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Ce riche ouvrage est l’aboutissement d’un colloque qui s’est tenu à Québec en septembre 2004 et dont il reprend la majorité des communications. Comprenant quarante-six articles, il brosse un large portrait historique des rapports professionnels et humains que l’exercice quotidien de la justice met en action. L’intérêt pour les auxiliaires de justice prolonge un récent renouveau de l’histoire du droit et du fait judiciaire, prenant place au croisement de plusieurs recherches collectives menées actuellement tant en Europe qu’en Amérique du Nord.

Parmi les auteurs de cet ouvrage, il convient de relever des auteurs qui ont contribué depuis de longues années aux recherches sur l’histoire de la justice (R. Descimon, M. Porret, G. Audisio, W. Brooks, C. Dolan…) et de jeunes chercheurs (I. Carrier, A.-C. Claudel…) qui lancent parfois de nouvelles approches du fait judiciaire. Toutefois, on peut regretter une sous-représentation des historiens des facultés de droit, qui auraient pu contribuer utilement à nourrir ces réflexions ainsi que l’absence d’études portant sur les colonies nord-américaines en dehors du contexte canadien.

Comme le souligne Claire Dolan, l’auxiliaire de justice, à la jonction de l’État et de la population, a été quelque peu négligé dans l’historiographie récente. La première partie de l’ouvrage est consacrée à ceux qui sont auxiliaires de justice par leurs fonctions. La seconde - intitulée « auxiliaires de la justice ou auxiliaires de justice » - évoque la question des professions ou des personnes, qui, sans posséder de véritable fonction dans l’appareil judiciaire, participent au bon exercice de la justice. L’ouvrage, et c’est l’un de ces mérites, dresse ainsi un portrait quasi exhaustif de ceux qui ont été amenés, durant cette longue période allant du Moyen-Âge au xxe siècle, à participer à l’exercice pratique de la justice. Certains corps, officiels ou dont les groupes sont numériquement plus importants, bénéficient de plusieurs articles qui permettent une vision d’ensemble, quoique moins innovante, de leur activité. Il en est ainsi des notaires, des procureurs, des avocats, des bourreaux ou des commissaires. Parmi ces auxiliaires de justice, deux groupes, les gardes-forestiers et les sergents, plus méconnus, sont éclairés par une série d’études de qualité.

Il est difficile de rendre compte de l’ensemble des travaux de cet ouvrage. Certains permettent de mieux appréhender les traditions juridiques et sociales qui se sont implantées dans le Nouveau Monde. Ainsi, l’article de C. W. Brooks apporte de précieux enseignements sur le rôle qu’ont joué les « lawyers » anglais dans les relations entre les juridictions et les justiciables du xve au xixe siècle, rôle qui se poursuivra dans le contexte de la colonie nord-américaine. À ce titre, l’article de J. Hayhoe, portant sur l’arbitrage dans la pratique bourguignonne de la fin du xviiie siècle, apporte de précieux renseignements statistiques sur l’exercice de l’arbitrage devant les juridictions de l’Ancien Régime français, rôle appartenant largement aux avocats et aux notaires en Bourgogne comme en Nouvelle-France. Les articles de R. Carvais, de M. Porret, de M. Daniel et de F. Chauvaud - portant respectivement sur l’apport judiciaire des maçons, des sages-femmes et des chirurgiens, des médecins et sur l’expertise professionnelle - sont particulièrement éclairants sur le rôle méconnu des experts et des professionnels dans les rapports entre la justice et les justiciables.

Six articles intéressent plus particulièrement l’histoire de la justice en Amérique : il s’agit des travaux de D. Fyson, de J.-P. Garneau, de S. Normand, de M. P. Brunet, de D. Wright et de K. White. Le premier de ces travaux traite de l’évolution du rôle des auxiliaires de justice de la Nouvelle-France jusqu’au régime mis en place par les Britanniques après la Conquête. Rappelant l’état de la recherche sur l’histoire de la justice et du droit sur cette période, D. Fyson apporte, à la suite de ses nombreux travaux, d’intéressants éclairages sur les nombreuses professions qui ont assuré le passage sans trop de heurts du système français au système britannique. Il rapporte notamment que près des deux tiers des auxiliaires de justice actifs au moment de la Conquête restent en poste durant la période 1764-1774, époque durant laquelle les catholiques étaient en principe exclus des fonctions judiciaires. Prenant l’exemple des notaires, D. Fyson montre qu’en leur très grande majorité, ils s’accommodent du nouveau régime leurs commissions étant renouvelées par les autorités britanniques et continuant à acter selon le droit français, les juridictions reconnaissant la validité de ces instruments. Démontrant une habileté dans l’évocation des normes tant françaises qu’anglaises – comme le montre l’exemple de Panet de Meru – les juristes de cette période ont su évoluer sans oublier leurs origines. Concernant le personnel des cours, si celui de la Cour des Plaids communs fait montre d’une certaine continuité, permettant notamment la poursuite du bilinguisme, le personnel de la Cour du Banc du roi et des juridictions criminelles est davantage marqué par le caractère britannique de la procédure et du recrutement. S’adaptant plus facilement au nouveau contexte que les juges, les auxiliaires de justice furent ainsi les instruments idoines d’une transition d’un régime à l’autre.

Prolongeant notamment les travaux d’E. Kolish, J.-Ph. Garneau met l’accent sur la représentation des justiciables devant la Cour des Plaidoyers communs de Québec, principalement durant l’année 1786. Il constate la faible part de litiges entre membres de groupes ethniques différents et souligne la surreprésentation des Britanniques – au vu de leur poids démographique – devant cette cour. Analysant le Barreau naissant, il met de l’avant une forte disparité dans l’activité des avocats, une relation ethnique importante – les trois quarts des parties choisissent un avocat du même groupe ethnique – et une forte activité des avocats francophones. Il souligne enfin une certaine mixité culturelle et juridique d’avocats provenant d’horizons divers mais se retrouvant autour d’une tradition juridique mixte commune. Sylvio Normand prolonge la réflexion sur la profession d’avocat, se penchant plus spécifiquement sur la deuxième moitié du xixe siècle. Peu formés, les avocats, avec la mise en place d’un enseignement universitaire à partir de 1848 et une nouvelle reconnaissance juridique du barreau en 1849, voient leur rôle, en tant que corps, renforcé. L’auteur démontre efficacement les liens entre l’évolution des sources du droit, le développement d’une éthique du Barreau, celle d’une littérature juridique propre et l’approche quotidienne du droit qu’adoptent les praticiens. Bien implantés professionnellement, ces « messieurs du droit » affirment une véritable identité singulière dans les journaux étudiants de l’Université de Montréal et de Laval au xxe siècle, tel que l’établit M. P. Brunet. Les juristes apparaissent dans cette représentation comme les défenseurs de la veuve et de l’orphelin, membres d’une aristocratie intellectuelle et dirigeante sur laquelle pèsent des devoirs religieux – écho lointain de la figure de l’officier de justice des xvie et xviie siècles – faisant du droit une science morale. Lieu de fraternité, la Faculté de droit – où les luttes sociales ne sont pas absentes – connaît des évolutions spectaculaires, passant du rigorisme moral catholique à la « course aux dollars », puis – comme le souligne l’auteure – à une forte masculinité hétérosexuelle.

L’article de D. Wright pose, quant à lui, l’intéressant problème du rôle des psychiatres comme intermédiaires entre la justice et les justiciables, notamment par l’établissement de certificats en Ontario et en Angleterre. L’auteur montre que la législation ontarienne va ériger progressivement des barrières contre les abus dans l’établissement des certificats en évitant les collaborations entre médecins et propriétaires d’asile ou entre les familles et les médecins. L’article de K. White, enfin, pose le problème de l’expert psychiatrique et le recours persistant devant les juridictions canadiennes du xxe siècle au sens commun, soulignant à bon droit comment appréhender et évaluer la connaissance de l’expert.

Mettant bien en perspective le rôle des auxiliaires de justice, cet ouvrage servira de référence pour tout chercheur souhaitant mieux connaître les liens entre institutions et justiciables.