Comptes rendus

DELEUZE, Magali, L’une et l’autre indépendance 1954-1964 : les médias au Québec et la guerre d’Algérie (Montréal, Éditions Point de fuite, 2001), 229 p.[Notice]

  • Yvan Lamonde

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  • Yvan Lamonde
    Département de langue et littérature françaises
    Université McGill

Cet ouvrage est d’abord et avant tout une étude de presse, une analyse de la perception de la guerre d’Algérie dans les médias francophones et anglophones du Québec, presse quotidienne, revues intellectuelles et de grand tirage, émissions de télévision et, en particulier, Point de mire, animée par René Lévesque. Procédant méthodologiquement par échantillonnage (p. 42), l’auteure innove en appliquant à son corpus québécois le coefficient de Kayser (p. 24, 44) qui peut se résumer par l’équation Mv = E + T + P, où la mise en valeur est égale à E (maximun 40 points dans la pondération), c’est-à-dire l’appréciation de l’emplacement d’un texte (à la une, en tête de colonnes), plus T (40 points) soit l’importance du titrage plus P (20 points), la présentation (typographie, illustrations). Cette pondération quantitative permet des tableaux et graphiques (p. 199-204) sur la mise en valeur et la mise en forme des textes sur la guerre d’Algérie qui peuvent fonder la périodisation et légitimer des sous-périodes. Jalonnant d’abord l’histoire de la guerre en Algérie, M. Deleuze identifie trois moments dans la perception/réception de cet événement chez les Québécois. « Spectateurs désengagés » de 1954 à 1957, les écrivains de périodiques accordent globalement « un soutien prudent » à la France, l’Action nationale cherchant à ne pas nuire à l’image de la France et Le Devoir limitant sa couverture à un usage de sources de presse françaises, le tout se jouant dans la découverte d’un clivage d’une gauche et d’une droite locales que Robert Rumilly contribue à rendre explicite. De 1958 à 1960, on passe « de l’intérêt à l’inspiration » : la guerre d’Algérie catalyse autant la réflexion des nationalistes de toutes allégeances que celle des antinationalistes. Si des membres de l’Alliance laurentienne ont des propos qui frôlent parfois le racisme, Raymond Barbeau pose la question de l’indépendance du Québec en termes de décolonisation de l’empire britannique — comme Papineau en son temps — et définit le Laurentien comme « tout citoyen du Québec ou d’ailleurs qui accepte de vivre en Laurentie, quelles que soient sa culture, sa religion ou son origine raciale ». (p. 86) Barbeau interpelle André Laurendeau, la grande figure du nationalisme canadien-français, avec son maître Lionel Groulx : « On a aussi beaucoup entendu parler depuis quelques années même au Canada français de l’Algérie aux Algériens. Par exemple, M. André Laurendeau a réclamé à plusieurs reprises l’autodétermination pour l’Algérie mais il écrit non moins souvent que la souveraineté du Québec est une évasion, une utopie ! » (p. 85) C’est que Laurendeau, comme O’Connell, anticipe les dangers et les souffrances de l’accession à l’indépendance, la violence en Algérie justifiant selon lui ces craintes. Laurendeau, comme Parent en un autre temps, pose la question du prix à payer pour chaque geste collectif. La question algérienne fait réfléchir René Lévesque, une année avant son « chemin de Damas » de la grève de Radio-Canada. Favorable à la cause algérienne dans ses Point de mire, Lévesque se voit refuser par la France un visa pour aller tourner en Algérie. L’évolution de la situation en Algérie inspire aussi la gauche socialiste de la Revue socialiste qui tient un discours de décolonisation et critique la « pseudo-gauche » de Cité libre, favorable au FLN mais inébranlable à propos de la dissimilitude des expériences algériennes et québécoises. Le retour de de Gaulle au pouvoir tout autant que le terrorisme des deux côtés incitent Cité libre à poser le problème en termes de dangers pour la démocratie de l’aventure indépendantiste algérienne et québécoise, comme si les deux projets et les valeurs qu’ils portent étaient …