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À l’ombre des grands noms de la médecine et des sciences en Europe, en Amérique du Nord et au Canada, les deux auteurs chevronnés, Stéphane Castonguay et Camille Limoges, nous font connaître, dans ce premier tome, une de ces figures canadiennes souvent ignorées, délaissées ou mal perçues par l’historiographie canadienne. Homme politique célèbre, membre du Parti patriote, éminent médecin de la bourgeoisie québécoise, François Blanchet (1776-1830) a participé à cette vive émulation scientifique au tournant des xviiie et xixe siècles.

À cet effet, leur ouvrage propose deux parties dans lesquelles nous pouvons retenir trois sections essentielles qui rythment la vie de ce médecin bas-canadien, à l’excellente réputation professionnelle. La première décrit ses années d’études dans les villes de Québec et de New York ; la seconde s’attarde sur la doctrine scientifique de ce médecin (c’est-à-dire sur sa conception de la médecine et des théories médicales en vigueur à son époque) ; enfin la troisième partie est une reproduction de son ouvrage qui s’intitule Les Recherches sur la médecine ou l’application de la chimie à le médecine, publié en juillet 1800. Les deux premières sections proposent une mise en contexte très détaillée, excellente et claire au sujet des théories qui jalonnent l’histoire de la médecine et l’histoire des sciences. En effet, à cette époque, les diverses disciplines scientifiques ne sont pas séparées comme à l’heure actuelle, et bien souvent les savants, depuis au moins l’époque médiévale, sont ce que nous nommons aujourd’hui des multidisciplinaires. Cette mise en contexte constitue, sans doute, l’apport le plus original de cet ouvrage. D’ailleurs, l’appareil scientifique est des plus élaborés, avec plus de 140 pages de notes (806 notes dont 306 sur le manuscrit) et de références bibliographiques, avec un index détaillé qui complète le tout.

Issu d’une famille canadienne-française, François Blanchet naît le 3 avril 1776 à Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud, près de l’actuel Montmagny. Ce fils d’agriculteur aisé commence ses études au séminaire de Québec à partir de 1790-1791, qu’il quitte en janvier 1794 afin de se consacrer à un apprentissage en médecine jusqu’en 1799, auprès de James Fisher, chirurgien militaire, membre de l’élite médicale de Québec. En effet, la médecine au Canada, surtout après la Conquête en 1760, s’apprend par le système de l’apprentissage – le Canada ne bénéficiant pas d’écoles, d’instituts ou d’universités comme son pays voisin, les États-Unis – ou bien les jeunes gens se rendent en Écosse à l’Université d’Édimbourg. François Blanchet se perfectionne à New York au Columbia College dès 1799. Les auteurs expliquent fort bien, à cet effet, tout le système de l’enseignement de la médecine du xviiie siècle en Amérique du Nord, tant au Canada qu’aux États-Unis, ainsi que son contenu, très théorique, qui correspond aux exigences du moment.

En cette fin du xviiie siècle et en ce début du xixe siècle, François Blanchet s’inscrit à la charnière de deux mouvements théoriques scientifiques qui marquent l’Europe et l’Amérique : d’un côté, la persistance de la théorie humorale d’Hippocrate et de Galien et le développement du vitalisme de Stahl, et de l’autre, la naissance et le développement de la médecine clinique, avec le rôle primordial, et sans précédent, de l’école française, rôle qui perdure pendant une bonne partie du xixe siècle. C’est la fin d’une tradition médicale ancienne qui laisse la place à la médecine moderne. C’est à New York que François Blanchet commence à rédiger des articles médicaux sur les préoccupations du moment, c’est-à-dire le rôle de la chimie dans la médecine. Il faut dire qu’un Antoine Laurent de Lavoisier en France, que la Révolution française s’est chargée de raccourcir en 1794, a oeuvré en ce sens et a eu une grande influence sur ses contemporains et successeurs : père de la chimie moderne et également physicien à ses heures, on lui doit, entre autres, la nomenclature chimique (les symboles chimiques), la composition de l’air et de l’eau, la découverte du rôle de l’oxygène dans les combustions et dans la digestion animale. Certes, l’écrit de François Blanchet ne fait pas autorité à l’époque parmi ses confrères européens et nord-américains, mais il a le mérite de poser une des premières pierres de l’édifice qui s’appelle « la médecine moderne au Canada ». C’est aussi une façon pour les deux auteurs de montrer qu’au-delà de la très forte influence médicale et scientifique de l’Europe, surtout de la France, et de l’influence certaine des États-Unis sur Blanchet, le Canada peut aussi jouer un rôle international, même si les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes.

Un dernier point mérite d’être souligné : le courage de l’éditeur de publier sur papier des éditions de textes anciens et des versions annotées de documents significatifs. Après plus d’un quart de siècle d’abandon relatif, ce type de travail redevient populaire grâce à Internet. Mais des chercheurs, comme Stéphane Castonguay, Camille Limoges, Georges Aubin ou France Martineau, redonnent aujourd’hui leurs lettres de noblesse aux éditions sur papier.

Dans le deuxième tome, les auteurs proposent d’explorer la carrière postérieure de médecin et d’homme politique de François Blanchet. Si la qualité de la recherche et de l’analyse se maintient, nous sommes en droit d’espérer un nouvel ouvrage de qualité.