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L’historien Michel Lévesque nous propose un imposant ouvrage de 809 pages sur l’histoire de la plus vieille formation politique du Québec, le Parti libéral, de ses origines jusqu’en 1960. Un parti qui a détenu le pouvoir une cinquantaine d’années sur ces 93 ans ! Les historiens s’étaient bien intéressés à quelques chefs libéraux, dont Louis-Alexandre Taschereau, Adélard Godbout, Georges-Émile Lapalme, Jean Lesage ou Robert Bourassa, mais aucune monographie n’avait encore traité la longue histoire du PLQ. Il faut dire que la longévité de cette formation politique, l’imbrication des ailes provinciales et fédérales, la multitude d’organismes gravitant autour du parti et le problème de dénomination des organisations libérales constituaient de nombreux défis pour l’auteur.

Le premier chapitre porte sur l’histoire même du PLQ, de sa formation dès 1867 à la première prise du pouvoir en 1897 ainsi que sur la domination de l’aile fédérale de 1936 à 1958. L’auteur décrit un système libéral de distribution du patronage par l’attribution de contrats ou la nomination de partisans à diverses fonctions politiques, juridiques ou administratives, ce qui permettait d’augmenter autant la notoriété du parti que le pouvoir de son chef. Un parti, rappelle l’auteur, dominé par le chef et les parlementaires, et qui regroupe essentiellement des notables, des entrepreneurs et des organismes privés. Dans les deuxième et troisième chapitres, Michel Lévesque traite de la machine électorale, cette entité éphémère qui n’existe que le temps d’une élection, et des diverses tentatives plus ou moins fructueuses des libéraux pour doter leur parti d’une organisation permanente.

L’une des parties les plus originales de l’ouvrage se trouve dans les chapitres 4 et 5. L’auteur examine de plus près les clubs politiques, tels que les clubs de réforme de Montréal et de Québec, ces organisations stratégiques gravitant autour du PLQ. Leur mission est notamment de regrouper les partisans, d’appuyer les organisations électorales dans les circonscriptions et de promouvoir la philosophie libérale. On en retrouvera une multitude : la seule région de Montréal en comptera pas moins de 22 ! Chacun ayant ses origines, ses buts, son fonctionnement et ses dirigeants. Certains s’adresseront à des clientèles spécifiques que ce soit les femmes, les jeunes et les ethnies. Comme le précise l’auteur, tous ces clubs jouent des rôles différents mais complémentaires : une véritable nébuleuse libérale. Pour le premier ministre Lomer Gouin, « le club politique est aussi nécessaire à un parti qu’une église à une religion ».

À ce monde d’organisations extraparlementaires libérales s’ajoute la presse écrite partisane qui vit un âge d’or de 1896 à 1936 avec le Soleil et le Canada. À l’instar des clubs politiques, la presse libérale cherche aussi à obtenir les généreux contrats des gouvernements québécois et canadien. L’arrivée au pouvoir des unionistes de Maurice Duplessis provoquera un réalignement et même plusieurs disparitions pendant cette période. À ce sombre tableau, l’auteur note qu’il y aura quelques exceptions locales, comme le Witness de Montréal, propriété de John R. Dougall.

Dans l’un des derniers chapitres du livre, l’auteur précise d’emblée la difficulté pour l’historien d’étudier l’un des aspects les plus secrets, celui des finances des organisations libérales, tout comme la question de la caisse électorale et le rôle des trésoriers, fonction très souvent occupée par les premiers ministres eux-mêmes. Michel Lévesque révèle que le PLQ est en phase avec l’élite économique du temps qui, en échange de contrats, lui assurait un généreux appui financier. Un système de financement dont allaient d’ailleurs s’inspirer par la suite les unionistes de MM. Martineau et Duplessis. Georges-Émile Lapalme est le seul chef libéral qui tentera de se défaire de l’influence des trésoriers en créant la Fédération libérale du Québec. S’il est maître du programme politique et insuffle un certain mouvement de démocratisation au PLQ, Lapalme ne parviendra pas à gagner la bataille : les trésoriers feront sentir leur pouvoir en coupant notamment les fonds lors de la dernière semaine cruciale de la campagne électorale de 1956.

Ce livre monumental de Michel Lévesque démontre toute la rigueur dont a fait preuve cet historien qui n’a pas hésité, malgré l’immensité de la tâche, à se lancer à l’assaut de l’histoire du PLQ. Si parfois le grand nombre de tableaux et les longues énumérations de noms propres alourdissent et compliquent la lecture, il ne fait aucun doute que l’ouvrage demeure une contribution significative à l’histoire politique du Québec contemporain puisqu’il jette un éclairage nouveau sur la nébuleuse libérale présente dans notre vie politique depuis près de 150 ans.