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Près de cinq ans après sa publication en langue anglaise, les Presses de l’Université Laval publient enfin ce livre essentiel sur la dernière décennie de Louisbourg, la forteresse française de l’Île du Cap Breton. Dans une très bonne traduction de Michel Buttiens, A. J. B. Johnston présente ce qu’il appelle le dernier chapitre de sa « biographie en plusieurs volumes de Louisbourg au XVIIIe siècle ». À Parcs Canada, Johnston s’est intéressé, depuis les années 1960, à l’histoire de la célèbre forteresse et s’est imposé, avec le temps, comme une autorité incontournable en la matière. Cet ouvrage pourrait être le dernier opus d’une longue et fructueuse carrière, mais nous ne le souhaitons pas.

En poursuivant la métaphore d’une partie d’échec coloniale entre la France, la Grande-Bretagne et la Nouvelle-Angleterre, Johnston propose une exploration de la dernière décennie de Louisbourg, de 1749, au moment où la forteresse fut rendue à la France après la guerre de Succession d’Autriche, jusqu’à sa chute ultime en 1758 en plein coeur de la guerre de Sept Ans. Les trois premiers chapitres portant sur les neuf premières années de la décennie, montrent comment les puissances coloniales ont placé leur jeu sur l’échiquier atlantique. Les quatre derniers chapitres analysent les dix derniers mois de l’établissement français, et suivent en détail les stratégies militaires qui menèrent à la prise anglaise du port de mer. Alors que dans ses autres études, Johnston avait habitué ses lecteurs à une histoire sociale, mettant l’accent sur la religiosité, les classes sociales ou l’économie locale, il présente ici une histoire résolument militaire, sans négliger ces derniers aspects. Dans un style toujours lisible, agréable et accessible, Johnston offre une synthèse des recherches récentes sur la forteresse, incluant les siennes, tout en maintenant un ton léger et un rythme haletant. Les universitaires recherchant une analyse profonde et systématique seront parfois déçus par la simplicité de ses propos, mais Johnston est passé maître dans l’art d’équilibrer la recherche académique et la vulgarisation destinée à un plus large public.

1758, La finale n’est toutefois pas sans défaut. La structure même du livre force l’auteur à comprimer neuf années d’une paix très relative entre la France, la Grande-Bretagne et leurs colonies en seulement trois chapitres. Ces 172 pages servent surtout à préparer le terrain pour les chapitres suivants. Johnston se préoccupe principalement des tensions militaires et économiques du triangle formé par Louisbourg, Halifax et Boston. Il y décrit aussi les différentes pièces du jeu d’échec colonial et leurs fonctions dans la partie, des Micmacs aux Canadiens, en passant par les Acadiens et les administrateurs des différentes puissances sur place et dans les métropoles. En tentant de tout expliquer en un minimum de pages, cependant, Johnston doit simplifier l’analyse. Le contraste est donc grand entre ces trois premiers chapitres et les quatre derniers qui comptent 197 pages, uniquement consacrés aux 10 mois de l’année 1758 qui menèrent à la fin de la présence française à l’Île Royale. Ici, les détails se bousculent et s’accumulent, en particulier ces menus détails dans les chapitres 5 et 6, où Johnston décrit parfois les événements d’heure en heure. Les amateurs de stratégies militaires s’en délecteront, les autres, habitués aux analyses plus humaines de Johnston, auront probablement quelque difficulté à accepter ce style. Ils auront la possibilité de se rabattre sur les longues descriptions de la vie quotidienne de la ville et les effets du siège américain sur ses habitants.

En somme, ce livre représente un bon complément à l’historiographie sur la rivalité coloniale entre la France et la Grande-Bretagne. Johnston y prouve la réelle importance de Louisbourg dans les stratégies militaires françaises pour la défense de ses possessions nord-américaines. Il démontre avec succès que cette défaite française fut un tournant décisif de la guerre de Sept Ans qui effacera l’Empire colonial français en Amérique du Nord.