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Dans les relations complexes de la France avec le Québec pendant la Seconde Guerre mondiale, quelques travaux universitaires avaient fait émerger les noms d’Elisabeth de Miribel et de Gabriel Bonneau comme leurs acteurs principaux. Ainsi Philipe Prévost a publié, en 1994 aux Éditions du Blé : La France et le Canada, d’une après-guerre à l’autre (1918-1944) qui retraçait quelques-uns des épisodes de cette période dramatique, ouvrage que Smith ne cite pas. Mais ce dernier reprend le chantier et y apporte du nouveau ; il a eu accès aux archives et aux lettres de Marthe Simard, d’Auguste Viatte et de quelques autres dont le rôle n’avait jamais été perçu avec autant de netteté mais aussi avec toutes les nuances nécessaires. Il a également pu interroger les familles de ces personnes qui lui ont apporté nombre de renseignements. La bibliographie est très complète sur la période à de rares exceptions près, les notes en fin de volume montrent la solidité du travail d’archives. Les photos originales permettent de mettre des visages et des costumes sur la plupart des personnages dont il est question dans le développement.

La nouveauté principale se trouve dans le personnage méconnu de Marthe Simard, cette Française née en Algérie, venue veuve au Québec avant la guerre où elle a épousé le docteur Simard ; elle devient l’âme du mouvement favorable à la France libre à Québec et sera à ce titre la première femme députée au parlement provisoire d’Alger en 1943.

L’action précise d’Elisabeth de Miribel est également bien montrée. Cette jeune femme résistante de la première heure est envoyée par le général de Gaulle au Canada, où elle déploie une grande activité, avant de rejoindre les Forces françaises libres en Afrique puis en France ; son arrivée à Québec émeut particulièrement le professeur Viatte qui enseigne à l’Université Laval, jeune veuf père de deux garçons, mais ses espoirs de remariage sont très vite déçus. Le personnage de Viatte apparaît dans toute son ambiguïté, très proche de ses amis de la France libre mais sans jamais couper les ponts avec les partisans de Vichy, nombreux et influents au Québec, considérant avant 1942 que Pétain et de Gaulle mènent le même combat à leur manière. L’habile professeur ne perd jamais de vue son avenir professionnel quand il choisit ses allégeances.

Au-delà de ces très riches portraits, Frédéric Smith retrace avec minutie les lents progrès accomplis par les partisans de la France libre depuis Québec et Montréal. Les rivalités de personnes jouent à plein, surtout au début, avec les ambitions des Montréalais beaucoup plus violents que ceux de la capitale provinciale ; les appels à de Gaulle sont nécessaires qui doit envoyer sur place en mars 1941 son fidèle Thierry d’Argenlieu, accompagné d’Alain Savary pour remettre un peu d’ordre avec la nomination d’un seul représentant, le colonel Pierrené, resté toujours assez discret et inquiet pour sa famille demeurée en France.

Jusqu’à l’invasion de la zone libre en novembre 1942, qui aboutit à la rupture d’Ottawa avec Vichy, les fidèles de la résistance rencontrent une force opposition dans la société québécoise largement ralliée au maréchal Pétain. Une grande personnalité comme Henri Bourassa, le fondateur du Devoir, sort même de sa retraite : « Le reconstructeur de la France est vingt fois plus glorieux que l’héroïque défenseur de Verdun. En face de la calomnie d’un grand nombre de gens intéressés à ce que la France ne se relève pas, le maréchal Pétain accomplit un travail gigantesque. » (p. 95) Beaucoup d’autres comme l’historien Jean Bruchési et une majorité du clergé partagent les mêmes orientations et fustigent l’aventurier de Gaulle et ses défenseurs, et pendant le court moment où l’autorité de ce dernier est contesté par le général Giraud, c’est celui-là qu’ils favorisent. Il faut donc beaucoup de détermination à ce petit groupe de « gaullistes » pour faire avancer leur cause au Québec mais également dans le reste du Canada, moins atteint par la gangrène vichyste. Il faut attendre 1944 pour que, peu à peu, Marthe Simard et ses fidèles, soutenus par le délégué du général de Gaulle Gabriel Bonneau, parviennent à se faire entendre, mais Marthe Simard doit alors affronter la misogynie ambiante, car nombreux sont ceux, même parmi ses partisans, qui n’admettent pas qu’une femme soit ainsi promue par le gouvernement provisoire de la France.

Dans son épilogue, l’auteur donne les éléments postérieurs à 1945 des biographies de Miribel, Viatte et Simard ; ces perspectives sont les bienvenues, elles éclairent la motivation profonde de chacun : religieuse pour la première, universitaire pour le second, sens du devoir pour la troisième qui renonce après la guerre à tout rôle politique tout en s’apercevant qu’au Québec les anciens « vichystes » relèvent la tête avec un auteur comme Robert Rumilly.

Frédéric Smith retrace cette période rythmée par les événements de la grande histoire en éprouvant de la sympathie pour ces personnages hors du commun, qui ont beaucoup fait et beaucoup accompli, mais qui étaient restés jusqu’à cet ouvrage dans un relatif anonymat.

Un livre tout à fait intéressant bien informé sur la société québécoise mais aussi sur la situation française.

Smith nous fait découvrir des acteurs de second rang de l’histoire, ils n’ont pas changé son cours, mais font mieux comprendre comment elle avance avec les aléas du quotidien.