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Ce court recueil dirigé par Jonathan Livernois est issu d’une journée d’étude tenue à l’Université McGill le 21 septembre 2012. Trois parties inégales le meublent : la place et l’apport d’Yvan Lamonde par rapport à l’historiographie, quelques textes s’inspirant de l’approche lamondienne et de courts témoignages. C’est dire que l’ouvrage oscille entre la récapitulation d’une oeuvre, la contribution scientifique et l’apologétique. En faisant abstraction de ce flottement, le lecteur pourra trouver dans cet ouvrage, en plus de quelques métaphores nautiques ingénieuses, une introduction commode à l’oeuvre d’Yvan Lamonde.

Le texte de loin le plus riche est celui de Marc Angenot (« Portrait d’Yvan Lamonde en historien des idées »). Retrouvant les jalons de l’oeuvre de l’historien et évoquant son rôle dans la difficile quête de légitimité de l’histoire des idées au Québec, Marc Angenot précise l’utilisation des « idées » par Lamonde dans les divers champs qu’il a parcourus : histoire culturelle, histoire de l’imprimé et de la lecture, histoire des intellectuels et de la vie intellectuelle. Marc Angenot n’hésite pas à questionner – sans complaisance – l’oeuvre de Lamonde. Il propose notamment des distinctions intéressantes entre diverses approches de l’histoire des idées. Celle pratiquée par Lamonde concevrait l’histoire sociale des idées comme devant cerner une société dans une époque pour y trouver la circulation et l’appropriation des idées, son imaginaire social, ses projets collectifs, etc. À l’autre bout du spectre, une autre approche, plus foucaldienne et « sobrement désenchanteresse » (p. 23), miserait sur les « structures » discursives d’une société ou d’une époque.

Pour sa part, Michel Biron, dans son analyse du parcours d’une idée (la « fatigue culturelle ») depuis Hubert Aquin, explore un paradoxe québécois : le thème de la fatigue culturelle est pour l’historien un truchement pour des combats, alors que pour l’écrivain, « elle naît du fait que le monde réel lui est refusé », comme si l’histoire politique et l’histoire littéraire se contredisaient (p. 52). De son côté, Jonathan Livernois rappelle l’oeuvre journalistique – à distance des événements – de Lamonde, qui a rendu compte de nombreux livres d’histoire dans Le Devoir. C’est ici un autre relais de la vocation civique de l’historien, de plain-pied dans les enjeux sociétaux et mémoriels de sa collectivité. Dans sa contribution, Bernard Andrès s’attarde au traitement de l’américanité et des nationalismes chez Lamonde, en rappelant les grandes lignes de son engagement civique autour des débats sur la laïcité.

Malgré les levées de chapeau et les accolades prévisibles dans ce genre d’exercice, les textes de cette partie ne sombrent pas dans la complaisance, contrairement à la partie « Témoignages ». Le texte d’André Lussier, particulièrement laudatif, est exemplaire à cet égard. La contribution de Gérard Bouchard n’échappe pas à cette règle ; elle livre d’ailleurs plusieurs indices pour saisir la mécanique de l’hommage dans la tribu des historiens. Lamonde a effectivement respecté les trois conditions, selon G. Bouchard, d’un historien accompli : un patient labeur (sinon un ascétisme) à l’égard de l’archive, une influence institutionnelle rayonnant jusqu’à l’international ainsi qu’un engagement civique et une prise de parole publique.

Le dernier texte est de Lamonde lui-même, intitulé « Les mots et le récit à obstacles du conteur d’histoire ». Il s’attarde à l’apparition, depuis quinze ans, d’un nouveau type d’acteur public, l’« historien intellectuel ». Tiraillé entre les attentes des pairs et un public plus étendu, l’historien doit se demander : « comment faire passer le passé ? ». Et comment parvenir à ne pas inféoder l’art du récit – ce puissant vecteur de diffusion de l’histoire – au seul déploiement de l’argumentaire ? Faisant preuve de réflexivité, Lamonde retrace quelques clefs de ses mises en intrigue dans ses ouvrages passés, invitant ainsi ses pairs à assumer davantage les tenants et les aboutissants de leur pratique.