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La tuberculose est une maladie très grave : elle fut à l’origine d’au moins 33 000 décès entre 1896 et 1906, selon les chiffres du Conseil d’hygiène de la province de Québec. Première cause de décès par maladie infectieuse et véritable fléau partout en Occident, la « peste blanche », comme on l’appelait à l’époque, était « synonyme de honte, de dégradation et de mort à plus ou moins brève échéance ». Mais, dans les années 1950, la tuberculose cessa graduellement de faire parler d’elle avec l’arrivée des antibiotiques antituberculeux.
Sujet en or s’il en est un, l’histoire de la tuberculose et des soins en sanatoriums a fait l’objet de très peu d’études au Québec. Il existe bien sûr certains ouvrages plus ou moins récents en histoire de la médecine et de la santé publique. Plusieurs études de médecine s’attardent aussi à la tuberculose et à ses traitements, à toutes les époques. Peu d’historiens se sont penchés sur cette maladie, et ce, malgré sa très grande dissémination au Québec.
L’étude de Louise Côté est donc la bienvenue, même si l’auteure affirme, dès le départ, qu’il ne faut pas voir dans cet ouvrage ni « une étude en histoire de la médecine ou de la maladie » ni « une histoire sociale de la tuberculose ». Ce serait plutôt un essai en ethno-anthropologie qui a pour but de mettre en relief les liens entre les représentations médicales et populaires de la maladie, la nature des traitements proposés, l’orientation de la lutte antituberculeuse et la prise en charge institutionnelle en sanatorium.
L’ouvrage s’inscrit donc dans la tendance récente des recherches sur l’histoire de la tuberculose, « celle qui explore les relations complexes entre représentations de la maladie et vécu du malade ». L’auteure veut ainsi expliciter les liens entre représentations, attitudes et comportements. Car, selon Louise Côté, on ne peut « séparer les représentations de la tuberculose des aspects plus concrets du problème, comme les attitudes envers le malade, les orientations de la lutte antituberculeuse, la nature des traitements préconisés et la manière dont la maladie fut vécue sur le plan personnel ».
Plusieurs types de sources sont utilisées. D’abord, le bilan des connaissances médicales est dressé par le biais de revues médicales et d’ouvrages récents portant sur l’histoire de la tuberculose et de la médecine. Puis, des sources plus originales servent à analyser les réactions des médecins et celles des malades : l’auteure utilise par exemple des notes de cours de médecins qui enseignaient à l’Université Laval, des publicités et des articles parus dans les almanachs populaires, des journaux de sanatoriums et des récits autobiographiques rédigés par d’anciens malades. Pour compléter sa vue d’ensemble, l’auteure a aussi interviewé d’anciens malades et médecins et dépouillé les archives du ministère de la Santé du gouvernement provincial.
L’aspect médical est surtout abordé dans les deux premières parties du livre. L’auteure y brosse notamment un portrait assez complet de l’évolution des connaissances médicales sur la nature et les causes de la tuberculose ainsi que sur les moyens utilisés pour tenter de prévenir et de guérir cette maladie. On apprend entre autres comment s’est fait le passage d’une conception centrée sur l’origine héréditaire de la tuberculose, au xixe siècle, à une conception tournée vers l’aspect contagieux et les incidences sociales et économiques de la maladie, au début du xxe siècle. L’auteure fait aussi ressortir le caractère universel de la lutte antituberculeuse et comment les sanatoriums et les dispensaires sont au coeur du réseau de prévention et d’éducation populaire mis en place au début du xxe siècle.
Les lecteurs seront particulièrement fascinés par la description de la célèbre cure hygiéno-diététique qui était à la base des soins prodigués dans les sanatoriums. Les descriptions médicales de la cure sont complétées par les témoignages de médecins et de patients. On décrit également les recettes de grand-mère, les premiers essais chimiques ainsi que les douloureuses tentatives chirurgicales telles la collapsothérapie, la thoracoplastie et la pneumonectomie qui consistaient soit à affaisser le poumon par moyens mécaniques, soit à couper les côtes dans le but de compresser la partie malade ou soit à carrément exciser la totalité du poumon.
Les deux autres parties du livre abordent la réaction des malades, à partir des récits sanatoriaux. L’auteure cherche ainsi à approfondir le quotidien des patients admis à deux sanatoriums, celui du Lac-Édouard et celui de l’Hôpital Laval. On cherche, d’une part, à comprendre les réactions des patients sur le plan personnel, face à la maladie, aux préjugés et à la mort. L’auteure fait, d’autre part, ressortir l’atmosphère qui règne dans les sanatoriums en expliquant comment les activités et les comportements de groupe contribuent à valoriser les patients, les amenant à développer un fort sentiment d’appartenance au groupe.
Il ne faut donc pas s’attendre à une analyse de type factuelle, ni à une histoire traditionnelle. Le livre scrute plutôt les sentiments : ceux des médecins impuissants, mais qui s’investissent d’une mission, celle de soutenir moralement les malades ; et ceux des patients qui, forcés de laisser leur famille pour s’exiler au sanatorium, découvrent les joies et les peines de la vie en communauté. C’est une analyse très fouillée sur les réactions sociales et médicales face à la tuberculose dans la première moitié du xxe siècle que nous offre Louise Côté. Le livre est aussi rempli de témoignages et de récits qui renforcent le propos et agrémentent la lecture. Un livre passionnant, à bien des égards.