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Après A Brief History of Quebec Education : From New France to Parti Québécois (Montréal, Harvest House, 1980) et Education in New France (Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1992), Roger P. Magnuson nous présente une synthèse de l’histoire de l’éducation entre 1760 et 1940 au Québec. Basé sur une comparaison des secteurs d’enseignement protestant et catholique, l’ouvrage a comme principal objectif de mener à une compréhension plus approfondie des composantes confessionnelles du système scolaire québécois. La matière traitée est vaste. Elle aborde les deux groupes linguistiques du système scolaire, en même temps qu’elle couvre la totalité du réseau public et privé, depuis l’élémentaire jusqu’à l’universitaire, en passant par le secondaire et le secteur technique. Malgré l’ampleur du sujet, Magnuson réussit à nous donner une vue d’ensemble particulièrement complète et éclairante d’une période riche et complexe de l’histoire de l’éducation. L’ouvrage est divisé en quatorze chapitres qui recoupent trois grandes périodes : la première (1760-1867) est brièvement traitée à l’intérieur des trois premiers chapitres, tandis que les deux autres (1867-1900 ; 1900-1940) font l’objet d’un développement plus substantiel à l’intérieur de chapitres thématiques.

Dans un premier temps, Magnuson se penche sur les difficultés inhérentes à la Conquête anglaise, laquelle n’a pas pour effet d’empêcher le maintien du réseau scolaire développé sous le Régime français. Pour l’auteur, la société canadienne des xviie et xviiie siècles demeure préindustrielle et, de ce fait, fonctionne relativement bien en dépit de l’analphabétisme qui affecte une large part de la population. En fait, le système scolaire public au Québec ne se met véritablement en place qu’au xixe siècle, plus particulièrement à partir des années 1840, époque où des lois scolaires en facilitent le développement. La législation qu’adopte alors la province de Québec est basée sur un réseau d’écoles communes à tous les enfants, peu importe leur langue et leur religion, tout en accordant aux minorités religieuses le droit à la dissidence. La majorité de la population étant catholique, on assiste alors à la création d’un réseau d’écoles séparées, surtout protestantes. Magnuson montre bien comment, concrètement, le système scolaire s’est ainsi peu à peu divisé sur des bases confessionnelles, les catholiques (pour la plupart francophones) et les protestants (massivement anglophones) exprimant le désir de recevoir une éducation séparée. Les lois scolaires de la deuxième moitié du xixe siècle viennent renforcer encore davantage cette division confessionnelle par la création d’un Conseil de l’Instruction publique à l’intérieur duquel deux comités, l’un protestant, l’autre catholique, se partagent la gestion du système scolaire. Peu à peu, ces comités se voient octroyer presque plein pouvoir sur l’éducation, l’État se réservant essentiellement un rôle de pourvoyeur.

Le développement du système scolaire durant la période 1900-1940, que l’auteur aborde dès le neuvième chapitre, s’inscrit sous le signe de la continuité. À l’exemple de la société, le conservatisme marque alors le réseau scolaire, lequel progresse certes numériquement, mais sans pour autant connaître de véritables réformes. La division confessionnelle du système d’éducation va même en s’accentuant. Malgré une industrialisation et une urbanisation croissantes qui créent de nouveaux besoins en matière scolaire, le système d’éducation catholique demeure massivement contrôlé par l’Église, laquelle se préoccupe peu de développer une éducation pratique et professionnelle. Au onzième chapitre, on voit quand même bien comment le secteur technique s’est développé au cours du premier xxe siècle, surtout grâce à l’intervention de l’État. C’est aussi au cours de cette période que le primaire se structure autour de trois niveaux scolaires : le primaire élémentaire, complémentaire et supérieur. Toutefois, les réformes les plus significatives concernent davantage l’enseignement secondaire et elles sont principalement introduites par les minorités catholiques anglaises et protestantes chez qui, par exemple, l’école secondaire publique mène directement à l’université. Dans le treizième chapitre, l’auteur accorde par ailleurs une attention particulière aux immigrants. La lecture qu’il propose de leur intégration dans les institutions d’enseignement catholiques et protestantes est fascinante et montre bien les limites d’un système d’éducation basé essentiellement sur des critères confessionnels.

La comparaison des deux principaux groupes linguistiques au sein du système scolaire, à laquelle s’adonne Magnuson tout au long de l’ouvrage, nous paraît féconde en ce qu’elle suscite l’intérêt pour des analyses comparées plus approfondies en histoire de l’éducation. Le secteur catholique, fortement contrôlé par l’Église, se distingue par un caractère confessionnel beaucoup plus marqué que chez les protestants. Non seulement la religion occupe-t-elle une place centrale dans les programmes d’études, mais elle reste présente dans l’enseignement des matières profanes et dans l’ensemble des activités proposées par les institutions d’enseignement. L’école protestante est, quant à elle, gérée majoritairement par des laïques et manifeste une ouverture et des pratiques beaucoup plus neutres. Elle n’évacue pas l’éducation religieuse, mais en raison de la coexistence de multiples confessions protestantes, son enseignement est basé sur la Bible, élément central de la morale et de la spiritualité protestantes. Dès le xviiie siècle, le secteur protestant se distingue encore par un taux d’alphabétisation plus élevé. Les protestants encouragent en effet l’appropriation individuelle des Écritures et, partant, l’apprentissage de la lecture. Ils sont donc plus soucieux de développer le réseau scolaire. Au xxe siècle, c’est encore eux qui affichent les plus hauts taux de fréquentation et d’assiduité scolaires. Disposant d’un plus grand financement et d’une clientèle moins imposante que du côté catholique, les protestants sont en effet en mesure de soutenir un réseau scolaire plus développé.

Au total, les chercheurs, aussi bien que les étudiants et les professionnels de l’éducation, trouveront dans l’ouvrage de Magnuson un tableau éclairant et juste de l’histoire de l’éducation au Québec. Compte tenu de la complexité des phénomènes éducatifs abordés, la qualité du travail de synthèse de l’auteur doit être saluée. Attentif aux minorités linguistiques et religieuses, l’ouvrage propose en outre une lecture moins monolithique et plus nuancée du passé scolaire québécois. On en souhaite déjà une traduction française, de façon à élargir le lectorat à un public francophone, concerné par cette histoire finement décrite des dynamiques et interrelations entre les principaux groupes culturels qui ont façonné le système scolaire québécois.