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Malgré une chronologie qui chevauche plus de trois siècles d’histoire, les auteures ont réussi le pari de livrer dans cette synthèse l’essentiel des connaissances relatives à l’une des plus vieilles professions féminines au Québec. Basé sur un travail de recherche et d’érudition très sérieux, cependant rédigé dans un style enlevé et vivant, cet ouvrage intéressera sûrement un public plus large que celui, généralement réduit, des experts.

Le premier chapitre représente, à lui seul, un véritable tour de force dans la mesure où en 17 pages seulement, il parvient à brosser, à travers une série de touches successives et imagées, un tableau évocateur de ce que fut l’éducation des filles sous l’Ancien Régime en général, et à l’époque de la Nouvelle-France en particulier. Les auteures rappellent, à cet égard, les rapports étroits qui liaient l’école à l’institution cléricale ainsi que les objectifs avant tout religieux qui fondaient toute forme d’enseignement. De plus, qu’il s’agisse des Ursulines de Québec, ou des « Filles de la Congrégation de Notre-Dame » à Montréal, ce premier chapitre livre une foule d’informations sur ces religieuses enseignantes : leurs objectifs pédagogiques, leur rapport avec les autorités cléricales de l’époque, leur mode de recrutement, les méthodes d’enseignement qu’elles privilégiaient, etc. Certes le panorama présenté est dense, mais n’est pas surchargé pour autant.

La suite de l’ouvrage montre comment, depuis la mise en place d’un début de régime scolaire public en 1801, mais bien plus en 1830, et surtout à partir de 1845 où le système scolaire public prend vraiment forme, les religieuses enseignantes céderont graduellement la place aux institutrices laïques. Qu’il s’agisse des grandes villes où le nombre des institutrices anglophones est plus élevé, ou des écoles rurales où les francophones dominent, l’école primaire sera désormais un royaume féminin. Toutefois, même lorsqu’elles accéderont, à partir des années 1940, à une formation de plus en plus poussée, les « reines » de ce royaume, dont les services et le dévouement ont toujours été reconnus, devront continuer à se contenter de piètres conditions de travail et de bien maigres salaires. De plus, leurs salaires demeureront longtemps très inférieurs à ceux de leurs homologues masculins.

Cependant, à partir des années 1940, la combativité syndicale croissante – combinée aux réformes qui marqueront la Révolution tranquille deux décennies plus tard – réussira enfin à faire accéder les institutrices à un véritable statut professionnel, leur permettant désormais de bénéficier de conditions de travail plus équitables. Mais, nous rappellent les auteures de l’ouvrage, les enseignantes estiment aujourd’hui que l’équité salariale, pour laquelle elles se sont tant battues, est encore loin d’être véritablement acquise. À cet égard, il s’agit donc d’un combat inachevé et… d’une histoire à suivre.