Comptes rendus

MEDRESH, Israël, Tsvishn tsvey velt milhomes/Le Montréal juif entre les deux guerres (Québec, Septentrion, 2001), 242 p. et Wolofsky, Hirsch, Mayn Lebns Rayze/Un demi-siècle de vie yiddish à Montréal, 1946 (Québec, Septentrion, 2000), 391 p.[Notice]

  • Martin Pâquet

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  • Martin Pâquet
    Département d’histoire
    Université Laval

Depuis quelques années, Pierre Anctil fait oeuvre de pionnier en initiant le lectorat de langue française à l’univers culturel d’une communauté de mémoire migrante au sens fort du terme, celle des immigrants juifs d’Europe de l’Est. Univers sensible et vibrant, puisque l’expérience de la migration est toute palpable parmi ces nouveaux citoyens montréalais qui viennent de quitter leurs shtelt de Lituanie, de Biélorussie ou de Pologne pour venir s’installer, au début du xxe siècle, dans la ville nord-américaine. Univers révolu car le yiddish, cette langue qu’ils parlent, écrivent et vivent, est délaissée par leurs descendants, pour constituer un idiome désormais disparu. Univers de mémoire enfin, où se couchent sur le papier les souvenirs du passé, où se transmettent les témoignages de ceux qui ont vu et vécu l’espace et le temps de la migration. Ces dernières dimensions importent. Fidèles au Zahkor !, à l’injonction du souvenir, les chroniqueurs Israël Medresh et Hirsch Wolofsky s’investissent comme témoins. Pour eux, il ne s’agit pas de narrer les faits et gestes de la communauté juive montréalaise. Fils d’Israël, ils répondent au devoir de mémoire, à cette exorbitante exigence de l’Alliance que relève Yosef Hayim Yerushalmi (Zakhor ! Histoire juive et mémoire juive, p. 25-26). Ici, ils sont d’une filiation, celle de la longue lignée par laquelle l’expérience historique d’Israël se transmet des devanciers aux descendants. « Si seulement elles [mes Mémoires] pouvaient servir à perpétuer le souvenir d’un mode de vie qui a totalement disparu aujourd’hui », souhaite Hirsch Wolofsky en 1946, « alors au moins j’aurai eu la satisfaction de ne pas les avoir écrites en vain » [Mayn Lebns Rayze, p. 375]. En puisant dans leur mémoire, I. Medresh et H. Wolofsky reconstituent l’expérience mouvante de la diaspora. Cette expérience se dessine d’abord avec le souvenir d’un monde perdu, celui du shtelt, du village ou de la petite ville d’Europe orientale où la majorité de la population de religion juive vivait de petits métiers ou du commerce. Communauté profane, mais aussi sacrée : un fidèle y retrouve toutes les institutions, connaissances et savoirs nécessaires à une pratique minutieuse du judaïsme traditionnel. Pour Hirsch Wolofsky, ce shtelt « plein de bonheur avec ses traditions de piété ancestrale » (Mayn Lebns Rayze, p. 43-44) est Shidlovtse, localité au centre de la Pologne actuelle. Il décrit ses années d’enfance, les us et coutumes de la communauté. Ainsi, les individus du shtelt se dégagent comme autant de types « exceptionnels » (p. 72-76). La plume a des pointes de nostalgie mais aussi de déréliction. Rédigeant ses Mémoires à partir de 1946, H. Wolofsky rappelle à de nombreuses reprises l’atroce éradication de ces communautés, englouties dans la fournaise de la Shoah. Puis, les chroniqueurs narrent l’implantation et l’épanouissement de la communauté juive montréalaise dès les débuts jusqu’au mitan du xxe siècle. L’intérêt de H. Wolofsky porte surtout sur l’élaboration du réseau institutionnel — la fondation de son journal Keneder Odler, l’institution du Va’ad Ha’ir (conseil de la ville), la création de l’Hôpital juif, etc. — et sur l’importance des membres des élites communautaires — sir Mortimer Davis, les députés Samuel S. Jacobs et Peter Bercovitch, A. J. et Lilian Freiman, le rabbin Zvi Cohen, etc. Quant à lui, I. Medresh s’intéresse au développement du mouvement sioniste, mouvement fort actif parmi la communauté juive montréalaise de l’entre-deux-guerres. Dans des pages captivantes, il plonge aussi au sein des relations intercommunautaires, tout particulièrement au cours du tumulte des années 1930. Ce regard de l’intérieur, exceptionnel par son acuité, remet en cause les préjugés relatifs aux expressions de l’antisémitisme au …