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Cet ouvrage regroupe huit textes sur les relations franco-amérindiennes dans le centre du continent nord-américain entre 1630 et 1815. Provenant d’universités canadiennes, américaines et françaises, les différents collaborateurs de cet ouvrage incarnent la volonté du champ de l’histoire des relations franco-amérindiennes de dépasser les frontières nationales et régionales. Dans leur introduction, les directeurs Robert Englebert et Guillaume Teasdale insistent en effet sur l’isolement des historiographies canadiennes, québécoises et américaines ainsi que sur l’amnésie des Français quant à leur passé colonial en Amérique du Nord.

Conçu dans la foulée du 34e colloque annuel de la French Colonial Historical Society qui s’est tenu à Québec en 2008, cet ouvrage expose également les nouvelles orientations de la recherche qui, depuis quelques années, testent les limites du paradigme du « Middle Ground ». À ce paradigme, les directeurs privilégient plutôt le concept de ponts, qu’ils empruntent à l’ouvrage de Jay Gitlin, The Bourgeois Frontier (Yale University Press, 2010). Selon eux, le processus historique de création de ponts (« historical bridge-building processus ») traduit davantage la complexité et la richesse des rencontres franco-amérindiennes. Cet ouvrage se veut en effet un examen des succès et des échecs de ce processus.

Les deux premiers chapitres concernent les interactions rituelles entre Français et Autochtones. Kathryn Magie Labelle démontre d’abord que les Wendats échouent à incorporer les Français dans leur confédération au début du XVIIe siècle. Comprenant la signification religieuse de la cérémonie du festin des âmes, les jésuites refusent d’enterrer les ossements des Français avec ceux des Wendats. Aucun « malentendu créateur » ne vient sceller le renforcement de l’alliance proposé par les Wendats. À l’inverse, Christopher M. Parsons démontre que la consommation du tabac est une clé pour comprendre les échanges culturels entre Amérindiens et Français aux XVIIe et XVIIIe siècles. Quoique sa consommation ait une signification culturelle et spirituelle différente pour les Européens et pour les Autochtones, le tabac crée un pont entre les deux cultures et rend ainsi l’inconnu compréhensible.

Les troisième, quatrième et cinquième chapitres mettent en lumière les connexions transatlantiques influençant la rencontre franco-amérindienne. Tout d’abord, Robert Michael Morissey revisite la signification du conflit qui survient entre les jésuites et les prêtres du Séminaire de Québec au Pays des Illinois à la toute fin du XVIIe siècle. Envisagé dans une perspective transatlantique, cet événement n’apparaît plus seulement comme un conflit de juridiction, mais comme la confrontation entre deux stratégies missionnaires en compétition à l’échelle de l’empire français. Focalisant sur la question de la langue, cet affrontement porte notamment sur la nature de la frontière entre les Français et les Amérindiens. Dans le quatrième texte, Richard Weyhing présente les circonstances au cours desquelles Antoine Laumet dit de Lamothe, sieur de Cadillac, a convaincu le ministre de la Marine d’établir une colonie française à Détroit au début du XVIIIe siècle. Cette machination politique d’envergure exacerbe toutefois les conflits existants entre les nations amérindiennes et court-circuite les intérêts impériaux qu’elle est censée défendre. Les origines de la Guerre des Renards doivent donc être appréhendées à travers le fonctionnement de la relation patron-client dans la métropole.

Pour sa part, Gilles Havard aborde la manière dont la monarchie française conçoit le statut des Autochtones catholiques. Après l’échec de l’assimilation des Autochtones à la citoyenneté française dans la première moitié du XVIIe siècle, la Couronne élabore un nouvel appareil rhétorique d’intégration : la politique de protection. Cette dernière s’inspire des relations entre le roi et ses provinces ainsi que de la diplomatie internationale. Quoique les Autochtones conservent leur souveraineté et leur autonomie politique, le concept de protection sous-tend tout de même une alliance inégale ainsi qu’une forme de domination exercée à travers la médiation.

Le sixième chapitre porte sur les relations diplomatiques dans la vallée du Mississippi. Arnaud Balvay résume l’histoire complexe des relations franco-natchez entre 1682 et 1736 pour éclaircir les causes de la révolte des Natchez de 1729. Ce massacre révèle sans aucun doute l’échec de cette rencontre.

Les deux derniers textes portent sur la période post-Nouvelle-France. Tout d’abord, John Reda examine la carrière de deux Français oeuvrant dans le commerce de la fourrure au Pays des Illinois après 1763. En mettant de l’avant leurs relations personnelles avec les Autochtones, ces deux individus concilient leur avancement professionnel et économique avec les politiques et les intérêts des Espagnols et des Américains. Finalement, Nicole St-Onge se penche sur les comportements socio-économiques des voyageurs canadiens-français qui participent à une expédition vers le fort Astoria au début du XIXe siècle. Ces différents comportements laissent entrevoir des stratégies liées aux objectifs à long terme des voyageurs, tant pour ceux qui reviennent dans la vallée du Saint-Laurent que ceux qui choisissent de s’établir dans l’intérieur du continent. Reda et St-Onge démontrent tous deux la persistance de la présence des Canadiens français dans le centre du continent américain jusqu’au début du XIXe siècle ainsi que le caractère déterminant de leur interaction avec les Autochtones.

En conclusion, cet ouvrage regroupe des contributions dépeignant habilement la diversité des rencontres franco-amérindiennes entre 1630 et 1815. La majorité des auteurs relèvent également le défi de traverser les frontières nationales et d’élargir leur perspective à un cadre transatlantique. Toutefois, le texte d’Arnaud Balvay contraste avec les autres de par son caractère événementiel et par sa problématique beaucoup moins élaborée. Après une longue chronologie des relations franco-natchez depuis la « découverte » du Mississippi, l’auteur conclut son chapitre en discréditant les diverses théories du complot avancées à l’époque, en disculpant un commandant accusé à tort et en identifiant d’autres acteurs ayant probablement eu une responsabilité dans l’éclatement de cette révolte. Balvay aurait toutefois gagné à approfondir ce que les accusations des autorités métropolitaines et louisianaises nous apprennent de leur conception de leur relation avec les Natchez ainsi qu’à se pencher sur la spécificité de cette « rencontre ratée » dans les relations franco-amérindiennes des XVIIe et XVIIIe siècles.