget s’est par ailleurs souvent attribué – et fait attribuer par les historiens, à tort – la création de l’institution pour filles-mères.

Enfin, le chapitre 4, le plus intéressant selon nous, porte sur la tutelle médicale et permet de réaliser qu’en l’espace d’une décennie (1850 à 1860), les médecins ont pris le contrôle des accouchements à la maternité. Une source particulièrement intéressante est reproduite en appendice du livre ; il s’agit d’une lettre de la mère supérieure, datée de 1861, adressée à Mgr Bourget, lui demandant d’intervenir face au manque flagrant d’hygiène et de notions essentielles concernant l’accouchement chez certains étudiants en médecine. On peut toutefois regretter la conclusion clichée du chapitre : « Ce fut le prix à payer pour que la science évolue » (p. 160). Il nous semble que l’évolution de la science ne devrait jamais servir à légitimer les abus.

Le dernier chapitre évoque les dernières années de Rosalie Jetté. On a parfois l’impression que la biographie, qui devrait s’éloigner de l’hagiographie, tend à s’en rapprocher un peu trop à quelques reprises. L’auteure, par exemple, ne prend que peu de distance par rapport aux cas rapportés de miracles (p. 180-181) en négligeant parfois de nommer ses sources à l’intérieur du texte. Qui plus est, elle a tendance à s’approprier les paroles des contemporains de Rosalie Jetté, comme lorsqu’elle dénigre les actions de soeur Sainte-Jeanne-de-Chantal pour mieux vanter les mérites de soeur de la Nativité (p. 174-180). La même tendance s’observe par ailleurs plus tôt dans le livre lorsque Lachance s’attarde à discréditer les propos de Louis-Antoine Dessaulles sur les mauvais traitements subis par certaines pensionnaires. Elle écrit que « rien dans les sources ne vient corroborer les accusations » (p. 123), ce qui ne devrait toutefois pas être un argument, étant donné la nature des sources utilisées dans le cadre de sa recherche.

Somme toute, l’ouvrage est agréable à lire et constitue sans aucun doute un apport intéressant à l’historiographie de la maternité hors mariage au Québec. On peut toutefois reprocher à l’auteure de n’avoir pas suffisamment fouillé certains thèmes abordés dans l’ouvrage. À quelques reprises, elle écrit que les débats ont été « savamment étudié[s] par les historiens du Québec et d’ailleurs » (p. 16 ; un cas semblable se trouve à la page 93), sans pour autant indiquer des références. On constate donc que la revue historiographique est partielle et, le plus souvent, uniquement québécoise. L’auteure cite à de nombreuses reprises les mêmes historiens. Par exemple, lorsqu’il est question des institutions charitables, Lachance se réfère uniquement à Huguette Lapointe-Roy alors qu’il existe de nombreux autres travaux portant sur le XIXe siècle ou la fin du XIXe siècle (Janice Harvey, 2002 ; Marian Morton, 1993 ; Leslie Savage, 1982). Au sujet des « filles tombées », l’auteure aurait facilement pu consulter des ouvrages historiques autres que québécois (Rachel Fuchs, 1992 ; Carolyn Strange, 1995 et Patricia Trumper, 1986). Une historiographie plus riche aurait ajouté à la valeur de l’étude et aurait été utile pour appuyer les sources.