Corps de l’article

Jocelyne Murray a dépouillé une quantité impressionnante d’archives pour décrire avec force détails le développement de l’école publique dans les localités rurales de la Mauricie et dans la ville de Trois-Rivières de 1850 à 1900 : plus de 6000 lettres des municipalités scolaires, des parents, des contribuables, des institutrices, les rapports des inspecteurs et du Surintendant de l’Instruction publique, etc. Il en résulte une monographie régionale en sept chapitres denses et courts apportant un lot appréciable d’informations inédites et importantes (mais parfois aussi accessoires et pléthoriques, surtout dans les premiers chapitres) que les grandes synthèses auraient avantage à intégrer pour préciser leurs affirmations ou établir des comparaisons avec d’autres régions de la province durant la même période. La riche iconographie illustre les derniers chapitres.

Le premier chapitre montre en quoi les commissions scolaires reflétaient leur milieu. L’auteure attache d’abord son regard sur les facteurs d’établissement des écoles et les enjeux des élections scolaires, puis elle examine le statut des commissaires et secrétaires-trésoriers. Ces derniers « n’ont fait l’objet d’aucune étude » (p. 30), malgré l’importance centrale qu’on leur découvre ici. Murray décrit ensuite l’opinion que le Surintendant de l’Instruction publique et les inspecteurs d’école se faisaient des commissaires. Le deuxième chapitre s’intéresse au financement tripartite des écoles, formé des allocations gouvernementales, de la cotisation (un impôt foncier local) et de la rétribution mensuelle (des frais de scolarité). Ce chapitre décrit l’insuffisance des moyens dont disposaient les écoles et son effet négatif sur le salaire des institutrices, la construction des écoles, l’achat de matériel pédagogique ou de mobilier (p. 37).

Le troisième chapitre traite des affaires scolaires. Il étudie deux questions. (1) Le déroulement des affaires scolaires au sein des corporations et leurs enjeux habituels : l’emplacement des écoles et l’implantation des écoles modèles dans les villages. (2) Le rôle des curés dans les discussions publiques et l’administration des écoles. « Les rivalités entre les contribuables basées sur la somme des impôts payés ou sur le statut social démontrent la diversité du monde rural et la variété des attentes face à l’instruction. En somme, les contribuables rêvent tous d’une école à proximité de leur domicile, et les curés à une ou deux écoles modèles sous la direction de religieux enseignants. » (p. 94)

Le quatrième chapitre porte sur le recrutement, l’engagement, le licenciement et la rémunération des enseignants, selon leur statut et leur sexe (on apprend que les collèges sont entièrement à la charge des contribuables, mais pas les couvents), tandis que le cinquième expose les attentes des contribuables relativement à la compétence et à la moralité des enseignants, ainsi que le point de vue de ces derniers et leurs motifs de récrimination. Murray reprend la thèse, documentée par Charland, selon laquelle le comportement des maîtres d’école se conforme généralement aux normes sociales de l’époque et, malgré la grande vulnérabilité des instituteurs, entraîne peu de révocations ou de départs. Il y a néanmoins des exceptions. C’est le cas à Saint-Didace en 1880, quand une institutrice et son assistante furent accusées d’avoir démontré « [...] une familiarité démesurée dans l’école comme dans les chemins » (p. 137).

Le sixième chapitre concerne le coût, les caractéristiques architecturales (dimensions des classes, etc.) et l’état lamentable des maisons d’école durant la période examinée, ainsi que l’ameublement, les fournitures scolaires et le matériel pédagogique disponibles. Certaines écoles, provisoirement logées dans une pièce louée d’une résidence, déménageaient souvent. Bien que la situation fût généralement meilleure dans les écoles de village que dans les écoles de rang et qu’elle tendait à s’améliorer avec le temps, elle était néanmoins pitoyable. La craie et les tableaux noirs, par exemple, étaient rares vers 1877 et les cartes géographiques, périmées ou inexistantes vers 1900 (p. 180-181). Le dernier chapitre brosse le tableau de la scolarisation, de ses moyens et de ses effets, entre autres en termes de socialisation : le nombre d’inscriptions et l’assiduité des élèves, les modes d’enseignement, l’importance accordée aux différentes matières, le classement des élèves, l’évaluation des élèves et des maîtres, les règlements dans les écoles, les routines, les fêtes et les congés. On apprend ainsi que, vers 1872, tous les enfants de la Mauricie apprenaient à lire, mais qu’un tiers seulement était initié à l’écriture et à une des quatre opérations arithmétiques (p. 199-201). « [...] Ceux qui n’écrivent pas encore font partie soit d’une classe surpeuplée soit d’un groupe dont les parents n’achètent pas le matériel nécessaire. Lorsque la corporation fournit elle-même les ardoises, tous les élèves apprennent à écrire. » (p. 201) Mais il arrive aussi que certaines matières fussent peu enseignées en raison de l’incompétence des enseignants, en calcul par exemple.

Notons pour terminer quelques coquilles (1950 au lieu de 1850, p. 37) et le caractère en apparence artificiel du découpage chronologique : l’étude commence en 1850, soit neuf ans après l’adoption de la loi de l’Instruction publique, et se termine en 1900. Par ailleurs, il aurait été utile d’utiliser plus de tableaux, de graphiques et de cartes (une seule carte — minuscule et sans légende ni division par districts — est insérée, à la page 42) et de placer les notes explicatives en bas de page plutôt que de les reporter à la fin de l’ouvrage, avec les notes bibliographiques. Il aurait été souhaitable de traiter statistiquement la grande quantité de documents compilés. Cela aurait permis d’établir plus de liens avec la situation générale, pour l’alphabétisation par exemple, de comparer la composition sociale des conseils dans les trois districts, etc. Le contexte économique et politique aurait également gagné à être évoqué. Ainsi, on sait exactement le salaire de Robert Trudel de Sainte-Geneviève-de-Batiscan dans les années 1860 (p. 33), mais on ignore ce que l’on peut se procurer avec un tel salaire ou à quoi correspond un bon salaire. Je m’étonne enfin que certains villages n’aient pas été identifiés de façon à les distinguer de leurs homonymes, tel Saint-Alexis de Maskinongé qui pourrait être confondu avec Saint-Alexis de Montcalm, dans Lanaudière.